LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte à M. X... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les consorts A..., M. V..., M. S..., la SCP J...-B...-E... et la Société générale ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;
Attendu que le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que, par acte du 2 juillet 2010, reçu par M. G..., notaire au sein de la SCP F...-G..., devenue la SCP N...-P... (la SCP), les ayants droit de Y... A... (les vendeurs) ont vendu à M. X... (l'acquéreur) un bien immobilier ; que ce bien avait fait l'objet d'une précédente vente consentie à M. V..., qui a été ultérieurement annulée et avait été financée par un prêt de la Société générale (la banque), laquelle avait inscrit un privilège de prêteur de deniers, non purgé ; que la SCP a été désignée séquestre du prix de vente, la totalité de celui-ci étant affectée en nantissement au profit de l'acquéreur, à la garantie de l'apurement de la situation hypothécaire, et le tiers convenu ayant pour mission de remettre les fonds aux créanciers inscrits ou aux titulaires des droits publiés ; que, le 28 décembre 2011, la banque a délivré à l'acquéreur un commandement de payer valant saisie immobilière pour le recouvrement de sa créance de restitution du capital prêté à M. V..., cette procédure ayant été annulée par un arrêt du 11 février 2014 ; que, reprochant au notaire un manquement à son devoir de conseil à propos des risques inhérents au privilège de prêteur de deniers grevant l'immeuble, l'acquéreur est intervenu volontairement à l'instance en responsabilité et indemnisation engagée par les vendeurs ;
Attendu que, pour rejeter les demandes indemnitaires formées par l'acquéreur contre la SCP, l'arrêt retient que le notaire s'était fait délivrer, avant de recevoir la vente, un état hypothécaire, et avait inséré à l'acte une clause de séquestre du prix de vente de nature à permettre à l'acquéreur d'éviter le risque d'une éviction ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le notaire avait rempli son devoir de conseil relatif aux risques tenant à la persistance, au jour de la vente, d'une inscription sur l'immeuble vendu d'un privilège de prêteur de deniers, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de dommages-intérêts formées par M. X... contre la SCP N...-P..., l'arrêt rendu le 14 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;
Condamne la SCP N...-P... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mai deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. W... X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté M. W... X... pour le surplus de ses demandes indemnitaires ;
AUX MOTIFS QUE, sur la responsabilité de la SCP O... N... et T... P..., anciennement dénommée SCP F...-G... : les consorts A... reprochent à la société de notaires de ne pas avoir demandé l'état hypothécaire du bien litigieux préalablement à la vente régularisée le 2 juillet 2010 alors qu'eux-mêmes n'étaient pas informés de la persistance de l'hypothèque résultant du non remboursement du prêt par M. V... ; qu'ils soulignent que le compromis de vente régularisé le 26 mars 2010 avait été transmis immédiatement à l'étude notariale, laquelle leur a fait signer le 25 mars des procurations aux fins de procéder à la vente, précisant dans le courrier d'accompagnement : « à la demande de Maître G..., Nacre Immobilier intégrera une clause rédigée par l'étude concernant les jugements (
). Cette clause ayant pour but que l'acquéreur est parfaite connaissance de la situation et en fasse son affaire personnelle. » ; qu'ils soutiennent que c'est en réalité le jour même de la réitération de la vente que la SCP F...-G... s'est aperçue que le bien devant être cédé était toujours grevé de l'hypothèque, et que, bénéficiaire d'une procuration de la part des trois consorts A..., Me G... a signé en leur lieu et place, et décidé de se constituer séquestre sans même avoir préalablement recueilli leur consentement ; que la cour rappelle que la responsabilité du notaire, de nature quasi-délictuelle, ne peut être engagée qu'à la condition que soit rapportée la preuve de l'existence d'une faute, d'un préjudice, et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice ; qu'il est constant en l'espèce qu'au moment de l'exécution de l'arrêt, le créancier hypothécaire aurait dû être payé sur le prix de vente de l'immeuble ; que Maître G... n'était pas chargé de l'exécution de la décision et ne peut être tenu pour responsable du fait que le prix a été entièrement remis à M. V... et il n'est pas contesté que chaque héritier, tenu pour un tiers dans la restitution, a adressé les fonds aux avocats et avoués ; qu'il appert des éléments du dossier, par ailleurs, que ce n'est pas le notaire mais l'agence immobilière Nacre Immobilier à Lion sur Mer qui a négocié la seconde vente du bien litigieux et fait signer le compromis, étant rappelé qu'il n'est pas imposé aux notaires d'obtenir la délivrance d'un état hypothécaire de l'immeuble préalablement à la conclusion d'une promesse de vente, mais seulement pour préparer l'acte de vente authentique, ce qui fut fait ; que rien ne permet dans ces conditions de considérer comme le font les consorts A..., que le notaire savait bien avant la rédaction de cet acte et sa signature, que l'immeuble objet de la vente demeurait grevé d'une mesure de sûreté alors même que la résolution de la vente était intervenue des mois plus tôt, emportant annulation du contrat de prêt et radiation des sûretés prises en garantie ; que par ailleurs, les pouvoirs délivrés aux notaires par les consorts A... contenaient bien une autorisation de constituer un séquestre si cela s'avérait nécessaire, et figurait expressément une clause selon laquelle le mandataire (le notaire) devrait « obliger le constituant à toutes garanties et au rapport de toutes justifications et mainlevée, et de tout certificat de radiation des inscriptions pouvant être révélé par l'état hypothécaire qui sera délivré lors de la publication de la vente » (cf pièces 43 et suivantes de la SCP) ; qu'il ne peut dès lors être reproché à Me G..., ayant constaté que l'inscription hypothécaire de la Société Générale n'avait pas été radiée, d'avoir outrepassé les termes de son mandat en intégrant dans l'acte une clause de séquestre de nature à permettre d'éviter à l'acquéreur le risque d'une éviction, et aux vendeurs, d'avoir à garantir l'acquéreur de ce chef en application de l'article 1630 du code civil ; qu'enfin à bon droit la société de notaires fait valoir que le notaire a l'obligation de publier les actes qu'il reçoit, mais pas les décisions judiciaires et ne peut être en conséquence tenue pour responsable du défaut de publication de l'arrêt de la cour d'appel ayant prononcé la résolution de la vente intervenue entre les consorts A... et M. V... ; qu'en tout état de cause, la radiation prononcée par la cour aux termes de la présente décision met fin à l'impossibilité pour les consorts A... de percevoir les fonds versés par M. X... en paiement du bien litigieux, ce dont il s'ensuit que ces derniers ne sont pas fondés à solliciter la condamnation de la société de notaires, qui plus est en sanction d'une faute dont l'existence n'est pas démontrée, à payer au tiers que constitue la Société Générale la somme de 76 333 € les consorts A... considérant que la banque, remplie de ses droits, donnerait mainlevée de la mesure de sûreté grevant ledit bien ; que l'absence de faute prouvée interdit de même toute condamnation au titre d'un préjudice moral (
) ;
ET AUX MOTIFS QUE que sur la demande de M. W... X..., la responsabilité du notaire étant écartée, il reste à examiner les griefs articulés par M. X... à l'encontre de M. V... ;
1) ALORS QUE le notaire instrumentaire est tenu, envers les parties, d'un devoir de conseil dont le caractère est absolu ; qu'il a notamment l'obligation d'éclairer les parties et d'attirer leur attention sur les conséquences et les risques que comportent les transactions auxquelles il prête le concours de son office ; que dans ses conclusions d'intervention volontaire devant la cour d'appel (p. 5-6), M. X... faisait valoir que la SCP N...-P... avait manqué à son devoir de conseil, en omettant d'attirer son attention sur les risques inhérents à l'existence, au jour de la vente, d'une inscription de privilège de prêteur de deniers grevant le bien vendu ; qu'en déboutant M. X... de ses demandes indemnitaires formées à l'encontre de la SCP N...-P..., sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si le notaire avait rempli son devoir de conseil à l'endroit de M. X... concernant les risques encourus par ce dernier au regard de la situation hypothécaire de l'immeuble litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 (devenu 1240) du code civil ;
2) ALORS QUE le notaire instrumentaire est tenu, envers les parties, d'un devoir de conseil dont le caractère est absolu ; qu'il a notamment l'obligation d'éclairer les parties et d'attirer leur attention sur les conséquences et les risques que comportent les transactions auxquelles il prête le concours de son office ; que dans ses conclusions d'intervention volontaire devant la cour d'appel (p. 5-6), M. X... faisait valoir que la SCP N...-P... avait manqué à son devoir de conseil, en omettant d'attirer son attention sur les risques inhérents à l'existence, au jour de la vente, d'une inscription de privilège de prêteur de deniers grevant le bien vendu ; qu'en déboutant M. X... de ses demandes indemnitaires formées à l'encontre de la SCP N...-P..., au motif en réalité inopérant que le notaire avait bien obtenu la délivrance d'un état hypothécaire de l'immeuble pour rédiger l'acte de vente du 2 juillet 2010, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 (devenu 1240) du code civil.