LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de la société Carlson wagons lits France (CWT France) a, à l'issue d'une réunion qui s'est tenue le 27 septembre 2017 relative à la situation de certains salariés travaillant sur les sites de Lille et de Clermont Ferrand « informé la direction du recours à l'expertise » et a « voté unanimement le recours à l'expertise sur les RPS sur l'ensemble de CWT France » ; que, lors d'une seconde réunion qui s'est tenue le 27 octobre 2017, cette instance a élaboré la mission et a procédé à la désignation de l'expert ; que le 8 novembre 2017, l'employeur a fait assigner le CHSCT pris en la personne de chacun de ses membres élus devant le président du tribunal de grande instance aux fins d'annulation de cette dernière délibération ;
Sur le second moyen du pourvoi de l'employeur :
Attendu que la société fait grief à l'ordonnance de la condamner à verser une certaine somme à chacun des membres du CHSCT, alors selon le moyen :
1°/ que même s'il est doté de la personnalité morale, le CHSCT n'a pas de représentant légalement désigné pour le représenter en justice ; qu'il n'est pas constaté ni même prétendu par quiconque qu'un mandat ait été donné à l'issue d'une délibération collective du CHSCT de la société CWT France aux fins d'assurer sa représentation en justice ; qu'en énonçant néanmoins qu'il appartenait à l'employeur de rechercher la personne légalement désignée pour représenter en justice le CHSCT de la société CWT, le président du tribunal de grande instance n'a pas caractérisé la faute commise par l'employeur ; que, dès lors, en condamnant l'employeur à indemniser chacun des membres du CHSCT, il a violé les dispositions de l'article 1240 (ancien article 1382) du code civil ;
2°/ qu'il résultait explicitement des termes de l'assignation que celle-ci visait le CHSCT pris en la personne de son secrétaire et de l'ensemble de ses membres ; qu'en énonçant que l'assignation individuelle et personnelle de l'ensemble des membres du CHSCT a causé à chacun d'eux un préjudice qu'il convient d'indemniser sans caractériser le préjudice particulier ainsi subi par des personnes dont la responsabilité individuelle n'était pourtant pas mise en cause, le président du tribunal de grande instance en la forme des référés n'a pas caractérisé le préjudice indemnisé ; qu'il a dès lors violé les dispositions de l'article 1240 (ancien article 1382) du code civil ;
Mais attendu que le président du tribunal de grande instance, en retenant que les membres du CHSCT pris individuellement n'ont pas pour fonction de représenter en justice le comité et que la société les avait assignés à titre individuel et personnel alors qu'il lui appartenait de rechercher la personne légalement désignée pour représenter en justice ledit comité, a caractérisé une faute faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice et fait une exacte application des textes invoqués ; que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi de l'employeur :
Vu l'article L. 4614-13 du code du travail alors applicable ;
Attendu que pour dire irrecevable l'action de l'employeur aux fins de nullité de la délibération du 27 septembre 2017 votant le recours à une expertise en raison d'un risque grave, l'ordonnance retient que le recours à une telle expertise avait été voté le 27 septembre 2017, et que la délibération intervenue le 27 octobre 2017 avait pour objet de désigner et mandater un expert afin de réaliser cette mission de détermination des risques psycho sociaux sur le périmètre de la société CWT France conformément à l'ordre du jour précisant que le recours à une expertise « risque grave » avait été voté en séance le 27 septembre 2017 ; qu'en application de l'article L. 4614-13 du code du travail qui prévoit un délai de quinze jours pour agir contre une délibération d'un CHSCT, il convient de constater que la société a délivré son assignation aux membres du CHSCT le 8 novembre 2017, soit quarante deux jours après le vote de l'expertise ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'employeur contestait à titre subsidiaire l'étendue de l'expertise telle que précisée par la délibération du 27 octobre 2017, le président du tribunal de grande instance a violé le texte susvisé ;
Et attendu que la cassation sur le premier moyen du pourvoi principal de l'employeur rend sans objet le pourvoi incident du CHSCT ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle condamne la société CWT France à verser la somme de 250 euros à chacun des membres du CHSCT, l'ordonnance rendue le 14 mars 2018, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Nanterre statuant en la forme des référés ; remet, en conséquence, sur les points restants, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal de grande instance de Versailles ;
Condamne la société Cwt France aux dépens ;
Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société Cwt France aux dépens à payer à la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, la somme de 3 600 euros TTC ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Cwt France ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze septembre deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société CWT France et Mme C..., ès qualités.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR déclaré irrecevable l'action formée par la SASU CWT France à l'encontre de la délibération du CHSCT votant le recours à une expertise risque grave « le 27 septembre 2017 », et d'AVOIR débouté la SASU CWT FRANCE de toutes ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE « Sur la recevabilité de la contestation de la délibération du CHSCT : qu'en application de l'article L.4614-13 alinéa 2 du code du travail issu de la loi du 8 août 2016 (
)l'employeur qui entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût prévisionnel de l'expertise tel qu'il ressort, le cas échéant, du devis, l'étendue ou le délai de l'expertise saisit le juge judiciaire dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1 ; que le juge statue, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine ; que cette saisine suspend l'exécution de la décision du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou de l'instance de coordination mentionnée à l'article L. 4616-1, ainsi que les délais dans lesquels ils sont consultés en application de l'article L.4612-8, jusqu'à la notification du jugement ; que lorsque le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou l'instance de coordination mentionnée au même article L. 4616-1 ainsi que le comité d'entreprise sont consultés sur un même projet, cette saisine suspend également, jusqu'à la notification du jugement, les délais dans lesquels le comité d'entreprise est consulté en application de l'article L.2323-3 ; que la société CWT France conteste la délibération du CHSCT en date du 27 octobre 2017 en ce qu'elle dit avoir pour objet de recourir à un expert pour réaliser une expertise risque grave ; qu'il ressort toutefois des pièces versées aux débats que le recours à une mesure d'expertise avait été voté lors d'une réunion extraordinaire du CHSCT en date du 27 septembre 2017 et que la délibération intervenue le 27 octobre 2017 avait pour objet de désigner et mandater un expert afin de réaliser cette mission de détermination des risques psycho-sociaux sur le périmètre de la société CWT France, conformément à son ordre du jour précisant que le recours à une expertise "risque grave" avait été voté en séance le 27 septembre 2017 ; qu'en application du- dit article L4614-13 du code du travail, qui prévoit un délai de 15 jours pour former une action à l'encontre d'une délibération d'un CHSCT, il convient de constater qu'en l'espèce, la société CWT France a délivré son assignation aux membres du CHSCT le 8 novembre 2017, soit 42 jours après le vote de l'expertise du 27 septembre 2017 ; que faute d'avoir assigné dans le délai de 15 jours à compter du 27 septembre 2017 le CHSCT pour contester la délibération votant le recours à une mesure d'expertise, il convient de constater, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres moyens soulevés par les parties, que la contestation et les demandes de la société CWT France sont irrecevables ; que conformément à l'article 700 du code de procédure civile, la société CWT FRANCE sera condamnée à payer au CHSCT la somme de 3.500 euros au titre de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens » ;
1. ALORS QUE l'employeur contestait la validité de la décision adoptée par le CHSCT lors de sa réunion extraordinaire du 27 octobre 2017 qui seule indiquait les motifs et déterminait l'objet ainsi que les modalités du recours à un expert pour « risque grave », dont le principe avait été tout au plus envisagé lors de la réunion extraordinaire du 27 septembre 2017 ; qu'en retenant la date de la délibération du 27 septembre comme point de départ du délai pour agir de l'employeur bien qu'à cette date la décision ait été incertaine - ni les motifs, ni l'objet, ni le domaine du recours à l'expertise n'ayant été suffisamment précisés pour être utilement contestés, l'employeur n'en ayant pris connaissance que le 27 octobre suivant -, le président du tribunal de grande instance a méconnu les exigences des articles L.4614-13 et L4614-13-1 du code du travail tels qu'ils étaient applicables en la cause, interprétés à la lumière de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2. ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE dans l'assignation et les conclusions de la société, celle-ci contestait non seulement le principe même du recours par le CHSCT à une mesure d'expertise, mais aussi les modalités de cette expertise, notamment son étendue ; que dès lors, le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés ne pouvait juger la contestation irrecevable comme tardive sans rechercher, comme le commandaient l'assignation et les conclusions de la société, à quelle date l'employeur avait eu une connaissance suffisamment précise des éléments contestés pour être en mesure d'agir ; qu'en statuant comme il l'a fait, le juge des référés en la forme a privé son ordonnance de base légale au regard des articles L. 4614-13 et L.4614-13-1 du code du travail tels qu'ils étaient applicables en la cause, interprétés à la lumière de l'article 6 §1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3. ALORS, DE SURCROIT, QUE le président du tribunal de grande instance ne pouvait s'abstenir de se prononcer sur la demande subsidiaire présentée par la société, relative à l'étendue de l'expertise telle qu'elle a été définie par la seule délibération du 27 octobre 2017, afin que cette expertise soit au moins limitée au périmètre du site de Villeneuve d'Asq et à l'analyse d'un risque identifié, au lieu de tendre à la réalisation d'un audit de l'ensemble de l'entreprise et d'une recherche de tous les facteurs de risques de quelque nature qu'ils soient ; qu'en refusant d'examiner cette demande subsidiaire, la juridiction de référé en la forme a violé les articles 5 et 455 du code de procédure civile et 4 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR condamné la société CWT France à verser la somme de 250 euros à chacun des membres du CHSCT ;
AUX MOTIFS QUE « le CHSCT constitue une institution représentative du personnel dont un membre peut être désigné par une délibération pour représenter en justice le comité ; que les membres du CHSCT pris individuellement n'ont donc pas pour fonction de représenter en justice le comité ; que la société CWT France n'était donc pas recevable à assigner devant le juge des référés les membres du CHSCT à titre personnel ; que les membres du CHSCT assignés par la société CWT France sont donc bien fondés à demander leur mise hors de cause ; que par ailleurs, en assignant à titre individuel et personnel les membres du CHSCT alors qu'il lui appartenait de rechercher la personne légalement désignée pour le représenter en justice la société CWT France leur a causé un préjudice qu'il convient d'indemniser à hauteur de 250 euros chacune, conformément à l'article 1240 du code civil » ;
1. ALORS QUE même s'il est doté de la personnalité morale, le CHSCT n'a pas de représentant légalement désigné pour le représenter en justice ; qu'il n'est pas constaté ni même prétendu par quiconque qu'un mandat ait été donné à l'issue d'une délibération collective du CHSCT de la société CWT France aux fins d'assurer sa représentation en justice ; qu'en énonçant néanmoins qu'il appartenait à l'employeur de rechercher la personne légalement désignée pour représenter en justice le CHSCT de la société CWT, le président du tribunal de grande instance n'a pas caractérisé la faute commise par l'employeur ; que, dès lors, en condamnant l'employeur à indemniser chacun des membres du CHSCT, il a violé les dispositions de l'article 1240 (ancien article 1382) du code civil ;
2. ALORS DE SURCROIT QU'il résultait explicitement des termes de l'assignation que celle-ci visait le CHSCT pris en la personne de son secrétaire et de l'ensemble de ses membres ; qu'en énonçant que l'assignation individuelle et personnelle de l'ensemble des membres du CHSCT a causé à chacun d'eux un préjudice qu'il convient d'indemniser sans caractériser le préjudice particulier ainsi subi par des personnes dont la responsabilité individuelle n'était pourtant pas mise en cause, le président du tribunal de grande instance en la forme des référés n'a pas caractérisé le préjudice indemnisé ; qu'il a dès lors violé les dispositions de l'article 1240 (ancien article 1382) du code civil. Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour le CHSCT de l'établissement CWT de l'UES Carlson Wagonlit Travel France.
IL EST FAIT GRIEF à l'ordonnance attaquée d'avoir condamné la société CWT France à verser au CHSCT exposant la seule somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE conformément à l'article 700 du code de procédure civile, la société CWT France sera condamnée à payer au CHSCT la somme de 3 500 € au titre de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens ;
ALORS QUE le CHSCT, qui a la personnalité morale mais ne dispose d'aucune ressource propre, a le droit d'ester en justice ; que dès lors que son action n'est pas étrangère à sa mission, et en l'absence d'abus, les frais de procédure et les honoraires d'avocat exposés doivent être pris en charge par l'employeur, tels qu'ils ont été facturés au CHSCT, sauf contestation de l'employeur ; qu'en appliquant les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance, qui s'est manifestement mépris sur les règles applicables à la prise en charge des honoraires d'avocat du CHSCT, a violé l'article L. 4614-13 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige ;