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19/06/2019 | FRANCE | N°18-10612

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 19 juin 2019, 18-10612


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'invoquant avoir été exposée in utero au diéthylstilbestrol (DES), Mme N..., épouse L..., a assigné la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha, producteur du Distilbène, en responsabilité et indemnisation ; que M. L... est intervenu volontairement à l'instance ; que l'exposition de Mme L... au DES, consécutive à la prescription de Distilbène à sa mère durant sa grossesse, a été établie ;

Sur le moyen unique, pris en sa première b

ranche, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y pas lieu de statuer par une décision spé...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'invoquant avoir été exposée in utero au diéthylstilbestrol (DES), Mme N..., épouse L..., a assigné la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha, producteur du Distilbène, en responsabilité et indemnisation ; que M. L... est intervenu volontairement à l'instance ; que l'exposition de Mme L... au DES, consécutive à la prescription de Distilbène à sa mère durant sa grossesse, a été établie ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur la seconde branche du moyen :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter l'ensemble des demandes d'indemnisation, l'arrêt retient qu'un lien causal entre, d'une part, l'exposition in utero au DES, d'autre part, l'endométriose sévère et l'insuffisance ovarienne présentées par Mme L... n'est pas certain ;

Qu'en statuant ainsi, sans examiner le moyen invoqué par celle-ci qui faisait valoir qu'elle éprouvait un préjudice spécifique d'anxiété consécutif aux risques de cancer liés à son exposition in utero au DES impliquant un suivi médical, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande d'indemnisation formée par Mme N..., épouse L..., au titre de son préjudice spécifique d'anxiété, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;

Condamne la société UCB Pharma aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à Mme N..., épouse L..., la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf juin deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour Mme et M. L...

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué de débouter les époux L... de leurs demandes d'indemnisation ;

AUX MOTIFS QUE « le traitement par Distilbène de la mère de Mme L... est attesté par le gynécologue de cette dernière, dans un courrier adressé à un confrère daté du juin 1978, qui précise que ce traitement a été initié à la fin du 5ème mois et poursuivi pendant toute la grossesse. L'exposition au Distilbène n'a jamais été contestée.

Les conclusions du rapport d'expertise sont les suivantes :

En juillet 2001, a été découvert chez Mme L... à l'occasion d'un bilan d'infertilité un kyste endométriosique de 2 cm qui a été enlevé, un traitement complémentaire étant mis en place pendant 6 mois. 2 FIV ont été entreprises en 2003 et 2004, la seconde a été suivie d'un début de grossesse et d'une fausse couche. En juin 2006, ont été traités par coelioscopie une endométriose ovarienne et plusieurs foyers sous péritonéaux. En 2009, Mme L... a été opérée d'une endométriose digestive (au niveau du ligament utero sacré gauche et au niveau sigmoïdien). Les dosages hormonaux pratiqués le 25 octobre 2010, alors que Mme L... avait 42 ans, ont montré une insuffisance ovarienne précoce. Les experts concluent que Mme L... souffre depuis l'adolescence d'une endométriose pelvienne, qui a été responsable de lésions ovariennes, péritonéales, d'adénomyose, de lésions digestives au niveau du sigmoïde et au niveau du foie. A cette endométriose s'associen une infertilité primaire et une insuffisance ovarienne précoce. L'endométriose est une cause connue d'infertilité. Mme L... ne présente pas les anomalies morphologiques de l'appareil génital que l'on rencontre en cas d'exposition au DES. L'exposition au Distilbène semble être un facteur favorisant, mais le lien entre exposition in utero au DES et endométriose n'est pas certain, surtout une endométriose aussi étendue et sévère. En ce qui concerne l'insuffisance ovarienne précoce, une étude de cohorte en 2006 a mis en évidence une ménopause significativement plus précoce chez plus de 50 % des femmes exposées au DES, tendance confirmée par une étude Seiner en 2010. Les experts précisent que la cause prépondérante de l'infertilité de Mme L... est l'endométriose. Ils poursuivent en indiquant qu'il est établi que la patiente a été exposée au DES, et que cette exposition est une des causes d'infertilité, l'endométriose n'excluant pas le DES dans la genèse de l'infertilité. En outre la "responsabilité de l'exposition in utero au DES dans la ménopause précoce est possible, autre élément de cette infertilité". "Bien que les données de la littérature soient très limitées dans le cas d'une endométriose aussi sévère et diffuse, le rôle de l'exposition in utero au DES ne peut être exclu."
Sur dire d'UCB Pharma, rappelant notamment de précédentes conclusions des mêmes experts à l'occasion d'autres expertises, excluant l'imputabilité de l'endométriose à l'exposition au DES, les experts ont cependant nuancé leur propos, en indiquant que les cas cités n'étaient pas comparables puisqu'il s'agissait d'endométriose de grade 1 alors que celle de Mme L... est de grade III, et que, si l'endométriose était plus fréquente chez les femmes exposées, il n'était pas décrit dans la littérature de lien entre une endométriose aussi sévère et une exposition in utero au DES. Ils ont ajouté que le tabagisme, cause probable d'endométriose, était absent chez Mme L.... Cette endométriose sévère est responsable d'une infertilité. En ce qui concerne la ménopause précoce, une étude montre une ménopause plus précoce d'une année chez les femmes exposées, et une ménopause avant 40 ans plus fréquente.

Le tribunal a retenu que l'endométriose dont les causes peuvent être multiples en l'absence d'étiologie parfaitement explicitée n'a pas d'autre cause connue en l'espèce, en l'absence de tabagisme, que l'exposition au Distilbène, et qu'au surplus le caractère massif des lésions n'exclut pas le lien de causalité. En ce qui concerne la ménopause précoce, il a relevé que le facteur héréditaire était exclu. Considérant qu'en outre Mme L... avait un utérus de petite taille, qu'ainsi ces trois anomalies ont concouru à rendre Mme L... infertile, et que l'incertitude, quant aux conséquences respectives de l'exposition au DES et d'autres facteurs multiples n'était pas de nature à écarter l'existence d'un lien de causalité entre la faute commise et la survenance du dommage, il existait des présomptions précises, graves et concordantes de l'imputabilité de l'infertilité à l'exposition au DES.

UCB Pharma fait valoir que les études citées n'ont pas caractérisé de risque plus élevé de ménopause précoce pour les femmes exposées, et rappelle le rôle du tabagisme à cet égard, en soulignant que Mme L... a reconnu être fumeuse dans certaines pièces de son dossier médical. Elle expose que l'étiologie de l'endométriose fait l'objet de plusieurs hypothèses dont aucune n'incrimine le DES. Elle considère dès lors que l'endométriose constitue un facteur autonome d'infertilité, ce qui a d'ailleurs été reconnu par les mêmes experts dans d'autres affaires, ainsi d'ailleurs que les interventions itératives qui l'ont traitée. En tout état de cause, la seule éventualité d'un lien entre endométriose et exposition au DES ne saurait caractériser des présomptions graves, précises et concordantes susceptibles de caractériser un lien de causalité.

M. et Mme L... exposent qu'en matière d'exposition à un produit nocif tel que le Distilbène, la charge de la preuve du lien de causalité entre l'exposition au produit et le dommage, qui incombe en principe à la victime, doit être inversée. Ainsi, dès lors que, comme en l'espèce, l'exposition est établie, il incombe à UCB Pharma d'établir que le dommage n'est pas imputable à l'exposition au produit, raisonnement tout à fait comparable à celui tenu dans les affaires relatives à l'hépatite B. Subsidiairement, ils font valoir qu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes permettant d'établir le lien causal entre la stérilité inaccessible à un parcours de PMA de Mme L... et son exposition au DES.

La cour retient de l'expertise et des pièces produites :

- que Mme L... ne présente aucune des malformations de l'appareil génital usuellement observées en cas d'exposition au Distilbène, la relative petite taille de l'utérus n'apparaissant pas suffisante aux experts pour constituer une anomalie rattachable à l'exposition au DES. sur l'endométriose,

- que l'endométriose, maladie gynécologique fréquente dans ses formes bénignes dans laquelle l'endomètre (tissu utérin) colonise d'autres organes, à proximité ou à distance de l'utérus, affecte plus fréquemment les femmes exposées à la molécule DES, sans que son étiologie soit connue, le lien entre exposition au DES et endométriose étant toujours discuté,

- que l'endométriose, dans ses formes bénignes, n'exclut pas la grossesse, éventuellement après traitement ou PMA,

- que Mme L... a toujours souffert d'une endométriose sévère (de grade III sur une échelle de I à IV) responsable notamment de lésions ovariennes, qui a justifié trois interventions chirurgicales, et dont les experts indiquent sans être contredits qu'elle constitue la cause prépondérante de son infertilité,

- que la littérature médicale ne décrit aucun lien entre la forme sévère de l'endométriose dont souffre Mme L... et une exposition au DES, sur l'insuffisance ovarienne précoce,

- qu'une insuffisance ovarienne a été diagnostiquée chez Mme L... alors qu'elle avait 42 ans,

- que l'insuffisance ovarienne précoce (ménopause précoce) était ainsi qualifiée lorsqu'elle survenait avant l'âge de 40 ans,

- que le lien entre l'exposition au DES et la survenance d'une ménopause précoce est discuté sur le plan scientifique, les études rapportées mettant seulement en évidence que la ménopause est avancée d'un an en moyenne chez 50 % des femmes exposées, par rapport à celles qui ne l'ont pas été.

Le débat sur la charge de la preuve n'offre pas d'intérêt en l'espèce, puisque la question à trancher est celle de l'existence de causes autonomes d'infertilité existant chez Mme L..., lesquelles exclueraient la preuve par présomptions graves précises et concordantes de l'imputabilité, et constitueraient également la cause d'exonération susceptible d'être invoquée par UCB Pharma si devait être exigée de cette société, la preuve de l'absence d'imputabilité. La faute commise par UCB Pharma, qui a continué à commercialiser la molécule DES sans égard pour les réserves émises par la communauté scientifique sur son efficacité et son innocuité, et sans se préoccuper des effets tératogènes constatés sur l'animal, ne saurait justifier sa condamnation sans preuve du lien de causalité entre l'exposition au DES et les pathologies constatées et sur la foi de seules hypothèses. Or en l'état des conclusions des experts et de l'ensemble des pièces produites, il ne peut être affirmé qu'il existe un lien entre la forme sévère d'endométriose présentée par Mme L... et son exposition au DES, et en revanche cette maladie, à raison de sa gravité chez Mme L..., et des multiples interventions et traitements qu'elle a entraînés, constitue la cause prépondérante de son infertilité. Est ainsi caractérisée chez Mme L... une cause autonome d'infertilité qui ne peut être rattachée avec une certitude suffisante à son exposition au DES. Il en est de même en ce qui concerne l'insuffisance ovarienne découverte alors que Mme L... avait 42 ans, dont l'imputabilité à l'exposition au DES est également discutée, étant observé que le lien peut être fait entre l'endométriose ovarienne opérée en juin 2006 et l'insuffisance ovarienne constatée 4 ans plus tard, les lésions endométriosiques pouvant avoir détruit une partie du stock ovarien. Les demandes de M. et Mme L... ne peuvent dès lors qu'être rejetées, et le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions » (arrêt attaqué, p. 11) ;

1°) ALORS QUE la preuve de l'imputabilité d'un dommage à un fait générateur peut légalement résulter de présomptions graves, précises et concordantes ; que les époux L... soutenaient que la stérilité de Mme L... résultait de la conjonction d'anomalies physiologiques – petit utérus, endométriose, ménopause précoce – qui ne s'expliquaient que par son exposition in utero au DES et qu'ainsi étaient établies des présomptions graves, précises et concordantes du lien de causalité entre ce dommage et le produit fabriqué par la société UCB Pharma ; que l'arrêt estime que l'endométriose est une cause autonome de la stérilité de Mme L... qui ne peut être rattachée avec certitude à son exposition au médicament ; que l'arrêt omet toutefois de rechercher, comme l'y invitaient les conclusions des époux L..., et ainsi que l'avaient relevé les premiers juges ensuite du rapport d'expertise, si l'endométriose de Mme L... ne pouvait pas être attribuée qu'à son exposition in utero au DES en l'absence d'autre facteur identifié de cette pathologie dans le cas de Mme L... ; que cette circonstance étant de nature à exclure l'imputabilité de l'endométriose à une autre cause que l'exposition au DES, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1353 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 13 février 2016 ;

2°) ALORS QUE l'anxiété résultant de l'exposition à un médicament connu pour provoquer des pathologies graves et mortelles constitue un préjudice indemnisable, indépendamment de tout effet tératogène effectif ; que Mme L... soutenait qu'elle devait être indemnisée au titre de l'angoisse générée par le suivi systématique auquel elle était astreinte en raison des risques de divers cancers consécutifs à son exposition in utero au DES ; qu'en n'examinant pas ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 18-10612
Date de la décision : 19/06/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles, 23 novembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 19 jui. 2019, pourvoi n°18-10612


Composition du Tribunal
Président : Mme Batut (président)
Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.10612
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