LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrat du 2 janvier 2012, la société Express LBTP a donné en location à la société Alpha TP un engin de chantier sans chauffeur pour une durée de quinze jours ; que le 23 janvier 2012, cet engin a été incendié, alors qu'il était stationné sur le chantier de la société Alpha TP ; que la société Express LBTP a assigné la société Alpha TP, l'assureur de celle-ci, la société SMABTP, devenue la société SMA, et la société BNP Paribas Lease Group, crédit-bailleur, en paiement de dommages-intérêts ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et quatrième branches :
Attendu que la société Express LBTP fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande tendant à voir condamner solidairement la société Alpha TP et la société SMA à lui payer la somme de 34 089,20 euros à titre d'indemnité alors, selon le moyen :
1°/ que le procès-verbal de police judiciaire du 24 janvier 2012 mentionne que « une des pelles n'est de notre responsabilité, car elle est louée avec un chauffeur » et que « la seconde que nous louons également est louée sans chauffeur et donc de notre responsabilité. Il s'agit d'une mini pelle chenilles 5 tonnes de couleur jaune, n° de série FAYRVIO45V8A203949/5. Elle est louée à la société Express LBTP
je vous remets une copie du contrat de location » ; que ce procès-verbal indiquait ainsi clairement et précisément que le contrat de location remis était celui afférent à la location de l'engin de chantier sans chauffeur, faisant l'objet du litige ; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'était pas établi que le contrat de location remis au soutien de la plainte était celui relatif à l'engin loué par la société Express LBTP, faisant l'objet du litige, c'est-à-dire le véhicule loué sans chauffeur, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal du 24 janvier 2012, en violation du principe de l'interdiction faite au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°/ que les clauses dérogatoires au droit commun contenues dans les conditions générales sont opposables au cocontractant, si elles ont été portées à sa connaissance et acceptées par lui, ce qui peut résulter de factures afférentes à de précédentes opérations entre les parties, comportant les conditions générales de l'entreprise ; qu'en décidant néanmoins que l'acceptation, par la société Alpha TP, des conditions générales de la société Express LBTP ne pouvait résulter d'une facture remise par la société Express LBTP à la société Alpha TP à l'issue d'une précédente location, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°/ que le preneur répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute ; qu'il répond notamment de l'incendie, à moins qu'il ne prouve que celui-ci est arrivé par cas de force majeure ou vice de construction, ou que le feu a été communiqué par une maison voisine ; que cette obligation ne cesse qu'à la date à laquelle le preneur a restitué le bien au bailleur ; qu'en décidant néanmoins que la société Express LBTP devait supporter les conséquences de l'incendie de l'engin de chantier loué à la société Alpha TP, sans avoir constaté que celle-ci avait restitué le matériel à la société Express LBTP, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1732 et 1733 du code civil ;
Mais attendu, d'une part, que c'est par une interprétation, exclusive de dénaturation, des termes du procès-verbal de dépôt de plainte, que leur ambiguïté rendait nécessaire, que la cour d'appel a retenu qu'il n'était pas établi que le contrat de location remis au soutien de la plainte était celui relatif à l'engin litigieux ;
Attendu, d'autre part, que la connaissance et l'acceptation des conditions générales de la location ne peuvent se déduire de l'existence de relations d'affaires suivies entre les parties ; que le moyen, en sa deuxième branche, procède donc d'un postulat erroné ;
Et attendu, enfin, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni de ses conclusions d'appel que la société Express LBTP ait soutenu que le preneur doit répondre des dégradations ou des pertes survenues pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit ;
D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 12 du code de procédure civile ;
Attendu que pour débouter la société Express LBTP de sa demande tendant à voir condamner solidairement la société Alpha TP et la société SMA à lui payer la somme de 34 089,20 euros à titre d'indemnité, l'arrêt retient, d'une part, que la société Express LBTP ne peut pas fonder son action sur des conditions générales dont elle ne prouve pas l'acceptation par sa cocontractante et, d'autre part, qu'elle ne peut sérieusement discuter la date de fin de location dès lors qu'elle a établi, le 31 janvier 2012, une facture pour une location prenant fin le 20 janvier 2012, soit la veille de la date prévisionnelle de remise de l'engin dont elle s'était engagée à effectuer le transport ;
Qu'en statuant ainsi, sans préciser le fondement juridique de sa décision, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société Express LBTP tendant à voir condamner solidairement la société Alpha TP et la société SMABTP, devenue la société SMA, à lui payer la somme de 34 089,20 euros à titre d'indemnité, l'arrêt rendu le 9 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Met hors de cause, sur sa demande, la société BNP Paribas Lease Group, dont la présence devant la cour de renvoi n'est plus nécessaire à la solution du litige ;
Condamne la société Alpha TP et la société SMA aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Express LBTP la somme globale de 3 000 euros, condamne la société Express LBTP à payer la somme de 1 000 euros à la société BNP Paribas Lease Group et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Richard, avocat aux Conseils, pour la société Express LBTP.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la Société EXPRESS LBTP de sa demande tendant à voir condamner solidairement la Société ALPHA TP et la Société SMABTP à lui payer la somme de 34.089,20 euros à titre d'indemnité ;
AUX MOTIFS QUE la Société EXPRESS LBTP recherche la responsabilité de son cocontractant, la Société ALPHA TP, sur le fondement de l'article 10-3 des conditions générales de son contrat de location, qui énonce que "dans tous les cas le matériel sera remboursé au loueur par le locataire sans délai" et en déduit la recevabilité de son action, avançant qu'il importe peu que le bien ait été acquis en leasing ; qu'elle ajoute que conventionnellement la BNP PARIBAS GROUPE LEASE lui a donné tout pouvoir pour agir afin de préserver ses intérêts et qu'elle a acquis l'engin litigieux, selon facture du 23 juin 2014 ; que la Société ALPHA TP et son assureur retiennent le défaut de qualité à agir de la crédit preneuse, la BNP PARIBAS GROUPE LEASE, relevant l'absence d'intérêt de l'appelante à agir à son encontre, en l'absence de toute demande; qu'en application de l'article 31 du Code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ; que force est de constater que la Société EXPRESS LBTP fonde son action sur de conditions générales qu'elle affirme applicables à la relation contractuelle la liant à la Société ALPHA TP, cette qualité de cocontractant suffisant à établir son intérêt et sa qualité à agir ; qu'il convient au surplus de relever qu'elle est, depuis le 23 juin 2014, propriétaire du bien détruit, ce qui vient régulariser son action en application de l'article 126 du Code de procédure civile, la cause de la fin de non-recevoir soutenue par la Société ALPHA TP et son assureur ayant disparu avant que le juge ne statue ; qu'étant rappelé que la recevabilité de l'action s'apprécie au jour de l'introduction de la demande, la fin de non-recevoir soutenue par la BNP PARIBAS GROUPE LEASE ne peut pas prospérer ; qu'en effet, la Cour doit faire le constat que la présence à l'instance du crédit-bailleur du bien détruit s'imposait à la date de son introduction afin que la décision lui soit opposable, la vente survenue le 23 juin 2014 rendant sans objet, l'action engagée à son encontre ; que, par conséquent, la décision déférée sera infirmée en ce qu'elle déclare la Société EXPRESS LBTP irrecevable à agir ; qu'au fond, la Société EXPRESS LBTP oppose à la Société ALPHA TP ses conditions générales de location, disant que celle-ci les a tacitement acceptées dès lors qu'elle les connaissait avant de contracter puisque qu'elles figuraient au verso de chacun des contrats et factures qu'elle émettait et qui étaient en la possession de la locataire bien avant le sinistre ; qu'elle discute ensuite de leur application, relevant que la date de fin de location n'avait qu'un caractère prévisionnel et que la pelle était toujours en possession de la locataire au moment du sinistre ; que la Société ALPHA TP conteste avoir accepté les conditions générales de location et affirme qu'elle n'était plus gardienne de l'engin, loué du 2 au 20 janvier et dont le transport était au soin du bailleur, ainsi qu'il ressort d'ailleurs du contrat qui celui-ci lui a adressé le 8 février 2012 et de la facture ; que son assureur rappelle que de jurisprudence constante, que même en cas de relations commerciales suivies, la connaissance des conditions générales à l'occasion d'opérations antérieures ne suffit pas à les rendre opposables au cocontractant si le contrat n'y fait pas référence ; qu'en application des articles 1315 (ancien) du Code civil et 9 du Code de procédure civile, la Société EXPRESS LBTP supporte la charge de la preuve de l'obligation dont elle se prévaut et des faits nécessaires au succès de ses prétentions ; qu'il est constant et admis par les parties, ainsi que l'indique le contrat daté du 2 janvier 2012 signé de la seule bailleresse, que comme il est habituel en la matière dans les travaux publics, la commande s'est faite par téléphone ; que les conditions générales de location dont la Société EXPRESS LBTP revendique l'application contiennent outre les dispositions de l'article 10-3 qu'elle cite, un article 10 précisant que "le loueur déclare transférer la garde juridique et matérielle du matériel loué pendant la durée du contrat et sous réserve des clauses concernant le transport" et un article 12-4 qui énonce que "la garde juridique cesse dès lors que le loueur ou le transporteur prend possession du matériel" ; que la Société EXPRESS LBTP n'apporte aux débats aucun élément probant justifiant de l'envoi de l'instrumentum, avant le 8 février 2012, date de la télécopie qu'elle a adressée à la Société ALPHA TP et à laquelle était joint le contrat, ainsi qu'il ressort des pièces numéros 1 et 2 de cette dernière ; qu'en effet, si lors de son dépôt de plainte en date du 24 janvier 2012, le chef de chantier de la Société ALPHA TP a remis aux services de gendarmerie un contrat de location, rien ne permet d'affirmer qu'il s'agissait de celui afférent à l'engin loué par la Société EXPRESS LBTP plutôt que celui relatif au second engin incendié ; que les autres pièces produites par la Société EXPRESS LBTP se rapportent pour l'essentiel à des locations conclues postérieurement ou concomitamment à la location du 2 janvier 2012, la Cour devant, au surplus, faire le constat que les factures, toutes datées du 31 janvier 2012, sont imprimées sur le papier commercial de la Société EXPRESS LBTP comportant au verso ses conditions générales de location, le verso des contrats (dont aucun n'est signé par la locataire) et celui des bons de retour étant vierge ; que s'agissant des documents relatifs à des locations antérieures à celle du 2 janvier 2012 (les pièces 19 et 23 de l'appelante), seule une facture du 31 décembre 2011 contient les conditions générales de location de la Société EXPRESS LBTP et force est de constater qu'elle est insuffisante pour établir, eu égard à sa nature et à sa remise à l'issue d'une location, l'acceptation par la Société ALPHA TP des stipulations contractuelles qu'elles contiennent; qu'enfin, la prise en charge par la Société ALPHA TP, à la supposer établie, de dégradations d'un engin loué en novembre 2011, qui selon l'appelante viendrait conforter son allégation de la connaissance par la locataire de son obligation de répondre des pertes jusqu'à la reprise effective de l'engin, est indifférente, dès lors que rien ne permet d'affirmer que ces dommages seraient survenus dans l'intervalle entre la fin de la location et la reprise du matériel par la bailleresse ; qu'il s'ensuit que la Société EXPRESS LBTP ne démontre pas la remise du contrat daté du 2 janvier 2012, avant le sinistre et encore moins l'acceptation par la Société ALPHA TP de ses conditions générales de location dont il n'a jamais été démontré qu'elles avaient été acceptées par la locataire comme constituant l'accord-cadre qu'y voit l'appelante et qui viendrait régir les relations contractuelles des parties ; qu'il s'évince de ce qui précède, que la Société EXPRESS LBTP ne peut pas fonder son action sur des conditions générales dont elle ne prouve pas l'acceptation par sa cocontractante ; qu'il convient également de relever que la Société EXPRESS LBTP ne peut sérieusement discuter la date de fin de location, dès lors qu'elle a établi, le 31 janvier 2012, une facture pour une location du 2 au 20 janvier 2012 (soit la veille de la date prévisionnelle de remise de la pelle) pour un engin dont elle s'était engagée à effectuer les transports aller et retour ; que la Société EXPRESS LBTP sera donc déboutée de sa demande à l'encontre de la Société ALPHA TP ; que ces demandes ne peuvent pas plus prospérer à l'encontre de la SMA, assureur responsabilité de cette entreprise, tenue à indemnisation uniquement s'il est démontré que son assurée a engagé sa responsabilité contractuelle vis à vis de son loueur ;
1°) ALORS QUE le procès-verbal de police judiciaire du 24 janvier 2012 mentionne que « une des pelles n'est de notre responsabilité, car elle est louée avec un chauffeur » et que « la seconde que nous louons également est louée sans chauffeur et donc de notre responsabilité. Il s'agit d'une mini pelle chenilles 5 tonnes de couleur jaune, n° de série FAYRVIO45V8A203949/5. Elle est louée à la Société EXPRESS LBTP
je vous remets une copie du contrat de location » ; que ce procès-verbal indiquait ainsi clairement et précisément que le contrat de location remis était celui afférent à la location de l'engin de chantier sans chauffeur, faisant l'objet du litige ; qu'en affirmant néanmoins qu'il n'était pas établi que le contrat de location remis au soutien de la plainte était celui relatif à l'engin loué par la Société EXPRESS LBTP, faisant l'objet du litige, c'est-à-dire le véhicule loué sans chauffeur, la Cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du procès-verbal du 24 janvier 2012, en violation du principe de l'interdiction faire au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;
2°) ALORS QUE les clauses dérogatoires au droit commun contenues dans les conditions générales sont opposables au cocontractant, si elles ont été portées à sa connaissance et acceptées par lui, ce qui peut résulter de factures afférentes à de précédentes opérations entre les parties, comportant les conditions générales de l'entreprise ; qu'en décidant néanmoins que l'acceptation, par la Société ALPHA TP, des conditions générales de la Société EXPRESS LBTP ne pouvait résulter d'une facture remise par la Société EXPRESS LBTP à la Société ALPHA TP à l'issue d'une précédente location, la Cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3°) ALORS QUE le juge ne peut laisser le fondement juridique de sa décision incertain ; qu'en se bornant à affirmer que la Société EXPRESS LBTP ne pouvait opposer ses conditions générales de location à la Société ALPHA TP et devait en conséquence supporter les conséquences du sinistre intervenu alors que l'engin se trouvait en possession de la Société ALPHA TP, sans indiquer le fondement juridique de sa décision, la Cour d'appel a violé l'article 12 du Code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE, subsidiairement, le preneur répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant sa jouissance, à moins qu'il ne prouve qu'elles ont eu lieu sans sa faute ; qu'il répond notamment de l'incendie, à moins qu'il ne prouve que celui-ci est arrivé par cas de force majeure ou vice de construction, ou que le feu a été communiqué par une maison voisine ; que cette obligation ne cesse qu'à la date à laquelle le preneur a restitué le bien au bailleur ; qu'en décidant néanmoins que la Société EXPRES LBTP devait supporter les conséquences de l'incendie de l'engin de chantier loué à la Société ALPHA TP, sans avoir constaté que celle-ci avait restitué le matériel à la Société EXPRESS LBTP, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1732 et 1733 du Code civil.