LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION LG
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 5 avril 2019
M. LOUVEL, premier président Cassation partielle
Arrêt n° 643 P+B+R+I
Pourvoi n° F 18-17.442
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par la société Electricité de France, société anonyme, dont le siège est [...],
contre l'arrêt rendu le 29 mars 2018 (RG : 16/01610) par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. L... K..., domicilié [...],
défendeur à la cassation ;
Par ordonnance du 27 juin 2018, le président de la chambre sociale de la Cour de cassation a joint ce pourvoi avec les pourvois n° H 18-17.443, G 18-17.444, J 18-17.445, K 18-17.446, M 18-17.447, N 18-17.448, P 18-17.449, Q 18-17.450, R 18-17.451, S 18-17.452, T 18-17.453, U 18-17.454, V 18-17.455, W 18-17.456, X 18-17.457, Y 18-17.458, Z 18-17.459, A 18-17.460, B 18-17.461, C 18-17.462, D 18-17.463, E 18-17.464, F 18-17.465, H 18-17.466, G 18-17.467, J 18-17.468, K 18-17.469, M 18-17.470, N 18-17.471, P 18-17.472, Q 18-17.473, R 18-17.474, S 18-17.475, T 18-17.476, U 18-17.477, V 18-17.478, W 18-17.479, X 18-17.480, Y 18-17.481, Z 18-17.482, A 18-17.483, B 18-17.484, C 18-17.485, D 18-17.486, E 18-17.487, F 18-17.488, H 18-17.489, G 18-17.490, J 18-17.491, K 18-17.492, M 18-17.493, N 18-17.494, P 18-17.495, Q 18-17.496, R 18-17.497, S 18-17.498, T 18-17.499, U 18-17.500, V 18-17.501, W 18-17.502, X 18-17.503, Y 18-17.504, Z 18-17.505, A 18-17.506, B 18-17.507, C 18-17.508, D 18-17.509, E 18-17.510, F 18-17.511, H 18-17.512, G 18-17.513, J 18-17.514, K 18-17.515, M 18-17.516, N 18-17.517, P 18-17.518, Q 18-17.519, R 18-17.520, S 18-17.521, T 18-17.522, U 18-17.523, V 18-17.524, W 18-17.525, X 18-17.526, Y 18-17.527, Z 18-17.528, A 18-17.529, B 18-17.530, C 18-17.531, D 18-17.532, E 18-17.533, F 18-17.534, H 18-17.535, G 18-17.536, J 18-17.537, K 18-17.538, M 18-17.539, N 18-17.540, P 18-17.541, Q 18-17.542, R 18-17.543, S 18-17.544, T 18-17.545, U 18-17.546, V 18-17.547, W 18-17.548, X 18-17.549 et Y 18-17.500 formés par la société Electricité de France contre cent huit arrêts prononcés le 29 mars 2018 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8) ;
Par ordonnances du 17 décembre 2018, le premier président a renvoyé l'examen de ce pourvoi devant l'assemblée plénière et ordonné sa disjonction des pourvois susvisés, lesquels restent joints au pourvoi n° H 18-17.443 ;
La demanderesse invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire commun aux cent neuf pourvois, déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Electricité de France ;
Un mémoire de productions a également été déposé par la SCP Sevaux et Mathonnet ;
Un mémoire en défense commun a été déposé par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. K... ;
Le rapport écrit de Mme Vieillard, conseiller, et l'avis écrit de Mme Courcol-Bouchard, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Une note du 7 mars 2019 du directeur général du travail, adressée au premier avocat général, a été mise à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 22 mars 2019, où étaient présents : M. Louvel, premier président, Mmes Flise, Batut, MM. Chauvin, Soulard, Cathala, présidents, Mme Riffault-Silk, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Vieillard, conseiller rapporteur, MM. Prétot, Pers, Mme Kamara, MM. Huglo, Maunand, Guérin, Mmes Reygner, Farrenq-Nési, M. Bellenger, Mme Farthouat-Danon, M. Cayrol, conseillers, Mme Courcol-Bouchard, premier avocat général, Mme Berdeaux, directeur des services de greffe ;
Sur le rapport de Mme Vieillard, conseiller, assistée de Mme Noël, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, l'avis de Mme Courcol-Bouchard, premier avocat général, auquel les parties, invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. K... a été employé par la société Electricité de France (la société) en qualité de rondier, chaudronnier et technicien, au sein de la centrale de Saint-Ouen ; qu'estimant avoir été exposé à l'inhalation de fibres d'amiante durant son activité professionnelle, il a saisi, le 11 juin 2013, la juridiction prud'homale afin d'obtenir des dommages-intérêts en réparation d'un préjudice d'anxiété et pour manquement de son employeur à son obligation de sécurité de résultat ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que la société fait grief à l'arrêt de dire M. K... recevable en sa demande et de la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, alors, selon le moyen, que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel ; qu'ils ne peuvent demander cette réparation qu'à l'encontre de leur employeur, et dans la mesure où celui-ci entre lui-même dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; qu'il résulte des constatations des arrêts attaqués que la société ne figure pas dans la liste des établissements visés par ce texte et que les salariés n'avaient pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, en sorte qu'ils ne pouvaient prétendre à l'indemnisation par la société d'un préjudice moral au titre de leur exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; que la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
Mais attendu que l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité (ACAATA), sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle ; que, par un arrêt du 11 mai 2010 (Soc., 11 mai 2010, n° 09-42.241, Bull. n° 106), adopté en formation plénière de chambre et publié au Rapport annuel, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d'obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété tenant à l'inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante ; que la chambre sociale a instauré au bénéfice des salariés éligibles à l'ACAATA un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété réparait l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence ;
Qu'elle a néanmoins affirmé que la réparation du préjudice d'anxiété ne pouvait être admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 susmentionné et l'arrêté ministériel pris sur son fondement et dont l'employeur entrait lui-même dans les prévisions de ce texte, de sorte que le salarié qui n'avait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ne pouvait prétendre à l'indemnisation d'un préjudice moral au titre de son exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité (Soc., 26 avril 2017, n° 15-19.037, Bull. n° 71) ;
Qu'il apparaît toutefois, à travers le développement de ce contentieux, que de nombreux salariés, qui ne remplissent pas les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ou dont l'employeur n'est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel, ont pu être exposés à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé ;
Que dans ces circonstances, il y a lieu d'admettre, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le même moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige ;
Attendu que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés ;
Attendu que, pour condamner la société à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, l'arrêt retient que le demandeur justifie par les pièces qu'il produit, d'une exposition au risque d'inhalation de poussières d'amiante et que, l'exposition du salarié à l'amiante étant acquise, le manquement de la société à son obligation de sécurité de résultat se trouve, par là même, établi, et sa responsabilité engagée, au titre des conséquences dommageables que le salarié invoque du fait de cette inhalation, sans que la société puisse être admise à s'exonérer de sa responsabilité par la preuve des mesures qu'elle prétend avoir mises en oeuvre ;
Qu'en statuant ainsi, en refusant d'examiner les éléments de preuve des mesures que la société prétendait avoir mises en oeuvre, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Et sur le même moyen, pris en sa troisième branche :
Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige, ensemble l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
Attendu que, pour condamner la société à payer au salarié une indemnité en réparation de son préjudice d'anxiété, l'arrêt retient que ce préjudice résultant de l'inquiétude permanente, éprouvée face au risque de déclaration à tout moment de l'une des maladies mortelles liées à l'inhalation de fibres d'amiante, revêt comme tout préjudice moral un caractère intangible et personnel, voire subjectif ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser le préjudice d'anxiété personnellement subi par M. K... et résultant du risque élevé de développer une pathologie grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la quatrième branche :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription, l'arrêt rendu le 29 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. K... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le cinq avril deux mille dix-neuf par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOYEN ANNEXE :
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société Electricité de France.
Il est fait grief à chacun des arrêts infirmatifs attaqués d'avoir dit les salariés recevables en leur demande et condamné la société EDF à payer à chacun d'eux la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété, outre la somme de 100 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Aux motifs que, sur l'irrecevabilité de la demande, la société EDF soutient encore que la demande [...] est irrecevable car elle tend à l'indemnisation d'un préjudice qualifié de préjudice d'anxiété et, qu'en vertu d'une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation, sont seuls recevables à obtenir l'indemnisation de ce préjudice, les salariés travaillant dans certains établissements, inscrits sur une liste dressée par arrêté ministériel, qui ont pour objet la fabrication de matériaux contenant de l'amiante, le flocage et le calorifugeage à l'amiante et la construction et la réparation navales - les salariés concernés bénéficiant d'un régime de retraite particulier (ACAATA) institué par la loi du 21 décembre 1998 ; que si la Cour de cassation a reconnu, il est vrai, en l'absence de toute disposition, un droit à indemnisation du préjudice d'anxiété en faveur des seuls salariés ayant travaillé dans un « établissement listé », force est de constater que [le demandeur] ne prétend pas relever des dispositions de cette loi, puisqu'aussi bien, la société EDF n'est pas inscrite sur la liste des établissements visés par ce texte, mais entend néanmoins obtenir la réparation de son préjudice moral ou d'anxiété, sur le fondement du droit commun de la responsabilité contractuelle et, en particulier, de l'obligation de sécurité dont la société EDF en sa qualité d'employeur, est débitrice envers ses salariés ; que, contrairement à ce que fait plaider la société EDF, il importe peu que ce préjudice ait été qualifié d' « anxiété » par la Cour de cassation, dès lors que ce qualificatif n'emporte en lui-même aucun effet juridique, les termes de « préjudice d'anxiété » étant d'ailleurs retenus et employés dans des situations où la victime invoque l'inhalation de substances nocives autres que l'amiante ; qu'au-delà des mots, qui ne peuvent suffire à créer ou écarter un préjudice, c'est la description de ce préjudice, sa réalité et son imputabilité à la société EDF qui, selon le droit commun de la responsabilité, doivent déterminer l'appréciation par la cour de l'indemnisation requise par l'appelant ; que si, au nom d'un statut social dérogatoire, réservé par la loi à certains salariés, est admis pour ceux-ci un droit à voir indemniser « leur préjudice d'anxiété » dans des conditions également dérogatoires - au regard du caractère systématique de l'indemnisation de ce préjudice qui décharge les salariés concernés du fardeau de toute preuve - les dispositions et le régime général de la responsabilité demeurent, en effet, applicables aux salariés exposés à l'amiante, travaillant pour des entreprises « non listées » ; que, comme les salariés des entreprises « listées », les salariés qui ont travaillé pour la société EDF et ont été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante sont en mesure d'éprouver, eux aussi, l'inquiétude permanente de voir se déclarer à tout moment l'une des graves maladies liées à cette inhalation ; que [le demandeur] prétendant remplir les conditions exigées par le régime général de la responsabilité est en conséquence recevable à soumettre à la cour sa demande, quand bien même la société EDF ne figure pas sur la liste précitée ; que [le demandeur] sera dès lors déclaré recevable en cette demande ; que, sur le fond, l'employeur est tenu, à l'égard de son personnel, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs ; que, si l'appelant est actuellement indemne de toute maladie liée à l'inhalation de l'amiante, le préjudice d'anxiété qu'il impute à la société EDF réside dans l'inquiétude permanente qu'il déclare éprouver face au risque de déclaration à tout moment de l'une de ces maladies, très souvent mortelles, et ce, en raison de son exposition à l'amiante dans le passé, à l'occasion de l'exercice de son activité professionnelle au sein et pour le compte de la société EDF ; que la société EDF conteste que [le demandeur] ait été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante et prétend qu'il a tout au plus travaillé dans des locaux ou avec des matériaux ou des matériels dans lesquels l'amiante était présente, sans que pour autant les mesures d'empoussièrement effectuées ne traduisent de résultat supérieur à celui toléré par la réglementation en vigueur ; que, certes, pour être admis à rechercher la responsabilité de la société EDF, l'appelant doit établir qu'il a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante, de nature à justifier le préjudice d'inquiétude dont il sollicite réparation ; mais qu'il ressort des pièces et des conclusions que la société EDF délivre à certains de ses salariés en fin de carrière, spontanément ou sur leur demande, une attestation d'exposition ; que l'objet de cette attestation - défini à l'accord d'entreprise du 15 juillet 1998 sur « la prévention et la réparation de l'exposition au risque d'amiante » - est de voir indiquer sur ce document si le salarié « a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante avant le 1er février 2012 » ; qu'ainsi que le précise la note d'EDF à toutes ses unités, du 27 juin 2000, la détermination de cette exposition est effectuée par le chef d'unité « au cas par cas » et c'est la « réalité de l'exposition » qui conduit à la délivrance des attestations d'exposition ; qu'il résulte des énonciations qui précèdent, que les attestations ne sont donc pas seulement destinées à procurer au salarié un suivi médical, pris en charge par l'assurance maladie, comme le prétend la société EDF, mais qu'elles « attestent » du caractère effectif de l'exposition à l'amiante du salarié pendant son parcours professionnel au sein d'EDF ; qu'en dépit des conclusions de la société EDF, ces attestations, lorsqu'elles mentionnent l'exposition du salarié, ne témoignent donc pas de la fréquentation par l'intéressé de locaux où l'atmosphère présentait un taux d'amiante conforme aux exigences réglementaires que d'ailleurs, non sans contradiction, la société EDF admet simultanément et de façon bien imprécise, dans ses conclusions, que l'attestation est délivrée « aux travailleurs ayant exercé leurs fonctions dans une atmosphère potentiellement amiantée » ; qu'au demeurant, il n'est pas soutenu qu'une telle attestation soit délivrée à tous les salariés travaillant dans la même centrale que l'appelant, alors que le bénéfice du suivi médical, également octroyé aux seuls salariés exposés à l'inhalation des fibres d'amiante, souligne bien la particulière dangerosité de l'activité exercée par ceux-ci ; que la société EDF établit également des fiches d'exposition, qui mentionnent de manière plus détaillée, l'activité effectuée par le salarié et sont synthétisées dans l'attestation précitée ; qu'il existe encore des fiches de services insalubres qui contiennent les mêmes informations que les documents précédents et ont spécialement pour objet de permettre au salarié, à raison de son exposition, de bénéficier de bonifications en matière de retraite - avec cette précision que la fiche de services insalubres individualise les diverses nuisances subies par le salarié, dont l'amiante ; que l'exposition litigieuse ressort aussi des documents établis par la caisse de retraite du personnel des industries électriques et gazières (CNIEG), soit, des relevés de carrière ou de pension, lorsque ceux-ci mentionnent des bonifications pour travaux insalubres en raison d'une exposition à l'amiante ; qu'enfin, certains salariés justifient de fiches d'exposition au risque d'amiante, établies par EDF sur le fondement de l'article 31 du décret n° 96-98 du 7 février 1996 relatif à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'inhalation de poussières d'amiante ou de courriers de la CPAM considérant comme établie l'exposition au risque professionnel d'inhalation de fibres d'amiante, au vu de la réception d'une attestation d'exposition établie par EDF ; qu'en l'espèce [le demandeur] justifie par les pièces produites d'une telle exposition ; qu'il est dès lors recevable à invoquer la responsabilité de son ancien employeur, du fait de l'inexécution par celui-ci de son obligation de sécurité puisque la société EDF l'a fait travailler dans des conditions qui ont provoqué chez lui, l'inhalation de poussières d'amiante ; que l'exposition à l'amiante du salarié étant dès lors acquise, le manquement de la société EDF à son obligation de sécurité de résultat se trouve, par là même, établi - étant observé qu'à la période où [le demandeur] a travaillé en son sein, EDF n'ignorait pas, et ne prétend d'ailleurs pas avoir ignoré, la gravité des conséquences liées à l'inhalation de poussières d'amiante, pour la santé du salarié ; que la responsabilité de la société EDF se trouve en conséquence engagée envers [le demandeur] au titre des conséquences dommageables que l'appelant invoque du fait de cette inhalation, sans que la société EDF puisse être admise à s'exonérer de sa responsabilité par la preuve des mesures qu'elle prétend avoir mises en oeuvre et que la cour n'examinera donc pas ; qu'en vain, la société EDF soutient que le préjudice d'anxiété invoqué par l'appelant ne serait pas démontré ; qu'en effet, ce préjudice, résultant, ainsi qu'il a été rappelé précédemment, de l'inquiétude permanente, éprouvée face au risque de déclaration à tout moment de l'une des maladies mortelles liées à l'inhalation de fibres d'amiante, revêt comme tout préjudice moral un caractère intangible et personnel, voire subjectif, qu'il appartient au juge d'apprécier en fonction des éléments objectifs et non contestables à sa disposition ; qu'en l'espèce, le risque et l'anxiété [du demandeur] se rapportant au processus vital, lui-même, la cour est en mesure d'évaluer à la somme de 10 000 euros le montant de l'indemnité réparatrice de ce préjudice ;
Alors, de première part, que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel ; qu'ils ne peuvent demander cette réparation qu'à l'encontre de leur employeur, et dans la mesure où celui-ci entre lui-même dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ; qu'il résulte des constatations des arrêts attaqués que la société EDF ne figure pas dans la liste des établissements visés par ce texte et que les salariés n'avaient pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, en sorte qu'ils ne pouvaient prétendre à l'indemnisation par la société EDF d'un préjudice moral au titre de leur exposition à l'amiante, y compris sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ; que la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
Subsidiairement,
Alors, de deuxième part, que l'employeur, qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale ; qu'en refusant que la société EDF puisse s'exonérer de sa responsabilité par la preuve des mesures qu'elle prétend avoir mises en oeuvre et en refusant de les examiner, la cour d'appel a violé les dispositions précitées ;
Alors, de troisième part, qu'en se bornant à relever que les salariés, ayant justifié de leur exposition à l'amiante, sont « en mesure » d'éprouver l'inquiétude permanente de voir se déclarer à tout moment l'une des graves maladies liées à cette inhalation, sans relever que, compte tenu de l'intensité et de la durée de cette exposition, ils étaient exposés à un risque suffisamment élevé de développer une telle affection pour justifier de façon réelle et légitime de l'anxiété spécifique, dans laquelle ils se trouveraient, de développer une telle affection, la cour d'appel a privé ses décisions de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble de l'article 1147 ancien du code civil, désormais article 1231-1 du même code ;
Et alors de quatrième part, qu'en accordant à chacun des 109 défendeurs la même somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice considéré par principe comme « intangible », sans examiner la situation particulière de chacun d'eux face à ce risque, la cour d'appel a de plus fort privé ses décisions de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble de l'article 1147 ancien du code civil, désormais article 1231-1 du même code.