LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 3 juillet 2019), que, propriétaire de la parcelle [...] , Mme O... I... a assigné M. B... et Mme D..., propriétaires des parcelles contiguës cadastrées [...] , [...], [...] et [...], en annulation, pour vice du consentement, d'un procès-verbal de bornage amiable établi le 18 janvier 2010 et en rétablissement de la délimitation résultant d'un précédent bornage du 5 mars 1984 ;
Attendu que, pour rejeter la demande, l'arrêt retient que, si le géomètre-expert s'est trompé en indiquant dans le procès-verbal que les points B-C correspondent au plan du 5 mars 1984 et a ainsi induit Mme O... I... en erreur, cette erreur n'était pas déterminante puisque la signature de l'intéressée établit qu'elle a consenti à la modification du bornage même si elle n'était pas, au moment de la signature, consciente qu'il s'agissait en fait d'une modification ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs contradictoires, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 juillet 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers, autrement composée ;
Condamne M. B... et Mme D... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. B... et Mme D... et les condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à Mme O... I... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour Mme O...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme I... de l'ensemble de ses demandes visant à voir constatée l'erreur affectant son consentement au procès-verbal de bornage du 18 janvier 2010, à l'annulation de ce procès-verbal et au rétablissement du procès-verbal de bornage du 5 mars 1984 établissant les limites de propriété ;
Aux motifs propres que sur le plan de bornage du 18 janvier 2010 : que le procès-verbal du 18 janvier 2010 fait expressément référence au plan de bornage dressé le 5 mars 1984 par M. L..., géomètre-expert ; qu'il indique page 3 que la borne B et le clou d'arpentage C sont posés le 18 janvier 2010 en présence et avec l'accord des parties en application du plan du 5 mars 1984 ; que page 4, l'expert indique que la ligne BC est la limite séparative entre les propriétés ; qu'il est constaté un empiétement du bâtiment édifié sur la propriété I...-O... de 0,2m au sud et de 0,40m à l'angle nord sur la propriété des consorts B... D... ; que selon le procès-verbal, les parties soussignées déclarent qu'il n'existe à ce jour à leur connaissance aucune autre borne ou signe matériel concernant les limites présentement définies ; que s'il s'en découvrait par la suite, les parties présentes sauf accord unanime les considéreraient comme nuls et inapplicables ; qu'en foi de quoi, les soussignés approuvent le présent procès-verbal comme fixant désormais les limites de propriété suivant les bornes ou points ; - sur l'annulation du procès-verbal de bornage du 18 janvier 2010 ; que l'article 1110 du code civil ancien dispose que l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet ; qu'il y a erreur sur la substance, quand le consentement d'une partie a été déterminé par l'idée fausse que cette partie avait de la nature des droits dont elle croyait se dépouiller ou qu'elle croyait acquérir par l'effet du contrat ; qu'il appartient au demandeur de rapporter la preuve du caractère substantiel de l'erreur ; que Mme I... soutient n'avoir signé le procès-verbal du 18 janvier 2010 que parce qu'elle le pensait identique à celui du 5 mars 1984 ; qu'elle indique que ce plan lui fait grief dès lors qu'il l'a obligé à réaliser divers travaux (coupe de débords de fondations et d'arbres), a permis aux consorts B... D... de construire à proximité de son jardin ; que les consorts B... et D... font valoir que le procès-verbal du 18 janvier 2010 correspondait à la réalité des lieux ; qu'ils admettent que la limite séparative a été modifiée, estiment que cette modification a été voulue par les parties ; que le tribunal a estimé que les parties avaient connaissance du bornage antérieur, ont voulu le modifier en signant un nouveau procès-verbal de bornage ; que si le géomètre-expert n'a pas été mandaté par Mme I..., il est certain qu'il a procédé aux opérations en sa présence ; que le procès-verbal établi le 18 janvier 2010 a été signé de toutes les parties, parties qui ont fait précéder leur signature de la mention lu et approuvé ; que le géomètre s'est trompé en indiquant que les points B et C correspondaient au plan du 5 mars 1984 ; que Mme I... fait valoir à juste titre que les termes utilisés par le géomètre pouvaient lui laisser penser qu'il était identique au procès-verbal de 1984 puisque la fixation des points B et C résultaient de l'application du plan de 1984 ; que l'approximation du géomètre a donc induit en erreur Mme I... ; qu'en revanche, celle-ci ne démontre pas que cette erreur ait été déterminante de sa signature ; que sa signature établit qu'elle a consenti à la modification du bornage même si elle n'était pas au moment de la signature consciente qu'il s'agissait en fait d'une modification ; qu'elle avait pris la mesure de l'emplacement de la nouvelle limite séparative puisque l'expert-géomètre avait expressément indiqué que cette limite démontrait un empiétement sur le fonds des voisins, mention qu'elle n'a pas contestée et qui ne l'a pas empêché de signer le procès-verbal de bornage ; qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme I... de sa demande de nullité du procès-verbal de bornage établi le 18 janvier 2010 ;
Et aux motifs éventuellement adoptés que sur la demande de nullité pour erreur : que l'article 1109 du code civil en sa rédaction applicable à la date des faits énonce : « Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol » ; que l'article 1110 du code civil en sa rédaction applicable à la date des faits énonce : « L'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet. Elle n'est point une cause de nullité lorsqu'elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention » ; que pour qu'une erreur sur la substance soit cause de nullité elle doit avoir été déterminante du consentement et ne pas être inexcusable ; sur l'ignorance du bornage du 5 mars 1984, que Mme R... I... soutient que le PV de bornage en date du 18 janvier 2010 serait nul au motif qu'elle ignorait l'existence et le contenu d'un PV de bornage antérieur datant du 5 mars 1984 ; qu'il est de principe qu'une demande en bornage est sans objet en cas de délimitation antérieure et régulière découlant de l'accord des parties ; que si l'erreur doit être appréciée à la date de la signature du bornage, il est loisible aux parties d'invoquer des éléments postérieurs pour en établir la preuve ; qu'ainsi Mme R... I... est recevable à soutenir qu'elle n'a pris connaissance des termes du bornage de 1984 que dans le cadre de la procédure de médiation intervenue en 2015 ; que toutefois Mme R... I... ne saurait prétendre ignorer l'existence du PV de bornage de 1984 alors qu'il y est expressément fait référence à deux reprises dans le PV de bornage de 2010 qu'elle a signé ; sur le caractère erroné des indications du géomètre ayant provoqué l'erreur, qu'il est constant que la limite de propriété entre le fonds de Mme R... I... et celui de M. K... B... et Mme Y... D... diffère entre le bornage de 1984 qui la fixe entre les points F.E.D et le bornage de 2010 qui la fixe entre les points B.C ; qu'or le géomètre dans son PV du 18 janvier 2010 indique que « la borne nouvelle B est posée en application du plan de bornage 5674 dressé le 5 mars 1984 par M. L... » ; que force est de constater que les indications de M. V... sont erronées ; qu'il revient cependant à Mme R... I... qui soutient que le caractère erroné des indications fournies par M. V..., géomètre, a provoqué l'erreur qui a vicié son consentement, de rapporter la preuve que cette erreur a été déterminante et qu'elle est excusable ; que Mme I... soutient que les limites prévues par le nouveau bornage lui sont défavorables dans la mesure où elles l'obligent à couper des arbres et ont permis à ses voisins d'agrandir leur construction alors qu'elle était opposée à ce projet ; qu'elle ne conteste néanmoins pas que les opérations de bornage se soient déroulées contradictoirement et qu'elle a volontairement accepté les limites proposées par le géomètre clairement définies entre les points BC ; qu'en conséquence, l'erreur commise par l'expert, aussi regrettable soit-elle, n'a pas été déterminante du consentement de Mme R... I... au nouveau bornage ; que par ailleurs, Mme R... I... avait la possibilité de vérifier les dires du géomètre avant de signer son procès-verbal ce qu'elle a omis de faire, de sorte que l'erreur commise ne peut être considérée comme excusable puisqu'elle procède de faits qui pouvaient être connus au moment de la signature de la convention et dont l'ignorance résulte de la seule négligence de la demanderesse ; qu'enfin, dans la mesure où les parties ne pouvaient ignorer l'existence d'un bornage antérieur, si elles ont convenu de réaliser un nouveau bornage c'est que leur intention était de modifier les termes du précédent ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, la demande en annulation du bornage du 18 janvier 2010 pour erreur sur la substance, doit être rejetée ;
1°) Alors que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en retenant, pour écarter la nullité du procès-verbal de bornage pour erreur sur la substance, que Mme I... « n'était pas au moment de la signature consciente qu'il s'agissait en fait d'une modification » des limites de propriété qui avaient été fixées par le bornage du 5 mars 1984, et tout à la fois, que « sa signature établit qu'elle a consenti à la modification du bornage », la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
2°) Alors que, subsidiairement, l'erreur est une cause de nullité d'un acte juridique lorsqu'elle porte sur la substance de la chose ou des droits qui en sont l'objet ; que l'erreur sur la substance est constituée dès lors que ce qui a déterminé l'errans à donner son consentement, au regard de ce qui a été stipulé, n'est pas conforme à ce qui se révèle ultérieurement ; que tel est le cas si une partie a signé un procès-verbal de bornage en considération de ses stipulations selon lesquelles les limites de propriété avaient été fixées en application d'un précédent bornage amiable, et qu'il est apparu ultérieurement que ces limites étaient différentes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a d'abord constaté que le procès-verbal de bornage du 18 janvier 2010 indiquait que les limites de propriété fixées l'avaient été en application du précédent bornage du 5 mars 1984, et qu'il est apparu que ces limites étaient en réalité différentes ; qu'elle a ensuite constaté la croyance erronée de Mme I..., lors de la signature du procès-verbal de bornage du 18 janvier 2010, en l'identité annoncée des limites de propriété fixées par rapport au bornage du 5 mars 1984 ; qu'il résultait de ces constatations, tenant à l'absence de conformité, contractuellement stipulée, des limites de propriété fixées en 2010 par rapport à celles fixées en 1984, et à la croyance erronée en cette conformité Mme I..., que cette dernière avait été victime d'une erreur sur une qualité substantielle et déterminante de son consentement ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°) Alors que, encore subsidiairement, il y a erreur si une partie a signé un procès-verbal de bornage en considération de ses stipulations selon lesquelles les limites de propriété avaient été fixées en application d'un précédent bornage amiable, et qu'il est apparu que ces limites étaient différentes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a déduit l'absence de preuve du caractère déterminant de l'erreur de Mme I... sur son consentement, de sa participation aux opérations de bornage contradictoire du géomètre, de son acceptation des limites séparatives par la signature du procès-verbal du 18 janvier 2010, de ce qu'elle avait pris la mesure des nouvelles limites séparatives et de l'empiètement qui en résultait de son fonds sur celui de M. B... et Mme D... ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl. d'appel, p. 4 et 9), si Mme I... avait accepté les limites proposées par le géomètre en 2010, en connaissance des conséquences qui en résultaient, seulement parce qu'elle pensait que ces limites avaient été fixées en application du bornage de 1984, et qu'elle ne consentait donc à aucune restriction de ses droits par rapport à ce précédent bornage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
4°) Alors que, encore subsidiairement, l'erreur cause de nullité peut être une erreur de droit sur la cause de l'engagement ; qu'ainsi, un bornage amiable peut être annulé pour erreur de droit sur la cause de l'engagement, si l'un des propriétaires y a consenti, malgré l'existence d'un précédent bornage amiable, dans l'ignorance de la règle selon laquelle « bornage sur bornage ne vaut », dont il résulte qu'un bornage régulièrement effectué vaut titre et fait obstacle à toute nouvelle demande de bornage ; qu'en l'espèce, Mme I... a soutenu qu'elle avait signé le procès-verbal de bornage de 2010, sans savoir qu'en raison de l'existence du plan de bornage de 1984, un nouveau bornage ne s'imposait pas ; qu'en se contentant, pour écarter la nullité du procès-verbal de bornage de 2010, d'examiner la demande au seul regard de l'erreur sur la substance liée à la fausse indication du géomètre selon laquelle les limites de propriété avaient été fixées en application de celles du bornage de 1984, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl. d'appel, p. 3 ; p. 11, § 1 à 4), si le procès-verbal de bornage de 2010 était nul en raison de l'erreur de droit commise par Mme I..., constituée par l'ignorance de la règle selon laquelle « bornage sur bornage ne vaut », la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°) Alors que, à supposer adoptés, les motifs selon lesquels, « dans la mesure où les parties ne pouvaient ignorer l'existence d'un bornage antérieur, si elles ont convenu de réaliser un nouveau bornage c'est que leur intention était de modifier les termes du précédent », en se bornant à retenir, pour écarter la nullité du procès-verbal de bornage de 2010, que les parties, qui avaient connaissance de l'existence du bornage antérieur et qui étaient convenues de réaliser un nouveau bornage, avaient ainsi l'intention de modifier les termes du précédent, sans rechercher, comme elle y était invitée (concl. d'appel, p. 3, § 1 ; p. 11, § 1 à 4), si la décision de Mme I... de signer un nouveau bornage était seulement justifiée par son ignorance de la règle selon laquelle « bornage sur bornage ne vaut » et de l'inutilité qui en résultait d'établir un nouveau bornage dont les limites de propriété fixées devaient être identiques à celles fixées en 1984, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
6°) Alors que, en tout état de cause, l'appréciation du caractère excusable de l'erreur dépend des qualités de la personne telles que son âge, sa profession et son expérience, et des circonstances particulières du litige ; que lorsque la victime de l'erreur est profane, son erreur n'est inexcusable que si elle a été mise en mesure de la déceler et de demander en conséquence des informations complémentaires ; qu'elle est, au contraire, excusable si les circonstances l'ont autorisée à ne pas vérifier les informations reçues ; qu'en l'espèce, pour retenir l'erreur inexcusable de Mme I... et écarter la nullité du procès-verbal de bornage de 2010, la cour d'appel s'est bornée à retenir que Mme I... avait la possibilité de vérifier les dires du géomètre avant de signer son procès-verbal, ce qu'elle a omis de faire, et que l'erreur commise procédait de faits qui pouvaient être connus au moment de la signature de la convention, dont l'ignorance résulte de la seule négligence de la demanderesse ; qu'en statuant ainsi, sans relever que Mme I..., profane, avait bien été mise en mesure de déceler l'erreur du géomètre sur l'identité des deux bornages et de demander en conséquence des informations complémentaires pour l'éviter, dans des circonstances qui ne l'autorisaient pas à s'abstenir de vérifier les indications du géomètre, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'erreur inexcusable, violant ainsi les articles 1109 et 1110 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.