LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 29 mai 2018), que, le 19 mai 2001, la SCI Longoni, aux droits de laquelle vient M. Z..., a consenti à la société JR, aux droits de laquelle vient la société Le Saint-Tropez, un bail commercial portant sur un ensemble immobilier d'une superficie de 145 m² ; que M. Z... est propriétaire d'un bâtiment d'une superficie de 104 m², édifié sur le domaine public et prolongeant l'immeuble donné à bail ; qu'un arrêt irrévocable du 11 août 2015 a jugé que l'assiette du bail était circonscrite à l'ensemble immobilier ; que, le 8 décembre 2015, M. Z..., après avoir vainement invité la société Le Saint-Tropez à signer une convention d'occupation précaire, l'a assignée aux fins de la voir déclarer occupante sans droit ni titre et de voir fixer une indemnité d'occupation à la charge de celle-ci ;
Attendu que la société Le Saint-Tropez fait grief à l'arrêt d'accueillir ces demandes ;
Mais attendu qu'ayant constaté, d'une part, que M. Z... disposait d'un titre lui attribuant la propriété du bâtiment d'une superficie de 145 m² édifié sur le domaine public et lui conférant la prérogative de consentir une convention d'occupation précaire, d'autre part, que la société Le Saint-Tropez n'avait ni signé une telle convention ni quitté les lieux, la cour d'appel en a exactement déduit que celle-ci était occupante sans droit ni titre et a légalement justifié sa décision d'ordonner son expulsion et, sans dénaturation, de fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la charge de celle-ci ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Le Saint-Tropez aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Le Saint-Tropez ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix octobre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Le Saint-Tropez.
Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir prononcé la résiliation de l'occupation précaire par la SARL Le Saint Tropez des bâtiments situés sur le domaine public, objet de l'arrêté portant autorisation d'occupation temporaire à compter du 1er janvier 2011 sur l'emplacement n° 31-3/67 10 J de 145 m2 consentie à M. G... Z... le 3 janvier 2011, dit que SARL Le Saint Tropez est occupante sans droit ni titre, ordonné l'expulsion de la SARL Le Saint Tropez ainsi que tous occupants de son chef des lieux visés à l'arrêté portant autorisation d'occupation temporaire du 3 janvier 2011 dans le délai de 3 mois suivant la signification du jugement, dit que la SARL Le Saint Tropez est redevable d'une indemnité d'occupation d'un montant de 2 200 € HT à compter du 1er janvier 2011 et jusqu'à la libération effective des lieux;
Aux motifs propres que « la SARL Le Saint Tropez oppose le principe fraus omnia corrumpit. Elle prétend d'une part que M. Z... s'est frauduleusement approprié une partie du domaine public, en faisant valoir que la commune du Château d'Oléron a consenti une autorisation d'occupation temporaire à l'effet d'y établir une activité commerciale, sous entendant une activité à titre personnel, que ni M. Z... ni la SCI Longoni n'ont exercée. Elle ajoute que les immeubles construits sur le domaine public ne peuvent pas appartenir à M. Z... et qu'il est frauduleux de tenter d'obtenir le paiement de sommes par mise à disposition d'un immeuble dont on n'est pas propriétaire. S'agissant du premier argument, la cour observe que la SARL Le Saint Tropez n'a pas qualité pour opposer le caractère prétendument frauduleux de l'obtention de l'autorisation d'occupation précaire. Nul ne plaide par procureur et seul l'Etat ou la commune du Château d'Oléron auraient éventuellement qualité pour se prévaloir de ce moyen. Le second argument appelle deux observations. D'une part, l'article L 2126-2 du code général de la propriété des personnes publiques dispose : "Le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'état a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre. Ce droit réel confère à son titulaire pour la durée de l'autorisation (...), les prérogatives et obligations du propriétaire ". D'autre part, M. Z... dispose bien d'un titre puisque, selon acte notarié du 5 octobre 2010, il a acquis de la SCI Longoni, outre l'immeuble objet du bail commercial, le bâtiment en prolongement situé sur le domaine public d'une superficie de 145 m2. L'article L 2126-2 susvisé et l'acte notarié du 5 octobre 2015 confèrent à l'intimé les prérogatives d'un propriétaire au rang desquelles figure la possibilité de donner son bien à la location. Certes, il a été définitivement jugé que le bâtiment litigieux ne pouvait pas être donné à bail commercial, mais il pouvait parfaitement être mis à disposition dans le cadre d'une convention ordinaire. Sur l'occupation de l'immeuble litigieux par la SARL Le Saint Tropez : Postérieurement à l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 11 août 2015, M. Z... a invité la SARL Le Saint Tropez par lettre recommandée du 11 septembre 2015 à signer une convention d'occupation précaire pour l'immeuble se trouvant sur le domaine public moyennant un loyer mensuel de 2 200 € à compter du 1er janvier 2011 avec libération des lieux au 31 octobre 2015 à défaut d'acceptation. La SARL Le Saint Tropez n'a ni quitté les lieux, ni signé la convention. Faute de signature de la convention, la SARL se trouve occupante sans droit ni titre. La SARL Le Saint Tropez n'a pas engagé la discussion sur le montant de l'indemnité d'occupation, sa défense étant exclusivement fondée sur le fait que M. Z... ne pouvait prétendre à aucune somme en contrepartie de l'occupation d'un immeuble qui ne lui appartiendrait pas. Dans de telles conditions, c'est de façon justifiée que le premier juge a prononcé la résiliation de l'occupation précaire et fait droit à la demande de M. Z... au titre d'une indemnité d'occupation mensuelle de 2 200 € HT. La SARL Le Saint Tropez fait valoir que l'autorisation d'occupation précaire consentie à M. Z... a expiré le 31 décembre 2017 et qu'elle a présenté une demande d'attribution le 18 décembre 2017 actuellement instruite par les instances compétentes. Elle affirme que l'autorisation d'occupation précaire devrait nécessairement lui être accordée compte tenu de ce que l'ordonnance du 19 février 2017 a modifié le code général de la propriété des personnes publiques et privilégié l'occupant en vue d'une exploitation économique. Il n'en reste pas moins qu'en l'état actuel des choses, le SARL Le Saint Tropez demeure occupante sans droit ni titre » ;
Aux motifs adoptés que « sur l'appropriation frauduleuse du domaine public :
Il ressort des pièces de la procédure et notamment de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers que M. Z... est propriétaire de l'immeuble situé [...] d'une superficie de 104 m2. Selon les dispositions de l'article 2122-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'Etat a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère Immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre. Ce droit réel confère à son titulaire, pour la durée de l'autorisation et dans les conditions et les limites précisées dans le présent paragraphe, les prérogatives et obligations du propriétaire". L'article 2122-7 du même code dispose que " les constructions et installations de caractère immobilier ne peuvent être cédés, ou transmis dans le cadre de mutations entre vifs ou de fusion, absorption ou scission de sociétés, pour la durée de validité du titre restant à courir, y compris dans le cas de réalisation de la sûreté portant sur lesdits droits et biens et dans les cas mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l'article 2122-8 qu'à une personne agréée par l'autorité compétente, en vue d'une utilisation compatible avec l'affectation du domaine public occupé". Il résulte de ces dispositions que M. Z... dispose bien de droits réels sur le bâtiment comprenant deux salles de restaurant qui se trouve sur le domaine public. Pendant la période de validité de l'AOT, M. Z... est titulaire ainsi sur ce bâtiment des prérogatives et obligations du propriétaire. L'autorisation vise un emplacement de surface bâtie de 145 m2 à l'effet d'y établir une activité commerciale. Une des prérogatives d'un propriétaire d'un bien immobilier est de pouvoir le donner en location. Au regard de la précarité inhérente à l'AOT à laquelle il peut être mis fin sans indemnité, la convention qui a permis la mise à disposition des installations sur le domaine public à la SARL Le Saint Tropez est incompatible avec le statut des baux commerciaux et notamment au droit au renouvellement du bail, tout en étant un accessoire indispensable à l'exploitation du fonds de commerce. Ainsi, la SARL Le Saint Tropez exploite la partie restauration qui se trouve sur le domaine public en vertu d'une convention d'occupation précaire qui découle du bail commercial et de l'autorisation d'occupation temporaire dont bénéficie le bailleur à titre personnel pour une durée de 7 ans à compter du 1er janvier 2011 pour se terminer, sauf renouvellement, le 31 décembre 2017. La SARL Le Saint Tropez n'apparaît pas fondée à exploiter gratuitement cette surface commerciale qui est essentielle à son activité, sous le motif que M. Z... n'en n'est pas le propriétaire. En effet, dès lors que l'AOT n'a pas été révoquée par le représentant de l'état ou annulée par la juridiction administrative en raison du fait que M. Z... n'exploite pas personnellement la construction, il n'appartient pas au Tribunal de céans de priver de tout effet la mise à disposition de ladite construction dans le cadre de la convention d'occupation précaire dont bénéficie de fait la SARL Le Saint Tropez. En conséquence, M. Z... est fondé à réclamer une indemnité d'occupation à tout le moins pendant la durée de validité de l'AOT qui lui a été accordée (
) » ;
Alors, premièrement, que le juge ne peut méconnaître l'objet du litige, dont les termes sont fixés par les prétentions respectives des parties ; qu'en affirmant que la SARL Le Saint Tropez n'avait « pas qualité pour opposer le caractère prétendument frauduleux de l'obtention de l'autorisation d'occupation précaire » (arrêt attaqué p. 5, § 10) du domaine public délivrée à M. Z..., quand cette dernière, dans ses écritures, se prévalait de l'illicéité de la convention d'occupation précaire sur laquelle M. Z... fondait ses prétentions, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Alors, deuxièmement, et en tout état de cause, que sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seuls personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé, l'action en justice est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ; qu'en affirmant que la SARL Le Saint Tropez n'avait « pas qualité pour opposer le caractère prétendument frauduleux de l'obtention de l'autorisation d'occupation précaire » et que « nul ne plaid[ant] par procureur, seul l'Etat ou la commune du Château d'Oléron auraient éventuellement qualité pour se prévaloir de ce moyen » (arrêt attaqué p. 5, § 10) quand, assignée en qualité de débitrice d'une indemnité d'occupation par le titulaire de cette autorisation, elle n'en avait pas moins un intérêt personnel et légitime à invoquer l'illicéité de la convention d'occupation précaire consentie au mépris de ladite autorisation, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des motifs radicalement inopérants, a violé les articles 30 et 31 du code de procédure civile ;
Alors, troisièmement, que dans ses écritures, la SARL Le Saint Tropez faisait valoir qu'au même titre que l'autorisation d'occupation temporaire délivrée en 1989 au propriétaire initial du bâtiment commercial, les AOT délivrées en 2008 à la SCI Longoni, puis en 2011 à M. Z..., portaient l'une et l'autre sur une « surface bâtie » de 145 m², ce qui attestait que ni M. D..., ni la SCI Longoni, ni M. Z..., n'avaient jamais été titulaires du moindre droit réel sur ce bâtiment qui se trouvait « au patrimoine de l'Etat, depuis au moins le 2 mai 1989 » et dont ils n'étaient pas les constructeurs, et (cf. prod. n° 2, concl. p. 14, § 7) ; qu'en se bornant à relever que « le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'état a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre » et que M. Z... disposait « bien d'un titre puisque, selon acte notarié du 5 octobre 2010, il a acquis de la SCI Longoni, outre l'immeuble objet du bail commercial, le bâtiment en prolongement situé sur le domaine public d'une superficie de 145 m2 » (arrêt attaqué p. 5, § 11), sans apporter aucune réponse à ce moyen péremptoire, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors, enfin, que le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; que pour dire la SARL Le Saint Tropez redevable d'une indemnité d'occupation mensuelle de 2 200 € HT et faire droit à la demande de M. Z..., l'arrêt retient que la SARL Le Saint Tropez n'avait « pas engagé la discussion sur le montant de l'indemnité d'occupation, sa défense étant exclusivement fondée sur le fait que M. Z... ne pouvait prétendre à aucune somme en contrepartie de l'occupation d'un immeuble qui ne lui appartiendrait pas » (arrêt p. 6, § 4) ; qu'en statuant ainsi quand, dans ses conclusions, la SARL Le Saint Tropez faisait expressément valoir, d'une part, que « quant à la fixation de l'indemnité d'occupation, M. Z... n'est pas allé chercher très loin pour sa fixation, il a demandé tout simplement le montant du loyer commercial qui avait été annulé par le juge des loyers commerciaux et par la Cour » (concl. p. 6, § 5), d'autre part, que si « par extraordinaire la cour d'appel estimait devoir fixer une indemnité d'occupation pour le bâtiment construit sur le domaine public, elle désignerait tel expert qui lui conviendrait aux fins de fixer la valeur de cette indemnité au regard de la vétusté de la construction, qui date de plus de 20 ans et qui n'a jamais fait l'objet d'un entretien quelconque de la part de M. Z... » (cf. prod. n° 2, concl. p. 6, § 6), la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.