LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. I... A...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 31 janvier 2018, qui, pour agressions sexuelles aggravées, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 6 février 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Moreau, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de M. le conseiller Moreau, les observations de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE, BUK-LAMENT et ROBILLOT, de la société civile professionnelle DE NERVO et POUPET, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général VALAT ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, 222-22, 222-27 et 222-29-1 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. A... coupable d'agression sexuelle sur mineure de 15 ans ;
"aux motifs qu'il ressort des éléments de l'enquête que les accusations portées par C... V... à l'encontre de M. I... A... ont été constantes et précises dès le recueil de sa plainte en 2005, à quelques variantes près concernant son habillement ; qu'elles ont d'ailleurs été confirmées par les premières personnes auxquelles elle s'était confiée, à savoir ses camarades de classe et l'infirmière scolaire de son collège ; que l'expert n'a décelé aucune anomalie psychiatrique chez la victime ni aucun trouble de nature à venir amenuiser ou relativiser les déclarations faites ; qu'au contraire, Mme B... M..., pédopsychiatre, a objectivé les traumatismes habituellement observés chez les personnes victimes d'abus sexuels ; qu'enfin, la persévérance tenace de la victime face à une justice qui a pu lui paraître hostile doit être interprétée comme un combat pour faire éclater la vérité ; que M. A... ne reconnaît pas les caresses sur le corps, les baisers sur la bouche ou le léchage du sexe, mais ne les a pas niés de manière vigoureuse et absolue ; qu'à cet égard, l'enregistrement de sa discussion au fast-food en mai 2012 est révélatrice ; qu'alors que sa nièce lui rappelait les différents faits à Geispolsheim et à la Réunion, il lui a répondu qu'il ne se souvenait plus et lui présentait ses excuses ; que plus tard, devant le psychiatre, M. P... W..., il a déclaré : « je peux pas dire non, mais à 99,9 % j'ai jamais eu de contact particulier avec elle, j'ai peut-être eu des gestes déplacés quand on chahutait » ; que l'expert a rejeté de manière catégorique tout problème de mémoire chez le prévenu, mais le décrivait comme un buveur chronique ; qu'au-delà de cette reconnaissance en creux, certaines de ses déclarations se révèlent inexactes ; qu'il a indiqué que les faits d'attouchements dans la cave à Geispolsheim n'avaient pas pu matériellement avoir eu lieu car le plafond y était trop bas ; qu'or, compte tenu de la taille de M. A... (1 m 71), les enquêteurs ont constaté qu'il était possible sur la plupart de la surface de se tenir debout ; qu'il a également indiqué que les attouchements à la Réunion sur le canapé clic-clac du salon ne pouvaient s'être déroulés car C... dormait dans la chambre de son épouse, ce que cette dernière dément, C... dormant bien sur le canapé ; que par ailleurs, M. A... reconnaît qu'il regardait souvent la télévision qui se trouvait dans cette pièce, et avait donc la possibilité d'être en contact avec C... ; qu'il a imputé les faits dénoncés par C... au père de celle-ci ; que cependant, outre qu'il n'existe aucune poursuite contre ce dernier pour ce type de faits, il est établi qu'il n'était jamais allé avec sa fille en vacances à la Réunion ; que ces mensonges ou inexactitudes ne peuvent qu'affaiblir la portée des dénégations de M. A... ; qu'au vu de l'ensemble des éléments ci-dessus rappelés, la cour estime que la culpabilité de M. A... est suffisamment établie ;
"1°) alors que le droit à un procès équitable, le droit de se taire et celui de ne pas s'incriminer soi-même s'opposent à ce que le fait, pour le prévenu, de ne pas nier vigoureusement les faits soit interprété comme une preuve de culpabilité ; qu'en se fondant, pour déclarer M. A... coupable d'agression sexuelle, sur la circonstance qu'il n'avait pas nié « de manière vigoureuse et absolue » les faits qui lui étaient reprochés, ce qui revenait, selon elle, à les reconnaître « en creux », la cour d'appel a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés ;
"2°) alors que le délit d'agression sexuelle suppose l'usage, par son auteur, de violence, menace, contrainte ou surprise ; qu'en se bornant, pour déclarer M. A... coupable d'agression sexuelle, à relever que les atteintes sexuelles dénoncées (caresses sur le corps, baisers sur la bouche et léchage du sexe) étaient établies, sans caractériser à aucun moment en quoi celles-ci auraient été commises avec violence, contrainte, menace ou surprise, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision" ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;
Attendu que le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article l'article 593 du code de procédure pénale, ensemble l'article 222-22 du code pénal ;
Attendu que le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de procédure que le 30 mai 2005, la mère de C... V... a déposé plainte auprès de la gendarmerie de Geispolsheim pour des faits d'agression sexuelle dont sa fille, née le [...] , aurait été victime entre 1998 et 2000 de la part de son oncle, M. A... ; qu'après deux enquêtes successives, les faits ont été classés sans suite, M. A... contestant les faits dénoncés ; que sur instructions du procureur général de la cour d'appel de Colmar, par application de l'article 36 du code de procédure pénale, M. A... a été poursuivi pour agressions sexuelles sur mineure de quinze ans sur le fondement des articles 222-22 et 222-29,1°du code pénal ; que le tribunal correctionnel de Strasbourg l'a déclaré coupable des faits reprochés ; que le prévenu et le ministère public, par voie incidente, ont interjeté appel ;
Attendu que pour confirmer le jugement et déclarer M. A... coupable d'agressions sexuelles aggravées, l'arrêt retient que les atteintes sexuelles dénoncées par C... V... sont établies par les déclarations circonstanciées et constantes de la victime et la fausseté des déclarations de M. A... ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi sans s'expliquer par des considérations de droit et de fait sur l'élément de violence, de contrainte, de menace ou de surprise constitutif du délit d'agression sexuelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Colmar, en date du 31 janvier 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Metz à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Colmar et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept mars deux mille dix-neuf ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.