LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
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M Ali X...,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de VERSAILLES, en date du 26 juillet 2018, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de extorsion en bande organisée commise avec une arme, infractions à la législation sur les armes, complicité de destruction de document ou objet concernant un crime ou un délit pour faire obstacle à la manifestation de la vérité, complicité de destruction du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes, en récidive, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention prolongeant sa détention provisoire ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 novembre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, M. Y..., conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller Y..., les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général Z... ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 144-1 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance ayant
prolongé la détention de M. X... pour une durée de six mois et ordonné son maintien en détention ;
"aux motifs qu'il résulte de la relation des faits qui précède des motifs plausibles de soupçonner que M. X... ait pu commettre les faits qui lui sont reprochés en dépit de ses dénégations ; que M. X... est mis en examen pour des faits d'extorsion en bande organisée commise avec arme ; que le plaignant, M. Sidi A..., a décrit plusieurs épisodes agressifs destinés à lui extorquer la somme de 87 500 euros, notamment au sein de son garage à Bois-Colombes ; qu'il a relaté ces agressions comme violentes et menaçantes avec notamment des exhibitions d'arme ; qu'en dépit de ses dénégations, M. X... est mis en cause par les déclarations réitérées de la victime, par sa présence le 3 décembre dans le véhicule contrôlé par la police, par la téléphonie et les vidéos ; que des armes et des cartouches ont été découvertes au domicile de M. X... (un pistolet automatique avec chargeur engagé de neuf cartouches, un pistolet mitrailleur avec un chargeur et ses dix-sept cartouches de 7.65) ; que des cartouches compatibles avec l'une d'elles ont également été saisies au domicile de M. Toufik B... ; que les mis en cause connaissent le lieu de travail du plaignant mais également son domicile et celui de ses parents ; qu'ils n'ont pas hésité à se présenter à plusieurs reprises sur son lieu de travail, y compris en présence d'employés, pour solliciter des remises de fonds ; qu'il est donc à craindre des pressions sur la victime et ses proches ; que les faits ont été commis par un groupe organisé au sein duquel M. X... semble avoir un rôle majeur; qu'au cours des mesures de garde à vue, les mis en cause ont soit nié leur implication dans les faits objets de la présente procédure, soit invoqué leur droit au silence ; que les interrogatoires vont désormais pouvoir être menés à la suite de l'arrêt rendu le 6 juillet 2018 par la chambre de l'instruction ayant rejeté la demande d'annulation de sa mise en examen, et que, dans cette attente, il est nécessaire de prévenir toute concertation frauduleuse entre les mis en examen compte tenu de leurs liens avérés et de leur positionnement ; que l'extorsion dénoncée s'est déroulée sur plusieurs mois à compter du 1er décembre 2016 avec des visites à répétition des différents mis en cause au sein du garage du plaignant, ces visites s'accompagnant de violences et de menaces en vue de remises de fonds ; que M. X... ne saurait valablement invoquer une similitude de traitement avec d'autres co-mis en examen du dossier placés sous contrôle judiciaire, dont le rôle n'est pas similaire au sien et dont le casier judiciaire n'est pas aussi fourni que le sien, et ce en vertu du principe d'individualisation des peines ; que le casier judiciaire de M. X... porte en effet trace de dix-neuf condamnations comprises entre le 18 janvier 2001 et le 19 mars 2013 dont onze fois pour des atteintes des aux biens, notamment pour des faits de vols et d'extorsion ; que l'intéressé s'inscrit manifestement dans un choix de délinquance qu'aucune sanction judiciaire, même ferme, n'a permis de juguler ; que ces éléments démontrent de manière très concrète qu'aucune sanction judiciaire ne suffit à mettre un terme à sa délinquance ; qu'il a en effet été condamné à 5 reprises pour des faits de nature violente et notamment le 9 juin 2011 à la peine significative de cinq ans d'emprisonnement dont un an assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve pendant deux ans pour des faits d'arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi d'une libération avant le 7e jour et de vol aggravé par trois circonstances en récidive ; qu'à la suite de cette condamnation il a bénéficié d'une libération conditionnelle le 29 août 2011 qui a été révoquée totalement le 22 avril 2013 ; qu'il a également été condamné le 19 mars 2013 par le tribunal correctionnel de Paris à la peine importante de quatre ans d'emprisonnement pour des faits d'homicide involontaire aggravé par conducteur, refus d'obtempérer et conduite sans permis en récidive ; qu'au moment des faits, il bénéficiait d'ailleurs d'une mesure de semi-liberté depuis le 29 septembre 2016 ; qu'il a ainsi profité d'une mesure de faveur qui lui était faite pour commettre de nouveaux faits de nature criminelle ; qu'en conséquence une mesure de contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique serait illusoire face au risque évident de renouvellement de l'infraction ; que l'intéressé ne présente pas de garanties de représentation en justice suffisantes, pour présenter un projet de sortie consistant en un hébergement chez une personne qu'il présente comme étant sa nouvelle compagne et qui demeure à Aubervilliers ; qu'il vivait en concubinage au moment de son incarcération avec la mère de ses deux enfants à La Courneuve ; que ce changement de situation personnelle correspond à une nouvelle relation avec laquelle il n'a jamais vécu et ne constitue nullement une meilleure garantie de représentation que la précédente ; qu'un contrat de travail en CDI comme livreur avec un salaire de 1 714 euros brut, sensiblement équivalent à sa situation professionnelle au moment des faits, n'est pas de nature à rivaliser avec les gains facilement obtenus par la commission de l'extorsion poursuivie, et ne permet en rien d'exclure le risque hautement prégnant de renouvellement des faits ; que ni les contraintes d'une assignation à résidence avec surveillance électrique, ni celles d'un contrôle judiciaire ne permettraient de prévenir avec certitude les risques énoncés plus haut et de garantir la présence du mis en examen à tous les actes de la procédure ; qu'en effet, ces mesures quelles qu'en soient les modalités ne présentent pas un degré de coercition suffisant pour atteindre ces finalités et ne permettraient pas d'empêcher des pressions qui pourraient être exercées par un moyen de communication à distance, ni de faire obstacle à une concertation, qui même en cas d'assignation à résidence sans possibilité de sortie, pourrait se réaliser par la venue d'éventuels co-auteurs chez le mis en examen, ni d'éviter la réitération des faits, sauf à interdire toute sortie de domicile ; que seule la détention provisoire répond à ce jour à ces exigences ; qu'au regard des investigations justifiant la poursuite de l'information, spécialement l'audition de la victime, les interrogatoires de Cédric C... et E... D... et d'éventuelles confrontations, le délai prévisible d'achèvement de l'information peut être fixé à six mois ; qu'il y a lieu en conséquence de confirmer l'ordonnance entreprise ayant prolongé la détention provisoire et d'ordonner le maintien en détention de M. X... ;
"1°) alors que la durée de la détention provisoire ne doit pas excéder un délai raisonnable ; que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; qu'en l'espèce, M. X... faisait valoir, dans son mémoire régulièrement déposé devant la chambre de l'instruction, que depuis janvier le magistrat instructeur n'a procédé à aucun acte d'instruction, que le dossier n'a pas évolué et ne respecte plus désormais les exigences du délai raisonnable, et il demandait expressément à la cour d'apprécier si la durée de cette instruction, en ce qu'elle a été volontairement mise en suspens pendant plus de six mois par le magistrat instructeur au prétexte d'une requête en nullité, respecte les exigences de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en se bornant à indiquer qu'il existe des raisons plausibles de soupçonner que M. X... a pu commettre les faits qui lui sont reprochés, et qu'au regard des investigations justifiant la poursuite de l'information le délai prévisible d'achèvement de la procédure peut être fixé à six mois, sans pour autant rechercher si les autorités judiciaires, et spécialement le magistrat instructeur, ont mis en oeuvre les diligences appropriées pour éviter que la durée de la détention provisoire de l'intéressé ne soit pas déraisonnable, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés ;
"2°) alors qu'en toute hypothèse, la chambre de l'instruction qui était saisie de la question du non-respect du délai raisonnable de la détention au sens de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, au regard des nécessités de l'instruction et des diligences accomplies par l'autorité judiciaire, et qui était tenue de répondre aux articulations essentielles du mémoire du mis en examen, n'a pas justifié sa décision au regard des textes susvisés, en se s'expliquant absolument pas sur ce point" ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. Ali X... a été mis en examen des chefs susvisés et placé en détention provisoire le 18 juillet 2017, que par ordonnance en date du 9 juillet 2018, le juge des libertés et de la détention a prolongé la détention provisoire pour une durée de six mois ;
Attendu que, pour confirmer cette ordonnance, l'arrêt prononce par les motifs reproduits au moyen ;
Mais attendu qu'en se déterminant par ces seuls motifs, sans répondre aux articulations essentielles du mémoire du mis en examen faisant valoir que sa détention excédait un délai raisonnable au regard des nécessités de l'instruction et des diligences accomplies par l'autorité judiciaire, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen de cassation proposé :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, en date du 26 juillet 2018, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,
RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un novembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.