LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen relevé d'office, après avis donné à la partie demanderesse, en application de l'article 1015 du code de procédure civile :
Vu les articles L. 311-1 et R. 311-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée (Chambéry, 19 juillet 2018), qu'un premier président de cour d'appel a statué sur l'appel, interjeté en application de l'article 496 du code de procédure civile, d'une ordonnance sur requête ;
Qu'en statuant ainsi, alors que seule la cour d'appel a le pouvoir de statuer sur l'appel d'une ordonnance sur requête, le premier président a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 19 juillet 2018, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. T... ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-huit novembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Alain Bénabent, avocat aux Conseils, pour M. T...
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir rejeté le recours de M. T... à l'encontre de l'ordonnance du 22 mars 2018, rendue par le Président du Tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, rejetant sa requête ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « aux termes de l'article 493 du code de procédure civile « l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse » ;
Que l'article 812 du code de procédure civile dispose par ailleurs : « le président du tribunal est saisi par requête dans les cas spécifiés par la loi. Il peut également ordonner sur requête toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement. Les requêtes afférentes à une instance en cours sont présentées au président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi » ;
Qu'en l'espèce, aucun texte législatif ne prévoit la possibilité de saisir le juge par voie de requête d'une demande tendant à constater l'acquisition d'un immeuble par voie de prescription ;
Qu'il peut cependant être procédé par voie de requête, hors de tout texte le prévoyant de manière spécifique, dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ou pour obtenir le prononcé de mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement ;
Qu'en l'espèce, le requérant ne fait référence à aucune mesure urgente ;
Qu'il convient donc d'examiner si le requérant était fondé à ne pas appeler les parties intéressées ;
Qu'en l'espèce, la [...] sur laquelle portent les prétentions du demandeur, a été acquise par M. D... W... de nationalité Saoudienne, décédé le [...] sur le territoire d'Arabie Saoudite, qui a laissé pour lui succéder ses 15 enfants, chacun pour 1/15 de la succession sous réserve de l'usufruit légal de l'épouse survivante Mme M... S... ;
Que suite au décès de M. D... W..., un acte d'attestation de transmission héréditaire a été établi par Maître P... V..., notaire à [...], le 19 juin 1987, publié le 16 juillet 1987 au service de la publicité foncière d'Annecy ; que cet acte est produit en pièce n° 1 du demandeur et comporte en annexe une attestation de transmission héréditaire après le décès de [...] D... O... en date du [...] reprenant les identités complètes de l'épouse du défunt et de ses 15 enfants légitimes, ses héritiers, et indiquant que la propriété foncière sise sur le territoire de la commune de [...], faisait partie de l'actif de la succession ;
Que les co-héritiers sont donc parfaitement identifiés et connus du requérant, qui propose aux termes de ses prétentions en appel de leur signifier la décision à intervenir ;
Que le fait que les héritiers aient pu se désintéresser du sort de la propriété sise sur le territoire de la commune de [...], à supposer qu'il soit établi, ce dont seul un débat contradictoire permettrait de s'assurer, ne saurait fonder le requérant à ne pas appeler les parties adverses ;
Qu'en l'absence d'un quelconque élément qui aurait pu fonder le requérant à se dispenser d'appeler les parties adverses, et sans qu'il soit dès lors utile d'examiner au fond les prétentions du requérant, l'ordonnance en date du 22 mars 2018 rendue par le président du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains sera en conséquence confirmée dans son intégralité, le requérant étant débouté de l'ensemble de ses demandes » ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « l'ordonnance sur requête est définie par l'article 493 du code de procédure civile comme une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à n[e] appeler de partie adverse ;
Que la requête présentée tend à obtenir non une décision provisoire, mais à faire consacrer juridiquement l'usucapion revendiquée par le requérant et à consacrer la pleine propriété de ce dernier sur les biens immeubles en cause, notamment par l'affirmation que la présente ordonnance vaudra titre de propriété et par sa publication au fichier immobilier ; que l'ordonnance sollicitée n'aura donc aucun caractère provisoire ;
Que les motifs invoqués par le demandeur pour déroger à la règle de la contradiction sont que les 15 héritiers du légitime propriétaire, parfaitement identifiés puisqu'un acte de transmission héréditaire a été établi par Me V..., notaire à [...], le 16 juillet 1987 en suite du décès de leur auteur, « ne se sont jamais manifestés, pendant plus de trente ans, ni par des actes matériels ni par une quelconque action » ; que la requête dispose, en outre, de façon surprenante « mais pourquoi en l'absence de tous contentieux, réclamations ou contestations, assigner des héritiers en vue de prescrire contre ces dernier un droit qu'ils ont choisi en connaissance de cause de ne jamais revendiquer et maintenant depuis plus de trente ans, et qui serait dès lors précisément prescrit ? » ; que ces motifs révèlent une conception très particulière du principe du contradictoire qui se réduit à la seule affirmation du droit du requérant ; que le principe du contradictoire exige, au contraire, que ce dernier soit capable de soutenir sa demande et son argumentation face aux légitimes propriétaires, à même de discuter ses prétentions ; qu'il rend juste, nécessaire et indispensable que les légitimes propriétaires, parfaitement identifiés, soient appelés en cause pour être entendus sur des droits et un patrimoine, dont on envisage de les priver, sans débat contradictoire, par la revendication d'un usucapion sujet à discussion et argumentation, s'agissant tant de son point de départ que de ses conditions et de sa durée ».
1°/ ALORS QUE l'ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ; que tel est le cas en l'absence de partie adverse ; que si la charge de la preuve de l'absence de partie pèse sur l'auteur de la requête, celui-ci ne saurait, sauf à faire peser sur lui une preuve impossible à établir, être tenu de rapporter cette preuve de façon contradictoire ; qu'en l'espèce, pour rejeter la requête formée par l'exposant, fondée sur l'absence de partie adverse, la Cour d'appel a cru pouvoir relever que « le fait que les héritiers aient pu se désintéresser du sort de la propriété sise sur le territoire de la commune de [...], à supposer qu'il soit établi, ce dont seul un débat contradictoire permettrait de s'assurer, ne saurait fonder le requérant à ne pas appeler les parties adverses » ; qu'en obligeant ainsi M. T... à rapporter contradictoirement la preuve de l'absence de partie adverse, la Cour d'appel, qui a fait peser sur l'exposant la charge d'une preuve impossible à rapporter, a violé les articles 493 et 812 du code de procédure civile, l'article 1315, devenu 1353 du code civil, ensemble l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
2°/ ALORS QUE le juge ne peut rejeter une demande sans procéder à une analyse, même sommaire des éléments de preuve soumis à son examen ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande de l'exposant formée par voie de requête sur le fondement de l'absence de partie adverse, la Cour d'appel a cru pouvoir relever que « le fait que les héritiers aient pu se désintéresser du sort de la propriété sise sur le territoire de la commune de [...], à supposer qu'il soit établi, ce dont seul un débat contradictoire permettrait de s'assurer, ne saurait fonder le requérant à ne pas appeler les parties adverses » ; qu'en statuant par un tel motif, impropre à la dispenser d'examiner les pièces qui fondaient la demande de l'exposant, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ ALORS QUE les juges sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis ; qu'en l'espèce, en relevant que le fait que les héritiers des parcelles aient pu se désintéresser de leur sort « ne saurait fonder le requérant à ne pas appeler les parties adverses », pour rejeter la requête formée par l'exposant, cependant que celui-ci fondait sa demande non seulement sur le désintéressement, pendant plus de trente ans, des héritiers de M. D... W..., mais également et surtout sur le fait qu'il s'était comporté pendant toute cette durée, comme le propriétaire des lieux, la Cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile.