LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 janvier 2018), que Mme L..., engagée à compter du 1er août 1997 par la société Garage de l'avenue (la société) en qualité de standardiste par contrat à durée indéterminée, occupait en dernier lieu les fonctions d'assistante de direction ; que, licenciée le 19 juin 2012 pour faute grave, et se plaignant d'avoir subi un harcèlement moral, elle a saisi le 8 février 2013 la juridiction prud'homale en réclamant le paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ainsi qu'au titre de la rupture du contrat de travail, outre le paiement d'une prime de bilan ; que la cour d'appel a condamné l'employeur au paiement de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de déclarer nul le licenciement et de la condamner à payer à la salariée diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, au titre des congés payés afférents, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, à titre d'indemnité pour licenciement nul, alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes de la lettre de notification du licenciement du 19 juin 2012, il était reproché à Mme L... son comportement déloyal résultant, d'une part dans le fait d'avoir « adopté progressivement une attitude de moins en moins collaborative (...) Plusieurs salariés se sont plaints au cours des derniers mois de rumeurs calomnieuses que vous avez lancées dans l'entreprise afin de créer des dissensions au sein de l'équipe ou de générer une animosité à mon égard » et d'autre part, d'avoir tenté d'obtenir le paiement d'une prime de bilan en se fondant sur un document sur lequel elle avait apposé seule, de son propre chef, le tampon de la société afin de pouvoir s'en prévaloir à des fins personnelles ; qu'en affirmant pour conclure à la nullité du licenciement, qu'en reprochant à la salariée son attitude moins collaborative et d'avoir répandu des rumeurs calomnieuses, le licenciement aurait donc été au moins en partie motivé par les faits de harcèlement moral qu'elle aurait subis, quand la lettre ne formulait aucun lien entre les griefs qui lui étaient reprochés et ses accusations de harcèlement moral, la cour d'appel a dénaturé les termes de la lettre de rupture et violé en conséquence l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause ;
2°/ que les juges ne peuvent se contenter de relever l'existence d'un harcèlement moral ou d'accusations de harcèlement moral pour conclure que le licenciement ensuite prononcé serait nul ; qu'ils doivent caractériser le lien de causalité entre les agissements subis et la rupture du contrat de travail du salarié ; qu'en concluant à la nullité de la rupture du contrat de travail, sans constater que Mme L... aurait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement moral, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1 et L.1152-3 du code du travail ;
3°/ que la lettre de notification du licenciement détaillait amplement le motif qui avait conduit à la rupture du contrat de travail, soit l'attitude déloyale de la salariée qui avait tenté d'obtenir une prime à laquelle elle ne pouvait prétendre, en se fondant sur un document manifestement établi pour les besoins de la cause ; qu'en s'arrêtant, pour conclure à l'absence de justification de la rupture au constat effectué dans cette lettre d'un changement d'attitude de la salariée après le départ de son conjoint et des plaintes de ses collègues quant aux rumeurs qu'elle faisait courir, sans vérifier si le grief invoqué par la société était ou non établi, la cour d'appel a privé sa décision au regard de l'article L.1232-6 du code du travail ;
Mais attendu qu'il résulte des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail que le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral est nul ;
Et attendu, qu'ayant constaté que le harcèlement moral, résultant notamment du retrait de certaines de ses attributions, d'injures et humiliations de la part du nouveau gérant ou de salariés sans réaction de ce dernier, était caractérisé à l'égard de la salariée, et retenu, sans dénaturation de la lettre de licenciement, que « l'attitude de moins en moins collaborative » ainsi que le fait de créer des dissensions au sein de l'équipe et de dénigrer le gérant, griefs reprochés à la salariée, étaient une réaction au harcèlement moral dont la salariée avait été victime, la cour d'appel, qui n'avait pas à examiner les autres faits énoncés dans la lettre de licenciement, en a exactement déduit la nullité du licenciement ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement de la prime de bilan, alors, selon le moyen, que lorsqu'elle est payée en exécution d'un engagement de l'employeur, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement ; qu'en l'espèce, Mme L... versait aux débats une proposition de rupture conventionnelle formulée par son employeur au mois de mars 2012 mentionnant le versement de la somme de 7 500 euros au titre de la prime de bilan ainsi que son bulletin de paie pour le mois de mars 2011 établissant que l'employeur lui avait payé la même somme de 7 500 euros au titre de la prime de bilan ; qu'en retenant, au seul vu d'autres documents, que Mme L... ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un usage présentant les caractéristiques de constance, de généralité et de fixité, sans rechercher s'il ne résultait pas de la proposition de rupture conventionnelle et du bulletin de paie de mars 2011 l'engagement, par l'employeur, de payer à Mme L... une prime de bilan d'un montant de 7 500 euros pour l'année 2012, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des pièces de la procédure que la salariée, qui réclamait le paiement d'une prime contractuelle, avait soutenu devant la cour d'appel que la prime de bilan résultait d'un engagement unilatéral de l'employeur ; que le moyen est donc nouveau, mélangé de fait et de droit, et partant irrecevable ;
Sur le second moyen du pourvoi incident :
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour remise tardive de l'attestation Pôle emploi, alors, selon le moyen, que la remise tardive à un salarié des documents lui permettant de faire valoir ses droits à l'assurance-chômage entraîne nécessairement pour lui un préjudice qui doit être réparé par les juges du fond ; qu'en l'espèce, Mme L... soutenait que bien qu'ayant été licenciée le 19 juin 2012, elle n'avait, malgré plusieurs relances, pu obtenir ses documents destinés à pôle emploi que le 18 décembre 2012 ; qu'en retenant, pour débouter Mme L... de ses demandes, qu'elle avait finalement été normalement indemnisée pour la période postérieure au 10 septembre 2012, date de la fin de son arrêt maladie, la cour d'appel a méconnu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article R. 1234-9 du code du travail ;
Mais attendu que l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ; que la cour d'appel a estimé que la salariée ne justifiait d'aucun préjudice résultant de la remise tardive par l'employeur de l'attestation Pôle emploi ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Laisse à chacune des parties la charge de ses dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix juillet deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour la société Garage de l'avenue
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré nul le licenciement de Mme L... et d'avoir condamné en conséquence la société Garage de l'Avenue à lui verser les sommes de 8372,19 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de 837,21 € au titre des congés payés afférents, de 10 776,92 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, de 30 000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul et de 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE «sur le licenciement, il résulte des dispositions des articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail qu'est nul le licenciement prononcé au motif que le salarié a subi ou a refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ;
Qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reproche notamment à Mme L... une "attitude de moins en moins collaborative" et d'avoir répandu des rumeurs calomnieuses afin de créer des dissensions au sein de l'équipe ou de générer une animosité à l'égard du gérant ;
Que ce licenciement est donc au moins en partie motivé par les faits de harcèlement moral subis par Mme L... et doit donc être déclaré nul, avec les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ».
1/ ALORS QU'aux termes de la lettre de notification du licenciement du 19 juin 2012, il était reproché à Mme L... son comportement déloyal résultant, d'une part, dans le fait d'avoir « adopté progressivement une attitude de moins en moins collaborative (
) Plusieurs salariés se sont plaints au cours des derniers mois de rumeurs calomnieuses que vous avez lancées dans l'entreprise afin de créer des dissensions au sein de l'équipe ou de générer une animosité à mon égard» et d'autre part, d'avoir tenté d'obtenir le paiement d'une prime de bilan en se fondant sur un document sur lequel elle avait apposé seule, de son propre chef, le tampon de la société afin de pouvoir s'en prévaloir à des fins personnelles ; qu'en affirmant pour conclure à la nullité du licenciement, qu'en reprochant à la salariée son attitude moins collaborative et d'avoir répandu des rumeurs calomnieuses, le licenciement aurait donc été au moins en partie motivé par les faits de harcèlement qu'elle aurait subis, quand ladite lettre ne formulait aucun lien entre les griefs qui lui étaient reprochés et ses accusations de harcèlement moral, la cour d'appel a dénaturé les termes de la lettre de rupture et violé en conséquence l'interdiction faite aux juges de dénaturer les documents de la cause ;
2/ ALORS QUE les juges ne peuvent se contenter de relever l'existence d'un harcèlement moral ou d'accusations de harcèlement moral pour conclure que le licenciement ensuite prononcé serait nul ; qu'ils doivent caractériser le lien de causalité entre les agissements subis et la rupture du contrat de travail du salarié ; qu'en concluant à la nullité de la rupture du contrat de travail, sans constater que Mme L... aurait été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir un harcèlement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1 et L.1152-3 du code du travail ;
3/ ALORS QUE la lettre de notification du licenciement détaillait amplement le motif qui avait conduit à la rupture du contrat, soit l'attitude déloyale de la salariée qui avait tenté d'obtenir une prime à laquelle elle ne pouvait prétendre, en se fondant sur un document manifestement établi pour les besoins de la cause ; qu'en s'arrêtant, pour conclure à l'absence de justification de la rupture, au constat effectué dans cette lettre d'un changement d'attitude de la salariée après le départ de son conjoint et des plaintes de ses collègues quant aux rumeurs qu'elle faisait courir, sans vérifier si le griefs invoqué par la société Garage de l'Avenue était ou non établi, la cour d'appel a dès lors privé sa décision de base légale au regard de l'article L.1232-6 du code du travail.
Moyens produits au pourvoi incident par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour Mme L...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme L... de sa demande en paiement de la prime de bilan ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE sur la demande de prime de bilan de 2012, conformément aux dispositions des articles 1353 du code civil et 9 du code de procédure civile, il appartient à Mme L..., qui prétend au versement de cette prime, d'en rapporter la preuve ; qu'à cet égard, elle produit un avenant daté du 15 septembre 2008, ainsi rédigé : « Je soussigné M. B... C..., gérant de l'Eurl Garage de l'Avenue [
], certifie qu'à compter de 2009 à chaque fin de bilan au 31 mars, il sera attribué une prime de bilan de 10 000 euros pour les compétences, les efforts et l'investissement fournis par Mlle L... H... envers notre société et cela en complément de ses pleins pouvoirs, son droit de signature, son nouveau bureau de fonction sur chaque site et ses responsabilités de responsable du personnel. Elle lui sera versée à sa convenance soit en totalité, soit en plusieurs fois à la demande » ; que ce document, censé émaner M. B..., ancien gérant de l'entreprise et compagnon de Mme L..., est rédigé en des termes contraires aux usages ; que par ailleurs, la société Garage de l'Avenue déclare, sans être contredite sur ce point, qu'il n'existe aucune trace de ce document dans son réseau informatique ; qu'elle établit également que le papier à en-tête utilisé pour ce document, mentionne un code APE que l'entreprise n'a utilisé qu'à compter du 3 novembre 2008 ; qu'enfin, l'existence de l'avenant ou de la prime en question n'apparaît, ni dans la promesse de cession de parts sociales du 28 janvier 2010 signée entre l'ancien et le nouveau gérant, ni dans l'audit social réalisé le 24 février 2010 par un cabinet d'expertise comptable, ni dans le contrat de garantie du 31 mars 2010, alors que ces documents font apparaître les rémunérations complètes de tous les salariés ; que par conséquent, Mme L... ne rapporte pas la preuve de l'authenticité de l'avenant en cause ; que Mme L... prétend avoir perçu la somme en question les années précédentes ; que cependant, elle ne prouve pas l'existence d'un usage, présentant les caractéristiques de constance, de généralité et de fixité, alors que les sommes étaient versées sous plusieurs appellations différentes ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE sur la prime de bilan, Mme L... fonde sa demande en produisant un document intitulé « prime de bilan » daté du 15 septembre 2008 lui attribuant une prime de bilan de 10 000 euros annuelle ; que la société réfute l'existence de ce document, considérant que les termes employés sont « farfelus », qu'aucun original ne peut être produit et que le papier à en-tête utilisé comporte un code APE qui n'était plus en vigueur au moment de l'établissement de ce document ; que compte tenu de ce qui précède, il apparaît que le caractère contractuel de cette prime n'est pas défini et que si la prime a bien été versée à Mme L... en 2009 et 2010, elle relevait du pouvoir discrétionnaire de l'employeur ;
ALORS QUE lorsqu'elle est payée en exécution d'un engagement de l'employeur, une prime constitue un élément de salaire et est obligatoire pour l'employeur dans les conditions fixées par cet engagement ; qu'en l'espèce, Mme L... versait aux débats une proposition de rupture conventionnelle formulée par son employeur au mois de mars 2012 mentionnant le versement de la somme de 7 500 euros au titre de la prime de bilan ainsi que son bulletin de paie pour le mois de mars 2011 établissant que l'employeur lui avait payé la même somme de 7 500 euros au titre de la prime de bilan ; qu'en retenant, au seul vu d'autres documents, que Mme L... ne rapportait pas la preuve de l'existence d'un usage présentant les caractéristiques de constance, de généralité et de fixité, sans rechercher s'il ne résultait pas de la proposition de rupture conventionnelle et du bulletin de paie de mars 2011 l'engagement, par l'employeur, de payer à Mme L... une prime de bilan d'un montant de 7 500 euros pour l'année 2012, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme L... de sa demande de dommages et intérêts pour remise tardive de l'attestation Pôle Emploi ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'au soutien de cette demande, Mme L... expose que l'attestation remise lors de son licenciement mentionnait une date de naissance erronée, qu'elle s'en est plainte le 5 novembre 2012, que l'entreprise lui a alors adressé le 12 novembre une nouvelle attestation mentionnant une erreur dans le dernier jour de travail et que ce n'est finalement que le 18 décembre 2012, après réclamations, qu'une attestation conforme lui a été adressée ; que cependant, elle ne rapporte pas la preuve du préjudice causé par ces erreurs, ayant été normalement indemnisée en qualité de demandeur d'emploi ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Mme L... dit ne pas avoir pu bénéficier des indemnités Pôle Emploi avant janvier 2013, son employeur lui ayant délivré à plusieurs reprises une attestation erronée ; qu'il apparaît, en effet, selon courrier du 15 novembre 2012 de Pôle Emploi, que des erreurs ont été relevées sur l'attestation délivrée par l'employeur, que néanmoins ces erreurs ont été rectifiées et que Mme L... a pu être indemnisée par Pôle Emploi à compter du 10 septembre 2012, à la suite de son arrêt maladie ;
ALORS QUE la remise tardive à un salarié des documents lui permettant de faire valoir ses droits à l'assurance-chômage entraîne nécessairement pour lui un préjudice qui doit être réparé par les juges du fond ; qu'en l'espèce, Mme L... soutenait que bien qu'ayant été licenciée le 19 juin 2012, elle n'avait, malgré plusieurs relances, pu obtenir ses documents destinés à Pôle Emploi que le 18 décembre 2012 ; qu'en retenant, pour débouter Mme L... de ses demandes, qu'elle avait finalement été normalement indemnisée pour la période postérieure au 10 septembre 2012, date de la fin de son arrêt maladie, la cour d'appel a méconnu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble l'article R. 1234-9 du code du travail.