LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'ordonnance attaquée (président du tribunal de grande instance de Marseille, 18 septembre 2017) rendue en la forme des référés, que le 7 février 2017 la société La Poste (La Poste) a, avec plusieurs organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, conclu un accord d'entreprise relatif à l'amélioration des conditions de travail et à l'évolution des métiers destiné à la branche Services-courrier-colis ; qu'il est entré en vigueur le 22 février 2017 ; que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de l'établissement d'Aubagne- La Ciotat (le CHSCT) a, par délibération du 27 avril 2017, décidé le recours à un expert agréé en raison de l'existence d'un projet important au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail ;
Attendu que La Poste fait grief à l'ordonnance de la débouter de sa demande d'annulation de la délibération ordonnant expertise votée le 27 avril 2017 par le CHSCT de l'établissement d'Aubagne-La Ciotat, alors, selon le moyen :
1°/ qu'aux termes de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, « le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail » ; que ne constitue pas une telle « décision », laquelle est issue d'une manifestation de volonté unilatérale de l'employeur, un accord collectif négocié et signé par les organisations syndicales représentatives en charge de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote ; qu'un tel accord n'a pas à être soumis pour consultation au CHSCT ; qu'en décidant le contraire, le président du tribunal de grande instance a violé le texte susvisé, ensemble l'article L. 4614-12 du code du travail ;
2°/ qu'à supposer que le CHSCT doive être consulté avant la conclusion d'un accord collectif représentant un projet d'aménagement important, il ne saurait l'être sur les effets d'un accord déjà conclu, aucune disposition légale ne prévoyant une telle consultation ; qu'en validant une expertise ordonnée le avril 2017 aux fins d'évaluer les conséquences locales éventuelles d'un accord collectif conclu le 7 février précédent, le président du tribunal de grande instance, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les textes susvisés ;
3°/ que l'existence d'un « projet important » s'apprécie au niveau de compétence auquel est institué le CHSCT qui décide de recourir à l'expertise ; qu'en l'espèce, La Poste avait fait valoir dans ses écritures que l'accord cadre du 7 février 2017 avait vocation à être mis en oeuvre progressivement au niveau de chaque établissement dans le respect des prérogatives des institutions représentatives du personnel et suivant la « méthode de conduite du changement » (articles 2-D, 2-6 et 2-7), imposant leur consultation ainsi que celle des personnels concernés, à laquelle il se référait expressément ; qu'ainsi la mise en oeuvre de l'accord cadre du 7 février 2017 se ferait au niveau de l'établissement d'Aubagne-La Ciotat après élaboration d'un projet concernant cet établissement, qui serait présenté au CHSCT, lequel en apprécierait alors l'importance et déciderait, le cas échéant, de recourir à un expert ; qu'en homologuant cependant la décision du CHSCT de recourir à une expertise aux termes de motifs inopérants pris du « caractère important » des mesures générales décidées par l'accord du 7 février 2017, le président du tribunal de grande instance, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur l'existence d'un projet important au niveau de l'établissement de compétence du CHSCT, a privé sa décision de base légale au regard des articles 2-D et 2-3 de l'accord du 7 février 2017, ensemble de l'article L. 4614-12 du code du travail ;
4°/ qu'en se déterminant aux termes de motifs inopérants, dont ne ressort aucun « projet important » au niveau de l'établissement d'Aubagne-La Ciotat, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Mais attendu, d'abord, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, que le CHSCT peut faire appel à un expert agréé en cas de mise en oeuvre d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1 du code du travail alors applicable, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ce projet procède d'une décision unilatérale de l'employeur ou d'un accord d'entreprise ;
Attendu, ensuite, qu'en l'absence d'une instance temporaire de coordination des différents comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail implantés dans les établissements concernés par la mise en oeuvre d'un projet important modifiant les conditions de travail au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, chacun des CHSCT territorialement compétents pour ces établissements est fondé à recourir à l'expertise ;
Et attendu qu'ayant constaté que l'accord du 7 février 2017 était applicable à tous les personnels de la branche services-courrier-colis de La Poste affectés à une activité de distribution, quel que soit son lieu d'implantation, qu'il portait sur de nouvelles modalités de construction des organisations du travail impliquant notamment une modification dans le décompte des heures de travail, sur la redéfinition du métier de facteur, sur la création de nouvelles fonctions et sur celle d'une filière de remplaçants, ainsi que sur l'utilisation de nouveaux modes de locomotion, qu'il redéfinissait les métiers d'encadrants de proximité et emportait la mise en place de nouvelles modalités de construction des organisations de travail, le président du tribunal de grande instance a pu en déduire qu'il s'agissait d'un projet important au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen ci-après annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, la condamne à payer la somme de 300 euros TTC à la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer et rejette la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société La Poste
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR débouté La Poste de sa demande d'annulation de la délibération ordonnant expertise votée le 27 avril 2017 par le CHSCT de l' établissement d'Aubagne La Ciotat et de l'avoir condamnée à verser à cette institution représentative du personnel une somme de 4 800 € TTC au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QU'"en application des dispositions de l'article L.4614-12 du code du travail, "le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l'établissement et en cas de projet important modifiant les conditions de santé, de sécurité ou les conditions de travail prévu à l'article L.4612-8-1" ;
QU'en application des dispositions de l'article L.4612-8-1 du code du travail, "Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail" ;
QUE l'esprit des dispositions de l'article L.4612-8-1 du code du travail est de permettre au CHSCT de disposer de l'information la plus complète et précise sur l'impact d'une modification pouvant affecter ces aspects de la vie des salariés avant sa mise en oeuvre par la décision de l'employeur ;
QU'en l'espèce, l'article 1 de l'accord sur l'amélioration des conditions de travail et sur l'évolution des métiers de la distribution et des services des facteurs et des encadrants de proximité signé le 7 février 2017 stipule qu'il "est applicable à tous les personnels de la branche services courrier colis de la société La Poste SA affectés à une activité de distribution (hors agence Coliposte), quel que soit son lieu d'implantation" et que "les mesures prévues par le présent accord se substituent aux éventuels usages, engagements unilatéraux portant sur le même objet" ;
QUE le caractère important du projet se déduit de façon manifeste du titre même de l'accord du 7 février 2017 et de son préambule, qui annonce de nouvelles modalités de construction des organisations de travail impliquant notamment une modification dans le décompte des heures de travail, la création de nouvelles fonctions et l'utilisation de nouveaux moyens de locomotion ;
QU'il s'agit d'un projet d'envergure, entraînant une redéfinition des métiers de facteurs avec la création d'une filière de remplaçant, une redéfinition des métiers d'encadrant de proximité, la mise en place de nouvelles modalités de construction des organisations de travail etc. ;
QUE dans ce contexte, la décision du CHSCT défendeur de recourir à un expert indépendant pour l'aider à remplir sa mission légale est bien fondée ;
QUE mal fondée en sa demande, la société requérante supportera les dépens et sera condamnée à payer au CHSCT défendeur la somme de 4 800 € TTC au titre de l'article 700 du code de procédure civile (
)" ;
1°) ALORS QU'aux termes de l'article L.4612-8-1 du code du travail, "le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail" ; que ne constitue pas une telle "décision", laquelle est issue d'une manifestation de volonté unilatérale de l'employeur, un accord collectif négocié et signé par les organisations syndicales représentatives en charge de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote ; qu'un tel accord n'a pas à être soumis pour consultation au CHSCT ; qu'en décidant le contraire, le président du tribunal de grande instance a violé le texte susvisé, ensemble l'article L.4614-12 du code du travail ;
2°) ALORS en toute hypothèse QU' à supposer que le CHSCT doive être consulté avant la conclusion d'un accord collectif représentant un projet d'aménagement important, il ne saurait l'être sur les effets d'un accord déjà conclu, aucune disposition légale ne prévoyant une telle consultation ; qu'en validant une expertise ordonnée le avril 2017 aux fins d'évaluer les conséquences locales éventuelles d'un accord collectif conclu le 7 février précédent, le président du tribunal de grande instance, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les textes susvisés ;
3°) ALORS subsidiairement QUE l'existence d'un "projet important" s'apprécie au niveau de compétence auquel est institué le CHSCT qui décide de recourir à l'expertise ; qu'en l'espèce, La Poste avait fait valoir dans ses écritures que l'accord cadre du 7 février 2017 avait vocation à être mis en oeuvre progressivement au niveau de chaque établissement dans le respect des prérogatives des institutions représentatives du personnel et suivant la "méthode de conduite du changement" (articles 2-D, 2-6 et 2-7), imposant leur consultation ainsi que celle des personnels concernés, à laquelle il se référait expressément ; qu'ainsi la mise en oeuvre de l'accord cadre du 7 février 2017 se ferait au niveau de l'établissement d'Aubagne La Ciotat après élaboration d'un projet concernant cet établissement, qui serait présenté au CHSCT, lequel en apprécierait alors l'importance et déciderait, le cas échéant, de recourir à un expert ; qu'en homologuant cependant la décision du CHSCT de recourir à une expertise aux termes de motifs inopérants pris du "caractère important" des mesures générales décidées par l'accord du 7 février 2017, le président du tribunal de grande instance, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur l'existence d'un projet important au niveau de l'établissement de compétence du CHSCT, a privé sa décision de base légale au regard des articles 2-D et 2-3 de l'accord du 7 février 2017, ensemble de l'article L.4614-12 du code du travail ;
4°) ALORS enfin QU'en se déterminant aux termes de motifs inopérants, dont ne ressort aucun "projet important" au niveau de l'établissement d'Aubagne La Ciotat, le président du tribunal de grande instance a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.4614-12 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR débouté La Poste de sa demande d'annulation de la délibération ordonnant expertise votée le 27 avril 2017 par le CHSCT de l'établissement d'Aubagne La Ciotat et de l'avoir condamnée à verser à cette institution représentative du personnel une somme de 4 800 € TTC au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS rappelés au premier moyen ;
ALORS QU'il appartient au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou à l'instance de coordination, lorsque l'un ou l'autre décide de faire appel à un expert agréé, de déterminer par délibération l'étendue et le délai de cette expertise ainsi que le nom de l'expert ; qu'en validant la délibération du 27 avril 2017 sans rechercher si, en l'absence de tout délai fixé à l'expert pour réaliser une mission définie en termes généraux, cette délibération n'encourait pas l'annulation, le président du tribunal de grande instance, a violé les articles L.4614-12 et L.4614-13 du code du travail