LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu leur connexité, joint les pourvois n° M 18-10.662 et n° J 18-12.040 ;
Donne acte à la société UCB Pharma du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme Y..., M. Z..., la société Glaxosmithkline santé grand public, venant aux droits de la société Novartis santé familiale, et la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin ;
Donne acte à Mme X..., Mme Y... et M. Z... du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Glaxosmithkline santé grand public ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par acte du 16 octobre 2007, Mme X... a assigné la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha, producteur du Distilbène, en responsabilité et indemnisation de ses préjudices consécutifs à son exposition in utero au diéthylstilbestrol (DES), à la suite de la prise de ce médicament par sa mère, au cours de la grossesse ; que la société UCB Pharma a assigné en intervention forcée la société Novartis santé familiale, aux droits de laquelle se trouve la société Glaxosmithkline santé grand public ; que, le 16 avril 2013, Mme Y..., mère de Mme X..., et M. Z..., compagnon de celle-ci, sont intervenus volontairement à l'instance aux fins d'obtenir la réparation des préjudices par eux personnellement éprouvés ; que la caisse primaire d'assurance maladie du Bas-Rhin a demandé le remboursement de ses débours ; que la société UCB Pharma a opposé la prescription de l'action et contesté sa responsabilité ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° M 18-10.662 et le premier moyen du pourvoi n° J 18-12.040, réunis :
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme X..., de déclarer la société UCB Pharma responsable des dommages résultant de l'exposition de Mme X... au DES et de la condamner au paiement de différentes sommes à celle-ci et de dire irrecevables comme prescrites les demandes de Mme Y... et M. Z..., alors, selon le moyen :
1°/ que le délai de prescription de l'action en réparation des préjudices corporels court à compter de la date de consolidation de la victime ; que la consolidation qui correspond au moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, est indépendante de la connaissance que la victime peut avoir de la réalité de son état ; que dès lors, en affirmant pour fixer au 24 janvier 2002 la date de consolidation, qu'il n'était pas possible d'admettre la consolidation de l'état de Françoise X... avant qu'elle ait eu connaissance du diagnostic de sa stérilité définitive liée au traitement par curiethérapie, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil ;
2°/ que le délai de prescription de l'action en réparation des préjudices corporels court à compter de la date de consolidation de la victime ; que la consolidation qui correspond à la stabilisation de l'état séquellaire de la victime, ne se confond pas avec l'état de guérison ; que dès lors, en fixant la date de consolidation de Françoise X... à la date à laquelle sa rémission a été considérée comme acquise, soit le 24 janvier 2002, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil ;
3°/ que le délai de prescription de l'action en réparation des préjudices corporels court à compter de la date de consolidation de la victime ; que la consolidation qui correspond au moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, n'est pas subordonnée à la cessation de tout suivi médical ; que dès lors, en reportant la date de consolidation de Mme Françoise X... au 24 janvier 2002, motif pris qu'à la suite de sa curiethérapie, elle avait dû se soumettre à un contrôle étroit et régulier, même si celui-ci n'avait finalement fait apparaître aucune récidive ou aggravation de son état, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil ;
4°/ que les actions en réparation d'un dommage corporel mettant en cause la responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de consolidation de l'état de la victime directe, y compris lorsqu'elles tendent à la réparation des préjudices par ricochet subis par les proches de la victime directe ; que la consolidation s'entend d'un état de la lésion corporelle stabilisée et permanente ; qu'en cas de maladie, la consolidation se confond avec la date de guérison, peu important qu'il subsiste des séquelles dès lors qu'elle ne sont pas évolutives ; qu'en refusant de fixer à la date du rapport d'expertise la date de consolidation, comme cela lui était demandé, bien qu'elle constatait que les experts affirmaient que la guérison de Mme X... de son cancer n'était acquise qu'à la date de dépôt de leur rapport, c'est-à -dire le 17 décembre 2010, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil dans ses dispositions antérieures à la loi du 17 juin 2008 ;
5°/ qu'en ne répondant pas aux écritures des consorts X... qui faisaient valoir qu'outre la date de guérison du cancer du col de l'utérus et du vagin traité en 1994, il devait être tenu compte, pour caractériser la consolidation, de lésions pré cancéreuses diagnostiquées en avril 2004 et constatées jusqu'en 2006 (dysplasie cervicale) et d'un état de stérilité par curiethérapie considéré définitif lors des opérations d'expertises, circonstance dénotant le caractère non définitif des lésions imputables à l'exposition au DES au 24 janvier 2002, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2270-1 du code civil dans ses dispositions antérieures à la loi du 17 juin 2008 ;
6°/ que, subsidiairement, l'interruption de la prescription de l'action en indemnisation d'un dommage corporel par la victime directe produit ses effets au profit des victimes par ricochet ; qu'en ne tenant pas compte de l'effet interruptif de la prescription décennale résultant de l'assignation du laboratoire par Mme Françoise X... le 16 octobre 2007 sur l'action en indemnisation de M. Z... et de Mme Georgette X... engagée en 2013, la cour d'appel a violé les articles 2244 et 2270-1 du code civil dans ses dispositions antérieures à la loi du 17 juin 2008 ;
Mais attendu, d'une part, que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt relève qu'en 1995, Mme X... a subi une curiethérapie, que le diagnostic de stérilité imputable à celle-ci n'a été posé au plus tôt qu'en janvier 1999, qu'avant 2002 son état de santé demeurait évolutif, que ses séquelles n'étaient pas définitives, que, bien que ne nécessitant plus de soins, l'adocarcinome justifiait une surveillance étroite et régulière, que, s'agissant d'affections cancéreuses, les médecins se réservaient une longue période d'observation avant de considérer l'état de la patiente stabilisé et la rémission acquise, et qu'il résulte d'un certificat médical attestant des examens pratiqués que la rémission clinique, distincte de la guérison, est intervenue le 24 janvier 2002 ; que la cour d'appel en a souverainement déduit que la consolidation, constituant le point de départ de la prescription de dix ans, devait être fixée à cette date, de sorte qu'était recevable l'action diligentée par Mme X... tandis qu'étaient irrecevables comme prescrites les demandes de Mme Y... et M. Z... ;
Attendu, d'autre part, que, le grief fondé sur l'interruption de la prescription, est nouveau et mélangé de fait ;
D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa sixième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur le second moyen du pourvoi n° J 18-12.040 :
Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;
Attendu que, pour rejeter la demande formée par Mme X... au titre d'un préjudice d'établissement, l'arrêt se borne à relever que ce poste a vocation, selon la nomenclature Dintilhac, à réparer la perte d'espoir et la perte de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap et que l'impossibilité de procréer a été réparée au titre du déficit fonctionnel permanent et ne peut être assimilée à un handicap ;
Qu'en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à écarter l'existence d'une impossibilité pour Mme X... de réaliser un projet de vie familiale consécutive aux lésions présentées, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de Mme X... au titre d'un préjudice d'établissement, l'arrêt rendu le 30 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne la société UCB Pharma aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois janvier deux mille dix-neuf.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
.Moyen produit au pourvoi n° M 18-10.662 par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour la société UCB Pharma.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme X..., d'AVOIR déclaré la société UCB Pharma responsable des dommages résultant de l'exposition au Distilbène de Mme X... et d'AVOIR condamné la société UCB Pharma à payer diverses sommes à Mme X... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE Sur la prescription : Les experts avaient initialement fixé la date de consolidation au 15 janvier 1995. Après dire de Mme X..., ils l'ont retardée au 15 septembre 1995, au motif que les différents examens cliniques n'ont fait que constater les séquelles de la curiethérapie, préjudices permanents subis, précisant que les autres problèmes gynécologiques survenus après 1996 sont sans rapport avec les séquelles de la curiethérapie. Le tribunal, après avoir rappelé que lors de la délivrance de l'assignation l'action en responsabilité née d'un dommage corporel se prescrivait par dix ans à compter de la date de consolidation, a retenu que le diagnostic de stérilité, imputable à la curiethérapie, n'a été posé au plus tôt qu'en janvier 1999, et qu'en outre Mme X... avait été soumise à un contrôle très étroit lié à l'éventualité d'une récidive, jusqu'en janvier 2002, date à laquelle la rémission a été jugée acquise par les médecins. Ucb Pharma expose que la prescription est acquise, plus de dix ans s'étant écoulés entre la date de la consolidation et l'assignation initiale, et observe que toute thérapeutique active a cessé en 1995, qu'aucune nouvelle séquelle n'est apparue depuis 1995, et que Mme X... a eu connaissance de sa stérilité liée à la curiethérapie dès cette époque, et ne peut être considérée comme ayant été empêchée d'agir puisqu'elle a repris une activité professionnelle dès la fin des traitements en 1995. Elle ajoute que la dysplasie vaginale survenue en 2004 est, aux yeux des experts, sans lien avec l'exposition au DES et ne saurait dès lors être prise en compte. Glaxosmithkline s'associe à cette argumentation. Mme X... expose qu'elle a été étroitement suivie après 1995, qu'ont été craintes à deux reprises, en 1996 et 1997 des récidives, et que, par ailleurs, elle a subi le 29 octobre 1996 une intervention sous anesthésie générale ayant pour objet de traiter les remaniements secondaires à la curiethérapie. Plus généralement, elle rappelle qu'en raison du pronostic très négatif de ce type de cancer, nombre d'experts estiment qu'un recul d'au moins dix ans est nécessaire pour apprécier leur consolidation. Elle considère que la date de consolidation doit être fixée au jour de l'expertise, soit le 17 décembre 2010. En tout état de cause, ignorant sa stérilité jusqu'en 1999, elle a été empêchée d'agir. Ainsi que justement rappelé par toutes les parties, la date de consolidation de la victime est définie par le rapport Dintilhac comme la date de stabilisation des blessures constatées médicalement, soit comme le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation, et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif. Les suspicions de récidives évoquées par la victime n'ont aucun caractère de généralité, mais sont fondées sur des anomalies décelées au cours d'examens de contrôle. Si des récidives étaient réellement survenues lorsqu'elles ont été redoutées, c'est à dire en 1996 et 1997, il n'est pas douteux que les experts auraient considéré que la consolidation n'est pas acquise à la cessation des traitements initiaux, et que les récidives avérées auraient été intégrées dans le préjudice initial, et non considérées comme des aggravations de ce préjudice initial. Le préjudice définitif n'aurait pu être apprécié à la date d'arrêt initial des traitements. Rien ne justifie de raisonner différemment en raison du caractère fort heureusement infondé de ces alertes, alors surtout qu'il est notoire, s'agissant d'affections que l'état du patient est stabilisé et la rémission acquise. Ainsi que justement observé par UCB Pharma, la date de guérison se distingue de la date de consolidation, et les experts considèrent bien que cette guérison n'est acquise, dans le cas de Mme X..., qu'à la date de dépôt de leur rapport. Le jugement sera confirmé en ce que la date de consolidation a été fixée à la date à laquelle la rémission a été considérée comme acquise, soit le 24 janvier 2002. L'exception de prescription a donc à bon droit été rejetée par le tribunal en ce qui concerne les demandes de Mme Françoise X... ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE Sur la prescription Selon l'article 2270-1 du code civil antérieur à la loi du 17 juin 2008 et applicable à la présente instance introduite avant l'entrée en vigueur de la loi de 2008, l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel est soumise à la prescription décennale dont le point de départ est la date de consolidation du dommage. En l'espèce, les experts ont indiqué que le traitement de l'adénocarcinome dont a souffert Mme X..., qui a nécessité une transposition ovarienne et un curage ganglionnaire depuis deux temps de curiethérapie, était achevé le 15 septembre 1995. Pour cette raison et dans la mesure où aucun soin n'a plus été pratiqué à compter de cette date, ils l'ont retenu comme date de consolidation. Cependant, les experts ont indiqué que Mme X... présente une stérilité définitive liée au traitement par curiethérapie, or il est fait mention dans l'expertise de la consultation du 6 janvier 1999 à l'IGR au cours de laquelle le médecin note « problème d'une éventuelle grossesse à nouveau discuté tout en lui expliquant que les chances sont très réduites ». Il ressort donc de ce document qu'à cette date les médecins, même s'ils avaient indiqué que les chances de grossesses étaient très faibles, n'avaient apparemment pas posé le diagnostic d'une stérilité définitive. Il ne peut donc être considéré que Mme X... était consolidée avant même d'avoir connaissance de sa stérilité définitive liée au traitement par curiethérapie, que les médecins n'avaient à l'évidence pas diagnostiqué ou du moins pas dans son caractère définitif en 1999. En outre, Mme X... à la suite de sa curiethérapie, a dû se soumettre, compte tenu de son jeune âge et de la spécificité de sa maladie, à un contrôle très étroit et régulier qui à deux reprises a laissé suspecter une récidive de l'adénocarcinome. Les analyses et examens auxquels s'est soumise Mme X..., ne sont pas en tant que tels des soins mais visaient à surveiller son état de santé que les médecins ne considéraient pas comme fixé mais bien comme état susceptible d'évolution. Au vu de l'ensemble de ces éléments, la date de consolidation de l'état de Mme X... ne peut être retenue au 15 septembre 1995, date à laquelle sa stérilité définitive n'avait pas été diagnostiquée et son adénocarcinome, bien que ne nécessitant plus de soins en tant que tels, justifiait une surveillance étroite et régulière. Il n'est cependant pas nécessaire de recourir à une mesure de contre-expertise pour déterminer la date de consolidation de Mme X... dans la mesure où il est versé au débat un certificat du docteur B..., chef du département de chirurgie oncologique du centre régional de lutte contre le cancer de Strasbourg, en date du 17 juillet 2002, qui atteste que l'examen gynécologique réalisé le 24 janvier 2002 ainsi que les autres examens pratiqués à cette date, permettent de conclure la rémission clinique de Mme X.... Il peut donc être considéré qu'à partir de cette date ses séquelles étaient définitives et ne nécessitant plus un suivi aussi étroit et que sa stérilité définitive était diagnostiquée, Mme X... ayant présenté deux demandes d'adoption en 2003. Il est donc justifié de retenir comme date de consolidation la date du 24 janvier 2002. Dès lors, Mme X..., qui a introduit son action par actes du 16 octobre 2007 soit dans le délai de dix ans qui lui était imparti, doit voir son action déclarée recevable ;
1°) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en réparation des préjudices corporels court à compter de la date de consolidation de la victime ; que la consolidation qui correspond au moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, est indépendante de la connaissance que la victime peut avoir de la réalité de son état ; que dès lors, en affirmant pour fixer au 24 janvier 2002 la date de consolidation, qu'il n'était pas possible d'admettre la consolidation de l'état de Françoise X... avant qu'elle ait eu connaissance du diagnostic de sa stérilité définitive liée au traitement par curiethérapie, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil ;
2°) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en réparation des préjudices corporels court à compter de la date de consolidation de la victime ; que la consolidation qui correspond à la stabilisation de l'état séquellaire de la victime, ne se confond pas avec l'état de guérison ; que dès lors, en fixant la date de consolidation de Françoise X... à la date à laquelle sa rémission a été considérée comme acquise, soit le 24 janvier 2002, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil ;
3°) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en réparation des préjudices corporels court à compter de la date de consolidation de la victime ; que la consolidation qui correspond au moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, n'est pas subordonnée à la cessation de tout suivi médical ; que dès lors, en reportant la date de consolidation de Françoise X... au 24 janvier 2002, motif pris qu'à la suite de sa curiethérapie, elle avait dû se soumettre à un contrôle étroit et régulier, même si celui-ci n'avait finalement fait apparaître aucune récidive ou aggravation de son état, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil ; Moyens produits au pourvoi n° J 18-12.040 par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour M. Z... et Mmes X... et Y....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
(prescription de l'action des victimes par ricochet)IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué de déclarer irrecevables les demandes d'indemnisation de Mme Georgette X... et de M. Roland Z... ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les experts avaient initialement fixé la date de consolidation au 15 janvier 1995 ; qu'après dire de Mme X..., ils l'ont retardée au 15 septembre 1995, au motif que les différents examens cliniques n'ont fait que constater les séquelles de la curiethérapie, préjudices permanents subis, précisant que les autres problèmes gynécologiques survenus après 1996 sont sans rapport avec les séquelles de la curiethérapie ; (
) que la date de consolidation de la victime est définie par le rapport Dintilhac comme la date de stabilisation des blessures constatées médicalement, soit comme le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent, tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation, et qu'il est possible d'apprécier un certain degré d'incapacité permanente réalisant un préjudice définitif ; que les suspicions de récidives évoquées par la victime n'ont aucun caractère de généralité, mais sont fondées sur des anomalies décelées au cours d'examens de contrôle ; que si des récidives étaient réellement survenues lorsqu'elles ont été redoutées, c'est à dire en 1996 et 1997, il n'est pas douteux que les experts auraient considéré que la consolidation n'est pas acquise à la cessation des traitements initiaux, et que les récidives avérées auraient été intégrées dans le préjudice initial, et non considérées comme des aggravations de ce préjudice initial ; que le préjudice définitif n'aurait pu être apprécié à la date d'arrêt initial des traitements ; que rien ne justifie de raisonner différemment en raison du caractère fort heureusement infondé de ces alertes, alors surtout qu'il est notoire, s'agissant d'affections que l'état du patient est stabilisé et la rémission acquise ; qu'ainsi que justement observé par UCB Pharma, la date de guérison se distingue de la date de consolidation, et les experts considèrent bien que cette guérison n'est acquise, dans le cas de Mme X..., qu'à la date de dépôt de leur rapport ; que le jugement sera confirmé en ce que la date de consolidation a été fixée à la date à laquelle la rémission a été considérée comme acquise, soit le 24 janvier 2002 ; (
) qu'en l'absence de toute indivisibilité entre les demandes de cette dernière et celles formées par sa mère et son compagnon, qui ne sont intervenus volontairement à la procédure que le 16 avril 2013, les demandes de Mme Georgette Y... épouse X... et de M. Z... seront déclarées irrecevables comme atteintes par la prescription, plus de 10 ans s'étant écoulés entre le 24 janvier 2002 et la date de la signification de leur intervention volontaire devant le tribunal, soit le 16 avril 2013 ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE les experts ont indiqué que le traitement de l'adénocarcinome dont a souffert Mme X..., qui a nécessité une transposition ovarienne et un curage ganglionnaire depuis deux temps de curiethérapie, était achevé le 15 septembre 1995 ; que pour cette raison et dans la mesure où aucun soin n'a plus été pratiqué à compter de cette date, ils l'ont retenu comme date de consolidation ; que cependant, les experts ont indiqué que Mme X... présente une stérilité définitive liée au traitement par curiethérapie, or il est fait mention dans l'expertise de la consultation du 6 janvier 1999 à l'IGR au cours de laquelle le médecin note « problème d'une éventuelle grossesse à nouveau discuté tout en lui expliquant que les chances sont très réduites » ; qu'il ressort donc de ce document qu'à cette date les médecins, même s'ils avaient indiqué que les chances de grossesses étaient très faibles, n'avaient apparemment pas posé le diagnostic d'une stérilité définitive ; qu'il ne peut donc être considéré que Mme X... était consolidée avant même d'avoir connaissance de sa stérilité définitive liée au traitement par curiethérapie, que les médecins n'avaient à l'évidence pas diagnostiqué ou du moins pas dans son caractère définitif en 1999 ; qu'en outre, Mme X... à la suite de sa curiethérapie, a dû se soumettre, compte tenu de son jeune âge et de la spécificité de sa maladie, à un contrôle très étroit et régulier qui à deux reprises a laissé suspecter une récidive de l'adénocarcinome ; que les analyses et examens auxquels s'est soumise Mme X..., ne sont pas en tant que tels des soins mais visaient à surveiller son état de santé que les médecins ne considéraient pas comme fixé mais bien comme état susceptible d'évolution ; qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, la date de consolidation de l'état de Mme X... ne peut être retenue au 15 septembre 1995, date à laquelle sa stérilité définitive n'avait pas été diagnostiquée et son adénocarcinome, bien que ne nécessitant plus de soins en tant que tels, justifiait une surveillance étroite et régulière ; qu'il n'est cependant pas nécessaire de recourir à une mesure de contre-expertise pour déterminer la date de consolidation de Mme X... dans la mesure où il est versé au débat un certificat du docteur B..., chef du département de chirurgie oncologique du centre régional de lutte contre le cancer de Strasbourg, en date du 17 juillet 2002, qui atteste que l'examen gynécologique réalisé le 24 janvier 2002 ainsi que les autres examens pratiqués à cette date, permettent de conclure la rémission clinique de Mme X... ; qu'il peut donc être considéré qu'à partir de cette date ses séquelles étaient définitives et ne nécessitant plus un suivi aussi étroit et que sa stérilité définitive était diagnostiquée, Mme X... ayant présenté deux demandes d'adoption en 2003 ; qu'il est donc justifié de retenir comme date de consolidation la date du 24 janvier 2002 ;
1°) ALORS QUE les actions en réparation d'un dommage corporel mettant en cause la responsabilité civile extra-contractuelle se prescrivent par dix ans à compter de consolidation de l'état de la victime directe, y compris lorsqu'elles tendent à la réparation des préjudices par ricochet subis par les proches de la victime directe ; que la consolidation s'entend d'un état de la lésion corporelle stabilisée et permanente ; qu'en cas de maladie, la consolidation se confond avec la date de guérison, peu important qu'il subsiste des séquelles dès lors qu'elle ne sont pas évolutives ; qu'en refusant de fixer à la date du rapport d'expertise la date de consolidation, comme cela lui était demandé, bien qu'elle constatait que les experts affirmaient que la guérison de Mme X... de son cancer n'était acquise qu'à la date de dépôt de leur rapport, c'est-à -dire le 17 décembre 2010, la cour d'appel a violé l'article 2270-1 du code civil dans ses dispositions antérieures à la loi du 17 juin 2008 ;
2°) ALORS QU'en ne répondant pas aux écritures des consorts X... qui faisaient valoir qu'outre la date de guérison du cancer du col de l'utérus et du vagin traité en 1994, il devait être tenu compte, pour caractériser la consolidation, de lésions pré cancéreuses diagnostiquées en avril 2004 et constatées jusqu'en 2006 (dysplasie cervicale) et d'un état de stérilité par curiethérapie considéré définitif lors des opérations d'expertises, circonstance dénotant le caractère non définitif des lésions imputables à l'exposition au DES au 24 janvier 2002, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2270-1 du code civil dans ses dispositions antérieures à la loi du 17 juin 2008 ;
3°) ALORS, subsidiairement, QUE l'interruption de la prescription de l'action en indemnisation d'un dommage corporel par la victime directe produit ses effets au profit des victimes par ricochet ; qu'en ne tenant pas compte de l'effet interruptif de la prescription décennale résultant de l'assignation du laboratoire par Mme Françoise X... le 16 octobre 2007 sur l'action en indemnisation de M. Z... et de Mme Georgette X... engagée en 2013, la cour d'appel a violé les articles 2244 et 2270-1 du code civil dans ses dispositions antérieures à la loi du 17 juin 2008.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(préjudice d'établissement)IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'écarter l'indemnisation du préjudice d'établissement de Mme Françoise X... ;
AUX MOTIFS QU'ainsi que justement rappelé par le tribunal, ce poste a vocation, selon la nomenclature Dintilhac, à réparer la perte d'espoir et la perte de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap ; que l'impossibilité de procréer a été réparée au titre du déficit fonctionnel permanent, et ne peut être assimilée à un handicap ; que la demande formée de ce chef sera rejetée et le jugement infirmé sur ce point (arrêt attaqué, p. 7) ;
1°) ALORS QUE le préjudice d'établissement constitue un préjudice distinct du poste du déficit fonctionnel permanent ; qu'en considérant que l'indemnisation de la stérilité de Mme X... au titre du déficit fonctionnel permanent faisait obstacle à l'indemnisation au titre du préjudice d'établissement, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de la réparation intégrale ;
2°) ALORS QUE la stérilité constitue un handicap majeur à l'établissement d'une vie de famille et est indemnisable au titre du préjudice d'établissement ; qu'en considérant que la stérilité de Mme X... ne peut être assimilée à un handicap bien que cette atteinte physiologique l'a empêchée d'avoir des enfants, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de la réparation intégrale.