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11/04/2019 | FRANCE | N°18-12080

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 11 avril 2019, 18-12080


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 décembre 2017), que Arthur M... , aux droits duquel se trouve Mme M... épouse O..., a donné à bail des parcelles de terre, bâtiments d'exploitation et bâtiments d'habitation à Mme T... qui a sollicité l'annulation du congé que Mme O... lui avait délivré et l'exécution de travaux dans les bâtiments d'exploitation et d'habitation, puis, après exécution de ceux-ci, des dommages-intérêts pour préjudice de jouissance ;

Sur le premier moyen, ci-aprÃ

¨s annexé :

Attendu que Mme T... fait grief à l'arrêt de valider le congé ;

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LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 7 décembre 2017), que Arthur M... , aux droits duquel se trouve Mme M... épouse O..., a donné à bail des parcelles de terre, bâtiments d'exploitation et bâtiments d'habitation à Mme T... qui a sollicité l'annulation du congé que Mme O... lui avait délivré et l'exécution de travaux dans les bâtiments d'exploitation et d'habitation, puis, après exécution de ceux-ci, des dommages-intérêts pour préjudice de jouissance ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que Mme T... fait grief à l'arrêt de valider le congé ;

Mais attendu qu'ayant relevé que seule la mention du titre du congé faisait référence à une reprise, alors que le corps de l'acte extrajudiciaire développait le motif lié à l'âge du preneur et reprenait les dispositions de l'article L. 411-64 du code rural et de la pêche maritime, et retenu exactement, par motifs propres et adoptés, qu'un congé peut mentionner plusieurs motifs et est valable dès lors que l'un d'eux est justifié, la cour d'appel, qui a souverainement retenu que cette double mention n'était pas de nature à induire le preneur en erreur, en a exactement déduit que le congé ne pouvait être annulé ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1719 du code civil ;

Attendu que, pour rejeter la demande de dommages-intérêts, l'arrêt retient que Mme T... n'habite pas les lieux ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de Mme T... qui soutenait que le bailleur ne remplissait pas ses obligations et qu'avant la réalisation des travaux ordonnés par le tribunal la maison ne répondait pas aux normes minimales de décence et d'habitabilité, ce dont il résultait qu'elle ne pouvait être habitée, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de dommages-intérêts formée par Mme T..., l'arrêt rendu le 7 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;

Condamne Mme M... épouse O... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze avril deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour Mme T...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement déféré en ce qu'il a validé le congé donné à Mme P... T... par Mme L... O... ainsi que sur les frais et dépens et rejeté la demande d'expertise formée par Mme P... T...,

AUX MOTIFS QUE
« 1. En ce qui concerne la validité du congé en date du 3 juillet 2014, par des motifs pertinents que la cour adopte, le premier juge a procédé à une analyse exacte de la situation et en a justement déduit, au vu des moyens des parties et par des réponses appropriées, les conséquences juridiques qui s'imposent. En effet, seule la mention du titre du congé fait référence à une reprise alors que le corps de cet acte extrajudiciaire développe le motif lié à l'âge du preneur et reprend les dispositions de l'article L 411-64 du code rural et de la pêche maritime qui s'y rapporte. En conséquence, l'inexactitude n'est pas de nature à induire le preneur en erreur et ne peut alors entraîner la nullité du congé conformément à l'article L. 411-47 du même code. » (arrêt, p. 4, Sur quoi, la cour, al. 1),

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE

« Concernant la validité du congé

En premier lieu, conformément à l'article L.411-47 du code rural et de la pêche maritime, le congé doit, à peine de nullité, mentionner expressément le ou les motifs pour lesquels il est donné. Toutefois, si l'inexactitude n'est pas de nature à induire le preneur en erreur, la nullité n'est pas prononcée.

En l'espèce, le congé donné le 3 juillet mentionne dans son titre « congé pour exercice du droit de reprise», tandis que dans le corps du congé est le motif est celui lié à l'âge du preneur en vertu de l'article L 411-64 du code rural et de la pêche maritime. Ce motif est également repris en fin de première page de l'acte.

Or, d'une part, un congé peut mentionner plusieurs motifs et être valable dès lors que l'un deux est valablement donné.

D'autre part, si la mention « congé pour reprise » a pu, éventuellement, laisser croire au preneur que le congé était donné au visa des articles L 411-57 et suivants du code rural et de la pêche maritime, la rédaction du corps de l'acte ne pouvait en aucun cas laisser un doute sur le fait que le motif de l'âge du preneur était également invoqué.

Enfin, le congé donné en raison de l'âge du preneur est un congé qui conduit le bailleur à refuser le renouvellement du bail, et non à le résilier, afin de reprendre son fonds, mais sans avoir à justifier de l'usage qu'il en fera.

En conséquence, le preneur ne peut faire valoir aucune inexactitude ou aucun manquement de nature à l'avoir induit en erreur.

En second lieu, en vertu de l'article L.411-64 alinéa 3 du même code le congé donné en raison de l'âge du preneur permet de limiter le renouvellement à l'expiration de la période triennale au cours de laquelle le preneur atteindra cet âge.

Il peut s'agir la première période triennale de renouvellement, comme de la seconde.

En outre, il est établi que l'âge de la retraite à taux plein pour un exploitant agricole est fixé à 62 ans pour les personnes nées après le 1er janvier 1955.

En l'espèce, Mme T... étant née le [...] , elle atteindra l'âge de 62 ans le [...] , soit au cours de la seconde période triennale du bail renouvelé le 29 septembre2011.

Le congé a donc été valablement donné, en vertu de l'article L.411-64 du code rural et de la pêche maritime

Dès lors, la nullité du congé ne sera pas prononcée. Mme T... devra donc quitter les lieux au plus tard le 29 septembre 2017, sauf à faire usage du droit de cession, prévu à l'article L.411-64 alinéa 7 » (jugement, p. 4 et 5),

1°) ALORS QU'un congé doit expressément mentionner le motif pour lequel il est délivré ; qu'est de nature à induire le preneur en erreur le congé dont les termes ne permettent pas clairement d'identifier ce motif ; qu'il en va ainsi du congé qui mentionne, dans son titre, pour seul motif, en lettres capitales, l'« exercice du droit de reprise » et, dans son corps, pour seul motif, l'âge du preneur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « la mention du titre du congé fait référence à une reprise alors que le corps de cet acte extrajudiciaire développe le motif lié à l'âge du preneur » ; qu'en retenant néanmoins, pour juger le congé valable, que cette inexactitude n'était pas de nature à induire le preneur en erreur quand l'absence de mention d'une reprise, dans le corps du congé, délivré "pour l'exercice du droit de reprise", laisse incertain le motif pour lequel il a été délivré, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime ;

2°) ALORS, subsidiairement, QU'un congé doit clairement indiquer s'il est délivré pour un ou plusieurs motifs ; qu'est de nature à induire le preneur en erreur le congé qui mentionne, dans son titre, pour seul motif, en lettres capitales, l'« exercice du droit de reprise » et, dans son corps, pour seul motif, l'âge du preneur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que « la mention du titre du congé fait référence à une reprise alors que le corps de cet acte extrajudiciaire développe le motif lié à l'âge du preneur » ; qu'en retenant, pour considérer que cette inexactitude n'était pas de nature à induire le preneur en erreur, que « si la mention "congé pour reprise" a pu, éventuellement, laisser croire au preneur que le congé était donné au visa des articles L 411-57 et suivants du code rural et de la pêche maritime, la rédaction du corps de l'acte ne pouvait en aucun cas laisser un doute sur le fait que le motif de l'âge du preneur était également invoqué » quand le bailleur soutenait lui-même que le congé n'avait été délivré que pour un seul motif et, qu'en toute hypothèse, la rédaction du congé ne permettait pas de déterminer si le congé avait été délivré pour un ou plusieurs motifs et donc le motif pour lequel il avait été délivré, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande de dommages et intérêts formée par Mme P... T...,

AUX MOTIFS QUE
« 3. Mme P... T... réclame des dommages-intérêts. Cette demande est nouvelle en appel mais cependant recevable pour être l'accessoire, la conséquence ou le complément des demandes soumises au premier juge au titre des travaux à effectuer par le bailleur et ce, conformément à l'article 566 du code de procédure civile. Néanmoins, il ressort des débats et des pièces produites que Mme P... T... n'habitait pas les lieux. En effet, à sa demande, la chambre d'agriculture d'Ille-et-Vilaine a fait une visite des lieux le 26 mars 1993 dont il ressort que les bâtiments d'habitation ne comportaient même pas une cuisine ce qui justifie la modique somme demandée à titre de loyer pour la partie habitation. Dès lors, la demande de dommages et intérêts n'est pas fondée et sera rejetée. » (arrêt, p. 5, al. 1),

1°) ALORS QUE tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs ; que Mme T..., afin de justifier sa demande d'indemnisation pour le trouble de jouissance causé par les manquements de Mme O... à ses obligations, faisait valoir qu'avant la réalisation des travaux ordonnée par le tribunal certains biens loués n'étaient pas éclairés, notamment la grange située à l'est de la ferme ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme T..., que celle-ci n'aurait pas occupé les bâtiments d'habitation, la cour d'appel, qui n'a pas répondu à ses conclusions opérantes, a privé sa décision de motifs en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, d'entretenir la chose louée en état de servir pour l'usage pour lequel elle a été louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; que Mme T..., afin de justifier sa demande d'indemnisation pour le trouble de jouissance causé par les manquements de Mme O... à ses obligations, faisait valoir qu'avant la réalisation des travaux ordonnée par le tribunal, l'installation électrique n'était pas aux normes, certains biens loués n'étaient pas éclairés, notamment le grenier, et que les toilettes situées dans la maison d'habitation ne fonctionnaient pas ; qu'en se bornant à relever, pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme T..., que celle-ci n'aurait pas habité les lieux, quand le dysfonctionnement du sanitaire et le défaut d'éclairage la privaient de toute possibilité d'usage du bien loué, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à exclure le préjudice de jouissance de Mme T..., a violé l'article 1719 du code civil ;

3°) ALORS QU'en statuant comme elle l'a fait, sans expliquer quelle serait la contrepartie du loyer payé par Mme T... pour la maison d'habitation privée de tout usage possible du fait de l'absence de cuisine, du dysfonctionnement du sanitaire et du défaut d'éclairage du grenier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1719 du code civil ;

4°) ALORS, subsidiairement, QUE tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu'une décision de justice doit se suffire a elle-même et qu'il ne peut être suppléé au défaut ou à l'insuffisance de motifs par le seul visa de documents de la cause et la seule référence aux débats, n'ayant fait l'objet d'aucune analyse ; qu'en se bornant à affirmer, pour rejeter la demande d'indemnisation de Mme T..., qu'il ressort « des débats et des pièces produites » que Mme T... n'habitait pas les lieux, sans viser ni analyser les pièces sur lesquelles elle s'est fondée pour conclure en ce sens, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

5°) ALORS QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que si dans les procédures orales, les pièces sur lesquelles le juge s'est fondé sont présumées avoir été régulièrement produites et contradictoirement débattues à l'audience, cette présomption tombe si le juge fonde sa décision sur une pièce non visée dans les conclusions et dont il n'apparaît ni des mentions de l'arrêt, ni du bordereau des pièces communiquées qu'elle ait fait l'objet d'un débat contradictoire ; qu'en l'espèce, il ne ressort ni des conclusions de Mme O..., ni des écritures de Mme T..., dont la cour d'appel a constaté qu'elles ont été soutenues à l'audience, qu'un rapport de visite des lieux le 26 mars 1993 par la chambre d'agriculture d'Ille-et-Vilaine ait été versé aux débats et contradictoirement débattu ; qu'en s'appuyant sur cette pièce pour fonder sa décision, sans inviter les parties à s'expliquer sur cet élément de preuve qui, ne figurant pas au nombre des pièces communiquées, n'a été soumis à aucun débat contradictoire, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

6°) ALORS, subsidiairement, QUE toute décision doit être motivée à peine de nullité ; que les juges, tenus d'indiquer sur quels éléments et documents ils se fondent pour déduire les constatations de fait à l'appui de leur décision, ne peuvent statuer par voie de simples affirmations ; qu'en se bornant à affirmer, pour considérer que Mme T... n'habiterait pas les lieux et rejeter la demande d'indemnisation de celle-ci, que les bâtiments d'habitation ne comporteraient même pas une cuisine ce qui justifierait la modique somme demandée à titre de loyer pour la partie habitation, sans préciser sur quelle pièce elle se fondait pour affirmer que le loyer serait modique, quand Mme O... ne produisait aucune pièce en ce sens, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 18-12080
Date de la décision : 11/04/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Rennes, 07 décembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 11 avr. 2019, pourvoi n°18-12080


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, SCP Le Bret-Desaché

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.12080
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