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25/09/2019 | FRANCE | N°18-11009

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 25 septembre 2019, 18-11009


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2017), que M. E..., engagé le 4 décembre 2009 par l'association Entraide universitaire en qualité de moniteur éducateur, a été licencié pour faute grave le 19 novembre 2012 ;

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement justifié par une faute grave et de le débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l'in

timité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondan...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 novembre 2017), que M. E..., engagé le 4 décembre 2009 par l'association Entraide universitaire en qualité de moniteur éducateur, a été licencié pour faute grave le 19 novembre 2012 ;

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement justifié par une faute grave et de le débouter de ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarie grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas ou l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ; que si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut toutefois les produire dans une procédure judiciaire si leur contenu relève de la vie privée ; qu'en fondant sa décision sur une confirmation de réservation de vol, produite par l'employeur, aux motifs que ce document avait été retrouvé sur une imprimante de l'établissement, ce qui ne retirait pas son caractère privé à ce courriel envoyé sur la messagerie personnelle du salarié et s'opposait ainsi à sa production à l'appui d'une procédure judiciaire, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil ;

2°/ que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas ou l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ; que si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut toutefois les produire dans une procédure judiciaire si leur contenu relève de la vie privée ; qu'en fondant sa décision sur une confirmation de réservation de vol, produite par l'employeur, aux motifs que cette confirmation avait été reçue sur la messagerie professionnelle du salarié, sans vérifier si ce courriel concernait la vie privée de ce dernier, de sorte qu'il était couvert par le secret des correspondances et ne pouvait être produit à l'appui d'une procédure judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil ;

3°/ qu'il ressort de la confirmation de réservation de vol que le billet d'avion réservé par M. E... n'était pas nominatif, de sorte que le seul fait qu'il ait effectué cette réservation ne pouvait constituer la preuve qu'il ait lui-même effectué ce voyage ; qu'en se fondant cependant sur cette confirmation pour constater que le premier grief du licenciement fondé sur un abandon de poste était matériellement établi et juger que le licenciement de M. E... était fondé sur une faute grave, la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1234-1, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail ;

4°/ que le fait pour un salarié de s'en tenir aux prescriptions du médecin qu'il a consulté n'a pas un caractère fautif, en l'absence de preuve qu'il s'agit d'un certificat de complaisance de ce praticien ; que pour juger que le licenciement de M. E... était fondé sur une faute grave, la cour d'appel a constaté que le premier grief du licenciement fondé sur un abandon de poste était matériellement établi, alors que M. E... justifiait son absence par la production de certificats médicaux ; qu'en se déterminant ainsi, sans constater que le salarié avait produit des certificats médicaux de complaisance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1234-1, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail ;

Mais attendu qu'ayant retenu que l'employeur avait trouvé, sur une imprimante de l'établissement, la confirmation d'une réservation du salarié pour un voyage à l'étranger qui avait été adressée à celui-ci non sur une adresse électronique privée mais sur l'adresse électronique de l'établissement, la cour d'appel, ayant fait ressortir que ce document ne relevait pas de la vie privée du salarié dès lors que le voyage devait s'effectuer durant son temps de travail, a pu décider par ces seuls motifs, sans méconnaître les dispositions de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que ces faits, compte tenu des responsabilités exercées par l'intéressé auprès de mineurs en difficulté dans un établissement à caractère éducatif, rendaient impossible la poursuite du contrat de travail et constituaient une faute grave ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. E... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, prononcé et signé par M. Maron, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du président empêché, en l'audience publique du vingt-cinq septembre deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. E...

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIRdit que le licenciement notifié par l'association Entraide universitaire le 19 novembre 2012 était justifié par une faute grave et d'AVOIRen conséquence débouté M. E... de l'ensemble de ses demandes.

AUX MOTIFS QUE :

« Sur le bien fondé du licenciement :

L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige. Les motifs avancés doivent être précis et matériellement vérifiables, des motifs imprécis équivalant à une absence de motif.

Pour sa part, la faute grave dont la preuve incombe à l'employeur, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise y compris pendant la durée du préavis. S'agissant d'une faute disciplinaire, les faits reprochés au salarié doivent nécessairement être soit reconnus par le salarié soit établis par employeur. S'il subsiste un doute concernant l'un des griefs invoqués par l'employeur ayant licencié un salarié pour faute grave, il profite au salarié.

En l'espèce, M. E... conteste les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement. Il soutient en substance

- que son arrêt maladie était justifié par un certificat médical, que l'email de réservation envoyé le 20 septembre 2012 sur une adresse personnelle relève du secret des correspondances et n'est pas un moyen de preuve licite, qu'il n'est pas certain que cet email adressé à "W..." sans autre précision lui était effectivement adressé et qu'enfin l'association Entraide Universitaire n'établit pas qu'il était parti à l'étranger ;

- qu'il bénéficiait d'un arrêt maladie avec sorties autorisées, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de s'être absenté de son domicile lors de la contre-visite et qu'il justifie qu'il était en train de passer une radiographie à ce moment-là ;

- qu'il n'a pas été mis en demeure de justifier l'absence du 10 octobre 2012 et qu'il établit en toute hypothèse avoir été pris en charge par l'organisme de sécurité sociale pour cette journée, qu'une contre-expertise du 25 février 2013 établit que son arrêt de travail était justifié contrairement à la décision que lui avait notifiée la CPAM le 5 novembre 2012.

Il fait par ailleurs valoir qu'en l'absence de faute grave, l'article 33 de la convention collective interdisait le recours au licenciement dès lors qu'il n'avait pas préalablement fait l'objet d'au moins deux sanctions disciplinaires.

Quant à elle, l'association Entraide Universitaire soutient au contraire que le licenciement est fondé sur une faute grave et demande à la cour, dans le cadre d'un appel incident, de débouter intégralement le salarié de ses prétentions.

S'agissant du premier grief formulé dans la lettre de licenciement, la cour constate que l'employeur produit une confirmation de réservation d'un vol aller Orly-Alicante pour le mercredi 3 octobre 2012 à 19h20 avec retour Alicante-Orly le dimanche 7 octobre à 16h30 adressée à "W...". Cet élément de preuve ne pourrait pas être reçu s'il était démontré qu'il a été obtenu de manière illicite, notamment par le biais d'une intrusion dans la messagerie personnelle du salarié. Mais tel n'est pas le cas de M. E... qui ne fait pas état d'une intrusion dans sa messagerie personnelle ou son ordinateur et qui ne conteste pas le fait - allégué par l'employeur - que le document litigieux avait été retrouvé sur une imprimante de l'établissement. Il ressort de surcroît de l'examen de la pièce produite par l'association Entraide Universitaire que la confirmation litigieuse est adressée à "[...]" qui n'a rien d'une adresse électronique privée.

L'association Entraide Universitaire produit également le registre du personnel qui démontre que M. E... était à l'époque le seul salarié prénommé "W..." au sein de l'établissement, de sorte qu'il n'existe aucun doute quant à la personne concernée par la réservation en cause.

L'employeur justifie enfin avoir reçu le 9 novembre 2012 un courrier de la caisse primaire d'assurance maladie l'informant de la notification à M. E... d'un refus de prise en charge, suite à l'avis du médecin conseil, considérant que l'arrêt de travail du 3 au 31 octobre 2012 n'était pas médicalement justifié. La cour constate que le document daté du 25 février 2012 produit par le salarié - portant la mention "confidentiel" et intitulé "conclusions motivées d'expertise" - est insuffisant pour remettre en cause la décision notifiée par la caisse primaire d'assurance maladie et - encore moins - la situation de fait connue de l'employeur au moment où il a procédé au licenciement. Du reste, les conclusions du médecin expert ne concernent que les dates du 12 et 22 novembre 2012 et non la période du 3 au 31 octobre 2012 concernée par le voyage en Espagne.

En définitive, la cour constate que le premier grief fondé sur un abandon de poste dans un contexte empreint de déloyauté est matériellement établi.

Or à eux seuls, ces faits caractérisent une faute grave rendant impossible le maintien du contrat de travail, y compris pendant la durée du préavis, compte tenu à la fois des responsabilités exercées par M. E... auprès de mineurs en difficulté, de l'éthique de l'établissement à caractère associatif et éducatif dans lequel il était employé et de la nécessité d'offrir au public pris en charge une organisation et un cadre particulièrement sécurisant.

En conséquence, l'association Entraide Universitaire pouvait procéder au licenciement immédiat nonobstant les dispositions de la convention collective interdisant à l'employeur d'avoir recours à une telle mesure si le salarié n'a pas au préalable fait l'objet de deux sanctions disciplinaires - ce qui n'aurait pas été le cas en l'absence de faute grave.

C'est donc à tort que les premiers juges ont décidé que le licenciement n'était pas fondé sur une faute grave et qu'il était cependant justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le jugement rendu sera infirmé et le salarié débouté de l'ensemble de ses demandes au titre de son licenciement ».

1°) ALORS QUE le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ; que si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut toutefois les produire dans une procédure judiciaire si leur contenu relève de la vie privée ; qu'en fondant sa décision sur une confirmation de réservation de vol, produite par l'employeur, aux motifs que ce document avait été retrouvé sur une imprimante de l'établissement, ce qui ne retirait pas son caractère privé à ce courriel envoyé sur la messagerie personnelle du salarié et s'opposait ainsi à sa production à l'appui d'une procédure judiciaire, la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil ;

2°) ALORS QUE le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis ou reçus par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ; que si l'employeur peut toujours consulter les fichiers qui n'ont pas été identifiés comme personnels par le salarié, il ne peut toutefois les produire dans une procédure judiciaire si leur contenu relève de la vie privée ; qu'en fondant sa décision sur une confirmation de réservation de vol, produite par l'employeur, aux motifs que cette confirmation avait été reçue sur la messagerie professionnelle du salarié, sans vérifier si ce courriel concernait la vie privée de ce dernier, de sorte qu'il était couvert par le secret des correspondances et ne pouvait être produit à l'appui d'une procédure judiciaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 9 du code civil ;

3°) ALORS QU'au surplus, il ressort de la confirmation de réservation de vol que le billet d'avion réservé par M. E... n'était pas nominatif, de sorte que le seul fait qu'il ait effectué cette réservation ne pouvait constituer la preuve qu'il ait lui-même effectué ce voyage ; qu'en se fondant cependant sur cette confirmation pour constater que le premier grief du licenciement fondé sur un abandon de poste était matériellement établi et juger que le licenciement de M. E... était fondé sur une faute grave, la cour d'appel s'est fondée sur un motif inopérant, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1234-1, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail ;

4°) ALORS QUE le fait pour un salarié de s'en tenir aux prescriptions du médecin qu'il a consulté n'a pas un caractère fautif, en l'absence preuve qu'il s'agit d'un certificat de complaisance de ce praticien ; que pour juger que le licenciement de M. E... était fondé sur une faute grave, la cour d'appel a constaté que le premier grief du licenciement fondé sur un abandon de poste était matériellement établi, alors que M. E... justifiait son absence par la production de certificats médicaux ; qu'en se déterminant ainsi, sans constater que le salarié avait produit des certificats médicaux de complaisance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1222-1, L. 1234-1, L. 1234-9, L. 1235-1 et L. 1235-3 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-11009
Date de la décision : 25/09/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 21 novembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 25 sep. 2019, pourvoi n°18-11009


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Gatineau et Fattaccini

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.11009
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