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16/01/2019 | FRANCE | N°17-20031

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 16 janvier 2019, 17-20031


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y..., intégré à l'établissement public Crédit foncier de France en septembre 1986 et élu le 6 octobre 2009 en qualité de délégué du personnel, a été licencié le 3 septembre 2012 pour faute ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale en nullité de son licenciement et en paiement de diverses indemnités à ce titre ;

Sur les trois moyens du pourvoi principal de l'employeur :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée s

ur les moyens ci-après annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la c...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y..., intégré à l'établissement public Crédit foncier de France en septembre 1986 et élu le 6 octobre 2009 en qualité de délégué du personnel, a été licencié le 3 septembre 2012 pour faute ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale en nullité de son licenciement et en paiement de diverses indemnités à ce titre ;

Sur les trois moyens du pourvoi principal de l'employeur :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens ci-après annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident du salarié :

Vu l'article L. 2411-5 du code du travail ;

Attendu que pour limiter à une certaine somme l'indemnité due au salarié au titre de la violation du statut protecteur, la cour d'appel retient que l'expiration de la période de préavis marque le point de départ de l'indemnité à laquelle il a droit ;

Qu'en statuant ainsi, alors que le salarié protégé licencié sans autorisation de l'inspecteur du travail et qui ne demande pas sa réintégration a droit, au titre de la violation du statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre la date de la rupture et l'expiration de la période de protection, dans la limite de trente mois, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Crédit foncier de France à payer à M. Y... une indemnité de 118 400 euros pour violation du statut protecteur, l'arrêt rendu le 19 avril 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société Crédit foncier de France aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Crédit foncier de France et la condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par M. X..., conseiller doyen faisant fonction de président, et par Mme Lavigne, greffier de chambre présente lors de la mise à disposition de l'arrêt le seize janvier deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour la société Crédit foncier de France

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé le jugement entrepris en ce qu'il avait fait droit sur le principe aux demandes de dommages et intérêts de M. Pascal Y... pour violation du statut légal protecteur et nullité du licenciement rendu illicite, d'AVOIR condamné la société Crédit Foncier de France à verser au salarié les sommes de 118 400 euros pour violation du statut protecteur, 178 000 euros réparant son préjudice né du caractère illite de son licenciement, 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, d'AVOIR ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes allouées à M. Y... dans les conditions de l'article 1343-2 ressortissant de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, d'AVOIR ordonné la délivrance par l'employeur au salarié d'un solde de tout compte, d'une attestation Pôle Emploi, ainsi que d'un certificat de travail, conformes à l'arrêt, d'AVOIR condamné l'employeur aux entiers dépens ainsi qu'à verser au salarié la somme de 6 500 euros (500 euros en première instance et 6 000 euros en cause d'appel) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « M. Y... a intégré l'établissement public CCF en septembre 1986 sur concours pour y occuper un emploi d'attaché stagiaire, avant de se voir confier des fonctions d'inspecteur sur la période 1988/2001, exerçant depuis 2002 des responsabilités en tant que directeur régional du grand sud-ouest au sein du pôle expertises.
M. Y... a été élu le 6 octobre 2009 délégué du personnel suppléant sur la liste CFE-CGC.
La chronologie suivante sera rappelée :
- convocation le 7 août 2012 de M. Y... par la SA CCF à un entretien préalable prévu le 20 août ;
- notification le 3 septembre 2012 par la SA CCF à M. Y... de son licenciement pour faute ainsi motivé : " ... compte tenu du conflit d'intérêt clairement établi, du manquement à votre obligation de loyauté, du non-respect du règlement intérieur et de l'instruction d'application relative aux conflits d'intérêts, et compte tenu de l'absence de déclaration relative à votre activité d'expertise judiciaire ... " ;
- courrier du 5 septembre 2012 de M. Y... à la SA CCF en ces termes : " Comme je suis délégué du personnel et élu du personnel, je constate que votre lettre de licenciement s'avère nulle et je poursuis en conséquence mes fonctions " ;
- lettre en réponse du 6 septembre 2012 de la SA CCF à M. Y... : " Je fais suite à votre courrier du 5 septembre 2012 par lequel vous nous rappelez être titulaire d'un mandat de délégué du personnel. Conformément à votre demande et à la législation applicable, la lettre de licenciement que nous vous avons adressée est effectivement nulle et non avenue. Nous allons donc réitérer la procédure en respectant le formalisme prévu par le code du travail pour les salariés titulaires d'un mandat ... " ;
- nouvelle convocation le 7 septembre 2012 de M. Y... par la SA CCF à un entretien préalable fixé le 19 septembre mais qui n'ira pas au-delà sur le plan de la procédure.
Pour conclure à l'absence de violation du statut légal protecteur de M. Y... lié à son mandat électif, la SA CCF indique que suite au licenciement notifié le 3 septembre 2012 " les parties ont immédiatement après convenu de revenir sur ce licenciement et de le rétracter ... au titre de l'article 1134 du code civil ", que le salarié a fait " une offre de rétractation ... acceptée par la Société", et que la rétractation du licenciement a bien eu lieu à la demande de celui-ci comme cela ressort des termes mêmes de son courrier du 5 septembre 2012 qu'il lui a adressé, ce que conteste l'appelant exposant la règle selon laquelle un employeur qui licencie un salarié protégé sans autorisation administrative préalable ne peut rétracter sa décision sans l'accord de l'intéressé, et que l'employeur ne peut davantage régulariser la procédure a posteriori en accomplissant les formalités légales requises.
La SA CCF, qui ne conteste pas le caractère manifestement illicite de la procédure ayant conduit à la notification le 3 septembre 2012 du licenciement pour motif disciplinaire de M. Y..., procédure suivie en violation de l'article L.2411-5, alinéa 1er, du code du travail disposant que le licenciement d'un salarié délégué du personnel, titulaire ou suppléant, " ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspection du travail ", tient à préciser que cette erreur s'explique par le fait que la gestion des institutions représentatives du personnel est assurée par les directeurs régionaux locaux et non par la direction des ressources humaines au siège parisien, ce qui en soi ne constitue qu'un argument manquant de pertinence.
Si l'intimée, pleinement consciente du problème, a entendu rétracter sa décision de licenciement dans son courrier en réponse du 6 septembre 2012, nonobstant ce qu'elle affirme, il n'est pas établi que M. Y... l'ait ensuite expressément accepté, et c'est à tort qu'elle se retranche derrière la lettre de contestation précitée de ce dernier du 5 septembre dont les termes ne peuvent s'interpréter comme une acceptation de cette même rétractation.
Sur cette question centrale pour la solution à trouver au présent litige, l'inspection du travail n'a pas manqué de rappeler à la SA CCF dans une correspondance du 13 septembre 2012 que le fait de licencier un salarié délégué du personnel sans autorisation administrative est au plan pénal constitutif d'un délit d'entrave, outre les sanctions civiles en résultant, et qu'elle ne peut se rétracter en reprenant ensuite la procédure " qu'avec l'accord du salarié ".
Ce défaut d'acceptation ressort renforcé à l'examen d'une autre lettre de M. Y... adressée à la SA CCF le 17 septembre 2012 (" En définitive, dans l'objectif exclusif de tenter de régulariser a posteriori tant la procédure menée à mon encontre en totale violation de mon statut protecteur que le licenciement qui m'a finalement été notifié d'une façon singulièrement expéditive ..., vous n'hésitez pas aujourd'hui, à considérer que mes protestations antérieures auraient valu accord de ma part pour une réintégration à mon poste et ... pour de nouveau me faire licencier ... aucune réintégration ne saurait, depuis lors, m'être valablement imposée sans mon accord express. Un tel accord ne vous a, en l'occurrence, jamais été donné ...").
La notification ainsi faite à M. Y... le 3 septembre 2012 a rendu définitive la décision de le licencier prise par l'intimée qui n'a pu revenir sur celle-ci sans son accord express.
Le licenciement de M. Y... intervenu dans un tel contexte est sanctionné par la nullité.
L'appelant, qui a été licencié sans autorisation administrative et qui ne demande pas spécialement sa réintégration au sein de la SA CCF, peut prétendre, d'une part, à une indemnité pour violation du statut protecteur d'un montant égal à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à la fin de la période de protection en cours dans la limite de deux ans, augmentée de six mois et, d'autre part, outre les indemnités de rupture, à des dommages-intérêts réparant l'intégralité de son préjudice né du caractère illicite de son licenciement d'un montant minimum équivalent à six mois de salaires par renvoi aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail.
Si l'on reprend le total des rémunérations brutes servies à M. Y... sur les 12 derniers mois de son activité au sein de la SA CCF, période lui étant la plus favorable en termes de calcul, la moyenne de celles-ci est de 7 400 € bruts mensuels.
S'agissant de la durée de la période légale de protection à prendre en compte, il y a lieu de se reporter à l'accord collectif d'entreprise du 12 juillet 2012 ayant prorogé les mandats, notamment des délégués du personnel, jusqu'au 25 octobre 2013, dans l'hypothèse d'un second tour de scrutin.
M. Y... ayant été définitivement sorti des effectifs de la SA CCF à la date du 3 décembre 2012 qui correspond à l'expiration de ses trois mois de préavis dont il a été dispensé d'exécution contre rémunération - notification du licenciement le 3 septembre 2012 + 3 mois, la période légale de protection va en l'espèce du 3 décembre 2012 au 25 avril 2014 - 25 octobre 2013 + 6 mois.
Infirmant le jugement déféré sur le quantum de l'indemnité qui lui revient pour violation du statut légal protecteur, la SA CCF sera en conséquence condamnée à payer à l'appelant la somme à ce titre de 118 400 € (7 400 € x 16 mois pleins de décembre 2012 à avril 2014), avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
Compte tenu de l'ancienneté (26 années) et de l'âge (52 ans) de M. Y... lors de la rupture de son contrat de travail, infirmant tout autant la décision critiquée sur le quantum, l'intimée sera condamnée à lui régler la somme de 178 000 € à titre de dommages-intérêts réparant l'intégralité de son préjudice né du caractère illicite de son licenciement, représentant l'équivalent de 24 mois de salaires, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Dès lors que les premiers juges, même par le truchement d'un minimum de motivation normalement attendue et conforme à leur mission première, n'ont pas répondu à la demande de dommages-intérêts de M. Y... pour préjudice moral, eu égard à la manière quelque peu expéditive dont la SA CCF a conduit cette procédure de licenciement contre un collaborateur qui n'a jamais démérité dans l'exercice de ses fonctions à responsabilités, y ajoutant, la cour la condamnera à lui verser la somme à ce titre de 50 000 € majorée des intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
Il y a lieu, en application de l'article 1154 du code civil devenu l'article 1343-2 par l'ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016, d'ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes indemnitaires revenant à l'appelant.
Il sera ordonné la délivrance par la SA CCF à l'appelant d'un solde de tout compte, d'une attestation Pôle emploi, ainsi que d'un certificat de travail, conformes au présent arrêt.
Il n'y a pas lieu d'ordonner sous astreinte l'affichage de la présente décision comme sollicité par le salarié.
La SA CCF sera condamnée en équité à payer à l'appelant la somme complémentaire de 6 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel » ;

ET AUX MOTIFS partiellement ADOPTES QUE « Attendu que la protection des représentants du personnel est d'ordre public.
Attendu que l'art L. 2411-1 du code du Travail stipule que bénéficient de cette protection les délégués du personnel
Attendu que la procédure spéciale s'impose à l'employeur comme au salarié protégé. Qu'elle ne peut être écartée ni à la demande des parties, ni par convention.
Attendu que l'employeur qui rompt le contrat de travail du salarié protégé sans solliciter l'autorisation de l'inspecteur du travail viole le statut protecteur et s'expose aux sanctions applicables en cas de violation du statut protecteur Attendu qu'en conséquence la décision à l'encontre de M. Y... produit les effets d'un licenciement nul, peu important la réalité des motifs invoqués par l'employeur.
Attendu toutefois, que M. Y... s'est gardé de rappeler son statut protecteur alors que dans une organisation aussi large et décentralisée que celle du CFF, on peut accréditer une erreur dans l'oubli de ce statut avant de procéder au licenciement, et qu'il n'a signalé ce fait qu'après la notification de ce licenciement alors qu'en toute logique il aurait pu le rappeler auparavant.
Attendu que l'employeur s'est rétracté dès que cette information lui a été transmise.
Attendu que M. Y... ne peut se prévaloir d'un préjudice significatif dans la mesure où il a refusé l'annulation de la procédure qui lui a été immédiatement proposée par la société, que dès lors les dommages et intérêts sollicités seront ramenés à de plus juste proportions.
Attendu qu'au titre des frais irrépétibles, il n'y sera fait droit qu'à hauteur de 500 euros tandis que la partie défenderesse succombant, cette dernière en sera déboutée » ;

1°) ALORS QUE le licenciement est valablement rétracté d'un commun accord lorsque le salarié, postérieurement à la notification de la lettre de rupture de son contrat de travail, informe son employeur que la tenant pour nulle, il entend poursuivre ses fonctions et que, en réponse à la demande du salarié, l'employeur accepte de tenir pour nulle et non avenue la lettre de licenciement ; qu'en l'espèce, à réception de la lettre de licenciement du 3 septembre 2012, le salarié avait écrit à son employeur le 5 septembre suivant, exposant que la lettre de licenciement s'avérant nulle, il poursuivait ses fonctions, sollicitant une réponse de toute urgence ; que, par courrier du 6 septembre 2012, l'employeur lui répondait que conformément à sa demande, il tenait la lettre de licenciement pour nulle et non avenue ; qu'en retenant que le salarié n'avait pas accepté la rétractation de l'employeur après le courrier du 6 septembre 2012, quand ce dernier courrier marquait l'accord de l'employeur à la proposition du salarié de tenir la rupture pour non avenue et de poursuivre ses fonctions, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil dans sa version alors applicable ;

2°) ALORS QUE l'accord des parties est parfait dès l'expression de leurs volontés, sauf vice du consentement ; qu'en l'espèce, en retenant que le courrier du 17 septembre 2012 valait contestation du salarié d'avoir accepté de réintégrer son poste quand il lui appartenait de caractériser que la volonté du salarié d'être réintégré, exprimée le 5 septembre 2012 et acceptée par l'employeur le 6 septembre suivant, aurait été viciée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1109 et 1334 du code civil dans leur version alors applicable ;

3°) ALORS QUE le caractère d'ordre public de la protection des représentants du personnel n'interdit pas que l'employeur, qui licencie un salarié protégé sans avoir demandé l'autorisation de l'inspecteur du travail, puisse rétracter sa décision, dès lors qu'il obtient l'accord du salarié ; qu'en affirmant par motifs adoptés que la protection des représentants du personnel étant d'ordre public, la procédure spéciale ne pouvait être écartée par convention, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-1, L. 2411-5 et L. 1232-6 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Crédit Foncier de France à verser au salarié les sommes de 118 400 euros pour violation du statut protecteur, 178 000 euros réparant son préjudice né du caractère illite de son licenciement, 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, d'AVOIR ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes allouées à M. Y... dans les conditions de l'article 1343-2 ressortissant de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, d'AVOIR ordonné la délivrance par l'employeur au salarié d'un solde de tout compte, d'une attestation Pôle Emploi, ainsi que d'un certificat de travail, conformes à l'arrêt, d'AVOIR condamné l'employeur aux entiers dépens ainsi qu'à verser au salarié la somme de 6 500 euros (500 euros en première instance et 6 000 euros en cause d'appel) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « (
) Dès lors que les premiers juges, même par le truchement d'un minimum de motivation normalement attendue et conforme à leur mission première, n'ont pas répondu à la demande de dommages-intérêts de M. Y... pour préjudice moral, eu égard à la manière quelque peu expéditive dont la SA CCF a conduit cette procédure de licenciement contre un collaborateur qui n'a jamais démérité dans l'exercice de ses fonctions à responsabilités, y ajoutant, la cour la condamnera à lui verser la somme à ce titre de 50 000 € majorée des intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
Il y a lieu, en application de l'article 1154 du code civil devenu l'article 1343-2 par l'ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016, d'ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes indemnitaires revenant à l'appelant.
Il sera ordonné la délivrance par la SA CCF à l'appelant d'un solde de tout compte, d'une attestation Pôle emploi, ainsi que d'un certificat de travail, conformes au présent arrêt.
Il n'y a pas lieu d'ordonner sous astreinte l'affichage de la présente décision comme sollicité par le salarié.
La SA CCF sera condamnée en équité à payer à l'appelant la somme complémentaire de 6 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel » ;

1°) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent statuer par voie de simples affirmations sans préciser l'origine de leurs constatations ; qu'en affirmant péremptoirement que M. Y... n'avait pas démérité dans l'exercice de ses fonctions, sans préciser de quel élément elle tirait le mérite du salarié, expressément contesté par l'employeur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°) ALORS QUE le salarié ne peut prétendre, en sus d'une indemnité pour licenciement nul, à des dommages-intérêts pour préjudice moral distinct que si les juges caractérisent une faute de l'employeur dans les circonstances entourant la rupture ayant causé au salarié un préjudice moral distinct de celui résultant de son licenciement ; qu'en l'espèce, pour allouer au salarié une somme à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, la cour d'appel s'est bornée à relever « la manière quelque peu expéditive dont la CCF a conduit cette procédure de licenciement » ; qu'en statuant de la sorte sans préciser en quoi la procédure de licenciement diligentée par l'employeur sans autorisation de l'inspecteur du travail et déjà sanctionnée par l'octroi de dommages et intérêts pour licenciement illicite, avait été par ailleurs expéditive, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa version alors applicable ;

3°) ALORS en tout état de cause QUE le salarié ne peut prétendre, en sus d'une indemnité pour licenciement nul, à des dommages-intérêts pour préjudice moral distinct que si les juges caractérisent une faute de l'employeur dans les circonstances entourant la rupture ayant causé au salarié un préjudice moral distinct de celui résultant de son licenciement ; qu'en l'espèce, pour allouer au salarié une somme à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, la cour d'appel s'est bornée à relever « la manière quelque peu expéditive dont la CCF a conduit cette procédure de licenciement » ainsi que le fait que le salarié n'avait jamais démérité dans ses fonctions ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à caractériser que les conditions de son licenciement étaient vexatoires et justifiaient l'allocation de dommages-intérêts pour préjudice distinct, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa version alors applicable.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Crédit Foncier de France à verser au salarié les sommes de 118 400 euros pour violation du statut protecteur, 178 000 euros réparant son préjudice né du caractère illite de son licenciement, 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, d'AVOIR ordonné la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes allouées à M. Y... dans les conditions de l'article 1343-2 ressortissant de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, d'AVOIR ordonné la délivrance par l'employeur au salarié d'un solde de tout compte, d'une attestation Pôle Emploi, ainsi que d'un certificat de travail, conformes à l'arrêt, d'AVOIR condamné l'employeur aux entiers dépens ainsi qu'à verser au salarié la somme de 6 500 euros (500 euros en première instance et 6 000 euros en cause d'appel) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « M. Y... a intégré l'établissement public CCF en septembre 1986 sur concours pour y occuper un emploi d'attaché stagiaire, avant de se voir confier des fonctions d'inspecteur sur la période 1988/2001, exerçant depuis 2002 des responsabilités en tant que directeur régional du grand sud-ouest au sein du pôle expertises.
M. Y... a été élu le 6 octobre 2009 délégué du personnel suppléant sur la liste CFE-CGC.
La chronologie suivante sera rappelée :
- convocation le 7 août 2012 de M. Y... par la SA CCF à un entretien préalable prévu le 20 août ;
- notification le 3 septembre 2012 par la SA CCF à M. Y... de son licenciement pour faute ainsi motivé : " ... compte tenu du conflit d'intérêt clairement établi, du manquement à votre obligation de loyauté, du non-respect du règlement intérieur et de l'instruction d'application relative aux conflits d'intérêts, et compte tenu de l'absence de déclaration relative à votre activité d'expertise judiciaire ... " ;
- courrier du 5 septembre 2012 de M. Y... à la SA CCF en ces termes : " Comme je suis délégué du personnel et élu du personnel, je constate que votre lettre de licenciement s'avère nulle et je poursuis en conséquence mes fonctions " ;
- lettre en réponse du 6 septembre 2012 de la SA CCF à M. Y... : " Je fais suite à votre courrier du 5 septembre 2012 par lequel vous nous rappelez être titulaire d'un mandat de délégué du personnel. Conformément à votre demande et à la législation applicable, la lettre de licenciement que nous vous avons adressée est effectivement nulle et non avenue. Nous allons donc réitérer la procédure en respectant le formalisme prévu par le Code du travail pour les salariés titulaires d'un mandat ... " ;
- nouvelle convocation le 7 septembre 2012 de M. Y... par la SA CCF à un entretien préalable fixé le 19 septembre mais qui n'ira pas au-delà sur le plan de la procédure.
Pour conclure à l'absence de violation du statut légal protecteur de M. Y... lié à son mandat électif, la SA CCF indique que suite au licenciement notifié le 3 septembre 2012 " les parties ont immédiatement après convenu de revenir sur ce licenciement et de le rétracter ... au titre de l'article 1134 du code civil ", que le salarié a fait " une offre de rétractation ...
acceptée par la Société", et que la rétractation du licenciement a bien eu lieu à la demande de celui-ci comme cela ressort des termes mêmes de son courrier du 5 septembre 2012 qu'il lui a adressé, ce que conteste l'appelant exposant la règle selon laquelle un employeur qui licencie un salarié protégé sans autorisation administrative préalable ne peut rétracter sa décision sans l'accord de l'intéressé, et que l'employeur ne peut davantage régulariser la procédure a posteriori en accomplissant les formalités légales requises.
La SA CCF, qui ne conteste pas le caractère manifestement illicite de la procédure ayant conduit à la notification le 3 septembre 2012 du licenciement pour motif disciplinaire de M. Y..., procédure suivie en violation de l'article L.2411-5, alinéa 1er, du code du travail disposant que le licenciement d'un salarié délégué du personnel, titulaire ou suppléant, " ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspection du travail ", tient à préciser que cette erreur s'explique par le fait que la gestion des institutions représentatives du personnel est assurée par les directeurs régionaux locaux et non par la direction des ressources humaines au siège parisien, ce qui en soi ne constitue qu'un argument manquant de pertinence.
Si l'intimée, pleinement consciente du problème, a entendu rétracter sa décision de licenciement dans son courrier en réponse du 6 septembre 2012, nonobstant ce qu'elle affirme, il n'est pas établi que M. Y... l'ait ensuite expressément accepté, et c'est à tort qu'elle se retranche derrière la lettre de contestation précitée de ce dernier du 5 septembre dont les termes ne peuvent s'interpréter comme une acceptation de cette même rétractation.
Sur cette question centrale pour la solution à trouver au présent litige, l'inspection du travail n'a pas manqué de rappeler à la SA CCF dans une correspondance du 13 septembre 2012 que le fait de licencier un salarié délégué du personnel sans autorisation administrative est au plan pénal constitutif d'un délit d'entrave, outre les sanctions civiles en résultant, et qu'elle ne peut se rétracter en reprenant ensuite la procédure " qu'avec l'accord du salarié ".
Ce défaut d'acceptation ressort renforcé à l'examen d'une autre lettre de M. Y... adressée à la SA CCF le 17 septembre 2012 (" En définitive, dans l'objectif exclusif de tenter de régulariser a posteriori tant la procédure menée à mon encontre en totale violation de mon statut protecteur que le licenciement qui m'a finalement été notifié d'une façon singulièrement expéditive ..., vous n'hésitez pas aujourd'hui, à considérer que mes protestations antérieures auraient valu accord de ma part pour une réintégration à mon poste et ... pour de nouveau me faire licencier ... aucune réintégration ne saurait, depuis lors, m'être valablement imposée sans mon accord express. Un tel accord ne vous a, en l'occurrence, jamais été donné ...").
La notification ainsi faite à M. Y... le 3 septembre 2012 a rendu définitive la décision de le licencier prise par l'intimée qui n'a pu revenir sur celle-ci sans son accord express.
Le licenciement de M. Y... intervenu dans un tel contexte est sanctionné par la nullité.
L'appelant, qui a été licencié sans autorisation administrative et qui ne demande pas spécialement sa réintégration au sein de la SA CCF, peut prétendre, d'une part, à une indemnité pour violation du statut protecteur d'un montant égal à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à la fin de la période de protection en cours dans la limite de deux ans, augmentée de six mois et, d'autre part, outre les indemnités de rupture, à des dommages-intérêts réparant l'intégralité de son préjudice né du caractère illicite de son licenciement d'un montant minimum équivalent à six mois de salaires par renvoi aux dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail.

Si l'on reprend le total des rémunérations brutes servies à M. Y... sur les 12 derniers mois de son activité au sein de la SA CCF, période lui étant la plus favorable en termes de calcul, la moyenne de celles-ci est de 7 400 € bruts mensuels.
S'agissant de la durée de la période légale de protection à prendre en compte, il y a lieu de se reporter à l'accord collectif d'entreprise du 12 juillet 2012 ayant prorogé les mandats, notamment des délégués du personnel, jusqu'au 25 octobre 2013, dans l'hypothèse d'un second tour de scrutin.
M. Y... ayant été définitivement sorti des effectifs de la SA CCF à la date du 3 décembre 2012 qui correspond à l'expiration de ses trois mois de préavis dont il a été dispensé d'exécution contre rémunération - notification du licenciement le 3 septembre 2012 + 3 mois, la période légale de protection va en l'espèce du 3 décembre 2012 au 25 avril 2014 - octobre 2013 + 6 mois.
Infirmant le jugement déféré sur le quantum de l'indemnité qui lui revient pour violation du statut légal protecteur, la SA CCF sera en conséquence condamnée à payer à l'appelant la somme à ce titre de 118 400 € (7 400 € x 16 mois pleins de décembre 2012 à avril 2014), avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
Compte tenu de l'ancienneté (26 années) et de l'âge (52 ans) de M. Y... lors de la rupture de son contrat de travail, infirmant tout autant la décision critiquée sur le quantum, l'intimée sera condamnée à lui régler la somme de 178 000 € à titre de dommages-intérêts réparant l'intégralité de son préjudice né du caractère illicite de son licenciement, représentant l'équivalent de 24 mois de salaires, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
Dès lors que les premiers juges, même par le truchement d'un minimum de motivation normalement attendue et conforme à leur mission première, n'ont pas répondu à la demande de dommages-intérêts de M. Y... pour préjudice moral, eu égard à la manière quelque peu expéditive dont la SA CCF a conduit cette procédure de licenciement contre un collaborateur qui n'a jamais démérité dans l'exercice de ses fonctions à responsabilités, y ajoutant, la cour la condamnera à lui verser la somme à ce titre de 50 000 € majorée des intérêts au taux légal partant du présent arrêt.
Il y a lieu, en application de l'article 1154 du code civil devenu l'article 1343-2 par l'ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016, d'ordonner la capitalisation des intérêts au taux légal sur les sommes indemnitaires revenant à l'appelant.
Il sera ordonné la délivrance par la SA CCF à l'appelant d'un solde de tout compte, d'une attestation Pôle emploi, ainsi que d'un certificat de travail, conformes au présent arrêt.
Il n'y a pas lieu d'ordonner sous astreinte l'affichage de la présente décision comme sollicité par le salarié.
La SA CCF sera condamnée en équité à payer à l'appelant la somme complémentaire de 6 000 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel » ;

ALORS en tout état de cause QUE les juges du fond sont tenus de motiver leur décision ; qu'en l'espèce, la société CFF contestait expressément le salaire de référence de plus de 8 000 euros dont se prévalait M. Y... pour le calcul des indemnités qu'il sollicitait, et soulignait expressément qu'il résultait des bulletins de paie du salarié que son salaire moyen mensuel était de 5 924,10 euros ; que dès lors, en se bornant à affirmer que la moyenne des rémunérations brutes servies au salarié sur les 12 derniers mois de son activité s'élevait à la somme de 7 400 euros, sans s'expliquer sur les éléments dont elle tenait compte pour parvenir à un tel chiffrage expressément querellé par les parties, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ; Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot, avocat aux Conseils, pour M. Y...

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société Crédit Foncier de France à payer à M. Y... une indemnité de 118.400 € seulement pour violation du statut protecteur ;

AUX MOTIFS QUE s'agissant de la durée de la période légale de protection à prendre en compte, il y a lieu de se reporter à l'accord collectif d'entreprise ayant prorogé les mandats, notamment des délégués du personnel, jusqu'au 25 octobre 2013, dans l'hypothèse d'un second tour de scrutin ; M. Y... ayant été définitivement sorti des effectifs de la SA CFF à la date du 3 décembre 2012, qui correspond à l'expiration de ses trois mois de préavis dont il a été dispensé d'exécution contre rémunération – notification du licenciement le 3 septembre 2012 + 3 mois -, la période légale de protection va en l'espèce du 3 décembre 2012 au 25 avril 2014 – 25 octobre 2013 + 6 mois ; qu'infirmant le jugement déféré sur le quantum de l'indemnité qui lui revient pour violation du statut légal protecteur, la SA CFF sera en conséquence condamnée à payer à l'appelant la somme à ce titre de 118.400 € (7.400 € x 16 mois pleins de décembre 2012 à avril 2014) ;

ALORS QUE le salarié protégé licencié sans autorisation et qui ne demande pas sa réintégration a droit, au titre de la violation du statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre la date de la rupture et l'expiration de la période de protection ; que, dès lors, en retenant que l'expiration de la période de préavis marquait le point de départ de l'indemnité à laquelle M. Y... avait droit pour violation du statut protecteur, la cour d'appel a violé l'article L. 2411-5 du code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17-20031
Date de la décision : 16/01/2019
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 19 avril 2017


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 16 jan. 2019, pourvoi n°17-20031


Composition du Tribunal
Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini, SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2019:17.20031
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