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20/11/2019 | FRANCE | N°18-20810

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 20 novembre 2019, 18-20810


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 100 du code de procédure civile et les principes régissant la litispendance internationale ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. U..., de nationalité française et Mme W... X..., de nationalité française et péruvienne, se sont mariés, le 22 mars 1993, devant l'officier d'état civil de La Victoria Lima (Pérou) ; que, le 17 novembre 2016, Mme W... X... a saisi le juge aux affaires familiales d'une requête en divorce ; que M. U... a opposé une excepti

on de litispendance internationale en raison de la saisine antérieure du juge ken...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 100 du code de procédure civile et les principes régissant la litispendance internationale ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. U..., de nationalité française et Mme W... X..., de nationalité française et péruvienne, se sont mariés, le 22 mars 1993, devant l'officier d'état civil de La Victoria Lima (Pérou) ; que, le 17 novembre 2016, Mme W... X... a saisi le juge aux affaires familiales d'une requête en divorce ; que M. U... a opposé une exception de litispendance internationale en raison de la saisine antérieure du juge kenyan aux mêmes fins ;

Attendu que pour accueillir cette exception, l'arrêt retient que la décision étrangère à intervenir en matière de divorce, est susceptible d'être reconnue en France, dès lors qu'elle satisfait aux exigences de régularité internationale ;

Qu'en statuant, ainsi, alors qu'il résultait de ses propres énonciations et constatations qu'une décision de divorce avait été rendue par le juge étranger, dont Mme W... X... reconnaissait qu'elle était définitive selon la loi kenyane, de sorte que celui-ci étant dessaisi, il n'existait plus de situation de litispendance internationale, la cour d'appel a violé le texte et les principes susvisés ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;

Condamne Mme W... X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme W... X....

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance de dessaisissement accueillant l'exception de litispendance formée par M. U... ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la litispendance
En vertu de l'article 19 du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, consacré à la litispendance et aux actions dépendantes pose comme principe obligatoire pour le juge, la priorité donnée à la première juridiction.
Il est constant que Y... U... a saisi le juge kenyan d'une requête en divorce pour faute le 25 février 2016 antérieurement à la saisine par son épouse du juge aux affaires familiales de Bourg en Bresse d'une requête en divorce le 17 novembre 2016.
L'exception de litispendance internationale ne peut être accueillie si la décision étrangère à intervenir en matière de divorce, n'est pas susceptible d'être reconnue en France.
Les jugements constitutifs ou relatifs à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf les cas où ils doivent donner lieu à des actes d'exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes.
Un jugement de divorce étranger a donc autorité de chose jugée sur le territoire français sans exequatur, sous réserve du contrôle de régularité.
Pour qu'un jugement étranger soit exécutoire en France, trois conditions doivent être remplies, à savoir :
- la compétence internationale indirecte du juge étranger, fondée sur le rattachement caractérisé du litige au juge saisi
- la conformité à l'ordre public international
- l'absence de fraude à la loi.
Ces conditions hiérarchisées doivent être examinées successivement.
- la compétence non exclusive des juridictions françaises
La nationalité française des époux n'est pas un chef de compétence exclusive du juge français.
Au moment de la séparation, les époux vivaient au Gabon avec leur fille.
O... W... X... est partie aux Etats-Unis sans justifier avoir communiqué sa nouvelle adresse en 2014.
Y... U... s'est installé au Kenya où il a trouvé un emploi permanent qu'il occupe encore à ce jour, à compter du 16 mars 2015, avec l'enfant majeure du couple qui y faisait ses études ainsi qu'il ressort de ses bulletins de salaire, de l'attestation de son employeur et du certificat de scolarité de B... délivré par l'International School of Kenya qui atteste de l'arrivée de cette dernière en août 2015 et du suivi de ses études dans cet établissement durant l'année 2016/2017.
Le rattachement caractérisé du litige au juge saisi est donc établi.
- la conformité à l'ordre public international
*L'ordre public international procédural
Il importe de vérifier que la procédure engagée devant le juge étranger n'a pas porté atteinte à l'ordre public procédural international.
O... W... X... ne démontre pas que son époux aurait eu connaissance de son adresse aux Etats-Unis au moment de l'introduction de sa requête devant la juridiction kenyane.
Y... U... a eu connaissance de son adresse exacte lors de la comparution des parties devant le juge aux affaires familiales de Bourg en Bresse le 28 juin 2017.
O... W... X... a été avisée à cette date qu'une audience était prévue au Kenya le 27 juillet 2017.
Dès le 29 juin 2017, le conseil de Y... U... adressait un courrier officiel au conseil de cette dernière qui lui a répondu.
Le 4 juillet suivant O... W... X... est citée pour l'audience au Kenya avec communication des documents relatifs à la procédure, adressés à son domicile [...] et livrés les 6 et 7 juillet puis laissés en dépôt dans l'attente de leur retrait par la destinataire du 8 au 19 juillet 2017.
Le 24 juillet le juge kenyan renvoyait l'affaire dans l'attente de la décision du juge aux affaires familiales de Bourg en Bresse.
Le 18 août le conseil de Y... U... transmettait à nouveau tout le dossier à l'adresse de l'épouse qui ne sera jamais retiré alors qu'il est resté au dépôt du 23 août au 26 septembre.
Entre temps le juge aux affaires familiales rendait son ordonnance de dessaisissement le 6 septembre.
Le 27 septembre 2017, le dossier de la procédure kenyane envoyé une troisième fois à O... W... X..., était retourné à l'expéditeur avec la mention « absent ou inconnue à l'adresse ».
Une nouvelle audience se tenait devant le juge kenyan le 2 octobre 2017 qui fixait l'affaire pour plaider au 14 novembre 2017.
Le 30 octobre, le conseil de Y... U... envoyait les documents de la procédure kenyane via DHL Express qui faute d'avoir pu être remis les premier et 2 novembre, restaient à nouveau au dépôt du 3 au 22 novembre.
C'est dans ces circonstances que le divorce sera prononcé le premier décembre 2017.
Au vu de ce qui précède, O... W... X... qui ne prouve pas qu'elle aurait été absente de son domicile [...] durant toutes les périodes où les documents de la procédure sont restés à sa disposition, ne saurait soutenir à bon droit que son époux aurait porté atteinte à l'ordre public procédural international.
*L'ordre public international de fond
La constitution kenyane de 2010 protège l'égalité au sein du mariage, à savoir que les parties à un mariage ont les mêmes droits au moment du mariage, pendant le mariage et lors de la dissolution du mariage.
Les textes relatifs au divorce et aux obligations alimentaires entre époux figurent dans la loi sur le mariage ‘Marriage Act 2014' promulguée le 20 mai 2014 qui a remplacé les lois antérieures sur le mariage et le divorce.
Cette loi prévoit :
- des règles distinctes pour les mariages chrétiens, civils, hindous et islamiques, et prévoit des règles pour la dissolution de chacun de ces types de mariage.
- que les personnes mariées ont les mêmes droits et obligations au moment du mariage, pendant le mariage et à la dissolution du mariage.
- que tous les mariages enregistrés en vertu de ce texte ont le même statut juridique.
Les motifs de dissolution d'un mariage varient selon le type de mariage et sont plus restrictifs pour les mariages coutumiers et islamiques sans discrimination fondée sur le sexe, en tout état de cause.
Les règles relatives à l'entretien financier de l'ex-conjoint sont traitées dans la partie XII de la loi sur le mariage, aux articles 77 et suivants.
Les dispositions sans distinction de sexe prévoient que, dans le cadre du jugement de séparation ou de divorce, le tribunal peut ordonner à une personne de verser une pension alimentaire à l'ex-conjoint.
O... W... X... ne précise pas, pour sa part, en quoi précisément, le droit kenyan porterait atteinte à l'ordre public international français.
Il résulte de ce qui précède que le droit kenyan est conforme à l'ordre public international français.
- L'absence de fraude
Les démarches entreprises par Y... U... pour permettre à son épouse de défendre ses droits devant le juge kenyan, dès lors qu'il a eu connaissance de l'adresse exacte de celle-ci aux Etats-Unis, la légitimité de la saisine du juge kenyan à un moment où il vivait et travaillait à titre permanent au Kenya avec l'enfant commun qui poursuivait ses études dans un établissement kenyan ne permet pas de retenir une intention frauduleuse de la part de ce dernier.
Il convient en conséquence de confirmer la décision critiquée en toutes ses dispositions » (arrêt attaqué, p. 5 à 7) ;

ALORS QU'il résulte de l'arrêt lui-même que la juridiction kenyane a statué sur le divorce ; qu'en faisant droit à une exception de litispendance sans rechercher si cette décision n'avait pas dessaisi la juridiction kenyane, la cour d'appel a violé l'article 100 du code de procédure civile et les principes régissant la litispendance internationale ; que la cassation interviendra sans renvoi.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 18-20810
Date de la décision : 20/11/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 05 juin 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 20 nov. 2019, pourvoi n°18-20810


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Ortscheidt, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.20810
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