LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
JT
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 juin 2019
Cassation partielle
Mme FLISE, président
Arrêt n° 849 F-P+B+I
Pourvoi n° D 18-17.049
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la société A... T..., société par actions simplifiée, dont le siège est [...], ayant un établissement secondaire [...] contre l'arrêt rendu le 13 mars 2018 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale - section 3 - sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, dont le siège est [...], défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 22 mai 2019, où étaient présents : Mme Flise, président, M. Decomble, conseiller rapporteur, M. Prétot, conseiller doyen, Mme Szirek, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Decomble, conseiller, les observations de la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat de la société A... T..., de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin, l'avis de M. de Monteynard, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Metz, 13 mars 2018), que la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ayant pris en charge, au titre du tableau n° 57 B des maladies professionnelles, la maladie déclarée, le 26 février 2013, par M. H..., et notifié sa décision à la société A... T... (la société), laquelle avait employé M. H... du 18 janvier 2011 au 31 mars 2012 et du 17 septembre au 9 novembre 2012, la société a saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins d'inopposabilité de cette décision ;
Sur le premier moyen :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen, qu'une maladie professionnelle est présumée avoir été contractée chez le dernier employeur auprès duquel le salarié a été exposé au risque avant sa constatation médicale et que la présomption d'imputabilité de la maladie au travail habituel ne peut être mise en oeuvre qu'à l'égard d'un employeur auprès duquel la victime a été exposée au risque défini par un tableau des maladies professionnelles dans le délai de prise en charge prévu par ce tableau ; qu'il en résulte que la prise en charge d'une épicondylite sur le fondement du tableau des maladies professionnelles n° 57 B n'est pas opposable à un employeur auprès duquel la victime avait cessé de travailler depuis plus de quatorze jours à la date de première constatation médicale de la maladie ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que la maladie déclarée par M. H... avait été médicalement constatée le 1er juillet 2012 alors qu'il avait cessé de travailler pour le compte de la société T... depuis le 31 mars 2012 ; qu'il en résultait que, compte tenu de l'expiration du délai de prise en charge du tableau n° 57 B, aucune présomption d'imputabilité ne pouvait être mise en oeuvre à l'égard de la société T... et que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie prise sur le fondement de ce tableau était donc inopposable à cet employeur ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant que la victime était exposée au risque chez un autre employeur au moment de la constatation médicale de la maladie, la cour d'appel a méconnu les conséquences qui s'évinçaient de ses constatations et violé l'article L. 461-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale et le tableau de maladie professionnelle n° 57 B ;
Mais attendu que l'arrêt relève que M. H... a déclaré une maladie professionnelle inscrite au tableau n° 57 B ; que la société T... ne conteste pas que la maladie dont se trouve atteint M. H... répond aux conditions médicales du tableau 57 B et que les travaux qu'il exécutait entrent dans la liste limitative de ce tableau ; que seule est contestée la condition tenant au délai de prise en charge en ce qu'il n'est pas respecté à son égard ; que toutefois, le délai de prise en charge correspond à la période au cours de laquelle, après cessation d'exposition au risque, la maladie doit se révéler et être médicalement constatée pour être indemnisée au titre des maladies professionnelles ; qu'il ressort des pièces versées aux débats que la date de première constatation médicale de la pathologie de M. H... a été fixée au 1er juillet 2012 alors qu'il n'est pas contesté que ce dernier était encore exposé aux risques prévus au tableau n° 57 des maladies professionnelles, au sein de la société Laluet dont il était alors l'employé ; qu'en cas d'exposition au risque chez plusieurs employeurs, les conditions du délai de prise en charge s'apprécient au regard de la totalité de la durée d'exposition ; qu'en l'absence de cessation de l'exposition au risque à la date de première constatation médicale, la condition tenant au délai de prise en charge est dès lors satisfaite ; que les conditions du tableau n° 57 B étant remplies, la maladie dont se trouve atteint M. H..., est dès lors présumée avoir un caractère professionnel ; que si la société T... fait valoir qu'elle n'est pas le dernier employeur ayant exposé M. H... avant la date de première constatation médicale de l'épicondylite droite, ce qui est exact, cette circonstance n'a pas pour effet de lui rendre inopposable la décision de prise en charge de la caisse dès lors qu'en sa qualité de dernier employeur, à la date de la déclaration de la maladie professionnelle, il n'est pas contesté qu'elle a été régulièrement appelée par la caisse à la procédure d'instruction de cette maladie professionnelle et que cette instruction a permis de conclure à son caractère professionnel ; que la décision de prise en charge lui est par conséquent opposable, étant précisé qu'elle conserve la possibilité d'en contester l'imputabilité si une faute inexcusable lui était reprochée ou si les cotisations afférentes à cette maladie professionnelle venaient à être inscrites à son compte ;
Que de ces constatations et énonciations, procédant de son appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve débattus devant elle, la cour d'appel a exactement déduit que, l'affection déclarée par la victime remplissant les conditions prévues par le tableau n° 57 B des maladies professionnelles et l'instruction de la demande ayant été menée contradictoirement à l'égard du dernier employeur de la victime, la décision de prise en charge était opposable à la société ;
D'où il suit que pour partie inopérant, le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles L. 142-1, L. 143-1, 4°, L. 143-4 et D. 242-6-3 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige ;
Attendu que pour déclarer la cour d'appel incompétente pour connaître de l'imputation des coûts afférents à la maladie professionnelle au compte employeur d'une société ou au compte spécial, l'arrêt retient que l'appréciation de cette imputation est de la compétence exclusive de la caisse d'assurance retraite et de la santé au travail d'Alsace-Moselle dont les décisions relèvent, en cas de contestation, du contentieux technique de la sécurité sociale ;
Qu'en statuant ainsi, alors que si la contestation des décisions des caisses régionales d'assurance maladie, devenues les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), en matière de tarification d'accident du travail relève de la compétence exclusive des juridictions du contentieux technique, les litiges relatifs à l'inscription au compte spécial sont de la compétence des juridictions du contentieux général en l'absence de décision de la CARSAT, c'est-à-dire avant la notification de son taux de cotisation à l'employeur, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare opposable à la société A... T... la prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin de la maladie professionnelle déclarée par M. H..., l'arrêt rendu le 13 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt juin deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société A... T...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré la décision de prise en charge du 6 juin 2013 de la maladie professionnelle de M. H... opposable à la société T... ;
AUX MOTIFS QU'"il résulte de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige, qu'est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau ; qu'en l'espèce, Monsieur H... a déclaré une maladie professionnelle inscrite au tableau nº 57 B ; que la société T... ne conteste pas que la maladie dont se trouve atteint Monsieur H... répond aux conditions médicales du tableau 57 B et que les travaux qu'il exécutait entrent dans la liste limitative de ce tableau ; que seule est contestée la condition tenant au délai de prise en charge en ce qu'il n'est pas respecté à son égard ; que toutefois, le délai de prise en charge correspond à la période au cours de laquelle, après cessation d'exposition au risque, la maladie doit se révéler et être médicalement constatée pour être indemnisée au titre des maladies professionnelles ; qu'il ressort des pièces versées aux débats que la date de première constatation médicale de la pathologie de Monsieur H... a été fixée au 1er juillet 2012 alors qu'il n'est pas contesté que ce dernier était encore exposé aux risques prévus au tableau nº 57 des maladies professionnelles, au sein de la société Laluet dont il était alors l'employé ; qu'en cas d'exposition au risque chez plusieurs employeurs, les conditions du délai de prise en charge s'apprécient au regard de la totalité de la durée d'exposition ; qu'en l'absence de cessation de l'exposition au risque à la date de première constatation médicale, la condition tenant au délai de prise en charge est dès lors satisfaite ; que les conditions du tableau nº 57 B étant remplies ,la maladie dont se trouve atteint Monsieur H..., est dès lors présumée avoir un caractère professionnel ; que si la société T... fait valoir qu'elle n'est pas le dernier employeur ayant exposé Monsieur H... avant la date de première constatation médicale de l'épicondylite droite, ce qui est exact, cette circonstance n'a pas pour effet de lui rendre inopposable la décision de prise en charge de la caisse dès lors qu'en sa qualité de dernier employeur, à la date de la déclaration de la maladie professionnelle, il n'est pas contesté qu'elle a été régulièrement appelée par la caisse à la procédure d'instruction de cette maladie professionnelle et que cette instruction a permis de conclure à son caractère professionnel ; que la décision de prise en charge lui est par conséquent opposable, étant précisé qu'elle conserve la possibilité d'en contester l'imputabilité si une faute inexcusable lui était reprochée ou si les cotisations afférentes à cette maladie professionnelle venaient à être inscrites à son compte ; que le jugement est, en ce sens, infirmé » ;
ALORS QU'une maladie professionnelle est présumée avoir été contractée chez le dernier employeur auprès duquel le salarié a été exposé au risque avant sa constatation médicale et que la présomption d'imputabilité de la maladie au travail habituel ne peut être mise en oeuvre qu'à l'égard d'un employeur auprès duquel la victime a été exposée au risque défini par un tableau des maladies professionnelles dans le délai de prise en charge prévu par ce tableau ; qu'il en résulte que la prise en charge d'une épicondylite sur le fondement du tableau des maladies professionnelles n° 57 B n'est pas opposable à un employeur auprès duquel la victime avait cessé de travailler depuis plus de quatorze jours à la date de première constatation médicale de la maladie ; qu'au cas présent, il résulte des constatations de l'arrêt que la maladie déclarée par M. H... avait été médicalement constatée le 1er juillet 2012 alors qu'il avait cessé de travailler pour le compte de la société T... depuis le 31 mars 2012 ; qu'il en résultait que, compte tenu de l'expiration du délai de prise en charge du tableau n° 57 B, aucune présomption d'imputabilité ne pouvait être mise en oeuvre à l'égard de la société T... et que la décision de la CPAM prise sur le fondement de ce tableau était donc inopposable à cet employeur ; qu'en jugeant le contraire, au motif inopérant que la victime était exposée au risque chez un autre employeur au moment de la constatation médicale de la maladie, la cour d'appel a méconnu les conséquences qui s'évinçaient de ses constatations et violé l'article L. 461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale et le tableau de maladie professionnelle n° 57 B.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
SUBSIDIAIREIl est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré la cour d'appel incompétente pour connaître de la demande de la société T... de non imputation à son compte employeur, voire d'imputation au compte spécial, des dépenses afférentes à la maladie professionnelle de M. H... ;
AUX MOTIFS QUE « que la question de l'imputation de la maladie est celle de l'imputation des coûts afférents à la maladie professionnelle au compte employeur d'une société ou au compte spécial ; que cette question est de la compétence exclusive de la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail Alsace Moselle dont les décisions relèvent, en cas de contestations, du contentieux technique de la sécurité sociale ; que la demande de la société T... n'est par conséquent pas recevable » ;
ALORS QUE si la contestation des décisions des caisses régionales d'assurance maladie, devenues les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT), en matière de tarification d'accident du travail relève de la compétence exclusive des juridictions du contentieux technique, les litiges relatifs à l'inscription au compte spécial sont de la compétence des juridictions du contentieux général en l'absence de décision de la CARSAT, c'est-à-dire avant la notification de son taux de cotisation à l'employeur ; qu'au cas présent, la société T... avait, dès la saisine de la commission de recours amiable le 26 juillet 2013 et donc avant toute tarification de la maladie prise en charge le 6 juin 2013, fait valoir que la maladie prise en charge ne pouvait être inscrite sur son compte employeur dès lors qu'elle n'était pas le dernier employeur ayant exposé le salarié au risque à la date de première constatation médicale de la maladie ; qu'elle faisait valoir que la juridiction du contentieux général était compétente pour statuer sur sa demande d'inscription de la maladie au compte spécial dès lors que cette demande avait été formulée avant toute notification par la CARSAT d'un taux de cotisation prenant en compte les dépenses afférentes à la maladie litigieuse ; qu'en se déclarant incompétente pour statuer sur cette demande, au motif qu'elle relèverait de la compétence des juridictions du contentieux technique, sans caractériser la notification antérieure d'un tel taux de cotisations à la société T..., la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 142-1, L. 143-1-4°, L. 143-4 et D. 242-6-5 du code de la sécurité sociale.