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03/07/2019 | FRANCE | N°18-19772

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 03 juillet 2019, 18-19772


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 4 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Y... T... engagée le 22 décembre 2005 en qualité de télé conseillère par la société Acticall France, a été placée en arrêt de travail du 1er juillet au 6 septembre 2011 ; que le 24 octobre suivant, elle a pris acte de la rupture du contrat de travail ;

Attendu que pour rejeter les demandes de la salariée au titre de la prise d'acte de rupture du contrat de travail, l'arrêt retie

nt que l'intéressée n'a pas manifesté de quelque manière que ce soit la volonté de repren...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l'article 4 du code de procédure civile ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Y... T... engagée le 22 décembre 2005 en qualité de télé conseillère par la société Acticall France, a été placée en arrêt de travail du 1er juillet au 6 septembre 2011 ; que le 24 octobre suivant, elle a pris acte de la rupture du contrat de travail ;

Attendu que pour rejeter les demandes de la salariée au titre de la prise d'acte de rupture du contrat de travail, l'arrêt retient que l'intéressée n'a pas manifesté de quelque manière que ce soit la volonté de reprendre son activité, qu'elle n'allègue pas avoir repris ses fonctions à l'issue de son arrêt de travail, ce qui est par ailleurs confirmé par ses bulletins de paie des mois de septembre et octobre 2011, que le 8 septembre 2011, l'employeur a bien notifié à la salariée son changement d'affectation, que cette dernière n'a alors émis aucune observation et l'a accepté, que ce changement n'a jamais été effectif, la salariée n'ayant pas repris ses fonctions à l'issue de son arrêt de travail ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la salariée soutenait qu'elle avait repris le travail au nouveau poste qui lui avait été proposé et que l'employeur admettait qu'il n'avait pas organisé de visite de reprise au retour de la salariée, la cour d'appel, qui a méconnu l'objet du litige, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la société Acticall France à payer à Mme Y... T... la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 26 avril 2017,entre les parties par la cour d'appel de Paris, remet, en conséquence la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Acticall France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Acticall France à payer la somme de 2 500 euros à la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, à charge pour elle de renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois juillet deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme Y... T... .

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme T... produisait les effets d'une démission et de l'avoir déboutée des demandes attachées à la requalification de la prise d'acte en licenciement nul,

AUX MOTIFS QUE

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail :

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige ; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

II résulte encore de la combinaison des articles L. 1231-l, L. 123 7-2 et L. 1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Mme T... a pris acte de la rupture de son contrat de travail par courrier du 24 octobre 2011 rédigé en ces termes :

« Il m'apparaît clairement que certains des agissements d'Acticall à mon égard ne respectent pas un élément fondamental du Code du Travail, à savoir l'obligation de convoquer les salariés aux visites médicales.

J'ai repris mon travail le 7 septembre 2011 après un arrêt maladie de deux mois et à ce jour je n'ai été convoquée à aucune visite à la médecine du travail.

Cette omission, prohibée par le Code du travail, vient en violation de vos obligations légales et règlementaires. Déjà ma précédente visite médicale (05/04/2011) avait été initiée à ma demande car revenant d'un accident de travail de plus d'un mois (15/02/2011 au 19/03/2011), je n'avais eu aucune convocation programmée par Acticall dans les huit jours.

Je considère ces manquements constitutifs d'une grave défaillance de vos devoirs à mon égard.

Je me vois donc placée dans l'impossibilité de poursuivre mon contrat de travail.

Par la présente, je prends acte de la rupture de mon contrat de travail, laquelle me libère de mes obligations à votre égard et de toute période de préavis.».

Comme manquements graves invoqués au soutien de sa prise d'acte de son contrat de travail, Mme Y... T... fait état à l'audience de :

- l'absence de visite médicale de reprise lors de son retour le 7 septembre 2011,

- sa mutation géographique sur un autre site en l'absence de visite médicale de reprise et alors que son contrat de travail était toujours suspendu.

La société Acticall fait valoir que la salariée souhaitait quitter l'entreprise depuis longtemps mais sans en prendre l'initiative. Outre qu'elle rencontrait des difficultés sur son lieu de travail, elle ne s'impliquait pas dans ses fonctions comme en atteste le chef de plateau Monsieur F....

Elle ajoute que Mme Y... T... a pris acte de la rupture de son contrat de travail sans jamais avoir réclamé au préalable l'organisation d'une visite médicale.

L'employeur explique que l'absence de visite médicale de reprise relève d'un simple oubli exceptionnel qui aurait été corrigé immédiatement si la salariée avait pris la peine de l'en alerter.

Il considère avoir toujours pris en considération les problèmes de santé de Mme Y... T... et respecté les préconisations de la médecine du travail. Il a ainsi aménagé sa charge de travail et ses horaires afin de moins l'exposer aux facteurs de stress. Il l'a changée d'affectation afin de tenir compte des contraintes spécifiques liées à son état de santé. II précise que ce changement ne constitue pas une modification de son contrat de travail et qu'en tout état de cause, Mme Y... T... avait expressément accepté cette nouvelle affectation le S septembre 2011.

Aux termes de l'article R. 4624-2 I du code du travail, dans sa rédaction antérieure au 30 janvier 2012 applicable à l'espèce, le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail (...) après une absence d'au moins vingt et un jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel.

L'article R. 4624-22 du même code prévoit que dès que l'employeur s connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise dans un délai de huit jouis à compter de la reprise du travail par le salarié.

Seul l'examen pratiqué par le médecin du travail dont doit bénéficier le salarié à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail lors de la reprise du travail en application des articles précités met fin à la période de suspension.

L'initiative de faire passer au salarié une visite de reprise après un arrêt maladie ayant duré au moins 21 jours revient à l'employeur. Cette obligation relève de l'obligation générale de sécurité de résultat inscrite à l'article L 4121-1 du code du travail. Toutefois, cette obligation de l'employeur d'organiser une visite de reprise suppose que le salarié ait manifesté l'intention de reprendre son travail. En l'absence de toute initiative du salarié traduisant son désir de reprendre le travail, l'employeur n'est tenu par aucune obligation à cet égard et le contrat de travail demeure suspendu. Ainsi un salarié ne peut, après avoir cessé d'adresser à son employeur des arrêts maladie, reprocher à ce dernier de ne pas l'avoir convoqué à une visite de reprise, alors qu'il n'avait pas demandé à reprendre le travail.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Acticall n'a pas pris l'initiative d'organiser une visite médicale de reprise au terme de l'arrêt de travail de la salariée le 7 septembre 2011. Pour autant, il ne ressort pas des pièces versées aux débats, que Mme Y... T... ait manifesté de quelque manière que ce soit la volonté de reprendre son activité.

Il n'est d'ailleurs pas allégué par la salariée qu'elle a repris ses fonctions à l'issue de son arrêt de travail, ce qui est par ailleurs confirmé par ses bulletins de paie des mois de septembre et octobre 2011.

De même, il apparaît que le 8 septembre 2011, l'employeur a bien notifié à la salariée son changement d'affectation, que cette dernière n'a alors émis aucune observation et l'a accepté en apposant la mention « Lu et approuvé ». La cour relève au surplus que ce changement n'a jamais été effectif, Mme Y... T... n'ayant pas repris ses fonctions à l'issue de son arrêt de travail.

Dès lors, au regard de l'ensemble de ces éléments, aucun manquement suffisamment grave de la part de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail n'est établi. La prise d'acte de Mme Y... T... doit par conséquent s'analyser comme une démission.

Dans ces conditions, les demandes indemnitaires de Mme Y... T... au titre du licenciement nul doivent être rejetées. Le jugement déféré sera infirmé,

1° ALORS QUE la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié protégé emporte les conséquences d'un licenciement nul dès lors que l'employeur a commis des manquements suffisamment graves ; que l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés et doit organiser une visite de reprise pour le salarié ayant été absent pour maladie plus de trois semaines ; qu'en requalifiant la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par Mme T... en démission, cependant que la salariée faisait valoir qu'elle était atteinte d'une pathologie de longue durée nécessitant un suivi médical particulier et que c'était la seconde fois que l'employeur n'organisait pas de visite de reprise du travail, ce qui était constitutif d'un manquement suffisamment grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1 et L. 4121-1 du code du travail, ensemble les articles R. 4624-10 et suivants du même code dans leur rédaction applicable au litige,

2° ALORS QUE l'employeur est tenu qu'une obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés et que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié protégé emporte les conséquences d'un licenciement nul dès lors que l'employeur a commis des manquements suffisamment graves ; qu'en jugeant que la prise d'acte de Mme T... emportait démission, cependant que l'employeur ne lui avait pas fait passer de visite médicale de reprise à l'issue de son arrêt maladie et lors de la reprise de son travail ne permettant pas ainsi de déterminer si elle était apte à la reprise de son nouveau poste en suite de sa mutation géographique, la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1 et L. 4121-1 du code du travail, ensemble les articles R. 4624-10 et suivants du même code dans leur rédaction applicable au litige,

3° ALORS QUE les juges du fond ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; qu'en énonçant, pour estimer que la prise d'acte devait s'analyser comme une démission faute de manquement suffisamment grave de l'employeur, qu'il n'était pas allégué par la salariée qu'elle ait repris ses fonctions à l'issue de son arrêt de travail et qu'elle n'aurait pas manifesté la volonté de reprendre son travail, cependant qu'à l'appui de ses conclusions, Mme T... avait produit sa lettre de prise d'acte du 24 octobre 2011, citée par l'arrêt et indiquant « j'ai repris mon travail le 7 septembre 2011 après un arrêt maladie de deux mois », mais aussi qu'était produite aux débats la lettre de l'employeur en date du 8 septembre 2011 portant mutation qui avait été remise en main propre à la salariée et signée par cette dernière, ce dont il ressortait que la salariée avait bien repris son travail le 7 septembre, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé,

4° ALORS QUE le juge ne peut modifier les termes du litige ; qu'en retenant, pour estimer que la prise d'acte devait s'analyser comme une démission faute de manquement suffisamment grave de l'employeur, qu'il n'était pas allégué par la salariée qu'elle ait repris ses fonctions à l'issue de son arrêt de travail, cependant que les conclusions de Mme T... , oralement soutenues, invoquaient qu'elle avait été en arrêt de travail du 1er juillet au 6 septembre 2011 soit une durée de plus de deux mois et qu'à son retour malgré ses demandes orales, elle n'avait obtenu aucune visite médicale de reprise mais aussi qu'au lieu d'une visite elle avait été mutée géographiquement ailleurs sur une autre mission, où elle avait continué de demander une visite médicale, la cour d'appel, qui a modifié les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile,

5° ALORS QUE le juge ne peut modifier les termes du litige ; qu'en retenant qu'il n'était d'ailleurs pas allégué par la salariée qu'elle ait repris ses fonctions à l'issue de son arrêt de travail, cependant que ses conclusions, oralement soutenues, l'employeur indiquait que la salariée s'était saisie de l'absence de visite de reprise près de deux mois après son retour d'arrêt maladie pour prendre acte de la rupture de son contrat de travail et qu'il admettait que ses services administratifs n'avaient pas organisé de visite médicale au retour de Mme T... , ce dont il résultait que les parties étaient d'accord sur le fait que la salariée avait effectivement repris son travail à l'issue de son arrêt maladie ayant pris fin le 6 septembre 2011, la cour d'appel, qui a modifié les termes du litige, a derechef violé l'article 4 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 18-19772
Date de la décision : 03/07/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 26 avril 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 03 jui. 2019, pourvoi n°18-19772


Composition du Tribunal
Président : Mme Farthouat-Danon (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.19772
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