LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 18 janvier 2017), que par jugement du 19 avril 2013, un tribunal correctionnel a reconnu Mme X... victime des faits de prostitution forcée et de traite d'êtres humains et lui a alloué diverses sommes en réparation de ses préjudices, dont 50 000 euros au titre d'un préjudice d'avilissement ; que Mme X... a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions ;
Attendu que Mme X... fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnisation formée au titre du préjudice exceptionnel d'avilissement, alors, selon le moyen :
1°/ que toute personne ayant subi un préjudice résultant d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à sa personne ; que constitue un préjudice réparable, le préjudice permanent exceptionnel correspondant à un préjudice extrapatrimonial atypique, en lien avec un handicap permanent qui prend une résonance toute particulière pour certaines victimes, soit en raison de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, l'exposante soutenait que le préjudice exceptionnel d'avilissement subi du fait de l'atteinte particulière causée à la dignité humaine et à la liberté par la prostitution forcée et la traite des êtres humains dont elle avait été victime pendant vingt trois mois, constituait un préjudice permanent exceptionnel ; que dès lors, en se bornant à affirmer, pour rejeter la demande d'indemnisation formée à ce titre, qu' « il est patent que le préjudice moral lié à ces souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés est inclus dans le poste des souffrances endurées », sans rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice d'avilissement invoqué par la victime ne caractérisait pas, en raison de ses caractères atypique et exceptionnel affectant, de manière pérenne, le reste de la vie de celle-ci, un préjudice permanent exceptionnel distinct du poste de préjudice des souffrances endurées, par ailleurs indemnisé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;
2°/ que nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude ; que les victimes de traite d'êtres humains ont le droit à être indemnisées au titre du préjudice spécifique subi du fait de la traite ; qu'en refusant de reconnaître à Mme X... le droit d'obtenir réparation du préjudice spécifique né de l'esclavage sexuel dont elle avait été victime, la cour d'appel a violé les articles 4 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 et 15 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains signée à Varsovie le 16 mai 2005 ;
Mais attendu que le préjudice moral lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés étant inclus dans le poste de préjudice temporaire des souffrances endurées ou dans le poste de préjudice du déficit fonctionnel permanent, il ne peut être indemnisé séparément quelle que soit l'origine de ces souffrances ; qu'ayant, pour le réparer, inclus dans le poste des souffrances endurées et, après consolidation, dans celui du déficit fonctionnel permanent, le préjudice qualifié d'avilissement d'une victime de faits de prostitution forcée et de traite d'êtres humains, dont elle a relevé qu'il était lié aux souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés, c'est sans méconnaître le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime que la cour d'appel qui a ainsi exclu l'existence d'un préjudice permanent exceptionnel ou spécifique, a écarté la demande de Mme X... tendant à le voir réparer séparément ; qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision sans encourir le grief de la seconde branche du moyen ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen, annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize décembre deux mille dix-huit.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme A... X... de sa demande d'indemnisation formée au titre du préjudice exceptionnel d'avilissement ;
AUX MOTIFS QUE sur le préjudice exceptionnel d'avilissement, le Fonds de garantie considère que la demande à ce titre doit être rejetée comme menant à une double indemnisation alors que les souffrances endurées ont été indemnisées ; la victime considère qu'un tel préjudice constitue un préjudice hors norme ne se confondant pas avec les souffrances endurées pas plus qu'avec le déficit fonctionnel permanent mais correspondant à l'atteinte à sa dignité. Il est patent que le préjudice moral lié à ces souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés est inclus dans le poste des souffrances endurées, et qui sont considérées depuis le début des faits de prostitution forcée jusqu'à la date de consolidation, le déficit fonctionnel permanent évalué à 3% et 5% prenant en compte les souffrances endurées depuis lors. En l'absence de préjudice distinct, la demande doit être rejetée afin de ne pas permettre une double indemnisation de la victime, qui a droit à une réparation intégrale des préjudices subis mais sans perte ni profit. Ma décision entreprise sera donc réformée de ce chef (arrêt, p. 5) ;
1) ALORS QUE toute personne ayant subi un préjudice résultant d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à sa personne ; que constitue un préjudice réparable, le préjudice permanent exceptionnel correspondant à un préjudice extrapatrimonial atypique, en lien avec un handicap permanent qui prend une résonance toute particulière pour certaines victimes, soit en raison de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, l'exposante soutenait que le préjudice exceptionnel d'avilissement subi du fait de l'atteinte particulière causée à la dignité humaine et à la liberté par la prostitution forcée et la traite des êtres humains dont elle avait été victime pendant vingt-trois mois, constituait un préjudice permanent exceptionnel ; que dès lors, en se bornant à affirmer, pour rejeter la demande d'indemnisation formée à ce titre, qu' « il est patent que le préjudice moral lié à ces souffrances psychiques et aux troubles qui y sont associés est inclus dans le poste des souffrances endurées », sans rechercher, comme elle y était invitée, si le préjudice d'avilissement invoqué par la victime ne caractérisait pas, en raison de ses caractères atypique et exceptionnel affectant, de manière pérenne, le reste de la vie de celle-ci, un préjudice permanent exceptionnel distinct du poste de préjudice des souffrances endurées, par ailleurs indemnisé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice ;
2) ALORS QUE nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude ; que les victimes de traite d'êtres humains ont le droit à être indemnisées au titre du préjudice spécifique subi du fait de la traite ; qu'en refusant de reconnaître à Madame X... le droit d'obtenir réparation du préjudice spécifique né de l'esclavage sexuel dont elle avait été victime, la Cour d'appel a violé les articles 4 de la Convention européenne des droits de l'homme, 4 et 15 de la Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains signée à Varsovie le 16 mai 2005.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Mme A... X... de sa demande d'indemnisation formée au titre de la perte de gains professionnels actuels ;
AUX MOTIFS QUE Sur la perte de gains professionnels actuels : le Fonds de garantie reproche à la commission d'avoir alloué à Mme X... la somme de 12.500 euros à ce titre en faisant application de la notion de perte de chance considérant qu'elle aurait pu espérer un emploi rémunéré au SMIC alors que la victime se trouvait en situation irrégulière en France, et donc sans travail, sa demande de reconnaissance de qualité de réfugiée ayant été en outre refusée par l'OFPRA. Mme X... rétorque qu'elle aurait pu rechercher une activité professionnelle si elle n'avait pas été victime de ce réseau de proxénétisme, qui l'a amenée à se retrouver en situation irrégulière en France. Il doit cependant être observé que la victime souhaitait se rendre en France où elle s'est retrouvée en situation irrégulière qu'elle n'a pu s'y maintenir qu'à partir de juillet 2010 et sans faire valoir de compétence particulière. En regard de ces circonstances qui ne pouvaient lui permettre utilement d'obtenir un emploi, l'existence d'une perte de gains professionnels ou d'une perte de chance n'est pas établie ;
ALORS QUE la perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable ; que toute perte de chance ouvre droit à réparation ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, Mme X... soutenait que la prostitution forcée dont elle avait été victime à son arrivée en France, jusqu'en octobre 2009, lui avait fait perdre une chance de trouver un emploi, de se former et d'engager des démarches d'insertion sur le marché du travail, pendant cette période ; qu'à cet égard, elle faisait sienne la motivation de la décision de la CIVI ayant constaté qu'elle avait suivi une formation au GRETA au cours de l'année 2010 de manière à débuter sa recherche d'activité professionnelle à cette période ; que dès lors, en se bornant à affirmer que la victime souhaitait se rendre en France où elle s'est retrouvée en situation irrégulière, qu'elle n'a pu s'y maintenir qu'à partir de juillet 2010 et sans faire valoir de compétence particulière, la cour d'appel a statué par un motif impropre à exclure que Mme X... avait perdu une chance, fût-elle minime, de trouver un emploi ou de se former plus tôt, du fait de l'esclavage sexuel subi pendant près de deux ans à son arrivée en France, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240 dudit code.