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20/11/2019 | FRANCE | N°18-15697

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 20 novembre 2019, 18-15697


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 2 mars 2018), que Mme M... a été engagée, à compter du 17 juin 2009 en qualité de télé-enquêteur par la société Inférence opérations (la société) suivant plusieurs contrats à durée déterminée d'usage soumis à la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils, sociétés de conseils dite Syntec du 15 décembre 1987 ; que par lettre du 11 juillet 2014, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a saisi,

le même jour, la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir la requalification ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 2 mars 2018), que Mme M... a été engagée, à compter du 17 juin 2009 en qualité de télé-enquêteur par la société Inférence opérations (la société) suivant plusieurs contrats à durée déterminée d'usage soumis à la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils, sociétés de conseils dite Syntec du 15 décembre 1987 ; que par lettre du 11 juillet 2014, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a saisi, le même jour, la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps complet, le prononcé de la nullité du licenciement pour violation de son statut protecteur et le paiement de rappels de salaire et d'indemnités de rupture ;

Sur le premier moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier les contrats à durée déterminée le liant à la salariée en un contrat à durée indéterminée et de le condamner à une indemnité de requalification, alors, selon le moyen que dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois qui relèvent de ce secteur peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée successifs lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, sous réserve qu'il soit justifié de raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi ; que de telles raisons objectives peuvent résulter du caractère fluctuant de l'activité de l'employeur et, notamment, d'une variation importante de la quantité de travail et du nombre de salariés affectés simultanément à l'emploi concerné ; que la société Inférence, en l'espèce, offrait d'établir le caractère fluctuant de son activité en fournissant des éléments très précis sur la variabilité considérable, mois par mois et jour par jour, du nombre d'heures de travail et du nombre de salariés effectuant simultanément des tâches d'enquêteurs ; qu'en jugeant que la variabilité de l'activité d'institut de sondages était un élément insusceptible d'établir le caractère par nature temporaire de l'emploi, sans mieux rechercher si la société Inférence n'établissait pas le caractère particulièrement fluctuant de son activité et l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi d'enquêteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du code du travail, ensemble l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/ 70/ CE du 28 juin 1999 ;

Mais attendu qu'ayant, d'abord, énoncé à bon droit que si dans le secteur d'activité de l'employeur, il existe un usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée, il incombe néanmoins à la société, dont le secteur d'activité d'enquêtes et de sondages, correspond à l'activité permanente, et qui a recruté la salariée pour effectuer les tâches inhérentes à cette activité, d'établir que les contrats à durée déterminée successifs conclus avec l'intéressée pendant une période de près de cinq années consécutives n'avaient pas pour fonction de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale, ensuite, relevé que la salariée, embauchée en qualité d'enquêteur, avait toujours travaillé, sur une période de soixante-et-un mois quasi-consécutifs, pour effectuer des prestations identiques, selon un volume d'heures témoignant d'une certaine constance, enfin, constaté que la société employait un nombre très important d'enquêteurs vacataires sans démontrer que l'engagement de la salariée répondait à des circonstances précises et concrètes, telles que des pics d'activité auxquels des enquêteurs permanents n'auraient pu faire face, la cour d'appel, qui a pu retenir que ni les études générales réalisées sur l'évolution du métier d'enquêteur ou la définition des différents profils d'enquêteur, ni les données statistiques concernant la spécificité, la variabilité et l'imprévisibilité de l'activité d'instituts de sondage, ni le nombre d'heures d'enquêtes sur le site ni les délais de réalisation des enquêtes ne caractérisaient l'existence de raisons objectives justifiant le caractère par nature temporaire de l'emploi occupé par la salariée et déduire de ses constatations que cet emploi était en réalité durablement en lien avec l'activité normale et permanente de la société, a légalement justifié sa décision ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée un rappel de salaire et des congés payés afférents alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation à intervenir du chef de l'arrêt ayant requalifié les relations contractuelles de la société Inférence et de Mme M... en un contrat de travail à durée indéterminée devra s'étendre, conformément à l'article 624 du code de procédure civile, à la condamnation de la société Inference à payer à Mme M... un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles entre deux contrats au regard du lien de dépendance nécessaire qui existe entre ces deux aspects du litige ;

2°/ que la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail ; que réciproquement, la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat ; qu'en cas de requalification de contrats à durée déterminée successifs, à temps partiel ou à temps complet, en contrat à durée indéterminée, le salarié ne peut obtenir de rappel de salaire pour les périodes interstitielles qu'à la condition de prouver qu'il est resté à la disposition de l'employeur ; que la société Inférence faisait valoir que Mme M... la tenait informée chaque vendredi de sa disponibilité ou non durant la semaine suivante, de telle sorte qu'elle n'avait pas à se tenir à sa disposition durant les périodes non couvertes par un contrat de travail à durée déterminée ; que la cour d'appel, pour allouer un rappel de salaire à Mme M... au titre des périodes interstitielles entre deux contrats à durée déterminée, s'est bornée à relever que durant les périodes travaillées, les horaires de travail étaient fixés le vendredi pour la semaine suivante de telle sorte que la salariée devait « se tenir à la disposition » de la société Inférence en permanence ; qu'en se fondant sur de tels motifs impuissants à justifier l'octroi d'un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1245-1 et L. 3123-14 du code du travail, ensemble les articles 1134 et 1315 du code civil dans leur rédaction applicable en la cause ;

Mais attendu, d'abord, que le premier moyen ayant fait l'objet d'un rejet, le moyen tiré d'une cassation par voie de conséquence est sans portée ;

Attendu, ensuite, qu'ayant constaté qu'il résultait des attestations dont se prévalait l'employeur concernant les périodes non travaillées, que l'organisation mise en place imposait aux enquêteurs vacataires de contacter le service planning chaque vendredi pour communiquer leurs disponibilités sur la semaine suivante et qu'ils étaient ensuite informés des conditions de travail qui leur étaient proposées et relevé que jusqu'en septembre 2011 certains contrats ne comportaient aucune mention relative au temps de travail et qu'à compter d'octobre 2011, pour la majorité des contrats, seule la case « autre » était cochée sans que l'employeur n'apporte la preuve qu'un planning y était annexé, la cour d'appel, qui, par motifs propres et adoptés, a retenu que la salariée ne pouvait connaître que le vendredi à quel rythme elle serait éventuellement amenée à travailler la semaine suivante et en a déduit que l'intéressée était ainsi contrainte de se tenir à la disposition permanente de l'employeur, a légalement justifié sa décision ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture par la salariée était justifiée et produisait les effets d'un licenciement nul et de le condamner au paiement des indemnités de rupture subséquentes et de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur, alors, selon le moyen :

1°/ que la cassation à intervenir de l'arrêt attaqué sur le premier ou le deuxième moyen de cassation devra s'étendre, conformément à l'article 624 du code de procédure civile, au chef de l'arrêt ayant dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail était justifiée et produisait les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, compte tenu du lien de dépendance nécessaire qui existe entre ces aspects du litige ;

2°/ que la mise en demeure préalable du débiteur de l'obligation procède de l'exigence de bonne foi et de loyauté du créancier face à la survenance d'une inexécution contractuelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a fait droit à la demande de Mme M... tendant à voir juger que la prise unilatérale d'acte par cette dernière de la rupture de son contrat de travail devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans constater qu'une mise en demeure préalable ait été adressée par la salariée à l'employeur ; qu'en statuant ainsi, bien que le contrat de travail soit soumis aux règles de droit commun et aux exigences de bonne foi et de loyauté contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1222-1 et L. 1231-1 du code du travail, ensemble les articles 1135, 1139 et 1184 du code civil dans leur rédaction applicable, antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement de l'employeur d'une gravité telle qu'elle rend impossible la poursuite du contrat de travail ; que pour dire que la prise d'acte de la rupture était justifiée en l'espèce la cour d'appel s'est bornée à rappeler qu'elle avait fait droit à la demande de requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat de travail à durée indéterminée, et qu'elle avait octroyé à Mme M... un rappel de salaire à ce titre ; qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier si les manquements de l'employeur étaient d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail ;

4°/ que la cour d'appel a constaté que Mme M... travaillait auprès de la société Inférence dans le cadre de contrats à durée déterminée d'usage depuis le 17 juin 2009 et qu'elle n'avait formulé aucune réclamation pendant cinq ans jusqu'à sa prise d'acte de la rupture en date du 13 octobre 2014 ; qu'à supposer qu'elle ait considéré que la requalification des contrats à durée déterminée non successifs en un contrat de travail à durée indéterminée et le rappel de salaire accordé au titre des périodes interstitielles caractérisait un manquement de la société Inférence rendant impossible la poursuite du contrat de travail et justifiant dès lors la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, la cour d'appel aurait méconnu les conséquences légales de ses constatations au regard des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail ;

5°/ que la société Inférence faisait valoir, justificatifs à l'appui, que Mme M... avait manifesté à plusieurs reprises auprès de ses collègues, dans les mois qui avaient précédé sa prise d'acte, la volonté de ne plus travailler auprès de la société Inférence ; qu'elle avait fait valoir également que la prise d'acte s'inscrivait dans une stratégie préméditée, établie par sa candidature, quelques jours avant, aux élections professionnelles suivie immédiatement d'une altercation artificielle avec ses collègues en vue de justifier son abandon de poste ; qu'en s'abstenant de rechercher si ce contexte, rapproché de l'absence de réclamation de salariée qui travaillait depuis cinq ans dans le cadre de contrats à durée déterminée non successifs, ne démontrait pas que les manquements prétendus de l'employeur ne rendaient pas impossible la poursuite du contrat de travail de telle sorte que la prise d'acte était injustifiée, la cour d'appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des articles L.1222-1, L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail ;

Mais attendu, d'abord, que le premier et le deuxième moyens ayant fait l'objet d'un rejet, le moyen tiré d'une cassation par voie de conséquence est sans portée ;

Attendu, ensuite, qu'il ne ressort ni de l'arrêt ni des écritures que la société ait invoqué devant les juges du fond une absence de mise en demeure préalable adressée par le salarié à son employeur ; que le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit ;

Attendu, enfin, que la cour d'appel, qui, sans être tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a retenu que le non- respect des règles relatives aux contrats de travail à durée déterminée et du recours au temps partiel, sanctionné par la requalification en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet et donc par le paiement d'un rappel de salaire d'un montant élevé constituait un manquement de l'employeur à ses obligations suffisamment sérieux pour justifier la rupture du contrat de travail à l'initiative de la salariée et aux torts de l'employeur, a fait ressortir que ce manquement rendait impossible la poursuite du contrat de travail ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche, est non fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Inférence opérations aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Inférence opérations à payer à Mme M... la somme de 3 000 euros et rejette sa propre demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Inférence operations

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR requalifié les contrats à durée déterminée d'usage liant Madame M... à la société INFERENCE en un contrat de travail à durée indéterminée, d'AVOIR en conséquence condamné cette dernière à lui payer la somme de 1.498,50 € à titre d'indemnité de requalification, outre les frais irrépétibles et les dépens ;

AUX MOTIFS QUE « sur la demande de requalification des contrats à durée déterminée successifs [
] la convention collective Syntec précise dans son préambule, que l'activité des instituts de sondages présente un caractère très particulier justifiant trois statuts différents, le premier, celui de chargé d'enquête intégré à la convention, les deux autres, ceux de chargé d'enquête à garantie annuelle et d'enquêteurs vacataires qui sont définis dans l'annexe enquêteurs, accord u 16 octobre 1991. L'article préambule de l'annexe précise que : - les enquêteurs vacataires sont des enquêteurs occasionnels, dont l'emploi est par nature temporaire, dans les conditions définies par les articles L. 122-1 et D. 121-2 du code du travail (devenus L. 1242-1 et D. 1242-1). - les chargés d'enquête intermittents à garantie annuelle dits "CEIGA", dont l'activité s'exerce dans le cadre du travail intermittent tel que défini aux articles L. 212-4-8 et suivants du code du travail. L'article 43 de l'annexe enquêteurs stipule que l'enquêteur vacataire est celui qui réalise des enquêtes par sondage à la vacation et précise que "par nature ces vacations comportent des prestations diverses effectuées à des périodes variables, en des lieux différents", et qu'elles "sont imprévisibles, temporaires et discontinues, donc précaires et aléatoires". Toutefois, il ne suffit pas qu'il existe un usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée dans le secteur d'activité de l'enquête ni même que l'emploi d'enquêteur vacataire soit qualifié de temporaire et discontinu par la convention collective pour que soit rapportée la preuve du caractère par nature temporaire de l'emploi qui doit résulter d'éléments concrets, constituant des raisons objectives justifiant le caractère par nature temporaire de l'emploi. S'il résulte des dispositions précitées que, dans le secteur d'activité de l'employeur, il existe un usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée, il incombe néanmoins à la société Inférences Opérations, dont le secteur d'activité des enquêtes et sondages, correspond justement à son activité permanente, et qui a recruté la salariée pour effectuer les tâches inhérentes à cette activité, d'établir que les contrats à durée déterminée successifs pendant une période de près de cinq années consécutives dans le cadre desquels elle a embauché Mme M... n'avaient pas pour fonction de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale. En l'espèce, tous les contrats conclus entre les parties sur la période du 17 juin 2009 au 11 juillet 2014, sont intitulés "contrat d'enquête à durée déterminée d'usage", et la salariée est toujours embauchée en qualité d'enquêteur, indice 1.3.2 coefficient 230 de la convention collective Syntec. Mme M... a toujours travaillé pour effectuer des prestations identiques et tous ses contrats de travail à compter d'avril 2013 démontrent qu'elle a occupé un poste de chef d'équipe cellule qualité. Ni les études générales réalisées sur l'évolution du métier d'enquêteur ou la définition des différents profils d'enquêteur, ni les données statistiques concernant la spécificité, la variabilité et l'imprévisibilité, au demeurant relatives, de l'activité d'instituts de sondage, ni le nombre d'heures d'enquêtes sur le site de Balma, ni les délais de réalisations des enquêtes ou encore le recrutement de salariés en "CEIGA" ne caractérisent l'existence de raisons objectives justifiant le caractère par nature temporaire de l'emploi. Il résulte des éléments produits par la société BVA que l'activité d'enquête constitue une activité permanente de l'entreprise et qu'elle emploie un nombre très important d'enquêteurs vacataires sans démontrer que l'engagement de Mme M... aux termes de contrats à durée déterminée successifs pendant plusieurs années répondait à des circonstances précises et concrètes, telles que des pics d'activité auxquels des enquêteurs permanents n'auraient pu faire face, constituant des raisons objectives justifiant le caractère par nature temporaire de l'emploi. Les bulletins de paye que le salarié verse aux débats établissent que Mme M... a travaillé sur une période de soixante et un mois quasi-consécutifs et selon un volume d'heures témoignant d'une certaine constance. Il ne peut donc être considéré que l'emploi occupé par Mme M... sur l'ensemble de cette période de soixante et un mois consécutifs correspondrait à des pics d'activité auxquels des enquêteurs permanents n'auraient pas pu faire face. En l'absence de raisons objectives justifiant le caractère temporaire de l'emploi occupé par Mme M..., cet emploi était en réalité durablement en lien avec l'activité normale et permanente de la société Inférences Opérations. Le jugement entrepris sera confirmé sur la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et sur l'indemnité de requalification allouée sur le fondement des dispositions de l'article L. 1245-2 du code du travail » ;

ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, EN LES SUPPOSANT ADOPTÉS, QUE « le débat porte sur la nature temporaire ou pas de l'emploi confié à Mme M.... En premier lieu, les contrats, aux dates indiquées par la demanderesse, ne comportent pas la désignation précise de l'emploi pour lequel elle est recrutée. Une mention pré-imprimée d'enquêteur vacataire y figure (contrat du 20 février 2010), mais l'indication du poste lui-même n'est pas renseignée, sans que l'on ne sache si Mme M... a été affectée sur un poste de télé-enquêteur ou de superviseur. L'examen des autres contrats fait apparaître à de nombreuses reprises la mention pré-imprimée d'enquêteur vacataire, ce qui ne correspond pas à l'indication figurant au paragraphe relatif à la rémunération (exemple : 3 avril 2013, il est indiqué que la salariée recrutée en qualité d'enquêteur vacataire est rémunérée en tant que « chef d'équipe cellule qualité »). En vertu des dispositions de l'article L.1242-12, 4°, le contrat de travail à durée déterminée doit comporter la désignation du poste, plusieurs contrats étant en l'espèce affectés par l'absence de mention du poste, ou par des mentions contradictoires. Il y a donc lieu, compte-tenu de ces manquements, à requalification de l'ensemble de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée. Il sera ajouté que Mme M... a travaillé ainsi qu'il suit au regard des bulletins de paie : 2010 : 640,86 heures (salaire brut : 6.663,21 €) ; 2011: 697,89 heures (salaire brut : 7.262,07 €) ; 2012:607,10 heures (salaire brut : 6.654,53 €) ; 2013 : 892,19 heures (salaire brut : 10.441,45 €) ; 2014 : 451 heures (salaire brut : 5.469,09 €). Il en résulte une constance de la prestation de Mme M... au sein de l'entreprise pendant au moins près de 5 années, avec certes des variations ponctuelles en volume horaire, mais qui ne peuvent venir contredire le caractère permanent de l'emploi confié à Mme M... qu'il s'agisse de celui de télé-enquêteur ou de celui de superviseur au sein de la cellule qualité. De plus, les pièces produites par la société INFERENCE OPERATIONS tendant à démontrer une variabilité très importante de son activité, en référence au nombre d'heures payées aux enquêteurs téléphoniques sont insuffisantes à établir le caractère temporaire de l'activité exercée compte-tenu de la durée de la relation de travail qui ne peut que correspondre au volume d'activité minimum de la société INFERENCE OPERATIONS, lequel ne peut être assumé par les deux salariés CEIGA qu'elle emploie. L'ensemble des pièces produites par INFÉRENCE OPÉRATIONS qui tend à démontrer des variations dans le nombre de recrutements des enquêteurs est donc insuffisant à établir les motifs objectifs justifiant le caractère par nature temporaire de l'emploi confié à Mme P... M.... La société INFÉRENCE OPÉRATIONS a certes recruté d'autres salariés en CEIGA affectés à son volume minimum d'activité, mais le conseil relève une contradiction à faire valoir que ces personnels n'ont pas travaillés à temps plein, alors que dans le même temps Mme M... a travaillé avec constance au fil des années. Les documents statistiques établissent indiscutablement que la société INFÉRENCE OPERATIONS connaît un volume d'activité minimum constant. Ainsi le nombre et la durée cumulée des contrats établissent que Mme M... a été engagée pour participer à l'activité permanente de l'entreprise. En application de l'article L.1245-1, tout contrat de travail manquant aux dispositions autorisant le recours au contrat de travail à durée déterminée, est réputé à durée indéterminée. L'ensemble des éléments précités conduit le conseil à requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée à compter du 17 juin 2009, date d'engagement par la société INFERENCE OPERATIONS » ;

ALORS QUE dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois qui relèvent de ce secteur peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée successifs lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, sous réserve qu'il soit justifié de raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi ; que de telles raisons objectives peuvent résulter du caractère fluctuant de l'activité de l'employeur et, notamment, d'une variation importante de la quantité de travail et du nombre de salariés affectés simultanément à l'emploi concerné ; que la société INFERENCE, en l'espèce, offrait d'établir le caractère fluctuant de son activité en fournissant des éléments très précis sur la variabilité considérable, mois par mois et jour par jour, du nombre d'heures de travail et du nombre de salariés effectuant simultanément des tâches d'enquêteurs (ses conclusions, pages 8 à 13) ; qu'en jugeant que la variabilité de l'activité d'institut de sondages était un élément insusceptible d'établir le caractère par nature temporaire de l'emploi, sans mieux rechercher si la société INFERENCE n'établissait pas le caractère particulièrement fluctuant de son activité et l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi d'enquêteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du Code du travail, ensemble l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la Directive 1999/ 70/ CE du 28 juin 1999.

DEUXIÈ

ME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société INFERENCE à payer à Madame M... les sommes de 29.174,21 € à titre de rappel de salaire et 2.917,42 € au titre des congés payés y afférents ;

AUX MOTIFS QUE « sur la demande de requalification de la relation de travail à temps plein [
] la cour constate que : - différentes trames de contrats de travail ont été utilisées sur la période concernée, - certains contrats, notamment ceux signés du début de la relation contractuelle et jusqu'en septembre 2011, ne comportaient aucune mention relative au temps de travail, que ce soit en durée journalière, hebdomadaire ou mensuelle, ni aucune précision sur leur répartition, - à compter d'octobre 2011, un article 5 "Durée du trayait' figure dans les contrats et mentionne "Les horaires de travail du salarié pendant la durée du présent contrat seront les suivants : autre /journée de 9h à 17h avec une pause d'une heure / soirée de 17h à 21h". L'article 3 sur la durée du contrat mentionne également qu'il est conclu pour une durée minimale d'une heure. Cependant pour la majorité des contrats, soit seule la case "autre" est cochée sans que l'employeur n'apporte la preuve qu'un planning était annexé au contrat, soit l'ensemble des cases sont cochées, de sorte qu'il est impossible de connaître la durée de travail de Mme M... dans le cadre de ses contrats, aucun contrat ne mentionne la nature temporaire de l'activité proposée, - de nombreux contrats ne comportent pas la désignation précise du poste de travail occupé par la salariée, au mieux il y est indiqué le poste générique et pré-imprimé "d'enquêteur-vacataire" mais dans de nombreux contrats la rubrique « au poste de » n'est pas renseignée. Faute de contenir les mentions relatives à la durée hebdomadaire ou mensuelle ni la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, ni de précisions quant à la nature temporaire de l'activité, ni une désignation précise du poste occupé, le contrat de travail de Mme M... est présumé conclu à temps complet et il incombe à la société Inférences Opérations d'établir non seulement la durée exacte de travail convenue initialement mais aussi de prouver que Mme M... n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler. Cette preuve n'est rapportée pour aucune des périodes concernées par les contrats de travail. En effet, les attestations dont se prévaut l'employeur (M. K..., Mme J..., M. R..., M. H... et M. X...) concernant les périodes non travaillées, séparant chaque contrat, établissent que l'organisation mise en place imposait aux enquêteurs vacataires de contacter le service planning chaque vendredi pour communiquer leurs disponibilités sur la semaine suivante et qu'ils étaient ensuite informés des conditions de travail qui leur étaient proposées. Mme M... ne pouvant donc connaître que le vendredi à quel rythme elle serait éventuellement amenée à travailler la semaine suivante était bien placée dans l'impossibilité de savoir à quel rythme elle pourrait travailler et était ainsi contrainte de se tenir à la disposition permanente de son employeur. Le jugement entrepris sera confirmé sur la requalification à temps complet de l'ensemble de la relation de travail et sur le montant de l'indemnité de requalification. - sur le rappel de salaires Il résulte des dispositions de l'article L.3245-1 du code du travail que l'action en paiement ou en représentation du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. Mme M... ayant saisi la juridiction prud'homale le 11 juillet 2014, et la rupture de la relation de travail est intervenue le même jour. La prescription est donc opposable pour la période antérieure au 11 juillet 2011. Il vient d'être jugé que le contrat de travail était à temps complet. Sur la période non couverte par la prescription, la salariée est fondée à solliciter un rappel de salaire correspondant à un temps complet. Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a retenu que le taux horaire moyen de rémunération de Mme M... s'élevait à 9,88 euros correspondant à la moyenne du taux horaire sur la période pondérée par la durée de leur application sur l'ensemble de la période non-prescrite, faute pour la salariée d'apporter la preuve des périodes lors desquelles elle a occupé les fonctions d'enquêteur ou de chef d'équipe, soit 1 498,50 euros mensuels. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à Mme M... un rappel de salaire fixé à 29.174,21 euros correspondant à la somme globale que la salariée aurait dû percevoir soit 54.193,75 euros déduction faite des jours d'arrêts de travail pour maladie et des salaires déjà perçus sur la période considérée (25 019,44 euros), ainsi qu'à 2 917,42 euros au titre des congés payés afférents au rappel de salaire. Il convient également de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Inférence opérations à payer à Mme M... la somme de 1.498,50 euros au titre de l'indemnité de requalification prévue à l'article L. 1245-2 du code du travail » ;

ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, EN LES SUPPOSANT ADOPTÉS, QUE « Sur la requalification à temps complet. Le principe est que le contrat de travail du salarié à temps partiel, qui doit être écrit, mentionne la qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d'aide à domicile et les salariés relevant d'un accord collectif de travail conclu en application de l'article L. 3122-2, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ; et les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification (article L.3123-14 du code du travail). Le défaut de mention de la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois fait présumer que l'emploi est à temps complet, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d'une part de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, et d'autre part de ce que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur. Les contrats jusqu'en novembre 2011 ne comportent aucune mention relative aux horaires de travail et à leur répartition, ce qui emporte dès lors présomption de travail à temps complet. A compter du mois de novembre 2011, les contrats comportent trois cases : « autre », « journée de 9H à 17H avec pause d'une heure » et « soirée de 17H à 21H ». Sur plusieurs contrats, la case « autre » est cochée avec celle relative aux horaires de soirée, ou encore seule le cas « autre » est cochée (exemple : contrat du 1 er février 2013). Il en résulte un défaut de précision, et donc une absence de répartition des horaires. La relation de travail est dès lors présumée à temps complet. Il appartient à l'employeur de renverser cette présomption, en démontrant que Mme M... n'a pas travaillé à temps complet et qu'elle pouvait prévoir son rythme de travail dans des conditions qui ne la conduisait pas à se tenir à disposition permanente de l'employeur. A cet égard, la société INFÉRENCE OPERATIONS soutient que les plannings ont été établis sur les indications de la salariée qui pouvait toujours refuser les missions qui lui étaient confiées. Cependant, l'organisation que décrit la société INFÉRENCE OPERATIONS qui prétend respecter les desiderata de ses salariés en termes de plannings, contredit son argumentation relative à la nécessité de recruter dans l'urgence des enquêteurs pour assurer ses enquêtes et faire face à une demande imprévisible. L'attestation de Mme J... ne concerne pas précisément Mme M.... Il apparaît en toute hypothèse que les plannings ont été remis le vendredi soir pour la semaine suivante, ce qui suffit à établir que la salariée était placée dans l'impossibilité de savoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle devait donc se tenir à la disposition permanente de l'employeur. La relation de travail doit donc être requalifiée à temps complet. Sur le rappel de salaire La société INFÉRENCE OPÉRATIONS est fondée à faire valoir la prescription de la demande indemnitaire pour la période antérieure au 11 juillet 2011, Mme M... n'ayant plus travaillé à compter du 11 juillet 2014. L'argumentation de la société INFÉRENCE OPÉRATIONS relative aux périodes intercontrats doit être écartée puisque la relation de travail est requalifiée dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée et qu'il a été vu que Mme P... M... devait se tenir constamment à disposition de l'employeur. Mme P... M... se fonde sur un salaire horaire moyen brut de 10,60 €. L'employeur fait valoir des taux horaires ayant varié de 9,20 € à 10,70 €. Une moyenne sera dégagée des différents taux horaires pondérée par la durée de leur application sur l'ensemble de la période non-prescrite. On aboutit ainsi à un taux moyen sur la période non prescrite de 9,88 € de l'heure, soit 1.498,50 €. Ainsi, sur la période considérée, Mme M... peut prétendre à une somme globale de 54.193,75 € déduction faite des jours d'arrêts de travail pour maladie à compter du 5 juin 2014 compte-tenu de la prise en charge par la CPAM. Il n'y a pas lieu à déduction des congés payés en application de l'article L.1242-16 d'un dixième de la rémunération totale brute perçue par le salarié pendant la durée de son contrat, dès lors que le régime des congés applicable dans l'entreprise ne lui permet pas de les prendre effectivement. L'examen des bulletins de paie fait apparaître un salaire brut cumulé de 25.019,44 € sur la période considérée. Il subsiste un solde en faveur de Mme M... de 54.193,65 - 25.019,44 € = 29.174,21 €. Le rappel de salaire sera fixé à cette somme avec l'indemnité de congés payés afférente de 2.917,42 € outre l'indemnité de requalification d'un mois (1.498,50 €) » ;

ALORS, D'UNE PART, QUE la cassation à intervenir du chef de l'arrêt ayant requalifié les relations contractuelles de la société INFERENCE et de Madame M... en un contrat de travail à durée indéterminée devra s'étendre, conformément à l'article 624 du Code de procédure civile, à la condamnation de la société INFERENCE à payer à Madame M... un rappel de salaire au titre des périodes interstitielles entre deux contrats au regard du lien de dépendance nécessaire qui existe entre ces deux aspects du litige ;

ALORS, D'AUTRE PART ET SUBSIDIAIREMENT, QUE la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne porte que sur le terme du contrat et laisse inchangées les stipulations contractuelles relatives à la durée du travail ; que réciproquement, la requalification d'un contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet ne porte que sur la durée de travail et laisse inchangées les autres stipulations relatives au terme du contrat ; qu'en cas de requalification de contrats à durée déterminée successifs, à temps partiel ou à temps complet, en contrat à durée indéterminée, le salarié ne peut obtenir de rappel de salaire pour les périodes interstitielles qu'à la condition de prouver qu'il est resté à la disposition de l'employeur ; que la société INFERENCE faisait valoir que Madame M... la tenait informée chaque vendredi de sa disponibilité ou non durant la semaine suivante, de telle sorte qu'elle n'avait pas à se tenir à sa disposition durant les périodes non couvertes par un contrat de travail à durée déterminée ; que la cour d'appel, pour allouer un rappel de salaire à Madame M... au titre des périodes interstitielles entre deux contrats à durée déterminée, s'est bornée à relever que durant les périodes travaillées, les horaires de travail étaient fixés le vendredi pour la semaine suivante de telle sorte que la salariée devait « se tenir à la disposition » de la société INFERENCE en permanence ; qu'en se fondant sur de tels motifs impuissants à justifier l'octroi d'un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 1245-1 et L. 3123-14 du Code du travail, ensemble les articles 1134 et 1315 du Code civil dans leur rédaction applicable en la cause.

TROISIÈ

ME MOYEN DE CASSATION :

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que la prise d'acte de la rupture par Madame M... était justifiée et produisait les effets d'un licenciement nul et d'AVOIR, en conséquence, condamné la société INFERENCE à lui payer les sommes de 2.997 € à titre d'indemnité de préavis, 299,70 € au titre des congés payés y afférents, 1.873,13 € à titre d'indemnité de licenciement, 44.955 € à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur et 8.991 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, outre les frais irrépétibles et les dépens ;

AUX MOTIFS QUE « sur la rupture de la relation de travail : Lorsque un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse soit d'une démission selon que les manquements invoqués à l'appui de la prise d'acte sont avérés et suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail. En l'espèce, le courrier de Mme M... en date du 11 juillet 2014, dont le jugement entrepris reproduit le contenu, formule un grief principal qui est l'absence de régularisation de sa situation contractuelle en contrat à durée indéterminée alors qu'elle occupait des fonctions pérennes dans l'entreprise. Il ressort de la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée que la matérialité du grief reproché à l'appui de la prise d'acte est établie. Le nonrespect des règles relatives aux contrats de travail à durée déterminée et du recours au temps partiel, sanctionné par la requalification en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet et donc par le paiement d'un rappel de salaire d'un montant élevé constitue un manquement de l'employeur à ses obligations suffisamment sérieux pour justifier la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié et aux torts de l'employeur. Par ailleurs, Mme M... s'est présentée aux élections des délégués du personnel et a été élue au second tour des élections avec 28 voix le 24 juin 2014, elle a donc bénéficié du statut protecteur à compter de cette date. Du fait de son statut protecteur, la prise d'acte de Mme M... produit donc les effets d'un licenciement nul. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point, en revanche il sera réformé sur le quantum des indemnités de rupture allouées. Compte tenu de son ancienneté, Mme M... est fondée à solliciter en application de l'article L.1234-1 du code du travail une indemnité de préavis de deux mois outre l'indemnité de congés payés afférente, (1498,50 x 2) soit 2997 euros et 299,70 euros de congés payés afférents. En application de l'article 19 de la convention collective nationale dite "Syntec", elle est également fondée à solliciter une indemnité de licenciement équivalent à 0.25 mois par année de présence pour une ancienneté comprise entre deux et vingt ans soit 1.873,13 euros. En application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, Mme M... est fondée à solliciter du fait de son licenciement abusif une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Compte tenu de l'ancienneté de Mme M... dans l'entreprise au moment de la rupture du contrat, du montant du salaire mensuel brut perçu et de l'absence de tout élément probant justifiant une somme d'un montant supérieur, la cour lui alloue la somme de 8.991 euros, équivalente à six mois de salaire, à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul. En vertu de la violation de son statut protecteur, Mme M... est fondée à obtenir une indemnité correspondant aux salaires qu'elle aurait dû percevoir de la date de son éviction jusqu'à la fin de son statut protecteur dans la limite de la durée minimale légale du mandat des représentants du personnel, augmentée de la période de protection après la cessation du mandat à savoir la durée totale de trente mois, soit la somme de 44.955 euros » ;

ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, EN LES SUPPOSANT ADOPTÉS, QUE « Sur la rupture et ses conséquences Il est de principe que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués le justifiaient, soit, dans le cadre contraire, d'une démission. Il appartient donc à Mme M... de prouver les griefs qu'elle allègue à l'encontre de la société INFERENCE OPÉRATIONS, qui doivent présenter un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail. L'attestation de M. N... R... indique que Mme M... lui a fait part de son souhait de quitter son poste ne lui convenant pas, et précise que cette dernière a quitté le travail le 5 juin 2014. Il n'est pas discuté que Mme M... a été placée en arrêt de travail à cette date jusqu'au 26 juin 2014, et qu'elle n'a pas ensuite repris le travail. L'employeur lui a proposé une mission d'enquêtrice. Il est possible au regard des attestations produites que Mme M... ait souhaité ne plus poursuivre son activité au sein de la cellule qualité. Il ne peut en être déduit que la salariée a voulu mettre fin de façon, non équivoque à la relation de travail, d'autant que la société INFERENCE OPÉRATIONS lui a proposé une mission d'enquêteur. Le fait que Mme M... se soit présentée en 4° position sur la liste des délégués du personnel suppléants tend à démontrer la volonté au contraire de poursuivre son travail dans l'entreprise. L'attestation de M. R... est en tout état de cause contestée par Mme M.... Sa correspondance du 11 juillet 2014 imputant la rupture de la relation de travail à son employeur fait état des griefs suivants : « [...] En revanche, je vous demande depuis longtemps, compte-tenu de mon ancienneté et des missions que vous m'avez confiées depuis près de 5 ans, de me proposer un emploi à temps plein et à durée indéterminée. Vous prétendez également être sans nouvelle de ma part depuis la fin de mon arrêt maladie alors même qu'il vous appartient de me proposer du travail et que vous ne l'avez pas fait avant votre courrier précité par lequel vous me proposez une mission de 11 jours qui représente à peine plus de 40 heures de travail ! Vous n'ignorez pas la situation de précarité dans laquelle me placent les CDD illégaux à répétition que vous m'imposez depuis plusieurs années. Je suis dans ces conditions contrainte de décliner votre proposition et de considérer qu'en ne respectant pas les dispositions légales applicables, vous ne respectez pas les droits de la salariée que je suis. » Il est certain que Mme M... n'a pas donné suite à la proposition de travail fertile de l'employeur, et qu'il n'est pas justifié de demandes antérieures d'accéder à un contrat de travail à durée indéterminée, même si l'on peut supposer que Mme M... était en attente de ce contrat, son emploi auprès de la société INFERENCE OPÉRATIONS constituant sa seule source de revenus. Il ne peut être retenu que la salariée, préjugeant ainsi du résultat des élections, a organisé son départ, de même que l'inscription au Pôle emploi, qui doit être régulièrement renouvelée, vient au contraire au soutien de son argumentation démontrant sa situation de précarité. En toute hypothèse, Mme M... a travaillé pendant plus de 5 ans dans le cadre de contrats de travail à durée déterminée correspondant à l'activité permanente de l'entreprise, et a été rémunérée à temps partiel alors qu'elle s'est tenue à la disposition permanente de son employeur. Il en résulte un manquement suffisamment grave de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, de nature à en empêcher la poursuite, et justifiant que la rupture soit imputable à ses torts exclusifs, produisant ainsi les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur Mme M... étant élue déléguée du personnel suppléante depuis le 24 juin 2014. Mme M... est donc en droit d'obtenir une indemnité pour violation du statut protecteur d'un montant égal à la rémunération qu'elle aurait perçue entre la date de rupture (11 juillet 2014) et le terme de la période de protection, soit quatre ans outre une période de 6 mois à l'issue du terme du mandat (24 décembre 2018). Il sera alloué à Mme M... une indemnité de 79.420,50 € au paiement de laquelle la société INFÉRENCE OPÉRATIONS sera condamnée. Cette indemnité se cumule avec celles prévues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, à savoir l'indemnité de préavis de 2.985 € et 298,50 € de congés payés afférents. L'indemnité de licenciement sera fixée à la somme de 1.865,63 €. Mme M... est en droit de prétendre à l'indemnité prévue à l'article L.1235-3 du Code du travail, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Au regard de son ancienneté (5 ans), de l'absence d'un retour à l'emploi mais aussi de l'absence d'indemnisation au titre du revenu de remplacement, il lui sera alloué une indemnité de l'ordre de 9 mois de salaire, soit 13.432,50 €» ;

1°/ ALORS, TOUT D'ABORD, QUE la cassation à intervenir de l'arrêt attaqué sur le premier ou le deuxième moyen de cassation devra s'étendre, conformément à l'article 624 du Code de procédure civile, au chef de l'arrêt ayant dit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail était justifiée et produisait les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, compte tenu du lien de dépendance nécessaire qui existe entre ces aspects du litige ;

2°/ ALORS QUE la mise en demeure préalable du débiteur de l'obligation procède de l'exigence de bonne foi et de loyauté du créancier face à la survenance d'une inexécution contractuelle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a fait droit à la demande de Madame M... tendant à voir juger que la prise unilatérale d'acte par cette dernière de la rupture de son contrat de travail devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans constater qu'une mise en demeure préalable ait été adressée par la salariée à l'employeur ; qu'en statuant ainsi, bien que le contrat de travail soit soumis aux règles de droit commun et aux exigences de bonne foi et de loyauté contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L.1222-1 et L.1231-1 du Code du travail, ensemble les articles 1135, 1139 et 1184 du Code civil dans leur rédaction applicable, antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ ALORS, ENSUITE ET SUBSIDIAIREMENT, QUE la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement de l'employeur d'une gravité telle qu'elle rend impossible la poursuite du contrat de travail ; que pour dire que la prise d'acte de la rupture était justifiée en l'espèce la cour d'appel s'est bornée à rappeler qu'elle avait fait droit à la demande de requalification des contrats à durée déterminée d'usage en un contrat de travail à durée indéterminée, et qu'elle avait octroyé à Madame M... un rappel de salaire à ce titre ; qu'en se déterminant ainsi, sans vérifier si les manquements de l'employeur étaient d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail ;

4°/ ALORS, DE TROISIÈME PART, QUE la cour d'appel a constaté que Madame M... travaillait auprès de la société INFERENCE dans le cadre de contrats à durée déterminée d'usage depuis le 17 juin 2009 et qu'elle n'avait formulé aucune réclamation pendant cinq ans jusqu'à sa prise d'acte de la rupture en date du 13 octobre 2014 ; qu'à supposer qu'elle ait considéré que la requalification des contrats à durée déterminée non successifs en un contrat de travail à durée indéterminée et le rappel de salaire accordé au titre des périodes interstitielles caractérisait un manquement de la société INFERENCE rendant impossible la poursuite du contrat de travail et justifiant dès lors la prise d'acte de la rupture du contrat de travail, la cour d'appel aurait méconnu les conséquences légales de ses constatations au regard des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du Code du travail. ;

5°/ ALORS, ENFIN ET EN TOUTE HYPOTHÈSE, QUE la société INFERENCE faisait valoir (ses conclusions, pages 31-32), justificatifs à l'appui, que Madame M... avait manifesté à plusieurs reprises auprès de ses collègues, dans les mois qui avaient précédé sa prise d'acte, la volonté de ne plus travailler auprès de la société INFERENCE ; qu'elle avait fait valoir également que la prise d'acte s'inscrivait dans une stratégie préméditée, établie par sa candidature, quelques jours avant, aux élections professionnelles suivie immédiatement d'une altercation artificielle avec ses collègues en vue de justifier son abandon de poste ; qu'en s'abstenant de rechercher si ce contexte, rapproché de l'absence de réclamation de salariée qui travaillait depuis cinq ans dans le cadre de contrats à durée déterminée non successifs, ne démontrait pas que les manquements prétendus de l'employeur ne rendaient pas impossible la poursuite du contrat de travail de telle sorte que la prise d'acte était injustifiée, la cour d'appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des articles L.1222-1, L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du Code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-15697
Date de la décision : 20/11/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Toulouse, 02 mars 2018


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 20 nov. 2019, pourvoi n°18-15697


Composition du Tribunal
Président : M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Thouvenin, Coudray et Grévy

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.15697
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