LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et quatrième branches :
Attendu, selon le jugement attaqué rendu en dernier ressort (tribunal de grande instance de Paris, 30 juin 2017), que M. X... Y... P..., dit O... X..., et M. J... G... Z... , dit U... E..., auteurs d'une chanson intitulée « Por el amor de una mujer » et son éditeur, la société Canciones Del Mundo, membres de la Sociedad General des Autores de Espana (la SGAE), ont fait assigner M. Maurice A..., dit D..., M. L... A..., M. Bruno A..., M. Nicolas B..., M. F... B..., M. Paul B..., dit C..., et M. I... M... , dit N..., ayant constitué le groupe « Gypsy kings », auteurs d'une chanson intitulée « la Dona » et son éditeur, la société Sara music productions devant un tribunal de grande instance en contrefaçon ; par jugement du 14 juin 2013, le tribunal de grande instance a dit que l'oeuvre « la Dona » est une contrefaçon de l'oeuvre « Por el amor de una mujer » et condamné les défendeurs à des dommages-intérêts au profit des demandeurs pour atteinte à leurs droits d'auteur ; que les défendeurs ont ensuite saisi le tribunal de grande instance en rectification d'erreur matérielle ;
Attendu que M. Y... P..., M. K... Z..., la société Canciones Del Mundo et la SGAE font grief au jugement du 30 juin 2017 d'ordonner la rectification du dispositif du jugement du 14 juin 2013 « en ce sens que la phrase "Dit que l'oeuvre ‘La dona' est une contrefaçon de l'oeuvre ‘Por el amor de una mujer' est remplacée par la phrase "Dit que la musique de l'oeuvre ‘La dona' est une contrefaçon de la musique de l'oeuvre ‘Por el amor de una mujer' », alors selon le moyen :
1°/ que le jugement du 14 juin 2013 qui, en ses motifs avait déjà déduit du caractère contrefaisant de la composition musicale de la chanson La dona que celle-ci, considérée dans sa globalité, « constitue une adaptation de la chanson "Por el amor de una mujer" » et que cette adaptation faite sans le consentement « des auteurs » constitue une contrefaçon a pu, sans contredire ses motifs, juger dans le dispositif de son jugement que « l'oeuvre "La dona" est une contrefaçon de l'oeuvre "Por el amor de una mujer" » ; que le jugement rectificatif qui repose sur l'affirmation d'une contradiction entre le dispositif et les motifs de ce jugement, procède par-là même d'une dénaturation des motifs du jugement du 14 juin 2013 et méconnaît les articles 1134 ancien et 1192 du code civil ;
2°/ qu'alors qu'une chanson est une oeuvre de collaboration dans laquelle paroles et musique sont indissociables, le fait pour une décision de justice de déduire du caractère contrefaisant de la seule musique que la chanson elle-même, dans sa globalité, paroles et musiques confondues, est une contrefaçon de la chanson dont la musique a été ainsi contrefaite, ne relève pas d'une erreur matérielle susceptible de donner lieu à une rectification dans les conditions et la procédure prévue à l'article 462 du code de procédure civile ; que le tribunal a violé ce texte ;
3°/ que sous couvert de rectification d'erreur matérielle, le juge ne peut modifier les droits et obligations des parties résultant de sa précédente décision et d'y procéder par voie d'interprétation de la décision rectifiée ; qu'en s'autorisant d'une nécessaire interprétation du jugement du 14 juin 2013, pour modifier les droits et obligations des parties en restreignant la portée de la contrefaçon constatée par sa précédente décision, la décision rectificative a de plus fort méconnu l'article 462 du code de procédure civile ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le périmètre de la contrefaçon avait été expressément envisagé par le jugement rendu le 14 juin 2013 qui avait conclu que seule la contrefaçon des droits d'auteur sur la composition musicale devait être examinée, c'est sans encourir les griefs du moyen que le tribunal a retenu que le dispositif dudit jugement, qui n'avait pas précisé que la contrefaçon ne portait que sur la seule musique de l'oeœuvre en cause à l'exclusion des paroles, était entaché d'une erreur matérielle ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, pris en sa troisième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... Y... P..., M. J... G... Z..., la société Canciones Del Mundo (Warner Chappel Music Espana), et la Sociedad General des Autores de Espana aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à la société Sara music productions la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six décembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société Canciones Del Mundo (Warner Chappel Music Espana), M. Y... P..., la Sociedad General des Autores de Espana et M. K... Z...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné la rectification du dispositif du jugement « en ce sens que la phrase "Dit que l'oeuvre ‘La dona' est une contrefaçon de l'oeuvre ‘Por el amor de una mujer' est remplacée par la phrase "Dit que la musique de l'oeuvre ‘La dona' est une contrefaçon de la musique de l'oeuvre ‘Por el amor de una mujer'" » ;
Aux motifs qu'en application de l'article 462 du code de procédure civile, « les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande » ; qu'en l'espèce, il ressort du jugement rendu le 14 juin 2013 que le périmètre de la contrefaçon, objet du litige, a été expressément envisagé par le tribunal dans ses motifs puisque celui-ci, après avoir rappelé la position des défendeurs sur ce point, entendant limiter le débat à la seule contrefaçon de la musique (« En réplique, les défendeurs font d'abord observer que l'expertise a porté exclusivement sur "l'analyse musicale comparative des compositions" et que les paroles ne seraient donc pas concernées par cette procédure. Ils ajoutent que les requérants n'auraient jamais évoqué l'existence d'une contrefaçon des paroles de "Por el amor de una mujer"
par "La dona", ces derniers ayant d'ailleurs insisté sur le fait que la mission de l'expert revêtait "un caractère exclusivement musical ". Ils considèrent donc que les demandes concernant les paroles de la chanson seraient irrecevables dès lors qu'elles seraient étrangères à la présente procédure et prescrites, les paroles ayant été écrites au plus tard en 1982 »), considère que « comme le font observer à juste titre les défendeurs, l'action en contrefaçon, telle qu'elle a été introduite en 1996 par les demandeurs, ne vise pas les paroles de la chanson "La dona", seule la musique faisant l'objet des débats » et que « les demandeurs ne se livrent dans leurs écritures à aucun examen des paroles. La mission de Monsieur H... est d'ailleurs circonscrite à l'analyse musicale comparative des compositions » ; que le tribunal en conclut de manière expresse dans ses motifs que « par conséquent, seule la contrefaçon de droits d'auteur sur la composition musicale sera examinée » ; qu'il ressort ainsi de ces motifs précis que le tribunal n'a pas statué sur la contrefaçon des paroles de l'oeuvre litigieuse, seule la contrefaçon de la musique ayant été l'objet des débats ; que les requérants sont donc fondés en leur demande de voir apporter cette mention dans le dispositif dudit jugement qui, s'il a effectivement considéré que la contrefaçon de l'oeuvre « Por el amor de una mujer » était caractérisée, a omis de préciser, conformément à ses motifs non contradictoires, que cette contrefaçon ne porte que sur la seule musique de cette oeuvre à l'exclusion des paroles ; qu'il convient en conséquence, dans les conditions précisées par le présent dispositif, de réparer cette omission, qui à supposer qu'elle ne puisse être considérée comme purement matérielle au sens de l'article 462 du code de procédure civile, doit pouvoir être prise en compte sur le fondement des dispositions de l'article 461 du code de procédure civile, moyen dans la cause, qui permet au tribunal d'interpréter sa décision ;
Alors, de première part, que le jugement du 14 juin 2013 qui, en ses motifs avait déjà déduit du caractère contrefaisant de la composition musicale de la chanson La dona que celle-ci, considérée dans sa globalité, « constitue une adaptation de la chanson "Por el amor de una mujer" » et que cette adaptation faite sans le consentement « des auteurs » constitue une contrefaçon a pu, sans contredire ses motifs, juger dans le dispositif de son jugement que « l'oeuvre "La dona" est une contrefaçon de l'oeuvre "Por el amor de una mujer" » ; que le jugement rectificatif qui repose sur l'affirmation d'une contradiction entre le dispositif et les motifs de ce jugement, procède par-là même d'une dénaturation des motifs du jugement du 14 juin 2013 et méconnaît les articles 1134 ancien et 1192 du code civil ;
Alors, de deuxième part, qu'alors qu'une chanson est une oeuvre de collaboration dans laquelle paroles et musique sont indissociables, le fait pour une décision de justice de déduire du caractère contrefaisant de la seule musique que la chanson elle-même, dans sa globalité, paroles et musiques confondues, est une contrefaçon de la chanson dont la musique a été ainsi contrefaite, ne relève pas d'une erreur matérielle susceptible de donner lieu à une rectification dans les conditions et la procédure prévue à l'article 462 du code de procédure civile ; que le tribunal a violé ce texte ;
Alors, de troisième part, et en toute hypothèse que le vice d'une décision affectée d'une contradiction de motifs ou d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif ne peut être réparé que par l'exercice des voies de recours, et ne relève pas d'une erreur matérielle susceptible de donner lieu à une rectification dans les conditions et la procédure prévue à l'article 462 du code de procédure civile ; que le tribunal a violé ce texte ;
Alors, enfin, que sous couvert de rectification d'erreur matérielle, le juge ne peut modifier les droits et obligations des parties résultant de sa précédente décision et d'y procéder par voie d'interprétation de la décision rectifiée ; qu'en s'autorisant d'une nécessaire interprétation du jugement du 14 juin 2013, pour modifier les droits et obligations des parties en restreignant la portée de la contrefaçon constatée par sa précédente décision, la décision rectificative a de plus fort méconnu l'article 462 du code de procédure civile.