LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 septembre 2017), qu'à la suite d'un différend portant sur un projet, finalement laissé sans suite, de transaction immobilière au Sénégal, M. S... et Mme L... ont adressé une plainte au procureur de la République de Thies (Sénégal) pour faux, usage de faux et tentative d'extorsion contre M. C..., agent immobilier, gérant de la société Agipco ; que M. C... a assigné M. S... et Mme L... afin d'obtenir l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice occasionné par leur plainte ; que M. S... et Mme L... ont présenté une demande reconventionnelle en indemnisation pour abus du droit d'agir en justice ;
Sur le second moyen, pris en sa seconde branche, annexé :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. C... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts et de le condamner à payer à M. S... et Mme L... la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts et les sommes de 4 000 et 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen :
1°/ que le dépôt d'une plainte est constitutif d'une faute lorsqu'il a été effectué avec témérité ou légèreté blâmable ; que M. C... soutenait en l'espèce que, c'est sans le moindre élément accréditant leurs accusations, que M. S... et Mme L... avaient déposé plainte à son encontre devant la juridiction pénale sénégalaise, des chefs de faux, usage de faux et tentative d'extorsion de fonds ; que la cour d'appel qui se borne à relever après les premiers juges que M. S... et Mme L... auraient pu légitimement mettre en cause la validité du mandat dont disposait la société AGIPCO ou le bien-fondé de la demande d'injonction de paiement formulée par celle-ci à son encontre, sans relever le moindre élément susceptible de justifier les accusations précisément formulées à son encontre et les qualifications pénales invoquées à l'appui de leur plainte, qu'il s'agisse du faux et de l'usage de faux, qui ne se confond pas avec la régularité du mandat, ou a fortiori de la tentative d'extorsion de fonds, a statué par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
2°/ qu'en statuant de la sorte, sans s'expliquer, comme elle y était pourtant expressément invitée par les écritures d'appel de l'exposant sur le fait que M. S... et Mme L... s'étaient totalement désintéressés du sort de leur plainte, montrant par là-même qu'ils ne prenaient pas au sérieux leurs accusations et que cette plainte n'était qu'une instrumentalisation de la procédure pénale mise au service d'un litige civil précédemment introduit sans qu'il ne soit fait mention de la moindre infraction, et sans rechercher si cette circonstance ne caractérisait pas le caractère téméraire de cette plainte, la cour d'appel a de plus fort privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
Mais attendu que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que M. C... reconnaît qu'après avoir été informé de l'intérêt de M. S... et Mme L... pour la maison de M. et Mme F..., il a sollicité de ces derniers la signature d'un mandat afin d'obtenir une commission pour une affaire qu'il n'avait pas initiée ; que l'arrêt ajoute que le fait que le mandat ait été signé par un seul des mandants pouvait légitimement faire douter de sa validité, que la vente ne s'étant pas concrétisée à la suite du désistement des propriétaires, aucun droit à commission n'avait pu naître, que l'injonction de payer déposée par l'agence AGIPCO contre M. S... et Mme L... était dès lors prématurée et a légitimement entraîné de la part de ses destinataires le dépôt d'une plainte auprès du procureur de la République, laquelle est rédigée dans des termes mesurés et se borne à proposer une qualification juridique des faits dénoncés non dénuée de pertinence ; que l'arrêt en déduit que le comportement fautif de M. S... et Mme L... à l'encontre de M. C... n'est pas démontré ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée par la seconde branche ni de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que M. C... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. S... et Mme L... la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre les sommes de 3 000 et 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors, selon le moyen, que l'exercice d'une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif ; que la cour d'appel, qui a rappelé que l'action de la société AGIPCO, dirigée par M. C..., n'avait pas été jugée abusive par la juridiction sénégalaise, n'a pas, en se bornant à faire état des agissements de M. C... lors des négociations entre la société AGIPCO et les défendeurs, caractérisé les circonstances particulières susceptibles de caractériser sa mauvaise foi et le caractère abusif de son action, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
Mais attendu qu'ayant relevé que M. C..., qui ne s'en était pas tenu à ses agissements lors des négociations précédemment évoquées mais avait attrait M. S... et Mme L... de mauvaise foi devant le tribunal de grande instance puis la cour d'appel, et retenu que seules ses initiatives judiciaires déplacées étaient à l'origine de la plainte déposée et de la diffusion de cette affaire sur la place publique, la cour d'appel a pu en déduire l'existence d'une faute ayant fait dégénérer en abus le droit de M. C... d'agir en justice ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. C... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. C... et le condamne à payer à M. S... et Mme L... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour M. C...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Monsieur C... de sa demande de dommages et intérêts et de l'avoir condamné à payer à Monsieur S... et Madame L... la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, et de l'avoir condamné à leur payer les sommes de 4 000 et 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs propres que c'est bien M. C... qui était visé dans la plainte, en sa qualité de gérant de la société Agipco, et il a donc bien un intérêt à rechercher la responsabilité des consorts S... L... de ce chef ; que sa demande est donc recevable ; que la cour ne peut que constater que M. C... reconnaît sans la moindre pudeur qu'alors que les consorts S... L... avaient porté leur choix sur un bien pour lequel l'agence dont il était le gérant ne détenait pas de mandat, en avaient identifié le propriétaire, et avaient formulé auprès d'une de leurs relations une offre, il a sollicité des vendeurs, après avoir été informé de l'intérêt des consorts S... L... pour la maison F..., la signature d'un mandat afin d'obtenir une commission pour une affaire qu'il n'avait pas initiée ; que la question de savoir s'il a effectivement obtenu un mandat régulier est néanmoins devenue sans objet, puisqu'il est constant que, la vente ne s'étant pas faite par suite du désistement des époux F..., aucun droit à commission n'a pu naître, ce qui est une vérité tant en droit français qu'en droit sénégalais, à la lecture du jugement du 16 juillet 2009 du tribunal de Thies, et qu'aucun agent immobilier ne peut ignorer ; que, dans ces conditions, l'injonction de payer déposée par l'agence Agipco apparaît bel et bien prématurée, et a légitimement entraîné de la part de ses destinataires, une protestation officielle sous la forme d'une plainte auprès du procureur de la République de Thies, plainte au demeurant rédigée en termes mesurés, et qui se borne à proposer une qualification juridique des faits dénoncés non dénuée de pertinence, ce dont a manifestement eu conscience M. C..., puisqu'il indique lui-même avoir attendu que les faits dénoncés soient prescrits pour introduire son action en responsabilité devant le tribunal de grande instance de Versailles (ses écritures p. 22) ; qu'en ce qui concerne la publicité donnée à cette affaire par voie de presse, rien n'établit que les consorts S... L... en soient à l'origine ; que le jugement sera donc confirmé sur le rejet des demandes de M. C... ;
Et aux motifs, le cas échéant, repris des premiers juges que la demande de Monsieur C... est fondée sur la dénonciation calomnieuse et les articles 1382 et 1383 du code civil ; qu'il sollicite que les défendeurs soient condamnés à lui payer des dommages et intérêts pour le préjudice qu'il a subi suite à la plainte qu'ils ont déposée devant le procureur de la République de Thiès au Sénégal, le 13 mars 2008, avec copie au Procureur de la République de Versailles et ce pour tentative d'extorsion de fonds, faux et usage de faux et aussi suite à la « médiatisation » de l'affaire, compte tenu de la parution d'un article dans le journal sénégalais « La voix », le 25 avril 2008, le mettant en cause ; qu'il convient au préalable de relever que les délais en la matière pour agir, de presse notamment, sont largement dépassés, la plainte et l'article étant de 2008 et l'assignation de 2011 ; que Maître R..., avocat du demandeur, qui était aussi visé dans la plainte et qui s'était constitué partie civile devant le tribunal correctionnel de Versailles, a vu sa citation annulée, celle-ci étant imprécise par jugement du 21 février 2012 ; qu'il convient donc d'examiner si les défendeurs ont eu un comportement fautif de nature à voir engager leur responsabilité vis-à-vis de Monsieur C... personnellement, étant rappelé que la mise en cause la responsabilité suppose une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux ; que les défendeurs ont déposé plainte le 13 mars 2008 à l'encontre du demandeur T... C... en tant que gérant de la SARL à Agipco et ils ont aussi fait opposition à l'ordonnance d'injonction de payer le 11 mars 2008, ordonnance rendue à leur encontre 15 février 2008 à la requête de la SARL Agipco pour le paiement de la commission qu'ils n'estimaient pas due ; que Monsieur T... C... indique dans son assignation qu'il a renoncé à sa procédure d'injonction de payer le 21 mars 2008 en sorte qu'il ne saurait être reproché au défendeur d'avoir agi avant au civil et même au pénal dans la mesure où il résulte du mandat produit plastifié daté du 17 octobre 2007 qu'en fait, il est signé par un seul mandant (les mandants sont les époux F...), le mandataire étant la SARL Agipco et non par les deux, ce qui pouvait légitimement faire douter de sa validité, étant relevé que ce détail notamment est repris dans la plainte ; qu'il en résulte que le comportement fautif des défendeurs à l'encontre de Monsieur T... C... n'est donc pas démontré ; que pour ce qui est de la « médiatisation » de l'affaire et de l'article de journal, outre que les délais en la matière sont largement dépassés et que les faits sont donc réputés exacts, il apparaît que c'est en fait la SARL qui est mise en cause dans l'article et que les défendeurs, qui ne sont bien sûr pas les auteurs de l'article, et dont les propos sont rapportés dénoncent « des agissements peu orthodoxes » des mises en cause, ce notamment l'agence, ce qui est bien une réalité ; qu'en conséquence, la preuve d'un comportement fautif des défendeurs n'est pas non plus rapportée ; que compte tenu de l'absence de faute démontrée, Monsieur T... C... sera débouté de toutes ses demandes ;
Alors, d'une part, que le dépôt d'une plainte est constitutif d'une faute lorsqu'il a été effectué avec témérité ou légèreté blâmable ; que Monsieur C... soutenait en l'espèce que, c'est sans le moindre élément accréditant leurs accusations, que Monsieur S... et Madame L... avaient déposé plainte à son encontre devant la juridiction pénale sénégalaise, des chefs de faux, usage de faux et tentative d'extorsion de fonds ; que la cour d'appel qui se borne à relever après les premiers juges que les Monsieur S... et Madame L... auraient pu légitimement mettre en cause la validité du mandat dont disposait la société AGIPCO ou le bien-fondé de la demande d'injonction de paiement formulée par celle-ci à son encontre, sans relever le moindre élément susceptible de justifier les accusations précisément formulées à son encontre et les qualifications pénales invoquées à l'appui de leur plainte, qu'il s'agisse du faux et de l'usage de faux, qui ne se confond pas avec la régularité du mandat, ou a fortiori de la tentative d'extorsion de fonds, a statué par des motifs inopérants et a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
Alors, d'autre part, qu'en statuant de la sorte, sans s'expliquer, comme elle y était pourtant expressément invitée par les écritures d'appel de l'exposant sur le fait que Monsieur S... et Madame L... s'étaient totalement désintéressés du sort de leur plainte, montrant par là-même qu'ils ne prenaient pas au sérieux leurs accusations et que cette plainte n'était qu'une instrumentalisation de la procédure pénale mise au service d'un litige civil précédemment introduit sans qu'il ne soit fait mention de la moindre infraction, et sans rechercher si cette circonstance ne caractérisait pas le caractère téméraire de cette plainte, la cour d'appel a de plus fort privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné Monsieur T... C... à payer à Monsieur M... S... et Madame K... L... la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre les sommes de 4 000 et 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs que, en ce qui concerne les demandes reconventionnelles des consorts S... L..., la circonstance que le tribunal de Thies ait rejeté leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts après avoir rétracté l'injonction de payer ne saurait faire obstacle à ce qu'ils obtiennent la juste réparation du nouvel abus de procédure commis à leur détriment devant les juridictions françaises par M. C..., qui, non content de ses agissements lors des négociations qui viennent d'être évoquées, les a attraits de mauvaise foi devant le tribunal de grande instance de Versailles puis la présente cour, alors que seules ses initiatives judiciaires déplacées sont à l'origine de la plainte déposée, et de la diffusion de cette affaire sur la place publique, qu'en revanche, ne sauraient être imputés aux errements procéduraux de M. C... les frais de déplacement exposés par les consorts S... L..., puisque ces derniers ont persévéré dans leur projet d'acquisition d'une villa au Sénégal, qu'ils ont finalement concrétisé, et qu'ils ont eu en outre à gérer un contentieux né avec les époux F... ; que le jugement sera donc infirmé partiellement sur le rejet des demandes reconventionnelles des consorts S... L..., et M. C... sera condamné à leur payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts à compter du présent arrêt et capitalisation ;
Alors, d'une part, que l'exercice d'une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif ; que la cour d'appel, qui a rappelé que l'action de la société AGIPCO, dirigée par Monsieur C..., n'avait pas été jugée abusive par la juridiction sénégalaise, n'a pas, en se bornant à faire état des agissements de Monsieur C... lors des négociations entre la société AGIPCO et les défendeurs, caractérisé les circonstances particulières susceptibles de caractériser sa mauvaise foi et le caractère abusif de son action, et a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;
Alors, d'autre part, que la cour d'appel qui n'a pas caractérisé l'existence d'un préjudice qui aurait été effectivement causé par l'action introduite par Monsieur C... à l'encontre de Monsieur S... et Madame L... devant la juridiction française, indépendamment des conséquences du litige les ayant opposé à la société AGIPCO devant la juridiction sénégalaise, a par là-même privé de plus fort sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 du même code ;