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13/06/2019 | FRANCE | N°18-80678

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 juin 2019, 18-80678


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° R 18-80.678 F-P+B+I

N° 1023

SM12
13 JUIN 2019

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

REJET du pourvoi formé par la société Intermarché Casino Achats (INCAA), contre l'ordonnance n° 4 du premier

président de la cour d'appel de Paris, en date du 17 janvier 2018, qui a constaté l'incompétence de cette juridiction pour ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° R 18-80.678 F-P+B+I

N° 1023

SM12
13 JUIN 2019

REJET

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

REJET du pourvoi formé par la société Intermarché Casino Achats (INCAA), contre l'ordonnance n° 4 du premier président de la cour d'appel de Paris, en date du 17 janvier 2018, qui a constaté l'incompétence de cette juridiction pour prononcer sur la régularité des opérations d'inspection effectuées en exécution d'une décision de la Commission européenne ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 avril 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : M. Bétron ;

Sur le rapport de Mme le conseiller Planchon, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALOMON ;

Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 47 de la Charte des droits fondamentaux, 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, 20 du règlement (CE) n° 1/2003, L. 450-4 du code de commerce, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale :

"en ce que le premier président de la cour d'appel s'est déclaré incompétent pour connaître du recours exercé par la société INCA-A contre les opérations de visite et l'a déclaré irrecevable ;

"1°) alors qu'il résulte du règlement (CE) n° 1/2003 (préambule § 5) que les règles et obligations gouvernant les visites doivent être compatibles avec les principes généraux du droit communautaire, qui incluent ceux contenus dans la Charte des droits fondamentaux ; qu'en vertu de ces principes, une visite domiciliaire constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée devant s'exercer sous le contrôle du pouvoir judiciaire ; que, toujours selon ces principes, toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales ; qu'il en ressort que les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, non seulement de la régularité de la décision prescrivant la visite mais encore, dans l'hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l'intéressé un redressement approprié ; qu'ainsi, le règlement (CE) n° 1/2003 doit être interprété comme prévoyant l'exercice des voies de recours prévues par le droit interne pour critiquer le déroulement des opérations de visite ; que le premier président de la cour d'appel ne pouvait donc, sans violer tant ce règlement que l'article L. 450-4 du code de commerce, se déclarer incompétent pour connaître du recours introduit à l'encontre du déroulement des visites autorisées par la décision de la commission du 9 février 2017 ;

"2°) alors qu'en se déclarant incompétent pour connaître du recours introduit par la société exposante à l'encontre du déroulement des visites autorisées par la décision de la Commission du 9 février 2017, la privant ainsi de toute possibilité de contester devant un juge le déroulement des opérations litigieuses, le premier président de la cour d'appel a méconnu le droit d'accès à un tribunal et le droit à un recours effectif garantis par les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

"3°) alors qu'en outre, en relevant, pour se déclarer incompétent pour se prononcer sur la régularité des opérations de visite, que la société intermarché Casino achats n'a pas refusé de coopérer, de sorte qu'il n'était pas nécessaire de s'assurer du concours des autorités nationales et que le droit national n'a pas vocation à s'appliquer, lorsque, en application de l'article 20, § 6, du règlement (CE) n° 1/2003, une opposition aux opérations de visite n'est pas un droit pour l'entreprise visitée mais l'expose au contraire à une amende d'un montant potentiel de 1 % du chiffre d'affaires, le premier président de la cour d'appel, qui a conditionné sa compétente à l'adoption par cette société d'une conduite l'exposant à des sanctions, a porté une atteinte excessive à l'exercice d'une voie de recours ;

"4°) alors qu'au demeurant, le règlement (CE) n° 1/2003 (préambule § 27) prévoit que les juridictions nationales sont compétentes pour contrôler l'application des règles nationales concernant la mise en oeuvre de mesures coercitives lors d'un recours aux forces de l'ordre destiné à passer outre une opposition éventuelle de l'entreprise ; qu'il en résulte que la compétence des juridictions nationales n'est pas subordonnée à l'opposition effective de l'entreprise visitée mais à cette seule éventualité et à la mise en oeuvre de mesures coercitives, dont relève l'exercice des pouvoirs d'inspection de la commission dès lors qu'il s'agit d'une ingérence dans le droit au respect de la vie privée, du domicile et de la correspondance ; que le premier président de la cour d'appel, ne pouvait se fonder sur cette circonstance inopérante à justifier son incompétence ;

"5°) alors qu'enfin a affirmé un fait en contradiction avec les pièces de la procédure le premier président de la cour d'appel qui a retenu que l'occupant n'a émis aucune réserve pendant les opérations de visites, lorsqu'il résulte des comptes rendus de l'inspection, d'une part, que M. F... a formulé des réserves et que M. Y... a, dès qu'il y a été invité, formulé des réserves sur le déroulement des opérations et dénoncé les menaces de sanctions dont il a été le sujet pendant les visites, de deuxième part que M. T... a attiré l'attention de la commission sur le fait que le procès-verbal d'audition ne reflétait pas les propos tenus et était manifestement incomplet et enfin, de troisième part, que des réserves générales quant à la régularité des auditions et de l'inspection ont également été formulées par INCA Achats" ;

Attendu qu'il résulte de l'ordonnance attaquée et des pièces de procédure que le 16 janvier 2017, la Commission européenne (la Commission), suspectant des échanges d'informations anticoncurrentiels entre l'entreprise intermarché Casino achats (INCAA) et d'autres entreprises, a informé l'autorité de la Concurrence de son intention d'inspecter cette entreprise ; que le 9 février 2017, la Commission a ordonné à la société INCAA ainsi qu'à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l'article 20, § 1 et 4, du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité alors en vigueur ; que, par requêtes du 13 février 2017, le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence a saisi, à titre préventif et conservatoire, pour le cas où l'entreprise visée refuserait de se soumettre à l'inspection, le juge des libertés et de la détention de Créteil de demandes d'autorisation de visites et saisies dans les locaux de la société INCAA et des sociétés du même groupe en application de l'article L. 450-4 du code de commerce ; que ces autorisations ont été délivrées le 15 février suivant, les ordonnances précisant que l'assistance des autorités nationales peut être demandée à titre préventif ; qu'après notification de la décision d'inspection de la Commission du 9 février 2017 à l'entreprise INCAA le 20 février 2017 et en l'absence d'opposition de sa part, les opérations d'inspection se sont déroulées des 20 au 24 février 2017 sous l'égide des agents de la commission, avec l'assistance des enquêteurs de l'Autorité de la Concurrence, sans que soient mises en oeuvre les dispositions de l'article L. 450-4 du code de commerce ; que le 24 février 2017, la société INCAA a remis un courrier à la Commission critiquant le déroulement de l'inspection dont elle avait fait l'objet, avant, le 6 mars 2017, de former un recours sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce afin de contester ces opérations, et le 28 avril 2017, de saisir le tribunal de l'Union européenne d'un recours en annulation de la décision d'inspection (affaire T-249/17) ;

Attendu que, pour constater l'incompétence de la juridiction française pour connaître des recours des sociétés demanderesses, l'ordonnance attaquée énonce que le procès-verbal de notification d'une décision de la Commission a été émargé dès le début de l'inspection par le Secrétaire général de l'entreprise et de l'association d'entreprises INCAA le 20 février 2017 qui n'a émis aucune réserve ou opposition, qu'en conséquence, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention obtenue à titre préventif n'avait pas à être notifiée à l'occupant des lieux ; que le juge ajoute que la décision d'inspection de la Commission a été prise sur le fondement de l'article 20, § 1, du règlement (CE) n° 1/2003, qu'en l'absence d'opposition, les agents de la Commission ont estimé qu'il n'était pas nécessaire de s'assurer du concours des autorités nationales pour les assister dans les opérations d'inspection qui se sont déroulées, non sur le fondement de l'article L. 450-4 du code de commerce, mais sur la base de l'article 20 susvisé et sont donc régies par le droit communautaire ; que ce n'est qu'à l'issue de ces opérations que la société requérante a adressé un courrier à la Commission pour lui faire part des difficultés de fonctionnement dont elle aurait souffert depuis le début des inspections en raison des nombreux manquements aux droits fondamentaux commis par les agents, notamment lors des auditions des salariés ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, le premier président a justifié sa décision ;

Que, d'une part, en l'absence d'opposition expressément formulée, par la société demanderesse, dès la notification de la décision d'inspection ordonnée par la Commission européenne en application de l'article 20 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence, l'ordonnance d'autorisation rendue par le juge des libertés et de la détention à titre préventif n'a pas à être notifiée par les enquêteurs de l'Autorité de la Concurrence dont la simple présence, en application de l'article 20, § 5, du règlement précité est insuffisante pour justifier de la mise en oeuvre des pouvoirs tirés de l'article L. 450-4 du code de commerce et du recours qu'il prévoit ;

Que, d'autre part, la procédure d'inspection ordonnée par la Commission est entourée de garanties assurant le respect des droit de la défense et les modalités des recours ouverts aux sociétés soumises à cette procédure, en ce qu'elles permettent de contester, soit directement, soit dans le cadre du contentieux relatif à la décision finale de la Commission, le déroulement de ces opérations, même en l'absence d'opposition, satisfont aux exigences du droit à un recours effectif, le juge communautaire effectuant un contrôle en droit et en fait et étant en mesure d'apprécier si l'ingérence dans les droits des intéressées protégés par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme est proportionnée au but poursuivi ;

Qu'enfin, le mécanisme de sanctions prévu par l'article 23 du règlement (CE) précité ne peut être mis en oeuvre qu'en cas d'obstruction évidente ou d'utilisation abusive du droit d'opposition, et non pour réprimer le simple exercice de ce droit ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que la société Intermarché casino achats devra payer respectivement à la Commission européenne et à l'Autorité de la Concurrence au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize juin deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-80678
Date de la décision : 13/06/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

REGLEMENTATION ECONOMIQUE - Concurrence - Visites domiciliaires - Régularité des opérations - Contrôle - Compétence - Détermination - Cas

En l'absence d'opposition expressément formulée, par la société contrôlée, dès la notification de la décision d'inspection ordonnée par la Commission européenne en application de l'article 20 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence, l'ordonnance d'autorisation rendue par le juge des libertés et de la détention à titre préventif n'a pas à être notifiée par les enquêteurs de l'Autorité de la Concurrence dont la simple présence, en application de l'article 20, § 5, dudit règlement est insuffisante pour justifier de la mise en oeuvre des pouvoirs tirés de l'article L. 450-4 du code de commerce et du recours qu'il prévoit. La procédure d'inspection ordonnée par la Commission est entourée de garanties assurant le respect des droit de la défense, et les modalités des recours ouverts aux sociétés soumises à une inspection de la Commission européenne en application de l'article 20 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, en ce qu'elles permettent de contester, soit directement, soit dans le cadre du contentieux relatif à la décision finale de la Commission, le déroulement de ces opérations, même en l'absence d'opposition, satisfont aux exigences du droit à un recours effectif, le juge communautaire effectuant un contrôle en droit et en fait et étant en mesure d'apprécier si l'ingérence dans les droits des intéressées protégés par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme est proportionnée au but poursuivi. Le mécanisme de sanctions prévu par l'article 23 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 ne peut être mis en oeuvre qu'en cas d'obstruction évidente ou d'utilisation abusive du droit d'opposition, et non pour réprimer le simple exercice de ce droit. Justifie dès lors sa décision, le premier président d'une cour d'appel qui se déclare incompétent pour connaître du recours formé par l'entreprise critiquant le déroulement d'une inspection ordonnée par la Commission européenne en application du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, sans avoir fait opposition à cette décision dès sa notification


Références :

article L. 450-4 du code de commerce

article 20 du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002

Décision attaquée : Premier Président près la Cour d'Appel de Paris, 17 janvier 2018

Sur l'incompétence du juge des libertés et de la détention pour statuer sur la régularité des opérations de visite et de saisie en l'absence d'opposition de la société concernée, à rapprocher : Crim., 2 juin 2010, pourvoi n° 08-87326, Bull. crim. 2010, n° 100 (rejet)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 13 jui. 2019, pourvoi n°18-80678, Bull. crim.Bull. crim 2019, n° 114
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle Bull. crim 2019, n° 114

Composition du Tribunal
Président : M. Soulard
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix

Origine de la décision
Date de l'import : 24/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.80678
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