LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 768 du code général des impôts et l'article 885 E du même code, alors applicable ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que A... P... et Q... Y... étaient associés dans différentes sociétés et qu'un litige est survenu entre eux concernant la répartition de la quote-part des bénéfices sociaux pour les années 1988 à 1994 ; qu'une procédure judiciaire ayant été engagée, un arrêt du 15 septembre 2003 a fait droit, en leur principe, aux demandes formées par Q... Y..., le montant de la dette restant à être évalué par expertise ; que le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté le 16 mai 2006 ; que A... P... a déclaré au titre de son patrimoine imposable à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), pour les années 2007 à 2011, son estimation du montant de la dette pouvant être mise à sa charge ; qu'il est décédé en [...] et son épouse, Mme R... (Mme P...) a poursuivi l'instance ; que par un jugement du 18 octobre 2012, un tribunal de grande instance a fixé le montant des sommes dues par Mme P... aux ayants droit de Q... Y... ; que, par deux réclamations contentieuses, Mme P... a demandé à l'administration fiscale la prise en compte de ces sommes au titre du patrimoine imposable à l'ISF pour les années 1989 à 2011 ; que l'administration fiscale a accepté cette demande pour les années 2007 à 2011 mais les a rejetées pour les années antérieures ; que Mme P... a assigné l'administration fiscale en contestation de ces décisions d'admission partielle ;
Attendu que pour rejeter la demande de Mme P..., l'arrêt constate que la dette invoquée par celle-ci n'a été arrêtée définitivement en son principe que le 16 mai 2006, date du rejet du pourvoi, et n'a été fixée en son montant par un tribunal que le 18 décembre (lire octobre) 2012 ; qu'il retient que le fait que ce tribunal ait évalué le montant de la dette à partir de l'année 1988 ne saurait pour autant rendre celle-ci certaine à compter de cette même année, son existence n'étant pas acquise, et que seul le rejet du pourvoi a permis de tenir la dette alléguée pour certaine, à compter de 2006 ;
Qu'en statuant ainsi, alors que, pour être déductible de l'assiette de l'ISF, une dette doit être certaine au jour du fait générateur de l'impôt, soit au 1er janvier de l'année d'imposition, et qu'une dette, incertaine du fait d'une contestation, est rétroactivement déductible pour le montant ultérieurement arrêté par la décision mettant fin à la contestation, la cour d'appel, qui a relevé que le principe de la dette due par le contribuable pour les années 1988 à 1994 était certain depuis le rejet du pourvoi en 2006, ce dont il résultait que cette dette était devenue certaine pour les années antérieures à cette décision, selon les montants fixés par le jugement du 18 octobre 2012, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 décembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne le directeur général des finances publiques du Nord Pas-de-Calais Picardie et le directeur général des finances publiques aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à Mme P... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille dix-neuf.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour Mme P...
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté Madame H... P... de ses demandes tendant au dégrèvement d'impôt de solidarité sur la fortune pour un montant de 403.658 euros au titre des années d'imposition 1989 à 2006 ;
AUX MOTIFS QUE « L'article 885 D du code général des impôts dispose que l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes visées à l'article 885 A, ainsi qu'à leurs enfants mineurs lorsqu'elles ont l'administration légale des biens de ceux-ci. Une dette certaine au 1er janvier de l'année considérée, doit être déduite du revenu imposable au titre de l'ISF. L'appelant soutient qu'une dette incertaine du fait d'une contestation reste déductible pour le montant ultérieurement arrêté par la décision mettant fin à la contestation. En l'espèce, le principe de la dette invoquée n'a été arrêté définitivement qu'au 16 mai 2006 et n'a été précisé en son montant qu'au 18 décembre 2012. Le fait que le tribunal soit remonté à 1988 pour établir le montant de la dette finale ne saurait pour autant rendre celle-ci certaine à compter du 1er janvier de cette année là, alors même que son existence même n'était pas acquise à cette date. Seul le rejet du pourvoi de M. P..., le 16 mai 2006, permet de tenir pour certaine, rétroactivement à cette date, une dette qui n'a été fixée dans son montant que le 18 décembre 2012. Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré. »
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QU' « en droit, pour être déductible au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune, une dette doit être certaine au jour du fait générateur de l'impôt, soit au 1er janvier de l'année d'imposition, ce qu'elle n'est pas en cas de litige ou de contestation et aussi longtemps que dure ce litige ou cette contestation ; et qu'une dette incertaine du fait d'une contestation reste cependant déductible pour le montant ultérieurement arrêté par la décision mettant fin à la contestation ; qu'en l'espèce, le débat qui oppose les parties sur l'année d'imputation d'une dette dont le principe a été reconnu dans une première décision de justice et dont le montant a été fixé par une deuxième décision de justice postérieure mais fixant un « principe » de dette pour des années antérieures à l'introduction du litige ; qu'or, au regard des principes rappelés, il convient de dire que le principe même de la dette de M. P... à l'égard de son associé, M. Y... a été définitivement fixé en 2006 ; qu'avant cette date, la dette n'était ni certaine dans son principe, ni dans son montant puisque soit aucun litige n'existait, soit justement, son principe et son existence faisaient débat ; qu'ensuite, le tribunal de grande instance de Lille est venu fixer le montant de cette dette pour les années 1988 à 1994 ; que cependant, le fait que le tribunal ait fixé rétroactivement le montant de la dette pour les années 89-94 ne permet nullement à Mme P... de pouvoir prétendre à une imputation de cette dette au titre de son impôt sur la fortune pour les années en cause car à ces dates, la dette n'était effectivement ni certaine dans son principe ni dans son montant ; et le fait que le tribunal la fixe rétroactivement ne lui confère pas davantage ces caractères requis pour être déductibles pour les années en cause, outre le fait que ces sommes n'ont pas davantage été réglées à ces dates, cette fixation rétroactive ne la rendant pas pour autant certaine et exigible aux dates fixées ; qu'il convient ainsi de dire que le jugement du tribunal de grande instance de Lille du 18 décembre 2012 a fixé le montant de la dette due par M. P... la rendant rétroactivement déductible à compter du jour où elle était devenue certaine dans son principe, comme étant reconnue par une décision de justice définitive, soit au jour du rejet du pourvoi le 16 mai 2006, de sorte que l'administration fiscale l'a justement prise en compte pour l'impôt de solidarité sur la fortune postérieur, soit à compter de 2007 mais refusé de la prendre en compte pour les années antérieure soit de 1989 à 2006 ; qu'en conséquence, il convient de débouter Mme P... de l'ensemble de ses demandes » ;
ALORS QUE si le contribuable n'est pas fondé à déduire de l'assiette de l'ISF une dette dont l'existence et le montant sont judiciairement contestés tant que perdurent ces contestations, il lui est loisible, une fois ce litige définitivement vidé, de solliciter par voie de réclamation contentieuse la déduction rétroactive des condamnations définitivement mises à sa charge de l'assiette de l'ISF au titre des années postérieures au fait générateur de cette dette (Cass. Com., 4 novembre 2008, pourvoi n° 07-19.800) ; qu'en l'espèce, Mme P... rappelait dans ses écritures qu'à la suite d'un différend entre feu le Docteur P... et son ancien associé, le docteur Y..., relatif à la quote-part des bénéfices sociaux des exercices 1988 à 1994 dont celui-ci se disait créancier, le Docteur P... avait été définitivement condamné à s'acquitter de diverses sommes au titre des bénéfices des exercices précités par deux jugements du tribunal de grande instance de Lille des 8 novembre 2011 et 18 décembre 2012 ; qu'en jugeant que Mme P... n'était fondée à demander, par voie de réclamation contentieuse, la déduction rétroactive des sommes ainsi mises à la charge du défunt de l'assiette de l'ISF qu'à partir du 1er janvier 2007, au motif inopérant que le principe même de ce passif n'était devenu certain qu'à la suite d'un arrêt du 16 mai 2006 rejetant un pourvoi du Docteur P..., cependant que l'antériorité du fait générateur de ce passif autorisait sa déduction rétroactive, la Cour d'appel a violé les articles 885 E et 768 du code général des impôts.