LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 18 mars 2011, sur le chantier d'une maison en construction, M. E... Z..., employé en qualité de couvreur par la société Rhône charpente couverture maçonnerie (l'employeur), a été victime d'une chute, prise en charge au titre de la législation professionnelle ; qu'il a saisi une juridiction de sécurité sociale d'une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale, L. 4121-1, R. 4121-1 et R. 4323-84 du code du travail ;
Attendu que pour rejeter ce recours, l'arrêt retient essentiellement que la chute de M. E... Z... s'est produite alors qu'il travaillait, comme son collègue I... Y..., à la pose de génoises sur une simple échelle mesurant quatre mètres de longueur ; qu'il ne pouvait donc s'agir que des génoises de l'une des petites parties latérales du rez-de-chaussée, et non pas de la partie centrale la plus haute du bâtiment qui ferait, selon ses propres déclarations, huit mètres de hauteur ; que pour un motif indéterminé, cette échelle qui était appuyée contre un mur a glissé sur le côté, provoquant sa chute ; que M. E... Z... n'a pu préciser à quelle hauteur effective il travaillait ce jour-là ; qu'il n'a pas apporté la preuve qui lui incombait que la hauteur à laquelle il devait travailler, ce jour-là, aurait exigé que son employeur fasse procéder à l'installation préalable d'un échafaudage sécurisé ; qu'il n'a pas apporté la preuve que l'employeur devait avoir conscience d'un danger pour son salarié mais n'aurait pris aucune mesure pour l'en préserver ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher comme il le lui était demandé, si l'employeur avait mis en oeuvre des mesures d'identification et de prévention des risques liés à l'exécution de travaux temporaires en hauteur et aux équipements de travail utilisés à cette fin, auxquels l'obligent les textes susvisés, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autre branches du moyen unique :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Rhône charpente couverture maçonnerie aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Rhône charpente couverture maçonnerie et la condamne à payer à M. E... Z... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt décembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. E... Z...
Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR débouté un salarié (M. H... E... Z..., l'exposant) de sa demande tendant à dire et juger que l'accident du travail dont il a été victime le 18 mars 2011 était la conséquence de la faute inexcusable de son employeur (la société SARL Rhône Charpente Couverture Maçonnerie – R2CM), à voir en conséquence fixer au taux maximum la majoration de sa rente et à condamner la société au paiement de dommages et intérêts provisionnels en réparation du préjudice subi.
AUX MOTIFS QUE la société R2CM a rappelé que, le jour de l'accident, M. E... Z... et son collègue avaient pour unique mission de faire des génoises en rez-de-chaussée avec interdiction de monter sur le toit, ce qui n'était d'ailleurs pas nécessaire puisque les tuiles n'étaient pas encore livrées, et que c'était ce que la victime avait déclaré, à savoir : être tombée d'une échelle appuyée contre un mur pendant qu'il travaillait, en rez-de-chaussée, pour refaire les génoises de la toiture ; or c'était trois ans plus tard qu'il avait prétendu travailler sur le toit pour poser un écran sous toiture, ce qui était faux car c'était le gérant de la société qui l'avait fait la veille de l'accident ; elle a contesté la nouvelle version des faits de la victime et les nouveaux témoignages versés aux débats ; elle a justifié de l'achat des moyens de protection nécessaires à son activité avant l'accident ; M. E... Z... a reconnu qu'il avait fait une fausse déclaration devant les services de police en disant qu'il était tombé d'une échelle, mais qu'il l'avait fait à la demande de son employeur pour lui éviter des ennuis ; il a obtenu les attestations de trois personnes qui ont confirmé qu'il était bien tombé du toit, soit de près de huit mètres de hauteur ; il a expliqué qu'il devait poser un film isolant sur le toit et qu'en tirant sur ce film, il avait basculé en arrière et était tombé au sol ; il a fait valoir que son employeur avait commis une faute inexcusable en le faisant travailler sur un toit sans échafaudages ni protection individuelle pour éviter les chutes ; il a subi des fractures de l'os frontal gauche, du bassin, du thorax, d'une épaule et de la rate ; la caisse primaire d'assurance maladie lui a reconnu un taux d'incapacité de 53 % à la date du 1er avril 2015 ; il a été licencié pour inaptitude physique le 29 avril 2015 ; la cour rappelle que la faute inexcusable de l'employeur ne se présume pas et que, dans le cadre de l'application de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque le salarié, victime d'un accident du travail (ou d'une maladie professionnelle) entend mettre en cause la faute inexcusable de l'employeur, il doit rapporter la preuve de l'existence de cette faute ; le 18 mars 2011, des officiers de police judiciaire en patrouille, prévenus par radio d'un accident survenu à 16h30, sont arrivés sur place, 102 bd Queirel à Marseille, vers 17 heures ; les marins pompiers et le Samu 13 étaient déjà sur place ; la victime se plaignait de douleurs aux côtes, à la jambe gauche et aux cervicales ; l'autre ouvrier présent était M. Y... I... ; leur enquête a permis de constater que, le jour de l'accident, le gérant de l'entreprise, M. A..., était sur un autre chantier et que trois ouvriers travaillaient au 102 bd Queirel : M. E... Z..., la victime, M. Y... F... et M. G... ; M. E... Z... a été entendu le 28 octobre 2011 et il a confirmé être tombé de l'échelle ; il a cité comme seul témoin I... Y... ; M. A..., gérant de l'entreprise, entendu en février 2013, a déclaré qu'il était sur un autre chantier et qu'il avait appris par ses ouvriers que M. E... Z... était tombé d'une échelle ; M. Y... F... , entendu en février 2013, a déclaré qu'il se trouvait dans le garage lorsqu'il avait entendu du bruit : il était sorti et avait vu son collègue au sol : « et j'ai tout de suite compris qu'il venait de faire une chute de son échelle » ; M. G... n'a pas été entendu (du moins aucun PV ne figure dans les pièces versées aux débats) ; aucune personne présente n'a déclaré qu'il était tombé du toit ; les enquêteurs ont donc acté que M. E... Z... était tombé d'une échelle posée contre un mur ; par un certificat médical du Docteur B... en date du 8 juin 2011, M. E... Z... a été informé que son état de santé ne lui permettrait pas de reprendre son activité de couvreur et qu'il devrait prévoir une reconversion professionnelle ; le 28 octobre 2011, M. E... Z... s'est rendu à une convocation des enquêteurs de police (cf. supra) et a été entendu sur les faits, en présence de sa femme qui a servi d'interprète en portugais ; il a maintenu qu'il était tombé de l'échelle et il a cité comme témoin son collègue, « I... Y... » ; le 2 novembre 2011, convoqué au commissariat, il a apporté son contrat de travail et a réitéré ses déclarations en disant qu'il avait glissé accidentellement de l'échelle ; le 18 janvier 2013, un enquêteur de police a téléphoné à M. E... Z... qui lui a dit qu'il ne désirait pas porter plainte, puis la procédure a été classée sans suite par le procureur de la République en février 2013 ; ainsi, pendant toute l'enquête de police et vingt-deux mois après l'accident, M. E... Z..., qui savait depuis juin 2011 qu'il ne pourrait plus exercer son métier dans le bâtiment, qui avait eu le temps nécessaire pour prendre conseil et qui avait eu plusieurs occasions de réorienter l'enquête de police, a expressément maintenu ses premières déclarations quant aux circonstances exactes de l'accident ; c'est donc à tort qu'il prétend, devant la Cour, avoir décidé de faire valoir la faute inexcusable de son employeur et de dire la vérité sur les circonstances exactes de sa chute en apprenant qu'il ne pourrait plus retrouver son emploi ; en juin 2013, l'assureur « accidents entreprise » de son employeur lui a annoncé qu'il allait bénéficier d'une somme de 8 750 euros au titre de son incapacité permanente ; cette somme lui a été versée, après son accord, le 14 décembre 2013 (cf. pièces 13 et 14 de l'intimé) ; puis, au cours du premier trimestre 2014, M. E... Z... a engagé auprès de la CPAM une action aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ; la tentative de conciliation ayant échoué, il a saisi le tribunal en mai 2014, fournissant des attestations émanant de trois témoins et datées de mai 2014 ; M. C..., gérant d'une entreprise travaillant au 98 bd Queirel, a ainsi déclaré avoir été appelé par les trois ouvriers de l'entreprise R2CM pour faire appeler les secours car ils ne parlaient pas français ; il a vu qu'il y avait une échelle, mais il a estimé que la chute n'avait pas pu se faire d'une échelle « vu les dégâts » ; M. G... a déclaré que, ce 18 mars 2011, ils avaient commencé à travailler vers 16 heures, que lui-même avait commencé à poser des génoises sur une partie de la façade, que M. E... Z... « était parti travailler sur un autre toit », qu'il l'avait entendu crier puis l'avait retrouvé au sol ; il avait alors appelé son patron qui lui aurait dit de ne pas dire que son collègue était tombé du toit mais d'une échelle ; M. D..., se disant ancien membre d'un CHSCT et demeurant [...] bd Carbonnel , a établi une attestation en mai 2014 par laquelle il indique qu'il se trouvait dans son jardin qui jouxte le « tennis Queirel », qu'il avait remarqué un couvreur travaillant sur une toiture, sans dispositif de sécurité et qu'il avait ensuite entendu des cris : il s'était alors rendu sur place et il avait constaté que la victime était ce même homme, qui se trouvait à terre et gémissait ; la société appelante conteste la véracité de ces témoignages, au surplus tardifs ; la cour note que, d'après les photographies aériennes (« google map ») du quartier, versées aux débats par M. E... Z..., la maison située 102 bd Queirel comprend une partie centrale (rez-de-chaussée et 1 étage, 2 ouvertures par niveau) et deux parties latérales plus étroites en rez-de-chaussée et de deux hauteurs différentes, l'une des façades donnent côté rue et l'autre côté jardin ; le dossier ne permet pas de savoir à quel endroit s'est produit la chute, côté rue ou côté jardin ; la cour constate que M. C... n'a pas assisté à l'accident et que son impression personnelle quant à la réalité d'une chute d'une simple échelle « vu les dégâts » n'est pas circonstanciée, d'autant que, d'après le dossier, la victime n'avait aucune blessure ouverte ; cette « impression » n'est pas davantage confortée par les pièces médicales versées aux débats, aucune n'émettant de doute sur le fait que les fractures et lésions internes (rate) auraient pu se produire autrement qu'après la chute d'une échelle de 4 mètres de longueur adossée à un mur ; concernant l'attestation de M. G... , qui n'était pas signalé comme présent sur les lieux à l'arrivée de la patrouille de police et qui n'avait pas été entendu lors de l'enquête, M. E... Z... prétend, dans ses conclusions, que ce témoin aurait dit qu'il travaillait sur le toit « le plus haut » ; or cette citation qu'il donne est fausse et ne figure pas dans l'attestation de ce témoin dans sa version officielle traduite du portugais par « Inter Services Migrants », qui donne la traduction suivante : « H... est parti travailler sur un autre toit » ; M. G... ne dit pas à quel endroit exact se trouvait son collègue avant de tomber et il n'a pas non plus assisté à l'accident ; quant à M. D..., qui dit s'être immédiatement rendu sur place et qui aurait été vu par toutes les personnes présentes, il n'a jamais été cité comme témoin pendant l'enquête et la victime a attendu trois ans pour le contacter et lui demander son témoignage sur les faits ; toutefois ce témoignage qui se veut précis est en réalité insuffisant pour justifier une remise en cause des déclarations recueillies par les services de police ; en effet, les photographies aériennes précitées qui ne mentionnent que l'adresse du 102 Bd Queirel et montrent les diverses maisons de ce quartier (version 2013) ne montrent aucun tennis et ne permettent pas de localiser la maison de ce témoin, située au [...] Bd Carbonnel, par rapport à la maison du 102 Bd Queirel ; il est donc impossible pour la Cour de savoir à quelle distance du 102 Bd Queirel se trouvait le jardin de ce témoin, de comprendre comment ce « témoin » avait pu voir distinctement une personne se trouvant sur un toit (et sur quel toit ?), avait pu affirmer que cette personne n'avait aucun dispositif de sécurité et enfin, avait pu l'entendre crier puis l'identifier une fois au sol après sa chute ; ces trois témoignages inexploitables ou très douteux ne sont pas de nature à remettre en cause, trois ans après l'accident et l'enquête de police, les premières déclarations des personnes interrogées et ils ne peuvent donc servir à prouver que la victime serait tombée d'un toit de 8 mètres de haut ; la Cour ne se référant qu'aux premières déclarations de la victime et de ses collègues de travail, constate que la chute de M. E... Z... s'est produite alors qu'il travaillait, comme son collègue I... Y..., à la pose de génoises, sur une simple échelle mesurant 4 mètres de longueur : il ne pouvait donc s'agir que des génoises de l'une des petites parties latérales du rez-de-chaussée et non pas de la partie centrale la plus haute du bâtiment qui ferait, selon ses propres déclarations, 8 mètres de haut ; pour un motif indéterminé, cette échelle qui était appuyée contre un mur a glissé sur le côté, provoquant sa chute ; M. E... Z... n'a pas pu préciser à quelle hauteur effective il travaillait ce jour-là ; il n'a pas rapporté la preuve, qui lui incombait, que la hauteur à laquelle il devait travailler ce jour-là aurait exigé que son employeur fasse procéder à l'installation préalable d'un échafaudage sécurisé ; il n'a pas apporté la preuve que l'employeur devait avoir conscience d'un danger pour son salarié mais n'aurait pas pris les mesures pour l'en préserver ; aucune faute inexcusable ne peut être reconnue à l'encontre de l'employeur.
1° ALORS QUE le manquement à l'obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l'employeur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger ; que tel est le cas lorsque l'employeur n'a pas procédé à une évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs tenant compte de la nature des activités de l'établissement, n'a pas mis en place de dispositif de protection pour le travail en hauteur et n'a pas fait bénéficier le salarié d'une formation appropriée à la sécurité ; qu'en l'espèce, pour écarter la faute inexcusable, la cour d'appel, considérant que le salarié était tombé d'une échelle, s'est bornée à énoncer que « pour un motif indéterminé, cette échelle qui était appuyée contre un mur a[vait] glissé sur le côté, provoquant la chute [du salarié] » ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, alors que cela lui était demandé (v. concl. du salarié pp. 8-10), si une évaluation des risques avait été réalisée, si des mesures de protection pour le travail en hauteur avaient été mises en place et si le salarié avait été soumis à une formation appropriée à la sécurité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale et des articles L. 4121-1 à L. 4121-4, L. 4141-1 à L. 4141-3 et L. 4142-1 du code du travail.
2° ALORS QUE le manquement à l'obligation de sécurité de résultat à laquelle est tenu l'employeur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque ce dernier avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en protéger ; que parmi les mesures devant être prises par l'employeur d'une entreprise effectuant des travaux en hauteur figurent notamment la prévention des chutes de hauteur par la mise en place de garde-corps ou de tout autre moyen de assurant une sécurité équivalente, de dispositifs de protection individuelle des travailleurs ne permettant pas une chute libre de plus d'un mètre et l'obligation de fixer les échelles plates de couvreurs de manière à ne pouvoir ni glisser ni basculer ; qu'en l'espèce, pour écarter la faute inexcusable, la cour d'appel a considéré que le salarié avait chuté d'une échelle qui, « pour un motif indéterminé (
) a[vait] glissé sur le côté » ; qu'en statuant ainsi alors qu'il ressortait de ses propres constatations que l'échelle n'était pas fixée, la cour d'appel a violé les articles L. 452-1 du code de la sécurité sociale et les articles R. 4323-59 et s. et R. 4534-91 du code du travail.
3° ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en déclarant d'une part que « l'enquête [de police] a permis de constater que, le jour de l'accident (
) trois ouvriers travaillaient au 102 Bd Queirel : M. E... Z..., la victime, M. Y... F... et M. G... » (arrêt attaqué p. 4, § 4) et en indiquant d'autre part, pour remettre en cause le caractère probant de l'attestation de M. G... , que « M. G... n'était pas signalé comme présent sur les lieux à l'arrivée de la patrouille de police » (arrêt attaqué p. 5, § 6), la cour d'appel s'est contredite, ne satisfaisant pas ainsi aux prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile.