LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en matière de contredit, que, la société Colgate lui ayant confié le transport régulier de marchandises entre son site de Compiègne et celui situé à Jiderup (Danemark), la société De Rijke Picardie a chargé la société danoise S... international transport (la société S...) de procéder au transport de palettes, qui devaient être prises le 7 mai 2013 sur le site de Compiègne pour être livrées le 10 mai à Jiderup ; qu'en raison d'un retard de livraison, la société Colgate a mis fin à ses relations contractuelles avec la société De Rijke Picardie, laquelle a assigné la société S... devant le tribunal de commerce de Compiègne en réparation du préjudice résultant de la perte de ce marché ; que la société S... a décliné la compétence de la juridiction française ;
Sur le moyen unique, pris en ses sixième et septième branches :
Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Et sur le moyen, pris en ses cinq premières branches :
Attendu que la société De Rijke Picardie fait grief à l'arrêt d'écarter la compétence du tribunal de commerce de Compiègne alors, selon le moyen :
1°/ que la convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, s'applique à tout contrat de transport de marchandises par route à titre onéreux au moyen de véhicules, lorsque le lieu de la prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison, tels qu'ils sont indiqués au contrat, sont situés dans deux pays différents, dont l'un au moins est un pays contractant ; qu'aux termes de l'article 31-1 b) de la convention CMR, pour tous litiges auxquels donnent lieu les transports soumis à la présente convention, le demandeur peut saisir, en dehors des juridictions des pays contractants désignées d'un commun accord par les parties, les juridictions du pays sur le territoire duquel le lieu de la prise en charge de la marchandise ou celui prévu pour la livraison est situé, et ne peut saisir que ces juridictions ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ayant expressément constaté que la société De Rijke Picardie avait chargé la société danoise S... de procéder au transport de trois chargements de palettes de Compiègne à Jiderup au Danemark, il en résultait que le transport litigieux concernait un transport international de marchandises au départ de la France à destination du Danemark, soumis à la convention CMR ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé par refus d'application les articles 1er et 31-1 de la convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR ;
2°/ que les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis ; que dans ses conclusions sur contredit n° 3, la société S... faisait valoir qu'elle était intervenue en qualité de commissionnaire de transport ; qu'en retenant, pour dire inapplicable la convention CMR dans les relations entre la société S... et la société De Rijke Picardie, que cette dernière était intervenue dans ses relations avec la première en tant que commissionnaire de transport agissant pour le compte de la société Colgate, cependant que la société S... n'avait pas invoqué la qualité de commissionnaire de transport de la société De Rijke Picardie, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°/ que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que la société De Rijke Picardie serait intervenue dans ses relations avec la société S... en tant que commissionnaire de transport agissant pour le compte de la société Colgate, sans provoquer à cet égard les observations préalables des parties, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 16 du code de procédure civile ;
4°/ qu'à supposer même que la société De Rijke Picardie ait la qualité de commissionnaire de transport, elle ne détenait cette qualité qu'à l'égard de la société Colgate, en vertu du contrat-cadre intervenu entre elles, et non à l'égard de la société S... avec laquelle elle avait conclu un contrat de transport indépendant qui entrait dans le champ d'application de la convention CMR ; qu'en retenant, pour juger que le contrat intervenu entre la société De Rijke Picardie et la société S... n'entrait pas dans le champ d'application de la convention CMR, que la société De Rijke Picardie était intervenue dans ses relations avec la société S... en tant que commissionnaire de transport agissant pour le compte de la société Colgate, cependant que la qualité de commissionnaire de transport de la société De Rijke Picardie ne pouvait être invoquée que dans le cadre du contrat qu'elle avait conclu avec la société Colgate, la cour d'appel a violé l'article 1er de la convention CMR, ensemble l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties telles qu'explicitées dans leurs conclusions ; qu'en l'espèce, la société S... n'a jamais prétendu qu'il se déduisait de l'emploi du terme « affrètement » l'existence d'un contrat de commissionnement ; qu'en affirmant que les engagements d'affrètement ne constituaient « pas des lettres de voiture qu'en application de l'article 6 de la convention CMR les parties à un contrat de transport sur route de marchandises doivent établir, (et que) le terme « affrètement » utilisé étant réservé en matière de transport routier de marchandises aux prestations effectuées dans le cadre d'un contrat de commissionnement » quand la société S... ne s'était pas référée à ce terme « affrétement » pour en déduire l'existence d'un contrat de commissionnement, que la société De Rijke Picardie contestait, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
Mais attendu que, par motifs adoptés, l'arrêt constate que le transport a été exécuté par une société tierce et retient que la société De Rijke Picardie ne se réfère à aucun article de la Convention de Genève du 19 mai 1956 relative au contrat de transport international de marchandises par route pour justifier les conditions indemnitaires dont elle se prévaut et que la demande à hauteur de 488 400 euros pour perte de marché a un caractère commercial ; qu'en l'état de ces constatations et énonciations, dont il ressort que cette demande ne relevait pas du champ d'application de la Convention, laquelle a pour objet de réglementer les conditions du contrat de transport international de marchandises par route et la responsabilité du transporteur, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le moyen relevé d'office, après avertissement délivré aux parties :
Vu l'article 96, alinéa 1er, devenu 81, alinéa 1er, du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt confirme le jugement en ce qu'il se déclare incompétent au profit du tribunal de première instance de Grasten au Danemark ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, lorsque le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et vu l'article 627 du code de procédure civile, après avertissement délivré aux parties ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il se déclare incompétent au profit du tribunal de première instance de Grasten (Danemark), l'arrêt rendu le 14 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT la juridiction française incompétente pour connaître du litige ;
Renvoie les parties à mieux se pourvoir ;
Condamne la société De Rijke Picardie aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société S... international transport la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq septembre deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société De Rijke Picardie.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR confirmé le jugement rendu par le tribunal de commerce de Compiègne du 26 avril 2016 en ce qu'il s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de première instance de Grasten au Danemark ;
Aux motifs propres que la société de Rijke Picardie pour justifier de ses relations contractuelles avec la société S... produit les « engagements d'affrètement » mentionnant que les marchandises seront chargées depuis l'établissement de Colgate à Compiègne et livrées à l'établissement de Colgate à Jyderup ; ces documents ne constituent pas des lettres de voiture qu'en application de l'article 6 de la convention CMR, les parties à un contrat de transport sur route de marchandises doivent établir, le terme « affrètement » utilisé étant réservé en matière de transport routier de marchandises aux prestations effectuées dans le cadre d'un contrat de commissionnement ; il résulte en effet du contrat cadre conclu avec la société Colgate que les transporteurs dont fait partie la Sarl de Rijke Picardie se chargent du transport de la marchandise « porte à porte » et disposent d'une faculté d'organiser librement les opérations de transport qui leur sont confiées qu'ils peuvent sous-traiter, critères du contrat de commissionnement ; il est donc conclu que la Sarl de Rijke Picardie est intervenue dans ses relations avec la société S... en tant que commissionnaire de transport agissant pour le compte de la société Colgate, contrat qui n'entre pas dans le champ d'application de la convention CMR sans qu'il n'y ait lieu de rechercher si la société de Rijke Picardie a reçu le courriel que la société S... prétend lui avoir adressé préalablement au chargement de la marchandise et de la recevabilité de ce moyen ; le fait que les parties aient entendu appliquer à certains aspects de leurs relations contractuelles les dispositions de la convention CMR en matière de préjudices ou de couvertures d'assurance n'a pas pour effet de soumettre l'ensemble de leurs relations contractuelles à cette convention ; l'action de la SARL de Rijke Picardie dirigée à l'encontre de la société S... qui tend à l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de 480.000 € pour la perte du marché de transport Colgate qu'elle impute à la société S... et à hauteur de 10.000 € pour atteinte à son image de marque devaient être introduite comme l'ont retenu les premiers juges en application de l'article 2 du règlement CE nº 44/2001 du 22 décembre 2000 devant la juridiction du domicile du défendeur, soit en l'occurrence devant le tribunal de première instance de Grasten au Danemark, n'étant pas contesté que la société défenderesse a son siège social dans le ressort de cette juridiction et que cette juridiction est matériellement compétente ; le contredit de compétence élevé par la SARL de Rijke Picardie sera en conséquence rejeté ;
Et aux motifs adoptés que la Sarl de Rijke Picardie ne vise aucun article de la convention CMR invoquée justifiant les conditions indemnitaires dont elle se prévaut ; que la marchandise a été livrée ; que la demande indemnitaire à hauteur de 488.400 € pour perte de marché a un caractère commercial, qu'elle ne saurait s'imposer aux conditions de la convention CMR à ce titre ; que le Danemark a été intégré dans le règlement CE n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; que dans ces circonstances, force est de constater que les conditions d'application du règlement CE n° 44/2001 sont réunies ; qu'il convient dès lors de dire la société S... International Transport bien fondée en son exception d'incompétence et de renvoyer la cause devant le tribunal de première instance de Grasten au Danemark ;
1°) ALORS QUE la convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR, s'applique à tout contrat de transport de marchandises par route à titre onéreux au moyen de véhicules, lorsque le lieu de la prise en charge de la marchandise et le lieu prévu pour la livraison, tels qu'ils sont indiqués au contrat, sont situés dans deux pays différents, dont l'un au moins est un pays contractant ; qu'aux termes de l'article 31-1 b) de la convention CMR, pour tous litiges auxquels donnent lieu les transports soumis à la présente convention, le demandeur peut saisir, en dehors des juridictions des pays contractants désignées d'un commun accord par les parties, les juridictions du pays sur le territoire duquel le lieu de la prise en charge de la marchandise ou celui prévu pour la livraison est situé, et ne peut saisir que ces juridictions ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ayant expressément constaté que la société de Rijke Picardie avait chargé la société danoise S... de procéder au transport de trois chargements de palettes de Compiègne à Jiderup au Danemark, il en résultait que le transport litigieux concernait un transport international de marchandises au départ de la France à destination du Danemark, soumis à la convention CMR ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé par refus d'application les articles 1er et 31-1 de la convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route, dite CMR ;
2°) ALORS QUE les juges du fond sont liés par les conclusions prises devant eux et ne peuvent modifier les termes du litige dont ils sont saisis ; que dans ses conclusions sur contredit n° 3, la société S... faisait valoir qu'elle était intervenue en qualité de commissionnaire de transport (p. 15 et 16) ; qu'en retenant, pour dire inapplicable la convention CMR dans les relations entre la société S... et la société de Rijke Picardie, que cette dernière était intervenue dans ses relations avec la première en tant que commissionnaire de transport agissant pour le compte de la société Colgate, cependant que la société S... n'avait pas invoqué la qualité de commissionnaire de transport de la société de Rijke Picardie, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
3°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de ce que la société de Rijke Picardie serait intervenue dans ses relations avec la société S... en tant que commissionnaire de transport agissant pour le compte de la société Colgate, sans provoquer à cet égard les observations préalables des parties, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 16 du code de procédure civile ;
4°) ALORS SUBSIDIAIREMENT Qu'à supposer même que la société de Rijke Picardie ait la qualité de commissionnaire de transport, elle ne détenait cette qualité qu'à l'égard de la société Colgate, en vertu du contrat-cadre intervenu entre elles, et non à l'égard de la société S... avec laquelle elle avait conclu un contrat de transport indépendant qui entrait dans le champ d'application de la convention CMR ; qu'en retenant, pour juger que le contrat intervenu entre la société de Rijke Picardie et la société S... n'entrait pas dans le champ d'application de la convention CMR, que la société de Rijke Picardie était intervenue dans ses relations avec la société S... en tant que commissionnaire de transport agissant pour le compte de la société Colgate, cependant que la qualité de commissionnaire de transport de la société de Rijke Picardie ne pouvait être invoquée que dans le cadre du contrat qu'elle avait conclu avec la société Colgate, la cour d'appel a violé l'article 1er de la convention CMR, ensemble l'article 1165 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
5°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties telles qu'explicitées dans leurs conclusions ; qu'en l'espèce, la société S... n'a jamais prétendu qu'il se déduisait de l'emploi du terme « affrètement » l'existence d'un contrat de commissionnement ; qu'en affirmant que les engagements d'affrètement ne constituaient « pas des lettres de voiture qu'en application de l'article 6 de la convention CMR les parties à un contrat de transport sur route de marchandises doivent établir, (et que) le terme « affrètement » utilisé étant réservé en matière de transport routier de marchandises aux prestations effectuées dans le cadre d'un contrat de commissionnement » quand la société S... ne s'était pas référée à ce terme « affrétement » pour en déduire l'existence d'un contrat de commissionnement, que la société de Rijke Picardie contestait, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
6°) ALORS QUE qu'il ressort des constatations de la cour d'appel que les parties avaient entendu appliquer les dispositions de la convention CMR à leurs relations dont l'article 31 fixe les règles de compétence territoriale régissant les litiges qui lui sont soumis ; qu'en retenant, pour refuser d'appliquer les dispositions de la convention CMR déterminant le tribunal territorialement compétent et faire application de l'article 2 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000, que le fait que les parties aient entendu appliquer à certains aspects de leurs relations contractuelles les dispositions de la convention CMR n'avait pas pour effet de soumettre l'ensemble de leurs relations contractuelles à cette convention cependant que les dispositions de la convention CMR devaient intégralement recevoir application dès lors que les parties s'y étaient soumises, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble les articles 1er et 31 de la convention CMR ;
7°) ALORS QUE le principe de cohérence interdit à une partie de soumettre au juge une prétention inconciliable avec la position adoptée antérieurement, à peine d'irrecevabilité de ses demandes ; que, pour justifier de la compétence des juridictions danoises, la société S... a soutenu devant les juges du fond que les dispositions de la convention CMR ne pouvaient s'appliquer aux relations contractuelles intervenues entre elle et la société de Rijke Picardie ; pourtant la société S... avait elle-même dès le mois de mai 2013 revendiqué l'application de la convention CMR aux transports litigieux pour prétendre justifier son refus de livraison sans paiement des frais de transport préalables ; qu'en retenant que le contrat intervenu entre la société de Rijke Picardie et la société S... n'entrait pas dans le champ d'application de la convention CMR quand la société S... ne pouvait, sans se contredire, contester l'application de la convention CMR dont elle s'était précédemment prévalue, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui.