LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Chambéry, 13 mars 2018), qu'à la suite de la souscription d'un prêt, consenti par la Caisse de crédit mutuel de Plérin (la banque) et constaté dans un acte notarié, M. et Mme P..., s'estimant victimes d'une escroquerie, ont déposé une plainte contre X, donnant lieu à l'ouverture d'une information, puis ont saisi un tribunal grande de instance d'une action en responsabilité civile dirigée contre la banque ; que par la suite, la banque, se prévalant de la déchéance du terme des prêts faute de remboursement des échéances, a sollicité d'un autre tribunal de grande instance la condamnation des emprunteurs au paiement du solde des prêts ; que ce tribunal a sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale et de l'issue de l'instance civile en responsabilité civile ;
Attendu que la banque fait grief à l'ordonnance de la débouter de sa demande d'autorisation d'interjeter appel immédiat du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Chambéry en date du 28 septembre 2017, en l'absence de motifs graves et légitimes, et de rejeter toute demande plus ample ou contraire, alors, selon le moyen :
1°/ que s'il n'appartient pas au premier président de se prononcer sur le bien-fondé de la décision de sursis, l'absence d'incidence de l'instance en considération de laquelle le sursis à statuer a été ordonné sur le sort de l'action principale constitue un motif grave et légitime justifiant l'autorisation de former appel immédiat de la décision de sursis ; qu'en l'espèce, la Caisse de crédit mutuel de Plérin faisait valoir que l'instance pénale pendante devant le tribunal correctionnel de Marseille dans le cadre de l'affaire Apollonia n'était pas de nature à influer sur le sort de son action en paiement des sommes que lui devaient M. et Mme P... au titre des trois prêts accordés en 2008, dans la mesure où elle n'était aucunement mise en cause dans cette instruction ; qu'elle soutenait qu'il en allait de même de l'action en responsabilité contre le Crédit mutuel qu'ils avaient engagée devant le tribunal de grande instance de Marseille, à défaut pour eux d'avoir demandé l'annulation des offres de prêts qu'ils avaient acceptées et en vertu desquels la banque agissait en paiement ; que pour écarter ces moyens, le premier président de la cour d'appel a retenu que les explications de la banque sur la différence d'objet entre l'instance principale en paiement et les instances civile et pénale pendantes devant le tribunal de grande instance de Marseille étaient dénuées de pertinence car se rattachant à la seule question du bien-fondé du sursis à statuer ; qu'en statuant de la sorte, quand il lui incombait de rechercher, ainsi qu'il y était invité, si les instances en considération desquelles le tribunal de grande instance avait prononcé un sursis à statuer n'étaient pas impropres à avoir une incidence sur le sort de l'action en paiement de la banque, cette circonstance caractérisant un motif grave et légitime d'interjeter appel immédiat du jugement de sursis, le premier président de la cour d'appel a violé l'article 380 du code de procédure civile ;
2°/ que tout créancier est en droit d'obtenir dans un délai raisonnable un jugement portant condamnation de son débiteur à lui régler les sommes qu'il lui doit ; que le risque pour un créancier de ne pas obtenir le règlement de sa créance est susceptible de constituer un motif grave et légitime justifiant l'autorisation de pouvoir former appel immédiat d'une décision de sursis à statuer sur l'action en paiement contre le débiteur ; que la Caisse de crédit mutuel de Plérin soulignait que le prix des biens immobiliers acquis par M. et Mme P... était nettement supérieur à leur valeur réelle, de sorte que les hypothèques prises en garantie du remboursement de ses créances au titre des prêts accordés étaient insuffisantes et que le recouvrement de ces créances était d'ores et déjà en péril ; qu'elle faisait à cet égard valoir que M. et Mme P... avaient cessé depuis 2010 de régler les échéances de prêts souscrits tout en continuant à bénéficier des loyers afférents aux biens immobiliers acquis grâce aux crédits qu'elle leur avait consentis ; qu'en ne recherchant pas si ces circonstances n'étaient pas de nature à caractériser un motif grave et légitime justifiant que la banque soit autorisée à former appel immédiat du jugement de sursis à statuer du 28 septembre 2017, le premier président de la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 380 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant exactement retenu qu'il n'appartenait pas au premier président, statuant dans le champ des dispositions de l'article 380 du code de procédure civile sur une demande d'autorisation d'appel immédiat d'une décision de sursis à statuer, d'apprécier si les conditions du sursis à statuer étaient ou non réunies, c'est à bon droit que le premier président en a déduit qu'étaient sans pertinence sur la caractérisation d'un motif grave et légitime, les explications des parties se rapportant à la question de l'incidence sur l'affaire des instances en considération desquelles le tribunal de grande instance avait prononcé un sursis à statuer ;
Et attendu qu'ayant d'abord relevé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la banque ne versait aux débats aucun élément sur la situation de fortune de ses débiteurs susceptible de caractériser l'existence d'un risque de difficultés de recouvrement de sa créance et sur les conséquences que ce sursis à statuer pourrait avoir sur sa propre trésorerie, c'est dans l'exercice de son appréciation souveraine que le premier président, qui n'avait pas à entrer dans le détail de l'argumentation des parties et dont les constatations rendaient inutile la recherche prétendument omise, a ensuite estimé qu'il n'existait pas de motif grave et légitime pour relever appel de la décision de sursis à statuer ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la Caisse de crédit mutuel de Plérin aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile ; rejette sa demande ; la condamne à payer à M. et Mme P... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la Caisse de crédit mutuel de Plérin
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée D'AVOIR débouté la Caisse de Crédit Mutuel de PLERIN de sa demande d'autorisation d'interjeter appel immédiat du jugement rendu par le tribunal de grande instance de CHAMBERY en date du 28 septembre 2017, en l'absence de motifs graves et légitimes, et D'AVOIR rejeté toute demande plus ample ou contraire,
AUX MOTIFS QUE « Aux termes de l'article 380 du code de procédure civile : "La décision de sursis peut être frappée d'appel sur autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime. La partie qui veut faire appel saisit le premier président, qui statue dans la forme des référés. L'assignation doit être délivrée dans le mois de la décision. S'il fait droit à la demande, le premier président fixe le jour où l'affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou, comme il est dit à l'article 948, selon le cas". La CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE PLERIN fait valoir qu'elle a un motif grave et légitime à voir réformer ce jugement sans attendre l'issue des autres instances en cours, et notamment de l'instance civile pendante devant le tribunal de grande instance de Marseille qui porte sur une demande distincte, à savoir l'éventuelle responsabilité de l'établissement bancaire, alors que l'instance pendante devant le tribunal de grande instance de Chambéry était une action en paiement. A l'appui de sa position, elle-fait état d'une jurisprudence établie et récente de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ayant autorisé l'appel immédiat d'une demande de sursis à statuer sans attendre l'issue d'une procédure civile au pénale, dans la mesure où ces dernières poursuivaient un objet distinct de celui sur lequel portait le litige ayant donné lieu à la décision de sursis à statuer. Il n'appartient toutefois pas au premier président statuant dans le cadre des dispositions de l'article 380 du code de procédure civile sur une demande d'autorisation d'appel immédiat d'une décision de sursis à statuer, d'apprécier si les conditions du sursis à statuer sont ou non réunies, et l'ensemble des explications des parties se rapportant à cette question, sont dénuées de pertinence dans le présent débat. Il lui appartient seulement d'apprécier si le demandeur rapporte la preuve de motifs graves et légitimes susceptibles de justifier l'autorisation demandée. En l'espèce, le tribunal de grande instance de Chambéry s'est trouvé saisi, à l'issue d'un arrêt de la Cour d'appel de ce siège, d'une demande en paiement la CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PLERIN, à l'encontre des époux P... à la suite des prêts dont ils avaient été bénéficiaires. Les époux P... avaient conclu devant le tribunal de grande instance de Chambéry, à titre principal, au sursis à statuer et, subsidiairement, à la prescription des demandes, et à ce que soit constaté la titrisation de ces créances par la SCCCV CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE PLERIN, le principe et le montant de la créance se trouvant ainsi contestés, contrairement à ce qu'affirme le CRÉDIT MUTUEL. A l'appui de sa demande d'autorisation d'appel immédiat, le CRÉDIT MUTUEL, invoque la longueur des délais déjà écoulés et à prévoir, et les incertitudes liées aux conditions dans lesquelles if pourra recouvrer sa créance. En l'espèce, la CAISSE DE CRÉDIT MUTUEL DE PLERIN produit une abondante jurisprudence, mais ne verse aux débats aucun élément sur la situation de fortune de ses débiteurs, qui serait susceptible de caractériser l'existence d'un risque de difficultés de recouvrement de sa créance, après que le principe et le montant en auront été confirmés, et sur les conséquences que ce sursis à statuer pourraient avoir sur sa propre trésorerie. Par ailleurs, la longueur des délais invoqués ne saurait constituer à elle seule un motif légitime, au regard de l'importance de l'affaire et de la multiplicité des intervenants. En l'absence de motifs graves et légitimes, la demande d'autorisation d'interjeter appel immédiat du jugement de sursis à statuer rendu par le tribunal de grande instance de Chambéry le 28 septembre 2017, sera rejetée. L'équité ne commande pas en l'espèce qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile » ;
1°) ALORS QUE s'il n'appartient pas au premier président de se prononcer sur le bien-fondé de la décision de sursis, l'absence d'incidence de l'instance en considération de laquelle le sursis à statuer a été ordonné sur le sort de l'action principale constitue un motif grave et légitime justifiant l'autorisation de former appel immédiat de la décision de sursis ; qu'en l'espèce, la Caisse de Crédit Mutuel de PLERIN faisait valoir que l'instance pénale pendante devant le tribunal correctionnel de MARSEILLE dans le cadre de l'affaire APOLLONIA n'était pas de nature à influer sur le sort de son action en paiement des sommes que lui devaient les époux P... au titre des trois prêts accordés en 2008, dans la mesure où elle n'était aucunement mise en cause dans cette instruction ; qu'elle soutenait qu'il en allait de même de l'action en responsabilité contre le Crédit Mutuel qu'ils avaient engagée devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE, à défaut pour eux d'avoir demandé l'annulation des offres de prêts qu'ils avaient acceptées et en vertu desquels la banque agissait en paiement ; que pour écarter ces moyens, le premier président de la cour d'appel a retenu que les explications de la banque sur la différence d'objet entre l'instance principale en paiement et les instances civile et pénale pendantes devant le tribunal de grande instance de MARSEILLE étaient dénuées de pertinence car se rattachant à la seule question du bien-fondé du sursis à statuer ; qu'en statuant de la sorte, quand il lui incombait de rechercher, ainsi qu'il y était invité, si les instances en considération desquelles le tribunal de grande instance avait prononcé un sursis à statuer n'étaient pas impropres à avoir une incidence sur le sort de l'action en paiement de la banque, cette circonstance caractérisant un motif grave et légitime d'interjeter appel immédiat du jugement de sursis, le premier président de la cour d'appel a violé l'article 380 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE tout créancier est en droit d'obtenir dans un délai raisonnable un jugement portant condamnation de son débiteur à lui régler les sommes qu'il lui doit ; que le risque pour un créancier de ne pas obtenir le règlement de sa créance est susceptible de constituer un motif grave et légitime justifiant l'autorisation de pouvoir former appel immédiat d'une décision de sursis à statuer sur l'action en paiement contre le débiteur ; que la Caisse de Crédit Mutuel de PLERIN soulignait que le prix des biens immobiliers acquis par les époux P... était nettement supérieur à leur valeur réelle, de sorte que les hypothèques prises en garantie du remboursement de ses créances au titre des prêts accordés étaient insuffisantes et que le recouvrement de ces créances était d'ores et déjà en péril ; qu'elle faisait à cet égard valoir que les époux P... avaient cessé depuis 2010 de régler les échéances de prêts souscrits tout en continuant à bénéficier des loyers afférents aux biens immobiliers acquis grâce aux crédits qu'elle leur avait consentis ; qu'en ne recherchant pas si ces circonstances n'étaient pas de nature à caractériser un motif grave et légitime justifiant que la banque soit autorisée à former appel immédiat du jugement de sursis à statuer du 28 septembre 2017, le premier président de la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 380 du code de procédure civile.