LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° U 18-85.833 F-P+B+I
N° 2641
EB2
10 DÉCEMBRE 2019
IRRECEVABILITE
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
IRRECEVABILITE sur les pourvois formés par MM. V... H..., G... W..., F... J..., E... N..., I... T..., Mme A... K... épouse Y..., les sociétés Norbert Dentressangle silo devenue XPO vrac silo France, transports Norbert Dentressangle volume devenue XPO transports solution France et transports Norbert Dentressangle devenue XPO volume national, l'Urssaf Rhône-Alpes, partie civile, le procureur général près la cour d'appel de Grenoble contre l'arrêt de ladite cour d'appel, chambre correctionnelle, en date du 28 août 2018, qui, dans la procédure suivie contre les neuf premiers des chefs de prêt illicite de main d'oeuvre, marchandage et travail dissimulé, a constaté l'extinction de l'action publique à l'égard de la société Norbert Dentressangle silo devenue XPO vrac silo France, renvoyé les autres prévenus des fins de la poursuite et déclaré la constitution de partie civile de l'Urssaf irrecevable .
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 novembre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller de la chambre.
Greffier de chambre : Mme Darcheux.
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE .
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Après une plainte du syndicat CFTC du groupe Norbert Dentressangle, ayant pour activité le transport routier de marchandises, des chefs de prêt illicite de main d'oeuvre, marchandage et travail dissimulé, et une autre plainte du comité d'établissement de la société transports Norbert Dentressangle volume des chefs de prêt illicite de main d'oeuvre et travail dissimulé, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Valence a confié, le 10 juillet 2011, une enquête à l'office central de lutte contre le travail illégal et à la gendarmerie de la Région Rhône-Alpes.
3. Sur les réquisitions du ministère public, les présidents des tribunaux de grande instance territorialement compétents ou leur délégué ont, par ordonnances des 11, 24 et 29 mai 2012, autorisé des perquisitions et saisies de pièces à conviction, sur le fondement de l'article L. 8271-13 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2010-462 du 6 mai 2010, en vue de la recherche et la constatation des infractions dénoncées.
4. Au terme de l'enquête, ayant comporté l'exécution de demandes d'entraide internationale ainsi que l'audition, sous le régime de la garde à vue, des directeurs régionaux de sociétés du groupe, MM. H..., W..., J..., N..., T..., Mme Y... et les sociétés Norbert Dentressangle silo devenue XPO vrac silo France, transports Norbert Dentressangle volume, devenue XPO transports solution France et transports Norbert Dentressangle, devenue XPO volume national, ont été cités devant le tribunal correctionnel des chefs de prêt illicite de main d'oeuvre, marchandage et travail dissimulé.
5. Par jugement en date du 5 mai 2015, le tribunal correctionnel a accueilli l'exception d'inconventionnalité de l'article L. 8271-13 du code du travail soulevée par les prévenus, annulé un certain nombre d'actes de la procédure subséquents aux ordonnances prises en application de cet article ayant autorisé des perquisitions et saisies de pièces à conviction, rejeté les moyens de nullité d'auditions en garde à vue et d'auditions libres tirés de l'absence d'accès au dossier lors de la première de ces mesures et de notification des droits attachés à la seconde, ainsi que le moyen de nullité des citations devant le tribunal tiré de leur imprécision et renvoyé l'affaire pour un examen au fond à une audience ultérieure.
6. Le ministère public a relevé appel de cette décision et présenté une requête tendant à faire déclarer son appel de ce jugement distinct du jugement sur le fond immédiatement recevable, rejetée le 12 mai 2015. Les neuf prévenus ont aussi relevé appel de ce premier jugement.
7. Après avoir joint au fond de nouvelles exceptions de nullité, le tribunal a, par jugement en date du 26 mai 2016, rejeté les moyens de nullité, renvoyé les prévenus des fins de la poursuite et déclaré les constitutions de partie civile irrecevables.
8. Le ministère public, les parties civiles et les prévenus ont relevé appel de cette décision.
Examen de la recevabilité des pourvois de l'Urssaf Rhône-Alpes et de MM. H..., W..., J..., N..., T..., Mme Y... et des sociétés Norbert Dentressangle silo devenue XPO vrac silo France, transports Norbert Dentressangle volume, devenue XPO transports solution France et transports Norbert Dentressangle, devenue XPO volume national
9. Selon l'article 568 du code de procédure pénale, la partie présente ou représentée à l'audience qui, après débat contradictoire, a été informée de la date à laquelle l'arrêt interviendrait, a cinq jours francs après celui où cette décision a été prononcée pour se pourvoir en cassation.
10. Selon l'article 576 du même code, la déclaration de pourvoi doit être faite au greffier de la juridiction qui a rendu la décision attaquée et doit être signée par le greffier.
11. Il résulte des mentions de l'arrêt attaqué que la cause a été débattue à l'audience du 4 juin 2018, où l'Urssaf Rhône-Alpes, partie civile, était représentée par son avocat, MM. H..., W..., J..., N..., T..., Mme Y..., les sociétés, transports Norbert Dentressangle volume devenue XPO transports solution France et transports Norbert Dentressangle devenue XPO volume national, prévenus, étaient comparants et la société Norbert Dentressangle silo devenue XPO vrac silo France, prévenue, était représentée par un avocat. A l'issue des débats, la cour d'appel a mis l'affaire en délibéré et renvoyé le prononcé de sa décision au 28 août 2018. A cette dernière date, l'arrêt a effectivement été prononcé.
12. La partie civile et les prévenus ont, par l'intermédiaire d'avocats au barreau du tribunal de grande instance de Grenoble, formé des pourvois en cassation par déclaration au greffe de la cour d'appel en date du 4 septembre 2018.
13. S'il peut être dérogé, à titre exceptionnel, aux prescriptions de l'article 568 du code de procédure pénale, c'est à la condition que, par un événement de force majeure ou par un obstacle insurmontable et indépendant de sa volonté, le demandeur se soit trouvé dans l'impossibilité de s'y conformer.
14. Tel n'est pas le cas en l'espèce, l'Urssaf Rhône-Alpes, partie civile, et de MM. H..., W..., J..., N..., T..., Mme Y..., les sociétés Norbert Dentressangle silo devenue XPO vrac silo France, transports Norbert Dentressangle volume devenue XPO transports solution France et transports Norbert Dentressangle devenue XPO volume national, prévenus, n'établissant pas avoir été dans l'impossibilité de se présenter au greffe, dans les horaires d'ouverture de celui-ci, pour se pourvoir en cassation dans le délai légal.
15. Dès lors, les pourvois doivent être déclarés irrecevables comme tardifs.
Examen des moyens
Sur les premier et quatrième moyens proposés par le procureur général près la cour d'appel de Grenoble
16. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi, en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur les deuxième et troisième moyens proposés par le procureur général près la cour d'appel de Grenoble
Exposé des moyens
17. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles L. 8271- 13 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2010-462 du 6 mai 2010, 591 et 593 du code de procédure pénale.
18. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a accueilli l'exception d'inconventionnalité de l'article L. 8271-13 du code du travail et annulé les ordonnances des présidents de tribunaux de grande instance territorialement compétents ayant autorisé des perquisitions et saisies de pièces à conviction sur le fondement de ce texte, faute d'un recours effectif, alors que ce recours a bien été effectif, les prévenus ayant pu soumettre la régularité de ces ordonnances aux juridictions de première instance et d'appel devant lesquelles ils ont été poursuivis.
19. Le troisième moyen est pris de la violation des articles L. 8271-13 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2010-462 du 6 mai 2010, 591 et 593 du code de procédure pénale.
20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a accueilli l'exception d'inconventionnalité de l'article L. 8271-3 du code du travail et annulé les ordonnances des différents présidents de tribunaux de grande instance territorialement compétents ayant autorisé des perquisitions et saisies de pièces à conviction sur le fondement de ce texte, faute d'un contrôle effectif par un juge indépendant de ces mesures et de leur exécution, les perquisitions et saisies ainsi autorisées ayant porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, alors que ces mesures ont été prescrites par un juge indépendant et que la régularité de leur exécution pouvait être contrôlée par un juge saisi des poursuites.
Réponse aux moyens
21. Les moyens sont réunis.
22. C'est à tort que, pour accueillir l'exception d'inconventionnalité de l'article L. 8271-13 du code du travail comme n'étant pas conforme aux exigences de l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme et annuler les ordonnances des présidents de tribunaux de grande instance autorisant des perquisitions et saisies de pièces à conviction sur le fondement de cette première disposition, l'arrêt énonce que l'article précité du code du travail n'offre aucun recours à la personne dont le domicile est l'objet de l'autorisation de visite ordonnée par le président du tribunal de grande instance, aux motifs que la possibilité pour un justiciable d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la régularité de l'ordonnance et de ses mesures d'exécution est subordonnée à la mise en oeuvre préalable, à son encontre, de poursuites, essentiellement par le ministère public, un recours intervenu près de trois ans après les opérations contestées perdant son caractère effectif.
23. En effet, en cas de poursuite, la circonstance que la décision du président du tribunal de grande instance autorisant des perquisitions et saisies de pièces à conviction ne soit pas susceptible d'appel immédiat ne prive pas d'un recours effectif la personne poursuivie, qui est en droit, après l'enquête, devant la juridiction de fond saisie directement par le ministère public, d'en invoquer la nullité ainsi que celle des opérations subséquentes conformément à l'article 385 du code de procédure pénale.
24. Toutefois, l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure.
25. Pour accueillir cette même exception d'inconventionnalité au regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et annuler les ordonnances des présidents de tribunaux de grande instance autorisant des perquisitions et saisies de pièces à conviction sur le fondement de l'article L. 8271-13 du code du travail, l'arrêt énonce que ce texte ne prévoit pas le contrôle des opérations de perquisition et saisie par le juge qui les a ordonnées.
26. Les juges relèvent qu'en l'espèce, il n'est ni prétendu ni établi par les actes de la procédure d'enquête qu'un contrôle concret aurait été exercé par les présidents des tribunaux de grande instance ou leur délégué sur les mesures qu'ils ont prescrites.
27. En l'état de ces seuls motifs, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que, pour répondre aux exigences de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, les opérations de perquisition et de saisie qui sont ordonnées par le juge doivent aussi être exécutées sous son contrôle effectif, lui permettant d'être informé de toute difficulté d'exécution, de se rendre sur les lieux et, le cas échéant, d'ordonner la suspension ou l'arrêt des mesures qu'il a autorisées et de s'assurer, ainsi, qu'elles sont justifiées et ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne concernée, garanti par la stipulation conventionnelle précitée.
28. Ainsi, les moyens doivent-ils être écartés.
29. Par ailleurs l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
DÉCLARE irrecevable les pourvois de l'Urssaf Rhône-Alpes, partie civile, et de MM. H..., W..., J..., N..., T..., Mme Y..., les sociétés Norbert Dentressangle silo devenue XPO vrac silo France, transports Norbert Dentressangle volume devenue XPO transports solution France et transports Norbert Dentressangle devenue XPO volume national, prévenus ;
REJETTE le pourvoi du procureur général près la cour d'appel de Grenoble ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix décembre deux mille dix-neuf.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.