LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 19-85.319 F-D
N° 2361
SM12
30 OCTOBRE 2019
REJET
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
Mme I... J... a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PAU, en date du 2 juillet 2019, qui, infirmant, sur le seul appel des parties civiles, l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction, l'a renvoyée devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'homicide involontaire.
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16 octobre 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Guéry, conseiller rapporteur, M. Moreau, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lavaud ;
Sur le rapport de M. le conseiller GUÉRY, les observations de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général VALLEIX ;
Des mémoires, en demande et en défense, et des observations complémentaires ont été produits.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Le 16 juin 2012, V... P..., née le [...] , a été admise au Centre Hospitalier de Pau pour son accouchement. Le décès in utero de sa fille K... a été constaté le même jour et V... P... est décédé le [...] au matin.
3. Les parents de la défunte ont mis en cause la qualité de la prise en charge de leur fille et ont déposé une plainte auprès du procureur de la République, lequel a ouvert une information judiciaire, le 16 octobre 2012, du chef d'homicide volontaire au préjudice d'V... P... et de son enfant K... O... décédée in utero.
4. Le 4 mars 2013, une première expertise médicale a été confiée à un collège de trois experts, qui a conclu que V... P... était décédée d'une défaillance multiviscérale faisant suite à une ischémie mésentérique massive d'origine mécanique par occlusion sur strangulation de l'intestin et du colon. Selon les experts, l'enchaînement létal à l'origine des décès était dû à un retard diagnostique rattachable à une prise en charge défaillante sur le plan médical les premières heures après l'admission, d'autant plus fautive que les antécédents chirurgicaux abdominaux de l'intéressée étaient connus. Ces derniers auraient dû alerter Mme J..., médecin, sur la possible origine digestive des douleurs abdominales.
5. Ces experts ont conclu que les diligences de Mme J..., médecin, n'étaient pas en adéquation avec les bonnes pratiques usuelles attendues dans ce type de situation, malgré de multiples informations et paramètres cliniques qui auraient dû l'alerter. Elle n'avait jamais remis en question son diagnostic initial reliant les douleurs à un processus génésique mal toléré.
6. Mme J... a été mise en examen du chef d'homicide involontaire et a contesté avoir commis une quelconque faute dans la prise en charge de sa patiente.
7. Une contre-expertise médicale a été ordonnée le 19 février 2016 et confiée à un nouveau collège d'experts. Leurs résultats ont confirmé les causes de la mort d'V... P.... En revanche les experts ont estimé que les soins délivrés pouvaient être considérés comme globalement adaptés aux caractéristiques de la patiente, à ses antécédents connus et à ses symptômes. Une prise en charge plus conforme aux recommandations n'aurait pas permis d'éviter le décès. Il n'ont pas relevé de dysfonctionnement dans l'organisation du service ou dans la prise en charge médicale d'V... P..., ni d'imprudences, négligences ou maladresses dans sa prise en charge médicale. Les experts ne relevaient pas d'éléments de nature à suggérer qu'une ou des fautes caractérisées avaient été commises par Mme J..., qui n'avait pas, entre 11 heures 05 et 15 heures 30, d'éléments suffisants chez cette patiente, et dans le contexte qui était le sien, pour évoquer une pathologie suffisante justifiant une indication opératoire.
8. Une nouvelle contre-expertise a été ordonnée. Les experts ont conclu que le diagnostic de la cause du décès d'V... P... ne pouvait être fait au moment de sa prise en charge. L'intervention adéquate n'avait pas pu être envisagée plus tôt au vu du caractère exceptionnel de cette pathologie chez une patiente adulte, qui avait été opérée à deux reprises « à ventre ouvert » sans que les chirurgiens précédemment intervenus n'aient repéré cette malformation. Les experts ont considéré que la surveillance et la prise en charge de la patiente avaient été adéquates et qu'en tout état de cause, le défaut de diagnostic d'occlusion intestinale sur mésentère commun ne constituait qu'une perte de chance minime, la striction n'étant survenue qu'en début d'après midi et les signes digestifs du matin ne pouvant pas induire de décision d'intervention chirurgicale en l'absence de connaissance de l'existence d'un mésentère commun chez la patiente.
9. Le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de non-lieu le 15 octobre 2018.
10. Les parties civiles ont interjeté appel de cette ordonnance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
Sur le moyen pris en ses première, deuxième et troisième branches
11. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le moyen, pris en ses quatrième, cinquième, et sixième branches
12. Le moyen est pris de la violation des articles 121-3, 221-6, 221-8 et 221-10 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale.
13. Le moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches, critique l'arrêt attaqué "en ce qu'il a ordonné le renvoi de l'exposante devant le tribunal correctionnel de Pau pour avoir, à Pau, les 16 et 17 juin 2012, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription, causé involontairement la mort d'V... P... par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, en ne prenant pas suffisamment en compte les antécédents médicaux et chirurgicaux viscéraux et abdominaux de cette jeune femme, pour rechercher et établir les causes réelles de ses souffrances aiguës, antécédents pourtant connus d'elle qui était son médecin référent, son gynécologue obstétricien, et notés sur le dossier anesthésique de cette patiente et que ceux-ci auraient dû, de facto, l'alerter sur la possible origine digestive des douleurs abdominales et en évacuant trop rapidement et de façon définitive et péremptoire toute autre hypothèse que celle d'un début de travail chez une jeune femme dont la grossesse était arrivée à terme, en ne mettant pas en oeuvre les moyens techniques nécessaires au bon diagnostic pourtant facilement disponibles sur site (scanner, biologie) alors que les antécédents chirurgicaux abdominaux de l'intéressée étaient connus d'elle, en ne délivrant pas de consignes de surveillance suffisantes et adaptées aux équipes paramédicales et médicales présentes dans le service, dans ce contexte clinique très particulier, faits prévus par l'article 221-6 alinéa 1er du code pénal et réprimés par les articles 221-6 alinéa 1er, 221-8 et 221-10 du code pénal ;
"4°) alors que pour dire qu'il est établi qu'V... P... n'était, lors de son admission à la Polyclinique de Navarre, manifestement pas encore en phase de travail, la chambre de l'instruction s'est fondée sur les seules déclarations de Mme X... (cf. déposition du 4 février 2019 – production n° 6), qui est, comme le relève l'arrêt, sage-femme et pas médecin ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée (cf. notamment conc. J... p. 5 à 7) si V... P..., dont l'examen obstétrical avait révélé, à 11 heures 08, trois contractions par 10 minutes ainsi qu'un « utérus latéro dévié à gauche moulé à la contraction utérine ++ » puis, à 12 heures 50, une ouverture du col de l'utérus à un doigt, n'était pas, à tout le moins, en début de travail, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des dispositions visées au moyen ;
"5°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en énonçant que dans sa déposition du 4 février 2019, Mme X... ne fait pas état du fait que son examen initial d'admission a été doublé par un examen pratiqué par le médecin référent de la jeune femme, laquelle présentait des cicatrices abdominales et a rappelé ses antécédents, quand, dans cette même déposition, Mme X... énonçait, au contraire (production n° 6 p. 2), que « Mme X... arrive assez rapidement. [
] Question : qu'a fait le docteur J... à son arrivée ? Réponse : j'avoue que je ne me rappelle plus. Je pense qu'elle l'a réexaminée. Je pense que j'étais avec elle car V... avait très mal et je ne pouvais pas la laisser mais je ne me rappelle plus précisément. Je sais que j'ai fait part de ma réflexion sur son ventre à J.... Je pense qu'elle a refait une échographie », la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
"6°) alors qu' en tout hypothèse, le délit d'homicide involontaire suppose un lien de causalité certain entre la faute et le dommage, lequel consiste dans le décès de la victime ; qu'en retenant qu'il existe, à l'issue de l'information, des éléments constitutifs de charges précises et concordantes de nature à justifier le renvoi de Mme J..., médecin, pour avoir causé involontairement la mort d'V... P... par maladresse, imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de diligences, sans rechercher, comme cela lui était demandé (cf. concl. J... p. 24 à 27) s'il existe un lien de causalité certain entre la faute reprochée à Mme J..., médecin, et le décès d'V... P... et si cette faute n'a pas uniquement fait perdre à la patiente, victime d'un volvulus intestinal, une chance de survie, excluant ainsi le caractère certain du lien de causalité, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des dispositions visées au moyen »".
Réponse de la Cour
Vu l'article 574 du code de procédure pénale ;
14. Pour infirmer l'ordonnance de non-lieu rendue par le magistrat instructeur et ordonner le renvoi de Mme J... devant la juridiction de jugement pour homicide involontaire, l'arrêt attaqué énonce que les investigations menées et les expertises ordonnées ont établi que la cause du décès d'V... P... avait trait aux désordres hémodynamiques et métaboliques induits par la nécrose ischémique de l'intestin, elle-même provoquée par l'interruption de l'apport sanguin consécutivement à la torsion du pédicule vasculaire permise par un défaut d'accolement congénital et favorisée par la grossesse.
15. Les juges relèvent que la première expertise ordonnée a conclu de manière très claire à la responsabilité et à la mise en cause de Mme J.... Après avoir énoncé les discordances avec les deux expertises postérieures, ils concluent que la plus élémentaire prudence médicale commandait certainement à Mme J... de ne pas immédiatement ou trop rapidement écarter cette piste mais d'envisager, et de mettre en oeuvre, des examens approfondis et de solliciter, par exemple, l'intervention pour examen et avis d'un praticien en chirurgie digestive.
16. Les énonciations du moyen ne présentent aucune disposition que le tribunal saisi de la poursuite n'aurait pas le pouvoir de modifier. En conséquence, il revient à critiquer les énonciations de l'arrêt relatives aux charges que la chambre de l'instruction a retenues contre la prévenue, de sorte qu'il est irrecevable en application de l'article 574 susvisé.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS,
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le trente octobre deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.