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07/02/2019 | FRANCE | N°18-10739

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 07 février 2019, 18-10739


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que les conditions de fond de la reprise d'un domaine rural doivent être appréciées à la date pour laquelle le congé a été donné ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2017), que Marcelle X... a donné à bail une parcelle de terre à Michel A..., qui l'a cédée à la société Domaine A... ; que Mme Y..., venant aux droits de Ma

rcelle X..., a délivré congé, à effet du 31 octobre 2015, pour reprise par son fils, exploita...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu les articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime ;

Attendu qu'il résulte de ces textes que les conditions de fond de la reprise d'un domaine rural doivent être appréciées à la date pour laquelle le congé a été donné ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2017), que Marcelle X... a donné à bail une parcelle de terre à Michel A..., qui l'a cédée à la société Domaine A... ; que Mme Y..., venant aux droits de Marcelle X..., a délivré congé, à effet du 31 octobre 2015, pour reprise par son fils, exploitant au sein de l'entreprise à responsabilité limitée [...] ; que la société Domaine A... a sollicité l'annulation du congé ;

Attendu que, pour rejeter la demande, l'arrêt retient que la demande d'autorisation d'exploiter a été formée de manière quasi concomitante à la délivrance du congé, dans la perspective de la reprise, et que la réponse de la préfecture du 25 septembre 2013, selon laquelle l'opération n'était pas soumise à autorisation d'exploiter, apparaît avoir été établie en vue de la reprise pour le 31 octobre 2015 ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est placée à la date de délivrance du congé pour apprécier les conditions de la reprise et non à sa date d'effet, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne Mme Y... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme Y... et la condamne à payer à la société Domaine A... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept février deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société Domaine A...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société Domaine A... de ses demandes, d'AVOIR validé le congé pour reprise du 28 octobre 2013 à effet du 31 octobre 2015, d'AVOIR condamné la société Domaine A... à quitter la parcelle sise à [...] lieudit « [...] » cadastrée [...] d'une surface de 21 a 37 ca, et la rendre libre de toute occupation au 31 octobre 2015, et d'AVOIR dit qu'à défaut de libération volontaire son expulsion sera ordonnée avec le concours de la force publique si besoin est à compter du 1er novembre 2015 ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE sur le congé : selon l'article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l'exploitation du bien pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d'une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d'une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l'exploitation et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l'importance de l'exploitation. Il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir ; que le bénéficiaire doit occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l'exploitation directe ; que le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu'il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu'il répond aux conditions de capacité ou d'expérience professionnelle mentionnées aux articles L. 331-2 à L. 331-5 ou qu'il a bénéficié d'une autorisation d'exploiter en application de ces dispositions ; qu'en l'espèce, l'intimée produit une lettre de la préfecture de l'Yonne en date du 25 septembre 2013 par laquelle elle a accusé réception de la demande faite le 6 septembre 2013 par Patrick Y... d'une autorisation d'exploiter par suite de son souhait de reprendre la parcelle de 0,2137 ha appartenant à sa mère. Aux termes de ce courrier, la préfecture a indiqué qu'au vu des divers éléments portés à sa connaissance (notamment la possession par Patrick Y... de la capacité ou de l'expérience professionnelle agricole, sa qualité de non pluriactif, le fait que l'exploitation ne dépasserait pas le seuil de contrôle en vigueur), cette opération n'était pas soumise à autorisation d'exploiter et qu'elle était enregistrée au contrôle des structures ; que ce courrier suffit à justifier que le bénéficiaire de la reprise a bien sollicité l'autorisation d'exploiter, la circonstance invoquée que le preneur en place n'en ait pas été avisé par l'administration étant indifférente ; qu'il démontre aussi que la demande a été faite de manière quasi concomitante à la délivrance du congé, dans la perspective de la reprise de la parcelle litigieuse. Ainsi, la réponse apparaît bien avoir été établie en vue de la reprise pour le 31 octobre 2015 ; qu'il convient encore d'observer que ce courrier précise que Patrick Y... pourra mettre en valeur cette parcelle au sein de l'Earl [...] dont il est le gérant. Il apparaît donc que la réponse vaut tant pour Patrick Y... lui-même que pour l'Earl ; qu'il résulte enfin des énonciations précédentes que la préfecture a vérifié que Patrick Y... n'était pas un exploitant pluriactif au sens de l'article L. 331-2 précité ; qu'il s'ensuit que le bénéficiaire de la reprise justifie être en règle avec la législation relative au contrôle des structures des exploitations agricoles en ce qu'il a saisi l'administration d'une demande d'autorisation et que celle-ci, faisant application des dispositions de l'article L. 331-2 susvisé, a considéré au vu d'éléments circonstanciés qu'il ne relevait pas du régime de l'autorisation mais de la déclaration, enregistrant sa demande comme telle ; que l'intimée produit un brevet de technicien agricole option générale délivré à son fils Patrick Y... par le ministère de l'agriculture ; que la circonstance relevée par l'appelante que ce diplôme ne soit pas daté est indifférente dès lors que le formulaire de délivrance du diplôme ne comporte pas d'emplacement pour la date, que ce document fait référence au procès-verbal de l'examen en vue de l'attribution dudit diplôme en 1984, comporte un numéro d'enregistrement et est signé avec l'indication de l'identité ainsi que de la fonction de ses signataires et l'apposition d'un cachet de sorte que rien ne permet de suspecter sa fausseté. Ainsi, ce diplôme doit être considéré comme valable, ce dont il suit que Patrick Y... justifie de la condition de compétence professionnelle visée à l'article L. 331-2 susvisé, sans qu'il soit besoin d'examiner son expérience professionnelle ; que selon les énonciations du jugement que rien ne dément, Patrick Y... est domicilié à [...] , à 46,8 kms du lieu de la parcelle litigieuse. Or, celle-ci est d'une surface particulièrement modeste et ne demande pas une présence constante, ce au regard aussi de la plantation qui y est faite. Dès lors, cette habitation suffit à satisfaire à la condition de proximité en ce qu'elle permet une exploitation directe ; que la surface très modeste de la parcelle doit également être prise en compte dans l'appréciation de la condition tenant au matériel nécessaire à l'exploitation, une telle superficie ne requérant pas des matériels importants ; qu'il résulte en outre des statuts de l'Earl dont Patrick Y... est le gérant que, parmi les apports faits à celle-ci, figurent un camion et un tracteur viticole. Le fait que le tracteur date de 1979 n'est pas significatif, compte tenu de la longévité de ce type d'engin. L'intimée produit également des factures d'achat de 2009 et de 2010 faits par l'Earl et Patrick Y... portant sur un tracteur enjambeur pour vignoble, une cellule rampe une rogneuse, et un sécateur Lixion ; que ces éléments suffisent à justifier de la possession du matériel nécessaire à l'exploitation d'une très petite parcelle de vignoble ; qu'en conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Domaine A... de sa contestation et a validé le congé ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'il ressort des pièces du dossier que le congé délivré par acte d'huissier en date du 28.10.13 pour le 31.10.15 dans les formes de l'article L. 411-47 désigne le bénéficiaire de la reprise comme étant le propre fils de Mme Y... Jacqueline, M. Patrick Y... majeur à cette date pour être né le [...] ; que l'article L. 411-59 impose diverses obligations au bénéficiaire de la reprise comme notamment d'occuper lui-même les bâtiments d'habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds à exploiter ; en l'espèce, le lieu d'exploitation sis à [...] est distant de 46.8 km du domicile actuel de M. Y... sis à [...], et de 8.1 km du siège de l'Earl [...] dont il est le gérant sise à [...], et où il s'est engagé à demeurer ; qu'il convient de prendre en compte la petite surface de la parcelle à exploiter (21a 37ca) pour apprécier la notion de proximité ; qu'en l'espèce, les soins à apporter à une telle exploitation n'impose pas, loin s'en faut, une présence constante ; le titulaire de la reprise répond donc à ce titre aux exigences de la loi ; que le bénéficiaire de la reprise devra répondre aux conditions de capacité et d'expérience professionnelle ; à ce titre Mme Y... produit le brevet Technicien agricole de M. Y... Patrick enregistré sous le n° [...] comportant le cachet du Ministère de l'Agriculture, une attestation de fin de stage de préparation à l'installation en date du 04.05.94 délivré par la chambre d'agriculture de Bourgogne, l'octroi d'aides à l'installation par le centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles du 24.12.93, la décision préfectorale d'attribution de l'aide spéciale aux jeunes agriculteurs signé du Préfet de l'Yonne suscité, visant l'installation au 09.02.94 atteste d'une ancienneté de plus de 5 ans ; ces éléments se trouvent corroborer par le courrier de la Préfecture du 25.09.13 en réponse à une demande de M. Patrick Y... d'autorisation d'exploiter, lequel ne fait état d'aucun obstacle à l'exploitation au regard du contrôle des structures, tout en précisant que l'opération projetée n'était pas soumise à autorisation préalable d'exploiter ; la capacité de M. Patrick Y... à exploiter est ainsi suffisamment établi tant au regard de la loi que du contrôle des structures ; que le bénéficiaire de la reprise devra posséder la matériel nécessaire à l'exploitation, en l'espèce, M. Patrick Y... gérant de l'Earl [...] justifie de l'acquisition de matériel spécifique selon factures de 2009 et 2010 ; qu'en sa qualité d'adhérent à la coopérative La Chablisienne il bénéficiera de son concours au niveau de la collecte, de la vinification et de la commercialisation, présentant ainsi les justifications suffisantes au regard des exigences sus-évoquées ; que la SAS Domaine A... sera déboutée de ses demandes ; il conviendra de ce fait de valider le congé-reprise de Mme Jacqueline Y... en date du 28 octobre 2013, à effet du 31 octobre 2015 au bénéfice de son fils Patrick Y..., de prononcer l'expulsion de la société Domaine A... à compter du 1er novembre 2015 avec le concours de la force publique si besoin est ;

1) ALORS QUE les juges du fond ont l'obligation, chaque fois que sa situation est contestée, de vérifier si l'exploitant agricole, pressenti comme bénéficiaire d'une reprise, satisfait aux exigences du contrôle des structures ; qu'en l'espèce, pour déclarer valable le congé pour reprise délivré par Mme Y..., la cour d'appel s'est contentée de relever que son fils pressenti pour reprendre le bail, avait produit une décision de la direction départementale de l'Agriculture et de la Forêt indiquant que sa demande n'était pas soumise à autorisation d'exploiter ; qu'en statuant ainsi sans vérifier par elle-même si la situation de M. Y..., dont la pluriactivité était invoquée, était effectivement conforme à la réglementation sur le contrôle des structures agricoles, la cour d'appel a violé les articles L. 331-2, L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime, ensemble l'article 4 du code civil ;

2) ALORS QUE la condition tenant au respect par le bénéficiaire de la reprise de la législation sur le contrôle des structures doit être appréciée à la date pour laquelle le congé a été donné ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le congé litigieux avait été délivré le 28 octobre 2013 pour le 31 octobre 2015 ; qu'en se fondant sur une lettre de la Préfecture de l'Yonne du 25 septembre 2013, pour décider que M. Y... justifiait être en règle avec le contrôle des structures, la cour d'appel qui s'est placée à la date de délivrance du congé et non à sa date d'effet, deux ans plus tard, a violé les articles L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime ;

3) ALORS QUE lorsque les terres sont destinées à être exploitées dès leur reprise dans le cadre d'une société et si l'opération est soumise à autorisation, celle-ci doit être obtenue par la société ; que la circonstance, à la supposer établie, que le bénéficiaire de la reprise puisse prétendre au régime de la déclaration ne saurait dispenser la société dans laquelle ce dernier se trouve associé, de détenir elle-même une autorisation d'exploiter, dès lors que les biens repris sont mis à sa disposition ; qu'en se bornant à retenir, pour autoriser la reprise du bail au profit du fils de Mme Y..., que l'administration n'avait pas mis en doute la conformité de la situation de l'Earl [...] , au profit de laquelle il était envisagé de mettre à disposition la parcelle litigieuse, au regard du contrôle des structures, sans vérifier, comme elle y était pourtant invitée, si l'Earl [...] n'était pas elle-même tenue de solliciter une autorisation d'exploiter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 331-2, L. 411-58 et L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 18-10739
Date de la décision : 07/02/2019
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 16 novembre 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 07 fév. 2019, pourvoi n°18-10739


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvin (président)
Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:18.10739
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