LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Vu la connexité, joint les pourvois n° U 17-26.213, V 17-26.214 et W 17-26.215 ;
Sur le premier moyen :
Attendu, selon les ordonnances attaquées (président du tribunal de grande instance de Perpignan, 13 septembre 2017) rendues en la forme des référés, que le 7 février 2017 la société La Poste (La Poste) a, avec plusieurs organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, conclu un accord d'entreprise relatif à l'amélioration des conditions de travail et à l'évolution des métiers destiné à la branche Services-courrier-colis ; qu'il est entré en vigueur le 22 février 2017 ; que les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail des établissements de Perpignan la Catalane, Tech Méditerranée Saint-Génis et de Millas-Porte-Catalogne (les CHSCT) ont, par délibérations des 4, 10 et 12 mai 2017, décidé le recours à un expert agréé en raison de l'existence d'un projet important au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail ;
Attendu que La Poste fait grief aux ordonnances de la débouter de sa demande d'annulation des délibération ordonnant expertise votée par les CHSCT alors, selon le moyen :
1°/ que ne constitue pas un « projet important » justifiant le recours à un expert agréé un accord collectif négocié et signé par les organisations syndicales représentatives en charge de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote ; qu'en validant les expertises ordonnées en mai 2017 aux fins « d'analyser » un accord collectif conclu le 7 février précédent, le président du tribunal de grande instance de Perpignan, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 4612-8-1 et L. 4614-12 du code du travail ;
2°/ que l'existence d'un « projet important » s'apprécie au niveau de compétence auquel est institué le CHSCT qui décide de recourir à l'expertise ; qu'en l'espèce, La Poste avait fait valoir dans ses écritures que l'accord cadre conclu le 7 février 2017, et qui n'était pas accessible, pour sa part, à l'expertise « projet important », avait vocation à être mis en oeuvre progressivement au niveau de chaque établissement dans le respect des prérogatives des institutions représentatives du personnel ; qu'ainsi la mise en oeuvre de l'accord cadre du 7 février 2017 se ferait au niveau de chacun des établissements concernés après élaboration d'un projet le concernant, qui serait présenté au CHSCT, lequel en apprécierait alors l'importance et déciderait, le cas échéant, de recourir à un expert ; qu'en homologuant cependant la décision du CHSCT de recourir à une expertise aux termes de motifs abstraits et inopérants, pris de ce que «
l'application de cet accord à tous les personnels, quel que soit l'établissement, le déploiement des nouvelles normes et cadences à partir de septembre 2017, l'adaptation permanente de l'organisation du travail en fonction du volume, font de ce texte un projet important sans qu'il soit besoin d'attendre un évènement futur », le président du tribunal de grande instance, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur l'existence d'un projet important au niveau des établissements de compétence des CHSCT, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 du code du travail ;
3°/ qu'en se déterminant aux termes de motifs dont ne ressort aucun « projet important » au niveau de l'un quelconque des établissements relevant de la compétence des trois CHSCT défendeurs, le président du tribunal de grande instance a privé derechef sa décision de base légale au regard de l'article L. 4614-12 du code du travail ;
Mais attendu, d'abord, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, que le CHSCT peut faire appel à un expert agréé en cas de mise en oeuvre d'un projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l'article L. 4612-8-1 du code du travail alors applicable, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que ce projet procède d'une décision unilatérale de l'employeur ou d'un accord d'entreprise ;
Attendu, ensuite, qu'en l'absence d'une instance temporaire de coordination des différents comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail implantés dans les établissements concernés par la mise en oeuvre d'un projet important modifiant les conditions de travail au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail, chacun des CHSCT territorialement compétents pour ces établissements est fondé à recourir à l'expertise ;
Et attendu qu'ayant relevé que l'accord est applicable à tous les personnels de La Poste affectés à une activité de distribution, qu'il prévoit une construction des organisations à la distribution qui associe les factrices et les facteurs et qui garantit une organisation équilibrée de la charge et des conditions de travail de qualité, qu'un chantier portant sur l'ensemble de l'évolution des normes et cadences à distribution commencerait le 14 mars 2017 pour un déploiement à partir de septembre 2017, que notamment serait mise en place une adaptation continue des organisations liées à l'évolution des volumes et non par palier, ce qui permet à la direction de proposer à tout moment une évolution des horaires de travail et est incompatible avec ce qui s'appliquait jusqu'alors, à savoir un délai de deux ans entre deux changements d'organisation, le président du tribunal de grande instance a pu en déduire qu'il s'agissait d'un projet important au sens de l'article L. 4612-8-1 du code du travail ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen ci-après annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
Vu l'article L. 4614-13 du code du travail, la condamne à payer la somme globale de 900 euros TTC à la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer et rejette la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf décembre deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits aux pourvois n° U 17-26.213 à W 17-26.215 par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour la société La Poste
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief aux ordonnances attaquées d'AVOIR débouté La Poste de ses demandes d'annulation des trois délibérations ordonnant les expertises votées par les différents CHSCT codéfendeurs et de l'AVOIR condamnée à verser à chacun de ces CHSCT la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS QUE "pour s'opposer à la position du CHSCT
la société La Poste soutient qu'un CHSCT ne peut désigner un expert que si l'employeur a l'obligation de le consulter, ce qui n'est pas le cas dans le cadre d'un accord national qui ne se traduit pas automatiquement par un projet d'aménagement des conditions de travail dans l'établissement ;
QU'il n'est pas contestable et d'ailleurs non contesté que La Poste pouvait mener ses négociations syndicales en vue d'aboutir à un accord national sans consulter au préalable les CHSCT ;
QUE [cependant] cette absence de consultation préalable ne peut avoir pour effet d'empêcher le CHSCT d'exercer la mission qui est la sienne et qui est définie aux articles L.4612-1 et L.4612-3 du code du travail, à savoir procéder à l'analyse des risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs de l'établissement ainsi qu'à l'analyse des conditions de travail, contribuer à la prévention des risques professionnels dans l'établissement et susciter toute initiative qu'il estime utile dans cette perspective ;
QU'en voulant analyser l'accord du 7 février 2017 qui porte sur l'amélioration des conditions de travail et sur l'évolution des métiers de la distribution et des services des factrices/facteurs et de leurs encadrants/encadrantes de proximité, le CHSCT ne fait qu'exercer la mission légale qui lui est dévolue ;
QUE pour exercer pleinement sa mission, le CHSCT tient de l'article L.4614-12 du code du travail la possibilité de faire appel à un expert agréé, notamment en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ;
QUE la société La Poste soutient que l'accord du 7 avril 2017 ne peut être qualifié de "projet important" ;
QU'outre le fait que cette position est en totale contradiction avec le préambule de l'accord qui parle de "défi historique", les articles 1 et 2 permettent déjà, à eux seuls, de caractériser l'existence d'un projet important modifiant les conditions de travail ;
QU'il est en effet indiqué à l'article 1 que le présent accord est applicable à tous les personnels de la branche services-courrier-colis de la société La Poste affectés à une activité de distribution, quel que soit son lieu d'implantation et rappelé que les mesures prévues dans ledit accord se substituent aux éventuels usages et engagements unilatéraux portant sur le même objet ;
QUE l'article 2 est intitulé : "une construction des organisations à la distribution qui associe les factrices/facteurs et qui garantit une organisation équilibrée de la charge et des conditions de travail de qualité" ;
QU'avant de développer en six points les éléments de cette construction, il est indiqué qu'un chantier portant sur l'ensemble de l'évolution des normes et cadences de distribution commencera le 14 mars 2017 pour un déploiement à compter de septembre 2017 ;
QUE parmi les six points, il a bien été décidé au point n° 3 que serait mise en place une adaptation continue des organisations liée à l'évolution des volumes et non par palier, ce qui permet à la direction de proposer à tout moment une évolution des horaires de travail et est incompatible avec ce qui s'appliquait jusque là, à savoir un délai de deux ans entre deux changements d'organisation ;
QUE l'application de cet accord à tous les personnels, quel que soit l'établissement, le déploiement des nouvelles normes et cadences à partir de septembre 2017, l'adaptation permanente de l'organisation du travail en fonction du volume, font de ce texte un projet important sans qu'il soit besoin d'attendre un évènement futur ;
QUE le CHSCT étant manifestement bien fondé à recourir à un expert, il convient de débouter la SA La Poste de l'ensemble de ses demandes" ;
1°) ALORS QUE ne constitue pas un "projet important" justifiant le recours à un expert agréé un accord collectif négocié et signé par les organisations syndicales représentatives en charge de la défense des droits et intérêts des salariés et à l'habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote ; qu'en validant les expertises ordonnées en mai 2017 aux fins "d'analyser" un accord collectif conclu le 7 février précédent, le président du tribunal de grande instance de Perpignan, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 4612-8-1 et L. 4614-12 du code du travail,
2°) ALORS subsidiairement QUE l'existence d'un "projet important" s'apprécie au niveau de compétence auquel est institué le CHSCT qui décide de recourir à l'expertise ; qu'en l'espèce, La Poste avait fait valoir dans ses écritures que l'accord cadre conclu le 7 février 2017, et qui n'était pas accessible, pour sa part, à l'expertise "projet important", avait vocation à être mis en oeuvre progressivement au niveau de chaque établissement dans le respect des prérogatives des institutions représentatives du personnel ; qu'ainsi la mise en oeuvre de l'accord cadre du 7 février 2017 se ferait au niveau de chacun des établissements concernés après élaboration d'un projet le concernant, qui serait présenté au CHSCT, lequel en apprécierait alors l'importance et déciderait, le cas échéant, de recourir à un expert ; qu'en homologuant cependant la décision du CHSCT de recourir à une expertise aux termes de motifs abstraits et inopérants, pris de ce que "
l'application de cet accord à tous les personnels, quel que soit l'établissement, le déploiement des nouvelles normes et cadences à partir de septembre 2017, l'adaptation permanente de l'organisation du travail en fonction du volume, font de ce texte un projet important sans qu'il soit besoin d'attendre un évènement futur ", le président du tribunal de grande instance, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle sur l'existence d'un projet important au niveau des établissements de compétence des CHSCT, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L.4614-12 du code du travail ;
3°) ALORS enfin QU'en se déterminant aux termes de motifs dont ne ressort aucun "projet important" au niveau de l'un quelconque des établissements relevant de la compétence des trois CHSCT défendeurs, le président du tribunal de grande instance a privé derechef sa décision de base légale au regard de l'article L.4614-12 du code du travail.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(subsidiaire)Il est fait grief aux ordonnances attaquées d'AVOIR débouté La Poste de ses demandes d'annulation des trois délibérations ordonnant les expertises votées par les différents CHSCT codéfendeurs et de l'AVOIR condamnée à verser à chacun de ces CHSCT la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
AUX MOTIFS rappelés au premier moyen ;
ALORS QU'il appartient au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou à l'instance de coordination, lorsque l'un ou l'autre décide de faire appel à un expert agréé, de déterminer par délibération l'étendue et le délai de cette expertise ainsi que le nom de l'expert ; qu'en validant les délibérations des 4, 10 et 12 mai 2017 sans rechercher si, en l'absence de tout délai fixé à l'expert pour réaliser une mission définie en termes généraux, cette délibération n'encourait pas l'annulation, le président du tribunal de grande instance, a violé les articles L.4614-12 et L.4614-13 du code du travail.