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12/12/2018 | FRANCE | N°17-85736

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 décembre 2018, 17-85736


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° T 17-85.736 F-P+B+I

N° 2923

FAR
12 DÉCEMBRE 2018

ANNULATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

ANNULATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. Cédric X..., contre l'arrêt de la cour d'a

ppel d'Aix-en-Provence, 13e chambre, en date du 8 août 2017, qui, pour aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irrég...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° T 17-85.736 F-P+B+I

N° 2923

FAR
12 DÉCEMBRE 2018

ANNULATION PARTIELLE

M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :

ANNULATION PARTIELLE sur le pourvoi formé par M. Cédric X..., contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, 13e chambre, en date du 8 août 2017, qui, pour aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger en France et installation en réunion sur le terrain d'autrui sans autorisation, l'a condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 31 octobre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Moreau, conseiller rapporteur, M. Castel, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Darcheux ;

Sur le rapport de M. le conseiller Moreau, les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, de la société civile professionnelle COUTARD et MUNIER-APAIRE, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général SALOMON ;

Vu les mémoires en demande et en défense et les observations complémentaires produits ;

Sur le moyen relevé d'office, pris de la violation de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de l'article 38 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 :

Attendu que l'avocat du demandeur au pourvoi ayant conclu, dans ses observations complémentaires, à l'application de la loi nouvelle du 10 septembre 2018, qui tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2018/718 du 6 juillet 2018, il convient de relever d'office le moyen pris de l'application immédiate aux faits poursuivis des dispositions du 3° de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu ledit article, ensemble l'article 112-1 du code pénal ;

Attendu que, d'une part, il résulte du 3° de l'article L. 622-4, dans sa version nouvelle, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) que ne peut donner lieu à des poursuites pénales, sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3, l'aide à la circulation et au séjour irréguliers d'un étranger lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire ;

Attendu que, d'autre part, il résulte du second de ces textes que les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur dès lors qu'elles n'ont pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que le 18 octobre 2016, les militaires de la brigade de gendarmerie de Breil-sur-Roya ont constaté la présence de cinquante-sept étrangers, dont des mineurs, en situation irrégulière, majoritairement originaires d'Erythrée et du Soudan, assistés de plusieurs représentants d'associations, dans un bâtiment dépendant d'un complexe immobilier appartenant à la SNCF, situé à Saint-Dalmas-de-Tende, exploité jusqu'en 1991 comme colonie de vacances et inoccupé depuis de nombreuses années ; que les intéressés avaient pénétré par une fenêtre du rez-de-chaussée ; que le bâtiment avait été aménagé en dortoir ; que M. X..., agriculteur à Breil-sur-Roya, également présent, a reconnu être à l'origine de cette occupation ; qu'il a déclaré à la presse avoir voulu établir un lieu d'accueil humanitaire destiné aux migrants ; que le responsable habilité de la SNCF a déposé plainte pour intrusion sans autorisation dans des locaux fermés et sécurisés ;

Que le 20 octobre 2016, alors qu'ils se rendaient à la gare de Saint Dalmas-de-Tende, des agents de la police aux frontières se sont trouvés en présence, devant le domicile de M. X..., de quatre personnes en situation irrégulière qu'ils ont interpellées ; qu'ils ont constaté sur le site de la SNCF, toujours occupé, la présence d'un groupe de personnes, assistées de représentants d'associations, qui préparaient l'évacuation des lieux ;

Qu'une enquête a été ouverte ; que, placé en garde à vue, M. X..., qui s'est présenté comme le porte-parole des migrants et des militants associatifs, a déclaré avoir organisé une action humanitaire pour répondre à l'afflux de migrants dans la vallée de la Roya et venir au secours des personnes les plus fragiles ; qu'il a reconnu s'être rendu très régulièrement à Vintimille pour prendre en charge des migrants, et avoir ainsi convoyé d'Italie en France environ deux cents personnes, les avoir conduites à son domicile pour leur procurer un hébergement décent, et avoir occupé le bâtiment de la SNCF parce qu'il manquait de place chez lui ; qu'il a affirmé avoir agi dans un but exclusivement humanitaire, sans contrepartie ;

Que, poursuivi pour aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers, courant octobre 2016, d'environ deux cents étrangers dépourvus de titre de séjour et installation en réunion sur le terrain d'autrui sans autorisation, M. X... a été déclaré coupable d'infractions au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) mais renvoyé des fins de la poursuite pour le délit d'installation en réunion sur le terrain d'autrui sans autorisation ; que le ministère public, le prévenu et la SNCF, partie civile déboutée de ses demandes, ont interjeté appel ;

Attendu que pour déclarer M. X... coupable d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers d'étrangers en France, l'arrêt retient que la matérialité des faits n'est pas contestée, que le prévenu savait que les migrants pris en charge étaient démunis de titre de séjour, et que même si son action était dépourvue de contrepartie directe ou indirecte, il ne pouvait revendiquer le bénéfice des immunités prévues par le 3° de l'article L. 622-4 du CESEDA, dans sa rédaction alors en vigueur, dès lors que son action s'inscrivait dans une démarche d'action militante en vue de soustraire des étrangers aux contrôles mis en oeuvre par les autorités pour appliquer les dispositions légales relatives à l'immigration ;

Mais attendu que l'article 38 de la loi susvisée du 10 septembre 2018 a élargi le champ d'application de l'article L. 622-4 du CESEDA en faisant obstacle aux poursuites pénales dans le cas où l'aide à la circulation et au séjour irrégulier d'un étranger n'a donné lieu, de la part d'une personne physique ou morale, à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir une aide quelconque dans un but exclusivement humanitaire ;

Que cette disposition, d'application immédiate en vertu de l'article 71 de ladite loi, entre dans le champ d'application de l'article 112-1 du code pénal, dès lors qu'elle élargit les immunités prévues par l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Que, dans la mesure où, dès son interpellation, M. X... a invoqué le caractère humanitaire de son action, il convient que le juge du fond réexamine les faits au regard des nouvelles dispositions de l'article L. 622-4 précité ;

Qu'il y a lieu, pour ce motif, d'annuler l'arrêt attaqué, mais seulement en tant qu'il a reconnu le prévenu coupable d'infractions au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a statué sur la peine, la déclaration de culpabilité du chef d'installation sur le terrain d'autrui sans autorisation et les dispositions civiles de l'arrêt, non contestées par le demandeur, ayant, par ailleurs, acquis un caractère définitif ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens proposés par le pourvoi :

ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 11 Septembre 2017, mais uniquement en ses dispositions concernant la déclaration de culpabilité du chef d'infractions au CESEDA et la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de l'annulation ainsi prononcée ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze décembre deux mille dix-huit ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 17-85736
Date de la décision : 12/12/2018
Sens de l'arrêt : Annulation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

LOIS ET REGLEMENTS - Application dans le temps - Loi pénale de fond - Loi plus douce - Application aux faits commis antérieurement à son entrée en vigueur - Portée

ETRANGER - Entrée et séjour - Aide directe ou indirecte à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers en France - Immunité pénale - Fourniture de conseils juridiques ou d'aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de l'étranger - Conditions - Absence de contrepartie directe ou indirecte - Caractère exclusivement humanitaire - Portée

L'article 38 de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 a élargi le champ d'application de l'article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour faire obstacle aux poursuites pénales dans le cas où l'aide à la circulation ou au séjour irrégulier d'un étranger n'a donné lieu, de la part de la personne physique ou morale poursuivie, à aucune contrepartie directe ou indirecte, et a consisté à fournir une aide quelconque dans un but exclusivement humanitaire. Cette disposition, d'application immédiate en vertu de l'article 71 de ladite loi, entre dans le champ d'application de l'article 112-1 du code pénal. Doit en conséquence être annulé l'arrêt d'une chambre des appels correctionnels, antérieur à l'entrée en vigueur de la loi, qui a déclaré le prévenu coupable d'infractions au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sans répondre à l'argumentation de l'intéressé qui invoquait le caractère purement humanitaire de son action


Références :

article L. 622-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

article 112-1 du code pénal

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 08 août 2017

Sur la loi pénale de fond applicable à des faits commis antérieurement à différentes modifications législatives portant sur l'incrimination sur laquelle il est poursuivi, à rapprocher : Crim., 22 février 2017, pourvoi n° 15-82952, Bull. crim. 2017, n° 53 (cassation)Sur les conséquences de l¿aide fournie à des étrangers en situation irrégulière, à rapprocher : Crim., 4 mars 2015, pourvoi n° 13-87185, Bull. crim. 2015, n° 45 (cassation partielle)


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 12 déc. 2018, pourvoi n°17-85736, Bull. crim.Bull. crim. 2018, n° 216
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle Bull. crim. 2018, n° 216

Composition du Tribunal
Président : M. Soulard
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau, SCP Coutard et Munier-Apaire

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.85736
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