La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/04/2019 | FRANCE | N°17-30911;17-31124

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 03 avril 2019, 17-30911 et suivant


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° A 17-30.911 et H 17-31.124 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Aix-en-Provence, 13 octobre 2017), qu'engagé par la société Mogador, à compter du 1er avril 2013 en qualité de directeur marketing stratégie, M. V... a été licencié pour faute grave le 28 janvier 2014 ; qu'il a contesté son licenciement devant la juridiction prud'homale et a sollicité le paiement d'une somme de 150 000 euros à titre de contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence ;>
Sur le moyen unique du pourvoi du salarié :

Attendu que le salarié fait grief ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu la connexité, joint les pourvois n° A 17-30.911 et H 17-31.124 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, (Aix-en-Provence, 13 octobre 2017), qu'engagé par la société Mogador, à compter du 1er avril 2013 en qualité de directeur marketing stratégie, M. V... a été licencié pour faute grave le 28 janvier 2014 ; qu'il a contesté son licenciement devant la juridiction prud'homale et a sollicité le paiement d'une somme de 150 000 euros à titre de contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence ;

Sur le moyen unique du pourvoi du salarié :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire son licenciement pour faute grave justifié, de le débouter de sa demande tendant à voir dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de celle tendant à voir condamner l'employeur au paiement de diverses sommes à ce titre alors, selon le moyen :

1°/ qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; que ce délai de deux mois court à compter du jour où l'employeur ou le supérieur hiérarchique a connaissance des faits fautifs ; qu'en l'espèce, M. V... avait fait valoir que Mme S... étant responsable de magasin, donc une émanation du pouvoir de l'employeur, c'était à compter de la date à laquelle celle-ci avait eu connaissance des faits reprochés au salarié que le délai de prescription commençait à courir ; que dès lors, en se bornant à retenir que Mme S... avait « dénoncé » à l'employeur les faits fautifs le 10 janvier 2014 de sorte que la procédure de licenciement ayant été initiée le 13 janvier suivant, les faits n'étaient pas prescrits sans rechercher, comme elle y avait été invitée, la date à laquelle Mme S..., représentante de l'employeur en sa qualité de supérieure hiérarchique de Mme E..., avait eu connaissance des faits par les confidences reçues de sa collègue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

2°/ que nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; qu'en l'espèce, pour retenir établis les faits de harcèlement sexuel à la charge de M. V..., la cour d'appel s'est notamment fondée sur une attestation de Mme S... établie d'après les « confidences » de Mme E... et sur une attestation de M. A... qui, « après une discussion avec [Mme E...], déclarait que celle-ci, après échange avec M. V..., avait espéré une augmentation ; que Mme S... et M. A... se bornaient ainsi à rapporter les propos tenus par Mme E... ; que dès lors, en se fondant sur ces attestations, la cour d'appel a méconnu le principe précité et a violé les articles 9 du code de procédure civile et 1315 du code civil ;

3°/ que nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; qu'en l'espèce, pour retenir établis les faits de harcèlement sexuel à la charge de M. V..., la cour d'appel s'est notamment fondée sur une lettre adressée le 12 avril 2014 par Mme E... à son employeur ; que la cour d'appel a ainsi à nouveau méconnu le principe précité et a violé les articles 9 du code de procédure civile et 1315 du code civil ;

4°/ que M. V... faisait valoir que le bureau de Mme E..., responsable de la boutique, était au sous-sol du magasin de sorte qu'en tant que responsable marketing, il était effectivement amené, lors de ses venues au magasin, à travailler avec Mme E... dans le bureau de celle-ci ; que les attestations des salariées de la société selon lesquelles M. V... et Mme E... étaient enfermés dans une pièce du sous-sol du magasin, et se seraient disputés n'étaient donc pas de nature à établir la preuve de faits de harcèlement sexuel ; qu'en se fondant pourtant sur les attestations de Mmes K..., Q... et C..., la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail ;

Mais attendu que sous le couvert des griefs non fondés de manque de base légale et de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par les juges du fond du point de départ du délai de prescription et des éléments de preuve de nature à établir l'existence des faits reprochés, constitutifs d'une faute grave ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le moyen unique du pourvoi de l'employeur :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié la somme de 150 000 euros à titre de contrepartie financière à la clause de non-concurrence alors, selon le moyen :

1°/ que le salarié lié par une clause de non-concurrence doit bénéficier d'une contrepartie financière et que les parties ne peuvent dissocier les conditions d'ouverture de l'obligation de non-concurrence et celles de son indemnisation, le montant versé ne pouvant varier selon les circonstances de la rupture ; qu'en revanche, les parties peuvent subordonner la naissance même de l'engagement de non concurrence à l'atteinte de certains objectifs ; qu'en l'espèce, la clause stipulant qu'« en cas de rupture, après atteinte des objectifs, M. V... s'engage pendant 12 mois suivant la fin de ses fonctions, en contrepartie de l'encaissement de l'indemnité de rupture de 150 000 euros, à ne pas exercer ses compétences dans le domaine de l'horlogerie joaillerie dans un rayon de 100 kilomètres du siège » subordonnait la naissance même de l'engagement de non-concurrence à l'atteinte d'objectifs, sans pour autant maintenir un engagement de non-concurrence dépourvu d'indemnisation ni dissocier l'indemnisation due et l'engagement au cas où il n'atteindrait pas ses objectifs ; qu'en décidant que l'indemnité prévue par la clause était conditionnée par la réalisation d'objectifs, cependant que la clause ne pouvait recevoir application que si les objectifs étaient atteints, auquel cas le salarié bénéficiait sans aucune restriction de son indemnisation, la cour d'appel a violé, par fausse application, le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, et par refus d'application du contrat de travail, l'article L. 1121-1 du code du travail ;

2°/ qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le contrat de travail stipulant qu'« en cas de rupture, après atteinte des objectifs, M. V... s'engage pendant 12 mois suivant la fin de ses fonctions, en contrepartie de l'encaissement de l'indemnité de rupture de 150 000 euros, à ne pas exercer ses compétences dans le domaine de l'horlogerie joaillerie dans un rayon de 100 kilomètres du siège » conditionnait clairement, sans ambiguïté, la naissance de l'engagement de non-concurrence à l'atteinte des objectifs ; qu'en énonçant que la clause conditionnait le versement de l'indemnité prévue à la réalisation d'objectifs passés, pour retenir qu'elle dissociait de manière illicite l'engagement de non-concurrence du versement de la contrepartie financière, la cour d'appel a dénaturé la clause et a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

3°/ qu'en s'étant fondée sur les circonstances que la société Mogador avait renoncé tardivement au bénéfice de la clause de non-concurrence le 17 avril 2014 soit postérieurement au départ effectif du salarié le 28 janvier 2014 et ne produisait aucune pièce établissant que M. V... aurait violé la clause de non-concurrence, inopérantes dès lors que l'engagement de non-concurrence n'ayant pas pris naissance faute d'atteinte des objectifs fixés, le salarié ne remplissait pas les conditions contractuellement fixées pour prétendre, en contrepartie, à une indemnité de rupture de 150 000 euros, et ce indépendamment de toute renonciation par l'employeur à l'application de la clause ou de violation de celle-ci par le salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et de l'article L. 1121-1 du code du travail ;

Mais attendu d'abord que l'employeur ne soutenait pas devant la cour d'appel que l'existence même de l'engagement de non-concurrence était subordonnée à l'atteinte d'objectifs ;

Attendu ensuite que la cour d'appel a retenu, hors toute dénaturation, que la clause était une clause de non-concurrence ;

D'où il suit que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, partant irrecevable en ses première et troisième branches n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois ;

Laisse à chaque parties la charge des dépens afférents à son pourvoi ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois avril deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyen produit au pourvoi n° A 17-30.911 par la SCP Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour la société Mogador.

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la SAS Mogador à payer à M. V... la somme de 150 000 euros à titre de contrepartie financière à la clause de non-concurrence ;

Aux motifs que M. V... fait valoir que le contrat de travail prévoit une contrepartie de 150 000 euros à l'obligation de non-concurrence qui devait être versée par l'employeur en cas de rupture du contrat de travail et prétend que l'employeur ne pouvait renoncer à son obligation de paiement dès lors que la faculté de renonciation n'a pas été prévue dans le contrat de travail et que la renonciation de l'employeur est intervenue le 17 avril 2014 après la rupture du contrat de travail ; que la société Mogador soutient que la contrepartie n'est pas due en cas de faute grave, est destinée à indemniser une perte de salaire que M. V... n'a pas subie puisqu'il n'a pas été au chômage et qu'elle a la nature d'une clause pénale ; que seule la restitution de la liberté de travailler et que M. V... est libéré de son obligation de non-concurrence dès lors que l'employeur ne verse pas la contrepartie prévue ; que le versement de la contrepartie est subordonné à l'atteinte d'objectifs que M. V... n'a pas réalisés et qu'il ne justifie pas avoir été entravé dans sa liberté de travailler entre les 30 janvier et 17 avril 2014 ; qu'en droit, la contrepartie financière, qui n'est pas une clause pénale, est une condition de validité de la clause de non-concurrence et son versement ne peut être minoré ou supprimé selon le mode de rupture du contrat de travail ; qu'à défaut d'accord du salarié ou d'indication dans la convention collective ou dans le contrat de travail, et en cas de licenciement, l'employeur peut renoncer à la clause de non-concurrence dans un délai raisonnable à savoir au moment du départ effectif du salarié de l'entreprise ; que la violation par le salarié de la clause de non-concurrence dispense l'employeur du paiement de la contrepartie financière ; que le non-respect de la clause par le salarié doit être prouvé par l'ancien employeur qui s'en prévaut ;
qu'en l'espèce, le contrat de travail comporte la stipulation suivante, intitulée clause de non-concurrence : « En cas de rupture, après atteinte des objectifs, Monsieur V... s'engage pendant 12 mois suivant la fin de ses fonctions, en contrepartie de l'encaissement de l'indemnité de rupture de 150 000 €, à ne pas exercer ses compétences dans le domaine de l'horlogerie joaillerie dans un rayon de 100 kilomètres du siège » ; que dès lors qu'elle est la contrepartie à l'entrave à la liberté d'exercer une activité professionnelle, l'indemnité prévue par cette clause ne peut être conditionnée par la réalisation d'objectifs passés ni minorée ou supprimée en raison de la faute grave invoquée à l'appui du licenciement du salarié ; que de même, la société Mogador a renoncé tardivement au bénéfice de la clause de non-concurrence par courrier du 17 avril 2014 soit postérieurement au départ effectif du salarié le 28 janvier 2014 ; qu'enfin, la société Mogador ne verse aucune pièce de nature à établir que Monsieur V... aurait violé la clause de non-concurrence ; qu'il en résulte que la demande de Monsieur V... est fondée et il convient de lui allouer, par infirmation du jugement querellé, la somme de 150 000 € ;

Alors 1°) que le salarié lié par une clause de non-concurrence doit bénéficier d'une contrepartie financière et que les parties ne peuvent dissocier les conditions d'ouverture de l'obligation de non-concurrence et celles de son indemnisation, le montant versé ne pouvant varier selon les circonstances de la rupture ; qu'en revanche, les parties peuvent subordonner la naissance même de l'engagement de non-concurrence à l'atteinte de certains objectifs ; qu'en l'espèce, la clause stipulant qu'« en cas de rupture, après atteinte des objectifs, Monsieur V... s'engage pendant 12 mois suivant la fin de ses fonctions, en contrepartie de l'encaissement de l'indemnité de rupture de 150 000 €, à ne pas exercer ses compétences dans le domaine de l'horlogerie joaillerie dans un rayon de 100 kilomètres du siège » subordonnait la naissance même de l'engagement de non-concurrence à l'atteinte d'objectifs, sans pour autant maintenir un engagement de non-concurrence dépourvu d'indemnisation ni dissocier l'indemnisation due et l'engagement au cas où il n'atteindrait pas ses objectifs ; qu'en décidant que l'indemnité prévue par la clause était conditionnée par la réalisation d'objectifs, cependant que la clause ne pouvait recevoir application que si les objectifs étaient atteints, auquel cas le salarié bénéficiait sans aucune restriction de son indemnisation, la cour d'appel a violé, par fausse application, le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, et par refus d'application du contrat de travail, l'article L. 1121-1 du code du travail ;

Alors 2°) qu'il est interdit au juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, le contrat de travail stipulant qu'« en cas de rupture, après atteinte des objectifs, Monsieur V... s'engage pendant 12 mois suivant la fin de ses fonctions, en contrepartie de l'encaissement de l'indemnité de rupture de 150 000 €, à ne pas exercer ses compétences dans le domaine de l'horlogerie joaillerie dans un rayon de 100 kilomètres du siège » conditionnait clairement, sans ambiguïté, la naissance de l'engagement de non-concurrence à l'atteinte des objectifs ; qu'en énonçant que la clause conditionnait le versement de l'indemnité prévue à la réalisation d'objectifs passés, pour retenir qu'elle dissociait de manière illicite l'engagement de non-concurrence du versement de la contrepartie financière, la cour d'appel a dénaturé la clause et a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause ;

Alors 3°) qu'en s'étant fondée sur les circonstances que la société Mogador avait renoncé tardivement au bénéfice de la clause de non-concurrence le 17 avril 2014 soit postérieurement au départ effectif du salarié le 28 janvier 2014 et ne produisait aucune pièce établissant que M. V... aurait violé la clause de non-concurrence, inopérantes dès lors que l'engagement de non-concurrence n'ayant pas pris naissance faute d'atteinte des objectifs fixés, le salarié ne remplissait pas les conditions contractuellement fixées pour prétendre, en contrepartie, à une indemnité de rupture de 150 000 euros, et ce indépendamment de toute renonciation par l'employeur à l'application de la clause ou de violation de celle-ci par le salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et de l'article L. 1121-1 du code du travail. Moyen produit au pourvoi n° H 17-31.124 par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. V....

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le licenciement pour faute grave est justifié et d'AVOIR, en conséquence, débouté M. V... de sa demande tendant à voir dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et de celle tendant à voir condamner la société Mogador au paiement de diverses sommes à ce titre ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE M. V... soutient que les manquements qui lui sont reprochés sont prescrits et il en conteste la matérialité, dont certains (harcèlement sexuel) portent gravement atteinte à son honneur. Il fait valoir que l'employeur, qui doit faire preuve de prudence, n'a pas mené d'enquête interne, n'a pas entendu la victime supposée ni lui-même, que les témoignages produits ne permettent pas de démontrer l'existence d'un quelconque harcèlement, qu'il ne détenait aucun pouvoir d'engager financièrement la société; que la somme de 40 000 € versée par le biais de quatre chèques était une avance sur salaire et non un prêt et qu'en toute bonne foi il entend procéder au paiement des bijoux qu'il reconnaît avoir achetés lors des fêtes de fin d'année ; que la société Mogador conclut qu'elle démontre l'existence de manquements du salarié à ses obligations contractuelles qu'elle qualifie de fautes graves ; que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ;qu'elle doit être prouvée par l'employeur ; qu'il ressort de la lettre de licenciement que le premier motif invoqué est celui de harcèlement sexuel envers Mme E..., responsable du magasin d'Aix-en-Provence, exposé en ces termes :
« Les faits qui vous sont reprochés sont des faits de harcèlement sexuel envers notre responsable du magasin d'Aix en Provence, Mme J... E... : Harcèlement par téléphone, harcèlement dans son bureau, incitation à obtenir des faveurs sexuelles sous couvert et par le biais de votre position hiérarchique supérieure à la sienne, à l'occasion d'entretiens à vocation professionnelle de contrôle auprès des cadres et des personnels dus par vous à notre Société.
Ces actes de harcèlement sexuel ont été portés à notre connaissance le 10 janvier 2014, par la responsable de magasin du [...] .
U... S... a confirmé que J... E... s'est ouverte à elle de manoeuvres de harcèlement sexuel de votre part à son encontre, sur plusieurs mois à l'occasion de vos visites et par téléphone dès la désignation de Mme J... E... comme responsable du magasin d'Aix en Provence, J... E... lui a révélé le désarroi dans lequel vos tentatives l'ont plongée.
Dans le cadre de notre obligation légale de sécurité au travail, nous avons aussitôt interrogé Mesdames K..., C... et Q..., vendeuses du magasin d'Aix en Provence. Elles ont attesté le Harcèlement sexuel le 11 janvier 2014.
De ce fait le Président du Conseil d'administration de F... et Fils a interrogé Mme J... E... pour avoir confirmation ou dénégation de ces témoignages.
Mme J... E... a confirmé avoir fait l'objet de votre part de tentatives d'atteintes sexuelles dans son bureau, de réception d'appels téléphoniques à fin personnelle sous couvert professionnel afin de la convaincre de nouer avec vous des relations sexuelles, en lui faisant miroiter l'avantage professionnel et social d'une promotion qui en serait le corollaire.
Il est donc établi par plusieurs témoignages concordants qu'à l'occasion de votre travail vous avez adopté des attitudes, des paroles, exercé une contrainte physique et morale, même légère à fin d'obtenir des faveurs sexuelles à votre profit, à l'occasion de relations du travail sous l'emprise de votre supériorité hiérarchique et de promesse de promotion pour elle, en contrepartie.
Ces faits sont suffisamment graves pour justifier la rupture pour faute grave de votre contrat de travail avec Mogador et justifier votre mise à pied laquelle devient donc définitive et ne vous sera pas réglée pour les périodes du 15 janvier 2015 à la réception du présent.
Ce fait grave constitue à lui seul le motif entraînant la rupture immédiate de votre contrat de travail et la confirmation de votre mise à pied. Ces faits étant avérés et incontestables, cette mise à pied purge le contentieux disciplinaire sans empêcher le prononcé de la mesure de licenciement pour faute grave décidée après mure réflexion et notifiée par le présent... »
- Sur la prescription : aux termes de l'article L 1332-4 du code du travail, « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales » ; qu'en l'espèce, Mme U... S..., salariée de la société Mogador, qui a reçu les confidences de sa collègue, Mme E..., atteste avoir dénoncé le 10 janvier 2014 à Messieurs F..., employeurs, les faits de harcèlement dont a été victime cette dernière. Dès lors que la procédure de licenciement a été initiée le 13 janvier 2014 par l'envoi de la lettre de mise à pied conservatoire et de convocation à l'entretien préalable, les faits ne sont pas prescrits ; que la société Mogador produit :
- l'attestation de Mme S... qui indique avoir reçu les confidences de Mme E... selon lesquelles, en échange de faveur sexuelles, M. V... lui a promis une augmentation de salaire et un autre poste « à hauteur de ses compétences »; elle témoigne du malaise profond de la salariée « face au comportement de N... V... à son sujet »qui ne « sait comment réagir », des arrêts maladie successifs puis d'un congé maternité au cours duquel la salariée était « très mal dans sa tête, elle est traumatisée et déstabilisée »;
- les attestations concordantes de Mesdames K..., Q... et C..., salariées, qui indiquent qu'elles ont personnellement constaté les venues régulières de M. V... au magasin d'Aix-en-Provence au cours desquelles il s'enfermait avec Mme E... dans une pièce du sous-sol du magasin, ainsi qu'une dispute entre eux, en septembre 2013, au cours de laquelle Mme E... a crié « je ne suis pas une salope, tu me prends pour qui, je ne suis pas une pute ;
- l'attestation de M. A... qui fait état d'une attitude qualifiée « d'incompréhensible » au cours d'une réunion de Mme E... au sujet de sa rémunération et du fait qu'après une discussion avec celle-ci il était « apparu que des échanges entre elle-même et M. V... avaient conduit cette dernière à penser à une rémunération plus forte ainsi qu'une promotion au sein de la société », promesses qui n'étaient « en aucun cas en phase avec les objectifs de rémunération proposés par la Direction de la société » ;
- le courrier du 12 avril 2014 que Mme E... a adressé à son employeur dans lequel elle indique « avoir beaucoup souffert de ma situation de travail sur le magasin d'Aix-en-Provence. En arrêt maladie puis bientôt en congé maternité, je ne souhaite plus en reparler davantage...J'insiste vraiment sur le fait que je ne veux plus échanger sur ce sujet. Je me porte mieux ainsi. Je vous remercie par avance de votre compréhension »; qu'il résulte de ces éléments que la société Mogador établit bien qu'elle a été informée de faits répétitifs commis par M. V..., à savoir l'incitation pressante à obtenir des relations de nature sexuelle avec une de ses subordonnées en échange de fausses promesses relatives à une promotion qu'il n'était pas dans ses prérogatives d'accorder et qui ont eu pour effet direct une dégradation des conditions de travail de la salariée en portant atteinte à sa dignité et en altérant sa santé mentale, celle-ci ayant été déclarée inapte à son poste à la suite d'une seule visite médicale de reprise en application des dispositions de l'article R 4624-31 du code du travail ; que la société Mogador justifie donc, au regard des faits reprochés et de la nécessité du respect de l'obligation de sécurité de résultat qui pèse sur elle, d'une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de Monsieur V... dans l'entreprise pendant la durée du préavis ; que pour ce seul grief, sans qu'il soit besoin d'examiner les suivants, la faute grave est justifiée et caractérisée par la société Mogador ; que par confirmation du jugement querellé, M. V... sera débouté de ses demandes de rappel de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité légale de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE les faits sont contestés par M. V... ; que le salarié n'apporte aucun élément matériellement vérifiable ; que ces faits sont confirmés par Mme U... S... et par la responsable de magasin ; que l'employeur a effectué une enquête qui a confirmé les faits de harcèlement sexuel envers la responsable de magasin d'Aix-en-Provence ; que ces faits ont été confirmés par mesdames K..., Q... et C..., vendeuses du magasin d'Aix-en-Provence ; (
) ; que les éléments matériels communiqués par l'employeur sont suffisants pour démontrer les faits de harcèlement contre la salariée ; qu'en conséquence, le bureau de jugement dit que le premier grief reproché au salarié est justifié ;

1°) ALORS QUE aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance ; que ce délai de deux mois court à compter du jour où l'employeur ou le supérieur hiérarchique a connaissance des faits fautifs ; qu'en l'espèce, M. V... avait fait valoir (conclusions d'appel p. 29) que Mme S... étant responsable de magasin, donc une émanation du pouvoir de l'employeur, c'était à compter de la date à laquelle celle-ci avait eu connaissance des faits reprochés au salarié que le délai de prescription commençait à courir ; que dès lors, en se bornant à retenir que Mme S... avait « dénoncé » à l'employeur les faits fautifs le 10 janvier 2014 de sorte que la procédure de licenciement ayant été initiée le 13 janvier suivant, les faits n'étaient pas prescrits sans rechercher, comme elle y avait été invitée, la date à laquelle Mme S..., représentante de l'employeur en sa qualité de supérieure hiérarchique de Mme E..., avait eu connaissance des faits par les confidences reçues de sa collègue, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1332-4 du code du travail ;

2°) ALORS QUE (subsidiaire) nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; qu'en l'espèce, pour retenir établis les faits de harcèlement sexuel à la charge de M. V..., la cour d'appel s'est notamment fondée sur une attestation de Mme S... établie d'après les « confidences » de Mme E... et sur une attestation de M. A... qui, « après une discussion avec [Mme E...], déclarait que celle-ci, après échange avec M. V..., avait espéré une augmentation ; que Mme S... et M. A... se bornaient ainsi à rapporter les propos tenus par Mme E... ; que dès lors, en se fondant sur ces attestations, la cour d'appel a méconnu le principe précité et a violé les articles 9 du code de procédure civile et 1315 du code civil ;

3°) ALORS QUE (subsidiaire) nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; qu'en l'espèce, pour retenir établis les faits de harcèlement sexuel à la charge de M. V..., la cour d'appel s'est notamment fondée sur une lettre adressée le 12 avril 2014 par Mme E... à son employeur ; que la cour d'appel a ainsi à nouveau méconnu le principe précité et a violé les articles 9 du code de procédure civile et 1315 du code civil ;

4°) ALORS QUE M. V... faisait valoir que le bureau de Mme E..., responsable de la boutique, était au sous-sol du magasin de sorte qu'en tant que responsable marketing, il était effectivement amené, lors de ses venues au magasin, à travailler avec Mme E... dans le bureau de celle-ci ; que les attestations des salariées de la société selon lesquelles M. V... et Mme E... étaient enfermées dans une pièce du sous-sol du magasin, et se seraient disputés n'étaient donc pas de nature à établir la preuve de faits de harcèlement sexuel ; qu'en se fondant pourtant sur les attestations de Mesdames K..., Q... et C..., la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a ainsi privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17-30911;17-31124
Date de la décision : 03/04/2019
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 13 octobre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 03 avr. 2019, pourvoi n°17-30911;17-31124


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvet (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Gadiou et Chevallier, SCP Rousseau et Tapie

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:17.30911
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award