LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu l'article 13, alinéa 2, de l'ordonnance du 10 septembre 1817 modifiée ;
Vu les articles 4, alinéa 3, et 46 du règlement général de déontologie ;
Vu l'avis du conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation du 2 avril 2015, estimant que la responsabilité professionnelle de la SCP Lyon-Caen et Thiriez (la SCP) n'est pas engagée ;
Vu la requête présentée le 21 septembre 2017 par la Société viticole de France (la société) ;
Attendu que la société, qui exploite des parcelles de vignes en Gironde, a souscrit auprès de la société Gan assurances (l'assureur) un contrat d'assurance couvrant notamment le risque de grêle, lequel fait l'objet, chaque année, d'un avenant d'assolement qui définit le risque assuré et les éléments permettant de calculer le montant de la prime ainsi que le capital assuré, à défaut duquel le risque assuré demeure défini par la déclaration d'assolement antérieure ; que certaines parcelles exploitées ont été endommagées par la grêle, au cours de la nuit du 13 au 14 mai 2009, puis de celle du 25 mai suivant ; qu'un litige relatif à l'indemnisation des dommages subis s'est élevé entre la société et son assureur, ce dernier ayant calculé les indemnités sur la base de la déclaration d'assolement déposée en 2008, alors que la société se prévalait de celle de 2009 qu'elle prétendait lui avoir adressée, avant le premier sinistre, par lettre simple et, en toute hypothèse, avoir jointe à la déclaration de ce sinistre ; que, par arrêt du 31 mai 2013, la cour d'appel de Bordeaux a rejeté toutes les demandes de la société ; que, consultée par l'avocat de la société sur les chances de succès d'un pourvoi, la SCP a accepté cette mission ; qu'ayant reçu une lettre du 29 juillet 2013 précisant que le client confirmait son accord pour la procédure devant la Cour de cassation et lui demandant de prendre directement attache avec lui, la SCP a écrit au représentant légal de la société, le 31 juillet, que "sauf instructions contraires de votre part, j'attends que vous m'avisiez de la signification de l'arrêt pour introduire le pourvoi" ; que, par courriel du 9 août suivant adressé à l'avocat, le représentant légal de la société s'est inquiété, au vu de la lettre de la SCP qu'il déclarait venir de recevoir, de ce que le pourvoi n'avait pas été introduit, alors que le délai de deux mois, pour ce faire, expirait le 10 août, un acte de signification en date du 10 juin étant joint audit courriel ; que, le 27 août, l'avocat a transmis à la SCP ce courriel avec la pièce jointe ;
Attendu que la société demande à la Cour de cassation de juger que la SCP a commis une faute en ne régularisant pas de pourvoi dans le délai requis et de la condamner, en conséquence, à lui payer la somme de 231 949,80 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte de chance d'obtenir la cassation de l'arrêt du 31 mai 2013, celle de 11 734,46 euros représentant un trop-perçu de primes, celle de 2 500 euros en remboursement des condamnations subies pour frais irrépétibles, celle de 10 000 euros en réparation du préjudice moral et celle de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ; que la SCP conclut au rejet de la requête ;
Attendu que l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est tenu d'une obligation de diligence et de prudence ; que, le respect du délai d'instruction du pourvoi en cassation, prévu à l'article 612 du code de procédure civile, étant sanctionné par l'irrecevabilité, il doit être particulièrement attentif à l'écoulement du temps ; que, lorsqu'il est chargé de former un pourvoi, ou consulté sur ses chances de succès, il doit non seulement s'enquérir de la date d'expiration du délai mais aussi former en temps utile cette voie de recours extraordinaire, à titre à tout le moins conservatoire ;
Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que la SCP, qui avait accepté de donner son avis sur les chances de succès d'un pourvoi, avait reçu une lettre de l'avocat de la société datée du 29 juillet 2013 l'informant que cette dernière confirmait "son feu vert pour la procédure devant la Cour de cassation" et l'invitant à traiter directement de l'affaire avec elle ; qu'à défaut de réponse à sa lettre du surlendemain adressée au représentant légal de la société, la SCP aurait dû prendre la précaution de former un pourvoi à titre conservatoire ; qu'en s'abstenant de le faire, la SCP a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité ;
Attendu que, selon la requête, deux moyens auraient pu être soutenus ;
Attendu que le premier moyen, en trois branches, aurait reproché à l'arrêt de ne pas avoir accueilli sa demande d'indemnisation du préjudice causé par la grêle, calculée sur la base de la déclaration d'assolement de l'année 2009 ;
Qu'en sa première branche, la société aurait soutenu un grief disciplinaire de dénaturation de l'article 10 du contrat d'assurance ; que, cependant, les parties étant en désaccord sur le sens et la portée de cet article, la cour d'appel a, par motifs propres et adoptés, procédé à une interprétation souveraine de ses termes ambigus, exclusive de toute dénaturation, de telle sorte que le grief n'aurait pas été susceptible de prospérer ;
Qu'en ses deuxième et troisième branches, la société aurait présenté deux griefs de violation de la loi, fondés sur l'alinéa 5 de l'article L. 112-2 du code des assurances, d'une part, sur l'article L. 113-4 du même code, d'autre part ; que, cependant, ces griefs, non soutenus devant les juges du fond et ne résultant pas de l'arrêt attaqué, auraient été jugés irrecevables comme nouveaux et mélangés de droit et de fait, en ce qu'ils auraient nécessairement reposé sur les éléments contenus dans les avenants d'assolement 2008 et 2009, et non seulement sur la seule date d'envoi, par télécopie, de la déclaration d'assolement de l'année 2009 dont se prévalait la société ; qu'en toute hypothèse, ces griefs auraient été inopérants, la cour d'appel ayant constaté qu'à défaut d'avoir été accepté par l'assureur, l'avenant d'assolement de l'année 2009 lui était inopposable ;
Attendu que le second moyen aurait reproché à l'arrêt d'avoir rejeté la demande au titre du trop-perçu de primes d'assurances ; qu'en ses deux branches, la société aurait présenté deux griefs de violation de la loi, au regard des articles L. 112-2, alinéa 5, et L. 113-4 précités ; que ces griefs se seraient heurtés aux mêmes critiques qu'énoncées ci-dessus, relatives tant à leur irrecevabilité qu'à leur inopérance ;
Attendu qu'il s'ensuit qu'aucun des griefs que la société soutient avoir été empêchée de soumettre à la Cour de cassation, par la faute de la SCP, n'aurait permis d'accueillir le pourvoi ;
Qu'enfin, la société ne rapporte pas la preuve d'un préjudice moral que lui aurait causé la faute de la SCP ;
Qu'en conséquence, la requête doit être rejetée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE la requête ;
Condamne la Société viticole de France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt février deux mille dix-neuf.