LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. B... W..., partie civile,
contre l'arrêt de la cour d'appel de RENNES, chambre correctionnelle, en date du 22 décembre 2017, qui, sur renvoi après cassation (crim., 16 juin 2015, n° 14-81.561), dans la procédure suivie, contre M. E... V... du chef de blessures involontaires, a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 2 avril 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Bellenger, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller Bellenger, les observations de la société civile professionnelle CLAIRE LEDUC et SOLANGE VIGAND, la société civile professionnelle GARREAU, BAUER-VIOLAS et FESCHOTTE-DESBOIS, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire CABY ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles L. 211-9 et L. 211-13 du code des assurances, du principe de l'autorité de la chose jugée de l'article 1351 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1355 du même code, des articles préliminaire, 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, violation du principe de la réparation intégrale et méconnaissance des termes du litige ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré irrecevable la demande au titre de la pénalité prévue à l'article L. 211-13 du code des assurances et de la capitalisation des intérêts à ce titre ;
"aux motifs que « • Sur la demande de doublement des intérêts légaux : que M. W... soutient que, l'offre faite par conclusions du 8 juin 2011 étant manifestement insuffisante, les nouvelles condamnations prononcées doivent être assorties d'une pénalité légale entre le 30 avril 2008 et la date d'expiration du pourvoi rendant la décision à intervenir définitive, que l'assiette de la pénalité doit être constituée des indemnités allouées par la cour en réparation de son préjudice patrimonial sans déduction des provisions allouées, auxquelles seront intégrées les débours versés par les tiers payeurs pour un montant de 591 652,89 euros et que les intérêts échus par années doivent être capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ; qu'il fait valoir que dans son arrêt du 14 juin 2013, la cour d'appel a, de façon définitive, jugé que l'assureur n'avait pas respecté la procédure légale d'indemnisation après avoir écarté les arguments que la société Suravenir soutient encore dans la présente instance lesquels ne sont plus recevables, la décision ayant autorité de la chose, jugée sur ce point ; qu'il soutient que la pénalité a été calculée de manière définitive entre le 29 mai 2009 et le 12 avril 2011 pour les postes de préjudice alors jugés ; que M. V... et la société Suravenir estiment que le montant de la pénalité légale doit être réduit à 1 euros, l'assureur justifiant de circonstances qui ne lui sont pas imputables telles que visées à l'article L. 211-13 du code des assurances ; qu'ils soutiennent que postérieurement au rapport d'expertise médicale fixant la date de consolidation, la société Suravenir a adressé à M. W... une offre d'indemnisation définitive le 8 avril 2011, lui réclamant des éléments d'évaluation complémentaires et que par ailleurs, avant le dépôt du rapport d'expertise concernant l'aménagement du domicile le 25 septembre 2012, la société Suravenir ne connaissait pas l'étendue du préjudice patrimonial de M. W... ; qu'à titre subsidiaire, ils font valoir que le terme de la pénalité est l'offre contenue dans ses conclusions du 8 avril 2011 ainsi que l'a décidé la cour d'appel dans son arrêt du 14 juin 2013 devenu définitif, en ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux comme le tribunal correctionnel dans son jugement du 10 janvier 2014 également définitif en ce qui concerne l'aménagement du logement ; que concernant les postes de préjudices indemnisés par l'arrêt du 23 juin 2017 et l'arrêt de ce jour, la société Suravenir rappelle qu'avant le dépôt du rapport d'expertise définitif qui lui a été adressé le 14 janvier 2011, elle ne connaissait pas la date de consolidation ni les postes de préjudice à indemniser, qu'elle a offert trois indemnités provisionnelle de 15 000, 60 000 et 25 000 euros, que postérieurement au dépôt du rapport d'expertise, elle a adressé une offre d'indemnisation définitive le 8 avril 2011 tout en réclamant à M. W... des éléments d'évaluation complémentaires et qu'elle a complété son offre par voie de conclusions le 8 juin 2011 ; qu'elle prétend que ses conclusions portaient sur tous les éléments indemnisables et que les indemnités proposées n'étaient pas manifestement insuffisantes ; qu'elle ajoute qu'à la suite du dépôt du rapport d'expertise le 25 septembre 2012, elle a spontanément versé à M. W... une provision complémentaire de 100 000 euros en mars 2013 puis complété son offre par voie de conclusions du 12 mars 2013 ; que par conséquent, elle soutient que le calcul de la pénalité légale a pour assiette la somme qui sera allouée au titre des préjudices patrimoniaux sur la période du 29 mai 2009 au 12 avril 2011 ; que par arrêt du 14 juin 2013, la cour a fixé les préjudices extra-patrimoniaux à la somme de 413 352 euros et condamné la société Suravenir à payer à M. W... les intérêts au double du taux légal sur la somme de 931 262,89 euros du 29 mai 2009 au 12 avril 2011, les intérêts échus par années entières étant capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ; que cet arrêt n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation ; que la cour a motivé sa décision comme suit "Considérant en l'espèce que la société Suravenir a adressé à Mme H... une offre que celle-ci indique avoir reçu le 23 juillet 2009, ce qui n'est pas contesté ; que M. et Mme W... indiquent quant à eux avoir reçu l'offre définitive de l'assureur produite aux débats le 12 avril 2011 ; qu'aucune de ces trois parties civiles ne prétend que l'offre serait manifestement insuffisante; que dès lors, la date de sa réception doit être retenue comme terme de la sanction tandis que son montant auquel il convient d'ajouter la créance des tiers payeurs doit constituer son assiette ; considérant qu'il y aura lieu en conséquence de condamner la société Suravenir à payer à M. W... les intérêts au double du taux légal sur la somme de 931 262,89 euros du 29 mai 2009, ainsi que cela est demandé, au 12 avril 2011, les intérêts échus par années entières étant capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil ;" ; qu'il ressort de cette motivation que la cour a statué de manière définitive sur l'assiette globale de cette pénalité pour l'ensemble des préjudices puisqu'elle a considéré l'offre de l'assureur du 12 avril 2011 pour l'ensemble des préjudices et non pas les seuls préjudices extra-patrimoniaux en retenant que M. W... n'en contestait pas le caractère manifestement insuffisant ; que l'autorité de la chose jugée par cette décision rend irrecevable la demande formulée par M. W... à ce titre, y compris pour la capitalisation des intérêts doublés dans la présente instance » ;
"1°) alors que les juges du fond, statuant sur les intérêts civils, doivent se prononcer dans les limites des conclusions dont ils sont saisis ; qu'en réponse à la demande de M. W... au titre de la pénalité prévue à l'article L. 211-13 du code des assurances sur le montant des indemnités allouées par la cour du chef des préjudices patrimoniaux pour la période comprise entre le 30 avril 2008 et la date d'expiration du délai de pourvoi de l'arrêt à intervenir avec capitalisation des intérêts, la société Suravenir se bornait à faire valoir, à titre principal, que seule une somme de un euro devait être accordée à la victime de ce chef et, à titre subsidiaire, que ladite pénalité devait avoir pour assiette la somme allouée au titre des préjudices patrimoniaux par la cour sur la période du 29 mai 2009 au 12 avril 2011 ; qu'en déclarant irrecevable ladite demande, la cour d'appel a méconnu les termes du litige en violation des textes susvisés ;
"2°) alors que le juge ne peut relever d'office un moyen de droit sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office, pour déclarer irrecevable la demande de M. W... au titre de la pénalité prévue à l'article L. 211-13 du code des assurances et de la capitalisation des intérêts à ce titre, le moyen tiré de l'autorité de chose jugée de l'arrêt du14 juin 2013, sans avoir préalablement invité les parties à présenter leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
"3°) alors que l'autorité de chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable la demande de M. W... au titre de la pénalité prévue à l'article L. 211-13 du code des assurances s'agissant des préjudices patrimoniaux examinés par la cour et de la capitalisation des intérêts à cet égard, que cette prétention se heurte à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt du 14 juin 2013 par lequel la cour d'appel aurait – en condamnant l'assureur à payer à M. W... les intérêts au double du taux légal sur la somme de 931 262,89 euros du 29 mai 2009 au 12 avril 2011 – statué de manière définitive sur l'assiette globale de cette pénalité dans la mesure où elle aurait considéré l'offre de l'assureur du 12 avril 2011 pour l'ensemble des préjudices subis par M. W... et non pour les seuls préjudices extrapatrimoniaux en retenant que la victime n'en contestait pas le caractère manifestement insuffisant, quand l'assiette de cette pénalité – telle que retenue par la cour – correspondait uniquement à l'offre de la société Suravenir au titre des seuls dommages extrapatrimoniaux (à hauteur de 339 610 euros) majorée des débours de la CPAM (à hauteur de 591 652,89 euros), la cour d'appel a méconnu l'autorité de chose jugée en violation du principe et des textes susvisés" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, par jugement du 22 juillet 2010 devenu définitif, M. V... a été déclaré coupable de blessures involontaires sur la personne de M. W... ; que par jugement en date du 10 juin 2011, le tribunal correctionnel a débouté M. W... de sa demande de doublement des intérêts ; que les parties civiles, la société Suravenir assurances et le prévenu ont interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour déclarer irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée la demande de doublement des intérêts et la capitalisation des intérêts par année entière sur le préjudice patrimonial formée par M. W..., l'arrêt énonce que la cour d'appel a déjà statué par arrêt du 14 juin 2013, devenu définitif, sur l'assiette globale de cette pénalité d'un montant de 931 262,89 euros du 29 mai 2009 au 12 avril 2011 calculée sur l'ensemble des préjudices, l'offre de l'assureur du 12 avril 2011, dont M. W... n'a pas contesté le caractère insuffisant, ne portant pas sur les seuls préjudices extra-patrimoniaux ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'aucune autorité de la chose jugée ne s'attachait aux dispositions de l'arrêt du 14 juin 2013 qui n'avait statué que sur les préjudices extra-patrimoniaux, la cour d'appel, qui était saisie de la liquidation des préjudices patrimoniaux, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Rennes, en date du 22 décembre 2017, mais en ses seules dispositions relatives au doublement des intérêts et à leur capitalisation par année entière sur les préjudices patrimoniaux, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de CAEN, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de RENNES et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mai deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.