LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après avoir conclu deux contrats de crédit-bail avec la société Lixxbail (la bailleresse), la société Max liberté (la cédante) a chargé M. A... (l'avocat) de rédiger un acte de cessions d'actifs au profit de la société Aucecars voyages (la cessionnaire), portant notamment sur ces deux contrats ; qu'ayant refusé d'agréer la cession, la bailleresse a prononcé la résiliation des contrats, et obtenu, par jugement du 27 mars 2014, la condamnation de la cédante et de M. D... (la caution), prise en qualité de caution solidaire de celle-ci, au paiement des loyers ; que la caution a assigné l'avocat en responsabilité civile professionnelle et indemnisation ;
Attendu que, pour condamner l'avocat à relever la caution indemne des conséquences du jugement dans la limite de la somme réclamée de 113 285,18 euros, l'arrêt retient que la faute commise par l'avocat a directement provoqué la résiliation des contrats de crédit-bail et le prononcé de la condamnation à paiement, de sorte que le préjudice est constitué, non par une perte de chance de contracter avec un autre cessionnaire, mais par la condamnation prononcée ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la caution n'invoquait qu'un préjudice de perte de chance, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. A... à relever M. D... indemne des conséquences du jugement rendu le 27 mars 2014 par le tribunal de commerce de Bordeaux à hauteur de 113 285,18 euros, l'arrêt rendu le 5 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne M. D... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, avocat aux Conseils, pour M. A...
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir condamné M. A... à relever M. D... indemne des conséquences du jugement rendu le 27 mars 2014 par le tribunal de commerce de Bordeaux à hauteur de 113.285,18 euros.
AUX MOTIFS PROPRES QU'en premier lieu, il convient de constater que les parties s'accordent à considérer que, comme l'a retenu le premier juge, la faute commise par M. A... engage sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société Max Liberté, sa cliente l'ayant mandaté pour rédiger l'acte de cession en litige, et quasi-délictuelle à l'égard des cautions ; qu'en deuxième lieu, pour apprécier le préjudice subi par M. D..., il faut comparer ce qui se serait passé si la faute n'avait pas été commise, avec la situation générée par la faute ; que si la faute n'avait pas été commise, c'est-à-dire si la réalisation de la cession avait été précédée par l'interrogation de la société Lixxbail, la situation aurait été la suivante : cette société aurait refusé son agrément à la cession, tout comme elle l'a fait l'année suivante lorsqu'elle a été informée de la cession ; qu'en effet, il n'est pas allégué que les circonstances ont changé entre mai 2011 et août 2012 ou que la société Aucecars Voyage présentait, en 2011, des garanties qu'elle ne présentait plus en 2012 ; que d'ailleurs, au printemps 2011, la société Aucecars Voyage était en cours de constitution ; que Me A... reconnaît d'ailleurs que l'agrément n'aurait pas été donné ; que la cession n'aurait pas eu lieu ; que les contrats de crédit-bail se seraient poursuivis entre la société Lixxbail et la société Max Liberté, que la société Lixxbail n'aurait pas saisi le tribunal de commerce et ni la société Max Liberté, ni les cautions n'auraient été condamnées ; que la faute commise a ainsi provoqué directement la résiliation des contrats de crédit-bail, et les condamnations prononcées par le tribunal de commerce à l'encontre de la société Max Liberté, qui n'était plus en mesure de poursuivre l'exploitation commercial et de payer les échéances, et à l'encontre des cautions, étant précisé qu'il importe peu que l'avocat ait eu, ou non, connaissance de l'existence des cautions dans la mesure où sa faute a entraîné leur condamnation avec le débiteur principal ; que le préjudice subi est, par suite, constitué non pas par une perte de chance de contracter avec un autre cessionnaire, comme retenu par le tribunal, mais par la condamnation prononcée par le tribunal de commerce ; qu'en troisième lieu, M. A... prétend que la société Max Liberté aurait été, de toute façon, dans l'incapacité de poursuivre l'exécution des contrats de crédit-bail ; que cependant, cette allégation ne repose que sur la mention, dans l'acte de cession réalisé dans des conditions fautives, que sur le dernier exercice, une perte de 23.430,97 euros a été enregistrée ; que ce chiffre figure également sur le bilan produit aux débats dont l'examen révèle que le chiffre d'affaire était, sur cet exercice, de 181.763 euros ; que la seule existence d'une perte comptable sur un exercice n'est pas suffisante pour attester que la société Max Liberté aurait été dans une situation obérée, alors qu'elle n'a pas, même à ce jour, été assignée en redressement judiciaire ni même déclaré être en situation de cession des paiements ; qu'il n'est donc pas établi que la faute n'aurait, in fine, rien changé à la situation de la société Max Liberté et des caution ; qu'en quatrième lieu, le préjudice de M. D... n'est constitué que des sommes qu'il a versées, ou va devoir verser, en exécution du jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux ; qu'il ne peut être égal, contrairement à ce qu'il demande, à des montants actuellement déterminés, alors qu'il s'agit de condamnations solidaires dont l'exécution va dépendre des solvabilités respectives et du choix, par la société Lixxbail, des mesures d'exécution ; que M. D... n'indique d'ailleurs pas quelle somme il a actuellement versé en exécution de la décision rendue par le tribunal de commerce ; que par conséquent, ce n'est pas une condamnation à payer une somme fixe qui doit être prononcée, mais une condamnation à relever indemne, dans la limite de 113.285,18 euros réclamée par M. D... ;
1°) ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions des parties ; qu'en l'espèce, M. D... sollicitait l'indemnisation d'une « perte de chance de se libérer de son engagement de caution » et, partant, d'échapper aux condamnations prononcées à son encontre par le jugement du 27 mars 2014 (concl., p. 10 § 12) ; qu'ainsi la cour d'appel était seulement saisie d'une demande tendant à la réparation d'une perte de chance ; qu'en condamnant cependant M. A... à réparer le préjudice « constitué, non pas par une perte de chance (
), mais par la condamnation prononcée par le tribunal de commerce » (arrêt, p. 7 § 11), tandis qu'elle n'était pas saisie d'une telle demande, la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et violé l'article 4 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la faute de l'avocat rédacteur d'un acte de cession d'actifs qui a omis de tenir compte des clauses d'agrément stipulées dans deux contrats de crédit-bail cause, en l'absence d'agrément, une perte de chance de ne pas avoir à subir la résiliation des contrats ; que pour condamner M. A... à relever M. D... indemne, à hauteur de 113.285,80 euros, des conséquences du jugement rendu le 27 mars 2014, la cour d'appel a considéré que sans la faute de l'avocat, « la cession n'aurait pas eu lieu, les contrats de crédit-bail se seraient poursuivis entre la SA Lixxbail et la SARL Max Liberté » (arrêt, p. 7 § 7), et en a déduit que le préjudice de M. D..., caution, correspondait à la totalité des sommes qu'il avait été contraint de verser en exécution de ce jugement (arrêt, p. 7 § 11) ; qu'en se déterminant ainsi, quand la continuation des deux contrats était affectée d'un aléa, de même que l'agrément d'un autre cessionnaire par le crédit-bailleur, de sorte que le préjudice ne pouvait s'analyser qu'en une perte de chance de ne pas avoir à subir les conséquences du jugement du 27 mars 2014, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du même code.