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06/03/2019 | FRANCE | N°18-80018

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 06 mars 2019, 18-80018


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

-
-
Le procureur général près la cour d'appel de Lyon,
La Caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, partie civile

contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 7e chambre, en date du 20 décembre 2017, qui a relaxé M. N... R... du chef d'escroquerie et débouté la seconde de ses demandes ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16 janvier 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code d

e procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, c...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur les pourvois formés par :

-
-
Le procureur général près la cour d'appel de Lyon,
La Caisse primaire d'assurance maladie du Rhône, partie civile

contre l'arrêt de la cour d'appel de LYON, 7e chambre, en date du 20 décembre 2017, qui a relaxé M. N... R... du chef d'escroquerie et débouté la seconde de ses demandes ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 16 janvier 2019 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Fouquet, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
général : Mme Zientara-Logeay ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire Fouquet, les observations de la société civile professionnelle GATINEAU et FATTACCINI, la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général ZIENTARA-LOGEAY ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

Vu les mémoires, en demande, en défense et les observations produits ;

Sur le second moyen de cassation proposé pour la CPAM du Rhône ;

Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que le moyen n'est pas de nature à être admis ;

Mais sur le premier moyen de cassation proposé pour la CPAM du Rhône, pris de la violation des articles 313-1 du code pénal, 1382 (devenu 1240) du code civil, 2, 3, 388, 427, 463, 485, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a renvoyé M. R... des fins de la poursuite et débouté la CPAM du Rhône de toutes ses demandes à l'encontre de M. R... sur l'action civile ;

"aux motifs que il n'apparaît pas nécessaire ni utile à la cour d'ordonner un supplément d'information au vu des pièces versées à la procédure ; que M. R... est poursuivi pour avoir à Bron, du 1er janvier 2008 au 12 mars 2014, en abusant de la qualité vraie de médecin et en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce, notamment, en transmettant de fausses feuilles de soins et en sollicitant des remboursements d'actes non réalisés, trompé la CPAM du Rhône pour la déterminer à remettre des fonds, valeurs ou biens quelconques, en l'espèce, la somme évaluée à 691 673,02 euros, et ce, en état de récidive légale pour des faits postérieurs au 15 janvier 2009 pour avoir été définitivement condamné le 15 janvier 2009 par le tribunal correctionnel de Lyon pour des faits identiques, faits prévus par les articles 132-10 et 313-1 du code pénal ; que le dépassement de l'activité moyenne d'un médecin généraliste selon un ratio régional calculé par la CPAM du Rhône ne peut en soi constituer une infraction pénale ni suffire à caractériser l'élément matériel de l'infraction d'escroquerie reprochée au prévenu ; que la CPAM du Rhône impute à M. R... le transfert de fausses feuilles de soins et le remboursement d'actes non réalisés ce que ce dernier conteste ; qu'en ce qui concerne le transfert de fausses feuilles de soins, il ressort des auditions des patients de M. R... les éléments suivants :
- que M. Y... W... « je lui présente la plupart du temps ma carte Vitale mais c'est arrivé que j'aie des feuilles de soins car je n'avais pas ma carte Vitale. Le docteur me fait signer la feuille de soins », sur les feuilles de soins de sa fille QK... « j'ai un gros doute pour 4 ou 5 feuilles mais je reconnais qu'elle n'a pas une signature fixe » ;
- Q... J... « j'ai envoyé moi-même les feuilles de soins » ;
- Mme Z... I..., épouse A..., s'agissant de la feuille de soins : « je l'ai signée » et sur présentation d'autres feuilles de soins « je reconnais la signature de mon mari » ;
- RB... S..., s'agissant des feuilles de soins « je signe en bas » ; sur présentation de trois feuilles de soins de février et septembre 2009 « je suis surpris car ce n'est pas ma signature et pas celle de mon fils non plus », « ces trois feuilles je ne les ai jamais vues » ;
- Mme T... XY... s'agissant des feuilles de soins « il me faisait signer » ;
- RY... XM... veuve F..., s'agissant des 7 feuilles de soins « oui, c'est bien ma signature » ;
- AF... G..., s'agissant des feuilles de soins « je signais la feuille », sur présentation de 10 feuilles de soins « je reconnais celle du 19 octobre 2009 comme étant celle qui supporte ma signature, mais les autres, ce n'est pas moi qui ai signé. J'en suis sûre » ;
- RM... U..., s'agissant des feuilles de soins « il me l'a fait signer » ;
- Mme WT... E..., s'agissant des feuilles de soins « il me l'a fait signer » ;
- M. AM... V... s'agissant des feuilles de soins « le docteur nous fait signer la feuille de soins » ;
- Mme LU... U..., veuve P..., s'agissant de cinq feuilles de soins en janvier, février et mars 2012 « non pas du tout. Je n'ai jamais eu de feuilles de soins le docteur ne m'en a jamais fait, je n'ai jamais de feuilles de soins » ;
- Mme DR... L..., épouse CW..., s'agissant de feuilles de soins « c'est possible que je me sois rendue sur cette période autant de fois », la question de la signature ne lui ayant pas été posée ;
- Mme AG... K..., épouse M..., s'agissant des feuilles de soins « je signe la feuille de soins » sur présentation de feuilles de soins « c'est certainement les signatures de mes filles qui m'accompagnent », s'agissant de feuilles de soins concernant sa mère « je suis pratiquement sûre que c'est ma mère qui a signé, il y a peut-être des signatures de mes frères ou de moi-même » ;
- Mme BI... W... s'agissant des feuilles de soins « j'ai juste signé » ; qu'en ce qui concerne les signatures contestées de feuilles de soins, M. R... déclarait : pour WG... G..., « elle venait souvent. Je la traitais pour toxicomanie. Je lui faisais des ordonnances pour du subutex, je me demande si elle ne les vendait pas ou si elle ne les passait pas à quelqu'un d'autre. Elle venait également pour des problèmes pulmonaires assez graves. Au début en 2009, elle venait avec sa fille et après en 2013, elle venait seule. Elle avait aussi des problèmes avec la justice, des problèmes psychologiques » ; que pour LU... U..., veuve P..., à une période, elle n'avait pas de carte Vitale alors je l'ai fait remplir des feuilles de soins. C'est pour cela qu'elle raconte cela « ils disent cela parce qu'ils voulaient que je fasse des certificats à leur façon » ; pour RB... S... « ce monsieur devait se marier en 2009. Il venait me voir pour des arrêts maladie. C'était en septembre-octobre. Il faisait des allers-retours entre la France et la Turquie. C'est bien le fils qui a signé » et pour Mme S..., « elle venait souvent à 13 heures pour des problèmes de tension et de retard de vaccinations. La fille était sur la carte de la mère et du père » ; que vu ces divergences, M. R... a demandé en vain au cours de l'enquête puis de l'instruction une confrontation avec les personnes contestant les feuilles de soins transmises sous leur nom à la CPAM du Rhône ; qu'en l'état de ces versions discordantes et faute d'élément de preuve autre versé à la procédure, les faits de fournitures supposées de fausses feuilles de soins pour trois patients sur plusieurs milliers d'actes ne sont pas établis à l'encontre de M. R... ; qu'en ce qui concerne les remboursements autres d'actes fictifs, consultations multiples ou rapprochées, le remboursement ne peut être opéré qu'après lecture de la carte Vitale du patient ; que les patients ont unanimement déclaré n'avoir jamais laissé leur carte Vitale à M. R... hors leur présence ; qu'il s'ensuit que les demandes de remboursement ont été faites en présence des patients ; que la CPAM du Rhône ne soutient ni ne démontre que la carte Vitale d'un même patient ait été passée en rafale par M. R... et aucune vérification technique sur le boitier « carte Vitale » de M. R... n'a été effectuée ; qu'aucune complicité des patients n'est démontrée à la procédure, en particulier au vu de leurs auditions ; qu'en l'état de ces éléments, aucun remboursement d'actes fictifs n'est établi à ce titre ; qu'en ce qui concerne les consultations familiales, M. Y... B... W... a déclaré « oui », en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » ; que PT... en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a répondu « non jamais. Seule ma fille m'accompagne chez le docteur mais pas pour une visite car je ne suis pas bien » ; que Mme Z... I..., épouse A..., en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a déclaré « une fois ou deux » ; que RB... S... en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a déclaré « oui, c'est déjà arrivé mais c'est rare » ; que Mme T... XY... en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour », a déclaré « c'est déjà arrivé que j'emmène un de mes fils malades. Ce n'est pas tout le temps, une fois de temps en temps » ; que Mme RY... XM..., veuve F..., en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a déclaré « c'est très rare que j'aille avec ma fille en visite chez le docteur. Il y a trois mois, nous avons été toutes les deux chez le docteur », « peut-être que j'ai été une fois avec KX... et JF..., mais autant non » ; que Mme WS... G..., en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour », a répondu « oui » ; que RM... U..., en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a répondu, « non, j'y vais seule. J'emmène rarement mes fils en consultation » ; que Mme WT... E... en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a déclaré « au moment des vaccins, oui, on y va tous ensemble. Sinon, pas souvent. On y va à plusieurs en cas de besoin uniquement » ; que M. AM... V..., sept enfants, en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a déclaré « oui ». Je me souviens qu'en septembre 2009, nous venions de rentrer du bled et nous étions tous barbouillés par le trajet en bateau mais nous n'avons été qu'une fois », « j'y vais généralement seul et parfois j'emmène mes enfants car ils sont malades ou à la rentrée ils ont besoin de certificats médicaux pour le sport » ; que Mme LU... U..., en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a répondu « j'y vais des fois avec mon fils DF... » ; que Mme DR... L..., épouse CW..., en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour » a répondu, « oui, avec mes 5 enfants, c'est arrivé » ; que Mme AG... K..., épouse M..., en réponse à la question « vous êtes-vous rendu à plusieurs membres de la famille au cabinet du docteur pour être tous consultés le même jour », a répondu « cela m'est arrivé d'aller avec IF... chez le docteur car elle a eu une période où elle avait mal au ventre par le stress et ses études. Elle profitait que j'aille voir le docteur pour m'accompagner et il faisait deux consultations » ; que Mme WT... D... a déclaré au sujet de sa mère et de sa soeur « ma mère et ma soeur PG..., sont toujours suivies par N... R... », « ma soeur PG... est autiste », « depuis 8 ou 9 mois, ma mère se rend chez le docteur R... pour ma soeur », « ma mère emmène les cartes Vitale » ; qu'QQ... O... a déclaré concernant M. R... « il m'est arrivé d'aller le voir plusieurs fois par semaine et même tous les jours de la semaine si mon état de santé ou celui d'un de mes enfants le nécessitait » ; que sur ces auditions de patients, seul Achour H... a déclaré ne pas être allé en consultation avec ses enfants, tous les autres patients ayant admis le principe de consultations familiales ; que ce seul témoignage, sur plusieurs milliers de consultations, contesté par M. R... sans qu'une confrontation n'ait été organisée est notoirement insuffisant pour considérer comme des actes fictifs les consultations familiales effectuées par M. R... ; qu'enfin, est imputée à M. R... la consultation impossible à son cabinet de patients hospitalisés ; qu'en ce qui concerne MA... B... W... , venue consulter le 8 juin 2012 alors qu'elle était hospitalisée, BI... B... W... sa fille, entendue par les services de police a déclaré être pratiquement sûre que c'était sa mère qui avait signé les feuilles de soins qui lui ont été présentées. Elle a ajouté que ses frères et soeurs prenaient la relève pour s'occuper de sa mère et qu'elle-même signait pour sa mère et ses frères et soeurs le faisaient aussi ; que Mme Saida W..., belle-fille de Mana W..., décédée, a déclaré au cours de l'audience devant les premiers juges qu'il était possible que sa belle-mère se soit rendue durant son hospitalisation, accompagnée par un membre de sa famille chez le docteur N... R... ; qu'en ce qui concerne les patients D... et Saragosa, le jour de leur visite chez le docteur N... R... et en dépit de leur hospitalisation, des prestations pharmacie carte Vitale sont facturées ce qui atteste de leurs sorties possibles ; qu'en ce qui concerne le patient Jacimovic, M. R... déclarait qu'il était en réalité à l'hôpital de jour où il rentrait le matin et passait le voir l'après-midi car il avait des problèmes de diabète, tension et obésité ; que M. R... ajoutait que c'est sa fille qui signait les feuilles de soins ; que ces déclarations de M. R... ne sont contredites par aucune pièce particulière au dossier ; qu'il ne résulte pas en conséquence des éléments de preuve soumis à l'appréciation de la cour que M. R..., en abusant de sa qualité vraie de médecin et en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce, notamment, en transmettant de fausses feuilles de soins et en sollicitant des remboursements d'actes non réalisés, ait trompé la CPAM du Rhône pour la déterminer à remettre des fonds, valeurs, ou biens quelconques, en l'espèce la somme évaluée à 691 673,02 euros ; que le jugement sera en conséquence infirmé sur l'action publique et M. R... renvoyé des fins de toutes poursuites, les faits révélant une pratique médicale et de soins propre à M. R... sur laquelle la cour n'a pas à se prononcer en termes de santé publique ; que les sommes saisies et confisquées seront restituées à M. R... [
] ; que la CPAM du Rhône, suite à sa plainte, a été justement reçue en sa constitution de partie civile ; qu'en l'état de la relaxe intervenue, la CPAM du Rhône ne démontre dans le périmètre des faits dont est saisie la cour aucune faute d'une quelconque nature à même de fonder et justifier sa demande en dommages-intérêts ;

"1°) alors que les juridictions correctionnelles sont tenues de statuer sur l'ensemble des faits relevés par l'ordonnance de renvoi ; qu'il résultait en l'espèce de l'ordonnance de renvoi que M. R... avait abusé de sa qualité de médecin et employé des manoeuvres frauduleuses pour obtenir des remboursements indus, dès lors que les constatations matérielles de la partie civile, vérifiées par les auditions des patients de M. R..., avaient mis en évidence que le mis en examen était dans l'impossibilité matérielle et physique de réaliser autant d'actes que ce qu'il facturait à la CPAM du Rhône, et qu'il n'avait pu apporter aucune explication satisfaisante ni sur le nombre très élevé de consultations par rapport à ses confrères en situation comparable, ni sur le nombre de consultations n'ayant donné lieu à aucune prescription, ni sur l'importance du nombre de visites, à des dates rapprochées, pour un même patient ; qu'en se bornant à affirmer que le dépassement de l'activité moyenne d'un médecin généraliste selon un ratio régional calculé par la CPAM du Rhône ne peut en soi constituer une infraction, sans même s'expliquer sur l'impossibilité matérielle et physique de réaliser autant d'actes facturés, ni sur les proportions invraisemblables du nombre de consultations n'ayant donné lieu à aucune prescription, la cour d'appel n'a pas statué sur l'ensemble des faits dont elle était saisie, privant de ce fait sa décision de toute base légale ;

"2°) alors que les juridictions correctionnelles sont tenues de statuer sur l'ensemble des faits relevés par l'ordonnance de renvoi ; que l'ordonnance faisait valoir qu'il ressort des auditions de plusieurs patients et des éléments communiqués par la partie civile que M. R..., dont les revenus étaient prélevés par la CPAM jusqu'en avril 2013 pour assurer le paiement de la somme de 576 000 euros due au titre des dommages-intérêts, avait dissimulé une partie de son activité à la CPAM en encaissant directement les règlements des patients et en feignant de transmettre les consultations par lecture de la carte Vitale ; qu'en se bornant à relaxer le prévenu, sans avoir nullement statué sur ces faits dont elle était pourtant saisie par l'ordonnance de renvoi, la cour d'appel a méconnu les textes visés au moyen et privé sa décision de toute base légale ;

"3°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'il résulte en l'espèce des propres constatations de l'arrêt attaqué qu'au moins quatre des quelques patients auditionnés par les services de police avaient affirmé que les signatures figurant au bas des feuilles de soins qui leur étaient présentées et qui avaient été adressées par M. R... à la CPAM n'étaient pas les leurs ; qu'en affirmant, néanmoins, que les faits de fournitures supposées de fausses feuilles de soins n'étaient pas établis à l'encontre de M. R... au seul visa des dénégations de ce dernier, la cour d'appel s'est abstenue de tirer de ses propres constatations les conséquences légales qui s'imposaient, en méconnaissance des textes visés au moyen ;

"4°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que le simple constat de la signature réelle d'une feuille de soins par un assuré n'exclut pas l'envoi de fausses feuilles de soins à son insu ; qu'en se bornant à écarter l'existence de fausses feuilles de soins papier du simple fait que certains assurés reconnaissaient avoir signé leurs feuilles de soins quand ce simple constat n'excluait pas pour autant que d'autres feuilles frauduleuses aient été envoyées par M. R... à la CPAM en leur nom, la cour d'appel a statué par des motifs particulièrement insuffisants, et privé sa décision de toute base légale ;

"5°) alors que qu'il appartient aux juges d'ordonner les mesures d'instruction dont ils reconnaissent eux-mêmes la nécessité ; que pour affirmer que les faits de fournitures de fausses feuilles de soins ne sont pas établis à l'encontre du prévenu, les juges d'appel se bornent à faire état de versions discordantes entre le prévenu et les témoins, ainsi qu'au rejet de la demande de confrontation opposée à ce dernier pendant l'instruction ; qu'en relaxant le prévenu des fins de la poursuite faute d'élément de preuve autre que les témoignages de certains de ses patients faisant état de fausses signatures, sans même rechercher à ordonner les mesures d'instruction qu'elle estimait nécessaires à la caractérisation de l'infraction reprochée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"6°) alors que la juridiction correctionnelle ne peut entrer en voie de relaxe du chef d'escroqueries commises au préjudice de la CPAM qu'après avoir expressément constaté que les consultations multiples et rapprochées pour le même bénéficiaire remboursées après lecture de la carte Vitale du patient n'étaient pas fictives, mais bien réelles ; qu'il résultait clairement en l'espèce des pièces de la procédure et notamment des auditions des patients du dr R... effectuées lors de l'enquête préliminaire, que le nombre et la fréquence des consultations facturées à la CPAM pour leur compte par ce dernier n'étaient « pas possibles », nombre de patients signalant par ailleurs que le dr R... réitérait souvent plusieurs fois l'introduction de la carte Vitale dans le lecteur, prétextant d'un mauvais fonctionnement de celui-ci ; que pour affirmer néanmoins qu'aucun remboursement d'acte fictif n'est établi, la cour d'appel se borne à affirmer que la CPAM du Rhône n'a pas démontré que la carte Vitale d'un même patient ait été passée en rafale par le prévenu et qu'aucune vérification technique sur le boîtier « carte Vitale » du prévenu n'a été effectuée ; qu'en prononçant ainsi, sur le fondement de motifs erronés et hypothétiques, sans prendre en considération l'ensemble des pièces du dossier de la procédure, et plus particulièrement les auditions des patients, ayant mis en évidence non seulement le caractère fictif des consultations indûment facturées à la CPAM du Rhône par M. R..., mais encore ses manipulations récurrentes du boîtier avec réinsertion à plusieurs reprises de la carte Vitale, la cour d'appel a privé sa décision de relaxe de toute base légale ;

"7°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que pour écarter tout caractère fictif aux consultations simultanées à plusieurs membres d'une même famille le même jour, facturées par M. R... à la CPAM, et représentant plus d'un tiers des consultations facturées, la cour d'appel se contente d'affirmer, au mépris de ses propres énonciations rappelant les témoignages de plusieurs patients, que seul un patient a déclaré ne pas être allé en consultation avec ses enfants, tous les autres ayant admis le principe de consultations familiales ; qu'en prononçant ainsi quand la majorité des patients entendus au cours de l'enquête et dont les propos n'étaient pas ici reproduits de façon exhaustive, avaient fermement réfuté s'être rendus à plusieurs membres de la famille aux périodes visées par les enquêteurs, la cour d'appel s'est abstenue de tirer les conséquences légales de ses propres énonciations, et a incontestablement dénaturé les auditions litigieuses en violation des textes visés au moyen ;

"8°) alors que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que pour écarter toute imputation de consultations impossibles facturées par M. R... à la CPAM s'agissant de patients hospitalisés, la cour d'appel se borne à faire état de l'audition de la fille de la patiente hospitalisée affirmant être pratiquement sûre que la signature de la feuille de soins était bien de sa mère, et du fait que des prestations pharmacie carte Vitale ont été facturées pour deux autres patients en dépit de leur hospitalisation, « ce qui atteste de leurs sorties possibles » ; qu'en prononçant ainsi, sur le fondement de motifs hypothétiques et inopérants, en tout cas absolument insusceptibles d'établir la réalité de consultations de patients dont l'hospitalisation n'était pas contestée, la cour d'appel a derechef privé sa décision de toute base légale" ;

Et sur le moyen unique de cassation proposé par le procureur général près la cour d'appel de Lyon pris de la violation des articles 485 et 593 du code de procédure pénale ;

Les moyens étant réunis ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour la CPAM du Rhône, pris en ses deux premières branches ;

Vu l'article 567-1-1 du code de procédure pénale ;

Attendu que les griefs ne sont pas de nature à être admis ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour la CPAM du Rhône pris en ses autres branches et sur le moyen proposé par le procureur général ;

Vu les articles 463 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu'il appartient aux juges d'ordonner les mesures d'instruction dont ils reconnaissent implicitement la nécessité ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier le dispositif ; que l'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'à la suite de la plainte déposée par la CPAM du Rhône à l'encontre de M. R..., médecin généraliste à qui elle reprochait des fraudes par facturation d'actes fictifs, une information judiciaire a été ouverte à l'issue de laquelle M. R... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel du chef d'escroquerie en récidive ; que par jugement en date du 13 octobre 2016, le tribunal correctionnel de Lyon, l'ayant reconnu coupable, l'a condamné à deux ans d'emprisonnement, a ordonné la révocation totale d'un sursis antérieur, a prononcé l'interdiction définitive d'exercer l'activité de médecin à titre libéral, a ordonné la confiscation des sommes saisies sur ses comptes et a décerné mandat d'arrêt à son encontre ; que les premiers juges ont reçu la constitution de partie civile de la CPAM et ont condamné le prévenu à lui verser la somme de 691673,02 euros à titre de dommages-intérêts ; que M. R..., le procureur de la République et la CPAM ont formé appel de cette décision ;

Attendu que, pour relaxer M. R... du chef d'escroquerie, l'arrêt attaqué relève notamment qu'en ce qui concerne les consultations multiples ou rapprochées, le remboursement ne peut être opéré qu'après lecture de la carte vitale du patient et que les patients entendus ont unanimement déclaré n'avoir jamais laissé leur carte vitale au médecin hors leur présence, ce dont il résulte que les demandes de remboursement ont été faites en présence des patients ; qu'il énonce que la CPAM du Rhône ne soutient ni ne démontre que la carte vitale d'un même patient a été passée en rafale par M. R... et qu'aucune vérification technique n'a été effectuée sur son boîtier "carte vitale" ; que les juges ajoutent, après avoir rapporté les déclarations de plusieurs patients, qu'un seul a déclaré ne pas être allé en consultation avec ses enfants, tous les autres patients ayant admis le principe de consultations familiales et que ce seul témoignage, sur plusieurs milliers de consultations, contesté par le prévenu, sans qu'une confrontation n'ait été organisée, est notoirement insuffisant pour considérer comme des actes fictifs les consultations familiales effectuées par le médecin ; que la cour d'appel en conclut qu'aucun remboursement d'actes fictifs n'est établi à ce titre ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans ordonner les mesures d'instruction dont elle admettait implicitement la nécessité et sans prendre en compte certains des témoignages produits, sans mieux s'expliquer sur les déclarations qu'ils contiennent, par lesquelles des patients dénonçaient des manipulations régulières du lecteur de carte vitale lors des consultations, avec introduction de celle-ci à plusieurs reprises dans le boîtier, aboutissant soit à la facturation, pour une même personne de plusieurs consultations à des dates différentes, soit à la facturation de plusieurs consultations simultanées le même jour à plusieurs membres de la famille de l'assuré et par lesquels plusieurs d'entre eux, et non un seul, contestaient le principe de consultations familiales collectives, la cour d'appel, n'a pas justifié sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 20 décembre 2017, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Lyon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six mars deux mille dix-neuf ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 18-80018
Date de la décision : 06/03/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Lyon, 20 décembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 06 mar. 2019, pourvoi n°18-80018


Composition du Tribunal
Président : M. Soulard (président)
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.80018
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