LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 512-1 et L. 551-1 à L. 551-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, et les pièces de la procédure, que M. Y..., de nationalité afghane, en situation irrégulière sur le territoire national, a été interpellé le 5 octobre 2017 à Calais ; que le jour même, le préfet a pris un arrêté lui ordonnant de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, fixant l'Afghanistan comme pays de destination et l'a placé en rétention administrative ;
Attendu que, pour prononcer la mainlevée de cette mesure, l'ordonnance retient que la perspective raisonnable d'un éloignement de M. Y... à l'issue de la rétention, éventuellement prolongée, dans le respect des conditions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ou dans le délai prévu par l'accord signé le 2 octobre 2016 entre l'Union Européenne et les autorités centrales afghanes, n'est pas établie ;
Qu'en statuant ainsi, le premier président, qui s'est prononcé sur l'opportunité d'un éloignement vers l'Afghanistan, et, par suite, sur la légalité de la décision administrative fixant le pays de renvoi, a excédé ses pouvoirs en violation des textes susvisés ;
Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare l'appel recevable, l'ordonnance rendue le 10 octobre 2017, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Douai ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq décembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat aux Conseils, pour le préfet du Pas-de-Calais.
Le moyen reproche à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir déclaré l'appel recevable et ordonné la mainlevée de la rétention administrative de M. Y... et sa remise en liberté immédiate,
AUX MOTIFS QUE
« L'article L 554-1du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ ;l'administration doit effectuer toutes diligences à cet effet ;
Le juge des libertés et de la détention est compétent pour mettre fin à tout moment à la rétention administrative, lorsque des circonstances de fait ou de droit le justifient ;
La décision portant obligation de quitter le territoire français indique l'Afghanistan comme pays de retour ;
Dans les diligences effectuées et les difficultés rencontrées, M. le Préfet du Pas-de-Calais fait valoir qu'une demande de laissez-passer consulaire a été formée au regard de la nationalité déclarée de l'appelant, laquelle est corroborée par la langue qu'il parle ;
Il expose la difficulté en raison du refus de M. A... Y... de procéder au relevé des empreintes digitales pour permettre la vérification d'une demande d'asile ;
M. A... Y... a justifié un rendez-vous à Lille pour déposer un dossier de demandeur d'asile le 1 août 2017, dossier qui n'a fait l'objet d'aucune enregistrement ;
Sans se prononcer sur l'opportunité de la légalité d'un retour éventuel dans le pays dont il revendique la nationalité, soit l'Afghanistan, qui, comme le souligne M. le préfet du Pas-de-Calais relève de la compétence du juge administratif, il convient de constater que la rétention de M. Z... Y... n'est pas justifiée dans la perspective raisonnable d'un éloignement à l'issue de la rétention même prolongée.
Elle ne peut davantage se justifier sur les nécessités de vérifier l'identité de l'appelant, dont sa nationalité, ces vérifications devant être effectuées sur le temps de la retenue. La rétention a pour seul objectif de mettre en oeuvre l'éloignement lorsque celui-ci ne peut intervenir immédiatement.
La perspective d'un éloignement à l'issue de la rétention administrative, éventuellement prolongée, dans le respect des conditions de l'article L 513-2 du code de l'entrée et du droit d'asile, ou dans le délai prévu par l'accord signé le 2 octobre 2016 entre l'Union européenne et les autorités centrales afghanes n'est pas établi.
Dans ces conditions, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens, il y a lieu d'ordonner la main-levée de la rétention administrative de M. Z... Y... et de le remettre en liberté »,
ALORS, A TITRE PRINCIPAL, QUE le juge administratif est seul compétent pour connaître de la légalité des décisions relatives au séjour et à l'éloignement, et notamment des décisions fixant le pays de destination, quand bien même leur illégalité serait invoquée par voie d'exception à l'occasion du contentieux, devant le juge judiciaire, du placement ou de la prolongation du placement en rétention si bien qu'en retenant, pour prononcer la mainlevée de la mesure de rétention de l'intéressé, que le renvoi vers l'Afghanistan n'était pas possible dans le respect des dispositions de l'article L 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le magistrat délégué qui, tout en s'en défendant, a nécessairement ainsi porté une appréciation sur la légalité de la décision fixant le pays de destination, distincte de l'arrêté de placement en rétention, a excédé ses pouvoirs en violation de la loi des 16-24 août 1790, du décret du 16 fructidor an III et de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
ALORS, EN OUTRE, QU'un étranger peut être maintenu en rétention pour le temps strictement nécessaire à son départ de sorte qu'en prononçant la mainlevée de la rétention administrative de l'intéressé, après avoir pourtant constaté que l'administration avait sollicité des autorités consulaires afghanes un laissez-passer, ce dont il résultait que l'administration avait effectué les diligences adéquates depuis le placement en rétention pour procéder au renvoi de l'intéressé vers son pays d'origine, le magistrat délégué de la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les dispositions des articles L 554-1 et L 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
ALORS, A TITRE SUBSIDIAIRE, QU'il appartient à la personne qui sollicite la mainlevée de la rétention administrative d'établir la réalité des risques que comporterait pour lui, personnellement, le retour dans son pays d'origine si bien qu'en retenant, pour prononcer la mainlevée de la rétention administrative de l'intéressé, que la perspective d'un éloignement dans le respect des dispositions de l'article L 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'était pas établi et que l'intéressé avait déposé une demande d'asile, sans caractériser un risque personnel pesant sur l'intéressé en cas de retour dans son pays, le magistrat délégué a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des article L 513-2 et L 552-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.