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05/12/2019 | FRANCE | N°18-22561

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 2, 05 décembre 2019, 18-22561


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 386 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la Sci du Mac et du Mont Saint-Pierre (la Sci) a confié à la société Entreprise S... C... la réalisation, sur un terrain lui appartenant, de travaux de voirie et de réseaux et de construction d'un parking ; que la société Entreprise S... C... a obtenu une ordonnance du président du tribunal de commerce portant injonction à la Sci de lui payer une certaine somme re

présentant le montant d'une lettre de change, non provisionnée, émise par la Sci...

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 386 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la Sci du Mac et du Mont Saint-Pierre (la Sci) a confié à la société Entreprise S... C... la réalisation, sur un terrain lui appartenant, de travaux de voirie et de réseaux et de construction d'un parking ; que la société Entreprise S... C... a obtenu une ordonnance du président du tribunal de commerce portant injonction à la Sci de lui payer une certaine somme représentant le montant d'une lettre de change, non provisionnée, émise par la Sci en règlement du solde du prix du chantier ; que la Sci ayant formé opposition à cette ordonnance et invoquant des malfaçons, un jugement du tribunal de commerce du 6 janvier 2004 a ordonné une expertise et a sursis à statuer sur les demandes de la société Eurovia Champagne Ardenne se trouvant aux droits de la société Entreprise S... C... (la société Eurovia) ; que la Sci ayant assigné la société Eurovia et son assureur de responsabilité décennale devant un tribunal de grande instance à fin de voir réparer son préjudice, le juge de la mise en état a ordonné une expertise ; que l'expert ayant déposé ses rapports dans chacune des instances, le tribunal de grande instance a, par jugement du 15 juin 2012, condamné la société Eurovia à payer à la Sci une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice matériel ; que la société Eurovia s'étant désistée du pourvoi qu'elle avait formé contre l'arrêt ayant augmenté le montant de l'indemnisation de la Sci, celle-ci a soulevé in limine litis, devant le juge chargé d'instruire l'affaire devant le tribunal de commerce, la péremption de l'instance ; que la Sci a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce du 8 mars 2016 ayant rejeté l'incident de péremption d'instance et du jugement du même tribunal du 4 avril 2017, qui, ayant déclaré recevable son opposition et l'ayant rejetée, a mis à néant l'ordonnance d'injonction de payer et l'a condamnée à payer à la société Eurovia la somme en litige ;

Attendu que, pour déclarer mal fondée l'exception de péremption d'instance soulevée par la Sci, l'en débouter et dire que l'instance n'est pas périmée, l'arrêt retient que l'objet du litige porté devant le tribunal de commerce était le paiement des sommes dues en vertu d'une lettre de change acceptée, étant observé que le tiré pouvait opposer les exceptions issues du rapport fondamental, en l'espèce, une créance de dommages intérêts concernant les désordres et malfaçons, et que la procédure suivie devant le tribunal de grande instance, qui a été engagée dans le but d'obtenir des dommages-intérêts en indemnisation des malfaçons constatées dans la réalisation du parking, avait nécessairement des conséquences sur la décision du tribunal de commerce concernant les demandes subséquentes en paiement des parties, l'indemnisation du préjudice subi par l'une d'elles et le paiement des prestations effectuées découlant du même rapport fondamental, de sorte que les deux instances se rattachaient entre elles par un lien de dépendance direct et nécessaire et que les diligences effectuées devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel étaient donc interruptives de péremption ;

Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à justifier sa décision souveraine de retenir un lien de dépendance, qui soit direct et nécessaire, entre l'instance pendante devant le tribunal de commerce et celle pendante devant le tribunal de grande instance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;

Condamne la société Eurovia Champagne-Ardenne aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ; la condamne à payer à la la Sci du Mac et du Mont Saint-Pierre la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société du Mac et du Mont Saint-Pierre

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré mal fondée l'exception de préemption d'instance soulevée par la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre, de l'en avoir, en conséquence, déboutée, et d'avoir dit et jugé que l'instance n'était pas périmée ;

AUX MOTIFS PROPRES QU'« aux termes de l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsqu'aucune des deux parties n'accomplit de diligence pendant deux ans ; qu'aux termes de l'article 392 du même code, l'interruption d'instance emporte celle du délai de péremption ; que ce délai continue à courir en cas de suspension de l'instance sauf si celle-ci n'a eu lieu que pour un temps ou jusqu'à la survenance d'un évènement déterminé, dans ces derniers cas, un nouveau délai court à compter de l'expiration de ce temps ou de la survenance de cet évènement ; que l'acte de procédure, interruptif du délai de prescription, peut intervenir dans une instance différente dès lors que les deux instances se rattachent entre elles par un lien de dépendance direct et nécessaire ; que la présente instance devant la cour a trait à l'appel d'une décision ayant statué sur une opposition à ordonnance d'injonction de payer aux termes de laquelle la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre a été condamnée à payer à la SAS Eurovia Champagne Ardenne la somme de 82 333,26 €, outre intérêts et capitalisation des intérêts au titre d'une lettre de change impayée ; que la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre a introduit une instance devant la tribunal de grande instance de Reims contre la société Entreprise S... C... par acte du 2 octobre 2006 ; que par jugement rendu le « avril 2007, le tribunal de grande instance de Reims a sursis à statuer dans l'attente du rapport d'expertise ordonné par le tribunal de commerce ; que par ordonnance rendue le 10 mars 2009, le juge des référés du tribunal de grande instance a confié une expertise à M. K... avec la même mission que celle confiée par le tribunal de commerce le 6 janvier 2004 ; que l'expert a rendu le 12 novembre 2010 un rapport commun aux deux juridictions ; que le tribunal de grande instance de Reims a rendu un jugement le 15 juin 2012, il en a été interjeté appel, et la cour a rendu son arrêt le 1er juillet 2014 ; que dans cet arrêt, la cour a, notamment, condamné la SAS Eurovia à payer à la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre la somme de 150 413,51 € à titre de dommages-intérêts outre 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'au vu des motifs de cet arrêt, la cour a statué sur l'indemnisation des désordres et les dommages-intérêts réclamés par la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre ; qu'il convient d'observer que le litige porté devant le tribunal de commerce était le paiement des sommes dues en vertu d'une lettre de change acceptée, étant observé que le tiré pouvait opposer toutes les exceptions issues du rapport fondamental, en l'espèce, une créance de dommages-intérêts concernant les désordres et malfaçons ; que l'appréciation des diligences interruptives de péremption relève de l'appréciation souveraine des juges du fond ; que la procédure suivie devant le tribunal de grande instance, qui a été engagée dans le but d'obtenir des dommages-intérêts en indemnisation des malfaçons constatées dans la réalisation du parking, avait nécessairement des conséquences sur la décision du tribunal de commerce concernant les demandes subséquentes en paiement des parties, l'indemnisation du préjudice subi par l'une d'elles et le paiement des prestations effectuées découlant du même rapport fondamental, les deux instances se rattachaient donc bien entre elles par un lien de dépendance direct et nécessaire ; que les diligences effectuées devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel étaient donc interruptives de prescription ; que la SAS Eurovia a relevé appel provoqué le 4 janvier 2013 du jugement du tribunal de grande instance du 15 juin 2012 et a conclu le 23 janvier 2013 tandis que la cour a tenu son audience le 20 mai 2014, à laquelle la SAS Eurovia était comparante, et a rendu son arrêt le 1er juillet 2014 tandis que la SAS Eurovia a conclu devant le tribunal de commerce en février 2015 ; que l'instance ne saurait donc être considérée comme périmée et le jugement entrepris sera confirmé sur ce point en ce qu'il a reçu la SAS Eurovia en ses demandes » ;

ET AUX MOTIFS éventuellement ADOPTES QUE « lors de l'audience du 10 mars 2015, le tribunal de céans a désigné un juge chargé d'instruire l'affaire pour entendre les parties et faire rapport au tribunal ; que la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre a confié à la société Entreprise S... C... aux droits de laquelle vient la SNC Eurovia la réalisation de travaux de voirie et réseaux divers, notamment la construction d'un parking ; qu'à la réception de ces travaux, le 24 janvier 1997, des réserves ont été émises concernant des malfaçons dans la réalisation du parking ; que malgré cela, la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre a réglé, environ, les deux tiers du montant du marché ; que, concernant le tiers restant dû, la SNC Eurovia a obtenu une ordonnance d'injonction de payer en date du 30 décembre 1997 ; que par courrier reçu au greffe du tribunal de céans le 25 février 1998, la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre a formé opposition à cette ordonnance ; que cette opposition était formée « à raison des graves désordres qui viennent de se révéler, affectant la stabilité de l'ensemble du parking » ; qu'à la suite de différents incidents retardant la procédure, le tribunal de céans, par jugement du 6 janvier 2004, a désigné un expert et prononcé un sursis à statuer ; que, pour le règlement du tiers restant dû, la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre attendait la décision du tribunal de céans sur la prise en compte des malfaçons constatées, en fonction du rapport de l'expertise demandée ; que, une fois encore, de nombreux incidents ont entraîné un retard important dans le dépôt de ce rapport ; que la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre a, en date du 3 octobre 2006, introduit parallèlement, une instance par devant le tribunal de grande instance de Reims, aux fins d'obtenir l'indemnisation des malfaçons ; que, par jugement du 3 avril 2007, le tribunal de grande instance de Reims a décidé de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport de l'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Reims et, le même jour, radié l'affaire du rôle, par ordonnance ; que l'affaire a été rétablie au rôle du tribunal de grande instance de Reims à l'initiative de la SNC Eurovia ; que, par ordonnance du 10 mars 2009, le tribunal de grande instance de Reims a ordonné une expertise confiée au même expert, M. K..., et avec la même mission que celle confiée par le tribunal de céans ; que l'expert a déposé son rapport, commun pour les deux juridictions, le 12 novembre 2010 ; que, suite au dépôt du rapport d'expertise, les parties ont été reconvoquées automatiquement par le tribunal de céans, à l'audience publique du 15 février 2011 ; que la décision du tribunal de grande instance de Reims est intervenue le 15 juin 2012 puis un appel de cette décision ayant été interjeté, l'arrêt de la cour d'appel a été rendu le 1er juillet 2014 ; que la SNC Eurovia s'étant désistée de son pourvoi en cassation le 13 février 2015, l'arrêt de la cour d'appel de Reims est devenu définitif ; que la procédure devant le tribunal de grande instance de Reims était diligentée dans le but d'obtenir des dommages-intérêts en indemnisation des malfaçons constatées dans la réalisation du parking ; que l'existence de ces malfaçons était déjà la raison pour laquelle la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre a, le 6 février 1998, formé opposition à l'ordonnance d'injonction de payer ; que la procédure devant le tribunal de grande instance aurait manifestement des conséquences sur la décision du tribunal de céans ; qu'il est de jurisprudence constance que les diligences accomplies dans le cadre d'une autre instance peuvent avoir un effet interruptif de péremption, si les deux instances entretiennent « un lien de dépendance direct et nécessaire » ; qu'il découle de tous les éléments qui précèdent que l'instance par-devant le tribunal de céans et celle par-devant le tribunal de grande instance de Reims entretiennent un lien de dépendance direct et nécessaire ; qu'il n'est pas possible de dire que la SNC Eurovia se soit désintéressée de l'affaire et n'a pas manifesté sa volonté de poursuivre et faire progresser l'instance devant le tribunal de commerce, puisqu'au contraire, depuis la réinscription de l'affaire au rôle le 15 février 2011, elle a subi des demandes de reports et les aléas de la procédure provoqués par la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre, audience après audience, retardant ainsi la résolution de l'affaire ; que si le juge peut relever d'office la péremption il n'en demeure pas moins que l'appréciation des diligences interruptives de péremption relève de l'appréciation souveraine des juges du fond ; qu'à l'audience du 18 décembre 2015, devant le juge chargé d'instruire l'affaire, les parties se sont accordées pour demander au tribunal de prendre position, in limine litis, sur la question de la péremption ; qu'il échet de dire et juger que l'instance n'est pas périmée ; qu'il échet de débouter la SCI du Mac et du Mont Saint Pierre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions concernant la péremption de l'instance » ;

1°) ALORS QUE le délai de péremption ne peut être interrompu par des diligences intervenues dans une instance différente de celle dont la péremption est demandée qu'à la condition que les deux instances soient unies par un lien de dépendance direct et nécessaire ; qu'il n'existe aucun rapport de dépendance direct et nécessaire entre l'instance introduite devant le tribunal de commerce portant sur le paiement d'une lettre de change régularisée, adressée par l'entrepreneur au maître de l'ouvrage, et celle introduite devant le tribunal de grande instance portant sur les demandes du maître de l'ouvrage fondées sur la garantie décennale et la responsabilité contractuelle de l'entrepreneur, ces deux actions pouvant être jugées indépendamment l'une de l'autre ; qu'en décidant du contraire, pour en déduire que les actes accomplis dans l'instance devant le tribunal de grande instance et la cour d'appel au civil avaient pour effet d'interrompre le délai de péremption de l'instance devant le tribunal de commerce, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile ;

2°) ALORS, en tout état de cause, QU'en se bornant à juger que « la procédure suivie devant le tribunal de grande instance (
) avait nécessairement des conséquences sur la décision du tribunal de commerce concernant les demandes subséquentes en paiement des parties » (arrêt attaqué, p. 7 § 1 ; jugement entrepris du 8 mars 2016, p. 8 § 9), sans préciser en quoi consistaient ces conséquences ni faire ressortir que la procédure devant le tribunal de grande instance conditionnait celle introduite devant le tribunal de commerce, la cour d'appel n'a pas caractérisé le lien de dépendance direct et nécessaire entre les deux instances et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 2
Numéro d'arrêt : 18-22561
Date de la décision : 05/12/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, 19 juin 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 2e, 05 déc. 2019, pourvoi n°18-22561


Composition du Tribunal
Président : M. Pireyre (président)
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.22561
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