LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° U 17-17.565 et V 17-17.566 ;
Attendu, selon les ordonnances attaquées (président du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion, 24 mars 2017), statuant en la forme des référés, que le 28 février 2017, les membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion (le CHSCT) ont voté le recours à une expertise sur le fondement des dispositions du 2° de l'article L. 4614-12 du code du travail et que le 10 mars 2017, ils ont désigné l'expert chargé de cette expertise ; que le 13 mars 2017, la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion (la CGSSR) a assigné le CHSCT devant le président du tribunal de grande instance pour obtenir l'annulation des délibérations ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article L. 4614-12 du code du travail, alors applicable ;
Attendu que pour annuler la délibération du CHSCT du 28 février 2017 et, par voie de conséquence, celle du 10 mars 2017, les ordonnances retiennent que l'ampleur du projet de réorganisation de la CGSSR justifiait l'inquiétude des salariés mais ne constituait qu'un canevas sur lequel ils devraient travailler et que les conséquences de ce projet n'étant pas connues, il n'apparaissait pas possible de le qualifier d'important au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait de rechercher si, comme le soutenait le CHSCT, ce projet de réorganisation ne constituait pas un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité des salariés ou leurs conditions de travail au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail, le président du tribunal de grande instance n'a pas donné de base légale à ses décisions ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, alors applicable ;
Attendu que, pour condamner le CHSCT aux dépens, le président du tribunal de grande instance a retenu que le recours à l'expertise était prématuré ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, sauf abus, l'employeur doit supporter les frais de contestation de la procédure d'expertise, le président du tribunal de grande instance a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les ordonnances rendues le 24 mars 2017, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion, statuant en la forme des référés ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdites ordonnances et, pour être fait droit, les renvoie devant le président du tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion, statuant en la forme des référés ;
Condamne la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion aux dépens ;
Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion à payer à la SCP Jean-Philippe Caston la somme de 2 500 euros TTC ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des ordonnances cassées ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens identiques aux pourvois n° U 17-17.565 et V 17-17.566 produits par la SCP Jean-Philippe Caston, avocat aux Conseils, pour le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la caisse générale de sécurité sociale de la Réunion (CHSCT de la CGSSR)
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR annulé la délibération du CHSCT de la CGSS du 28 février 2017 ;
AUX MOTIFS QU'en vertu de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, le CHSCT est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; que l'article L. 4614-12 du même code précise, en son alinéa 2, qu'en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé ; qu'il ressort de ces textes qu'avant la mise en oeuvre d'un projet important, le CHSCT doit être consulté, et s'il ne fait pas de doute que ce projet modifiera les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, le CHSCT pourra faire appel à un expert agréé ; qu'en l'espèce, la direction de la CGSS a présenté lors d'une réunion commune CHSCT-CE en date du 28 février 2017 un « projet d'organigramme de direction de la CGSS de La Réunion » visant à transformer l'organisation de la caisse, étant précisé que depuis plusieurs mois huit ateliers, regroupant les agents et les cadres, avaient travaillé sur ce projet ; que ce document, soumis au CHSCT et au CE pour avis, précisait, à titre liminaire que « ce projet ne présente pas les modalités de transition de l'organisation actuelle vers l'organisation cible », que « chaque projet fera l'objet d'une présentation spécifique aux instances pour avis courant 2017 », et que « cet organigramme de direction donne des lignes directrices à chaque groupe projets, chargé de fournir l'ensemble des éléments nécessaires, pour que les instances représentatives du personnel puissent donner ultérieurement un avis, sur chacun des changements effectués » ; qu'au cours de cette réunion, le directeur de la CGSS a précisé qu'il s'agissait d'une « démarche participative », d'une « vision d'ensemble » et a indiqué le calendrier de la mise en place de nouveaux ateliers, à savoir « un atelier sur le processus AT/MP, un atelier sur la précarité, la gestion du risque et la relation professionnelle de santé et un atelier observatoire économique et social des fragilités » ; que le CHSCT ne l'a pas perçu autrement puisque son représentant a pu dire que « ces documents se contentent d'une description du projet dans ses grandes lignes » et que « la présentation qui nous a été faite n'est qu'une facette partielle de ce projet, elle est insuffisante et ne permet pas de fait d'apprécier les inconvénients potentiels ou prévisibles de cette réorganisation nouvelle sur la santé des salariés » ; qu'aussi, ce n'est pas sans se contredire que le CHSCT a décidé de recourir à une expertise au motif que « ce projet important aura des conséquences sur les conditions de travail, l'hygiène et la sécurité » ; qu'à cet égard, le comité d'entreprise, dont l'avis était également sollicité, a préféré le différer, demandant la présentation ultérieure d'un nouveau projet « retravaillé conjointement avec les branches » ; qu'en conclusion, si l'ampleur de ce projet justifie l'inquiétude des salariés, il ne constitue néanmoins qu'un canevas sur lequel ceux-ci devront travailler ; qu'en revanche, les conséquences de ce projet n'étant donc pas connues, il n'apparaît pas possible actuellement de le qualifier d'important au sens de l'article L. 4614-12 alinéa 2 du code du travail ; qu'il s'ensuit que le recours à l'expert est pour le moins prématuré ; qu'il convient, en conséquence, d'annuler la délibération du CHSCT du 28 février 2017 (v. ordonnance, p. 3 et 4) ;
1°) ALORS QUE le CHSCT est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, et avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; qu'avant la mise en oeuvre d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, le CHSCT, qui doit être consulté, peut faire appel à un expert agréé ; qu'en retenant, pour annuler la délibération du CHSCT de la CGSS du 28 février 2017, que si l'ampleur du projet litigieux justifiait l'inquiétude des salariés, il ne constituait néanmoins qu'un canevas sur lequel ceux-ci devraient travailler et que les conséquences de ce projet n'étant pas connues, il n'apparaissait pas possible actuellement de le qualifier d'important, si bien que le recours à l'expert était pour le moins prématuré, le président du tribunal de grande instance, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que ledit projet était important, a violé les articles L. 4612-8-1 et L. 4614-12 du code du travail ;
2°) ALORS QU'au demeurant, en se déterminant de la sorte sans rechercher l'incidence collective et objective, chez les salariés concernés, des nouvelles conditions de travail subséquentes à la réorganisation prévue par le projet litigieux, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4612-8-1 et L. 4614-12 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR condamné le CHSCT aux dépens ;
AUX MOTIFS QU'en vertu de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, le CHSCT est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ; que l'article L. 4614-12 du même code précise, en son alinéa 2, qu'en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, le CHSCT peut faire appel à un expert agréé ; qu'il ressort de ces textes qu'avant la mise en oeuvre d'un projet important, le CHSCT doit être consulté, et s'il ne fait pas de doute que ce projet modifiera les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, le CHSCT pourra faire appel à un expert agréé ; qu'en l'espèce, la direction de la CGSS a présenté lors d'une réunion commune CHSCT-CE en date du 28 février 2017 un « projet d'organigramme de direction de la CGSS de La Réunion » visant à transformer l'organisation de la caisse, étant précisé que depuis plusieurs mois huit ateliers, regroupant les agents et les cadres, avaient travaillé sur ce projet ; que ce document, soumis au CHSCT et au CE pour avis, précisait, à titre liminaire que « ce projet ne présente pas les modalités de transition de l'organisation actuelle vers l'organisation cible », que « chaque projet fera l'objet d'une présentation spécifique aux instances pour avis courant 2017 », et que « cet organigramme de direction donne des lignes directrices à chaque groupe projets, chargé de fournir l'ensemble des éléments nécessaires, pour que les instances représentatives du personnel puissent donner ultérieurement un avis, sur chacun des changements effectués » ; qu'au cours de cette réunion, le directeur de la CGSS a précisé qu'il s'agissait d'une « démarche participative », d'une « vision d'ensemble » et a indiqué le calendrier de la mise en place de nouveaux ateliers, à savoir « un atelier sur le processus AT/MP, un atelier sur la précarité, la gestion du risque et la relation professionnelle de santé et un atelier observatoire économique et social des fragilités » ; que le CHSCT ne l'a pas perçu autrement puisque son représentant a pu dire que « ces documents se contentent d'une description du projet dans ses grandes lignes » et que « la présentation qui nous a été faite n'est qu'une facette partielle de ce projet, elle est insuffisante et ne permet pas de fait d'apprécier les inconvénients potentiels ou prévisibles de cette réorganisation nouvelle sur la santé des salariés » ; qu'aussi, ce n'est pas sans se contredire que le CHSCT a décidé de recourir à une expertise au motif que « ce projet important aura des conséquences sur les conditions de travail, l'hygiène et la sécurité » ; qu'à cet égard, le comité d'entreprise, dont l'avis était également sollicité, a préféré le différer, demandant la présentation ultérieure d'un nouveau projet « retravaillé conjointement avec les branches » ; qu'en conclusion, si l'ampleur de ce projet justifie l'inquiétude des salariés, il ne constitue néanmoins qu'un canevas sur lequel ceux-ci devront travailler ; qu'en revanche, les conséquences de ce projet n'étant donc pas connues, il n'apparaît pas possible actuellement de le qualifier d'important au sens de l'article L. 4614-12 alinéa 2 du code du travail ; qu'il s'ensuit que le recours à l'expert est pour le moins prématuré ; qu'il convient, en conséquence, d'annuler la délibération du CHSCT 28 février 2017 (v. ordonnance, p. 3 et 4) ;
ALORS QUE sauf abus, l'employeur doit supporter les frais procéduraux du CHSCT et, partant, les dépens ; qu'en condamnant le CHSCT aux dépens sans caractériser le moindre abus de sa part, le président du tribunal de grande instance a violé l'article L. 4614-3 du code du travail.