LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Frédéric Y...,
- La société Matmut assurances, partie intervenante,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-4, en date du 28 novembre 2017, qui, sur renvoi après cassation ( Crim., 5 avril 2016, n° 15-81.967), dans la procédure suivie contre le premier du chef d'homicide involontaire, a prononcé sur les intérêts civils ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Frédéric Y..., assuré auprès de la société Matmut assurances (la société Matmut), a été définitivement reconnu coupable d'homicide involontaire et entièrement responsable des conséquences de la collision survenue à Paris, le 17 octobre 2009, entre son véhicule et celui conduit par Olivier Z..., lequel est décédé des suites de ses blessures ; que, par jugement en date du 22 avril 2013, le tribunal correctionnel a condamné, in solidum, M. Y... et la société Matmut à indemniser les ayants-droit d'Olivier Z... des frais d'obsèques et de leur préjudice moral, alloué, au titre du préjudice économique résultant du décès, une provision à Mme Béatrice A..., veuve d'Olivier Z..., partie civile, en son nom personnel et en qualité d'administrateur légal de ses fils mineurs Eliott et Raphaël (les consorts Z...), et sursis à statuer sur la détermination de ce préjudice ; que, par jugement en date du 18 novembre 2013, le même tribunal a débouté ces parties civiles de leurs demandes ; que les consorts Z... ont interjeté appel;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 591 et 593 du code de procédure pénale, du principe de la réparation intégrale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a fixé le préjudice économique de Mme Béatrice A..., veuve Z..., à la somme de 329 108,58 euros, et le préjudice économique d'Elliott et de Raphaël Z... à la somme de 31 652 euros pour chacun d'eux, et condamné, en conséquence, M. Y... à payer à Mme A..., veuve Z..., la somme de 329 108,58 euros à titre personnel, et, en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Elliott et Raphaël Z..., la somme de 31 652 euros pour chacun d'eux ;
"aux motifs que M. Y... et la société Matmut s'opposent à ce que la part des enfants réintègre, à compter de leurs 25 ans, le patrimoine de Mme A..., veuve Z..., ainsi qu'elle le demande ; qu'ils soutiennent que si la victime avait survécu, elle aurait pu récupérer pour elle-même une fraction de la partie libérée, et augmenter ainsi sa propre part de consommation ; qu'à supposer que la cour procède ainsi, ils demandent que seule soit réintégrée 50 % de la part des enfants ; que contrairement à ce que soutiennent les intimés, l'accession des enfants à l'autonomie financière impose de réévaluer le préjudice du conjoint survivant ; que, logiquement, la part des enfants devenue disponible est affectée au foyer ; qu'elle est attribuée en conséquence, en son entier, au conjoint survivant ; que, par voie de conséquence, le préjudice de Mme A..., veuve Z..., qui est égal à la perte du foyer, après déduction des pertes subies par ses deux enfants, est donc de 337 685,58 euros [401 057,44 euros - (31.685,93 euros x 2)] ;
"alors que le préjudice doit être réparé sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; qu'en cas de décès de la victime directe d'un accident, il doit être déduit du préjudice subi par ses ayants droit la part d'autoconsommation de la victime défunte ; que le juge est tenu d'adapter cette part d'autoconsommation, lorsqu'elle tient initialement compte de la présence d'enfants à charge, une fois que ces enfants ont acquis leur autonomie financière, et doit vérifier si, à la suite de leur départ du foyer familial, le défunt aurait augmenté sa part personnelle de consommation dans les revenus du ménage ; qu'en l'espèce, M. Y... et la société Matmut faisaient valoir que « si la victime avait survécu, elle aurait pu récupérer pour elle-même une fraction de la partie libérée [après le départ des enfants du foyer] et augmenter ainsi sa propre part de consommation », ce qui s'opposait à la réintégration intégrale de la part de consommation des enfants, après leurs 25 ans, dans celle de leur mère ; qu'en affirmant que l'accession des enfants à l'autonomie financière rendait « logiquement » disponible leur part de consommation des revenus du foyer et que cette part devait être « attribuée en conséquence, en son entier, au conjoint survivant » sans rechercher, comme elle y était invitée, si, après le départ des enfants du foyer, Olivier Z... aurait augmenté sa part de consommation des revenus du ménage, ce qui excluait que la part de consommation des enfants revienne intégralement à Mme A..., veuve Z..., la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des textes et principes susvisés" ;
Attendu que, pour fixer le préjudice économique subi par Mme A..., veuve Z..., à la somme de 337 685,58 euros, l'arrêt retient que, contrairement à ce que soutiennent les intimés, l'accession des enfants à l'autonomie financière impose de réévaluer le préjudice du conjoint survivant, et que, logiquement, la part des enfants devenue disponible est affectée au foyer, qu'elle est attribuée, en conséquence, en son entier au conjoint survivant ;
Attendu qu'en procédant, ainsi qu'elle y était tenue, à la réaffectation après l'accession à l'autonomie des enfants, de leur part dans la consommation du foyer, la cour d'appel, a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer son préjudice ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, L. 131-2 alinéa 2 du code des assurances, 1382 du code civil, du principe de la réparation intégrale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a fixé le préjudice économique de Mme A..., veuve Z..., à la somme de 329 108,58 euros, et le préjudice économique d'Elliott et de Raphaël Z... à la somme de 31 652 euros pour chacun d'eux, rejeté la demande de M. Y... et de la société Matmut aux fins de déduction du capital décès et de la rente éducation servis par la société Vauban Humanis du préjudice économique de Mme A..., veuve Z..., et de ses enfants, condamné M. Y... à payer à Mme A..., veuve Z..., la somme de 329 108,58 euros à titre personnel, et, en sa qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Elliott et Raphaël Z..., la somme de 31 652 euros pour chacun d'eux, condamné la société Matmut à verser à Mme A..., veuve Z..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses fils mineurs les intérêts au double du taux légal à compter du 18 juin 2010 et jusqu'à ce que l'arrêt devienne définitif sur les montants des indemnités qui leur sont alloués avant imputation de la créance de l'organisme social et déduction des provisions éventuellement versées, et d'avoir condamné la société Matmut à payer au FGAO la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 211-14 du code des assurances ;
"aux motifs qu'outre le capital servi par la CPAM, Mme A..., veuve Z..., a perçu la somme de 428 428, 80 euros se décomposant comme suit :
- 142 795,32 euros pour elle-même,
- 35 709, 54 euros pour chacun des enfants, ces sommes étant majorées de 100 % pour décès accidentel, conformément au contrat de prévoyance collective d'entreprise, conclu avec la société Vauban Humanis ; que les parties sont en litige sur la question de savoir si ces sommes doivent ou non être déduites de la somme allouée à Mme A..., veuve Z..., au titre de son préjudice économique et de celui des enfants ; que Mme A..., veuve Z..., indique à titre préliminaire qu'à la suite des rachats successifs de }a compagnie ayant souscrit l'assurance auprès de l'employeur de son mari, et de l'ancienneté du dossier, elle ne détient aucun document contractuel relatif à l'assurance prévoyance employeur souscrite auprès de la société Vauban Humanis, au profit de son mari ; que, sur le fondement de l'article L. 131-2 du code des assurances, elle conclut à l'absence de déductibilité du capital décès et de la rente éducation versés par la société Vauban Humanis, au motif que M. Y... et la société Matmut sur lesquels pèse la charge de la preuve, ne démontrent pas que les deux conditions exigées pour y procéder soient remplies, à savoir l'existence d'un droit de subrogation conventionnelle au profit de la société Vauban Humanis, et le caractère indemnitaire des prestations versées ; qu'elle précise qu'elle-même produit un mail du 2 février 2015, en réponse à sa demande de renseignement sur la nature de la prestation reçue de la société Vauban Humanis, selon lequel « le capital décès versé au titre d'un contrat de prévoyance collective est de nature forfaitaire de même pour la majoration capital pour enfant à charge » ; qu'en réplique, M. Y... et la société Matmut soutiennent que le capital décès et la rente éducation servis à Mme A..., veuve Z..., sont déductibles car ils revêtent un caractère indemnitaire, ce qui ouvre la voie au recours subrogatoire de l'assureur ; qu'ils invoquent la nature du contrat de prévoyance collective d'entreprise, qui permet de préserver l'avenir de la famille, en cas de décès du salarié, et le fait que les prestations versées sont déterminées en fonction de la rémunération du bénéficiaire décédé ; qu'ils contestent toute force probante au mail dont se prévaut Mme A..., veuve Z..., qui émane d'un auteur inconnu, et se borne à une affirmation non étayée ; que, comme le rappelle exactement Mme A..., veuve Z..., en application de l'article L. 131-1 du code des assurances en matière d'assurance de personnes les sommes assurées sont fixées par le contrat, et présentent donc un caractère forfaitaire, de sorte que l'article L. 131-2 alinéa 1 du code des assurances en déduit logiquement que l'assureur, après paiement de l'indemnité d'assurance, n'a aucun recours contre les tiers à raison du sinistre ; que par exception à cette règle, l'alinéa 2 de l'article L. 132-2 prévoit que, dans les contrats garantissant l'indemnisation des préjudices résultant d'une atteinte à la personne, l'assureur peut être subrogé dans les droits du contractant ou des ayants droit contre le tiers responsable, pour le remboursement des prestations à caractère indemnitaire ; que l'action récursoire de l'assureur de personnes est donc soumise à deux critères cumulatifs :
- l'existence d'une clause stipulée au contrat, prévoyant spécifiquement la subrogation au cas où le dommage subi par l'assuré serait consécutif à un accident,
- les modalités de calcul et d'attribution des prestations doivent être celles de la réparation du préjudice selon le droit commun ; que dès lors, dans la mesure où, par principe, le recours subrogatoire de l'assureur de personne est exclu, il appartient à M. Y... et à la société Matmut qui se prévalent de l'exception prévue à l'article L. 131-2 alinéa 2 précité, d'établir que les conditions d'application imparties par ce texte sont remplies ; qu'en l'espèce, aucun document contractuel n'est versé aux débats, relatif à l'assurance prévoyance employeur souscrite au profit de Olivier Z..., et M. Y... et la société Matmut ne produisent aucune pièce, susceptible de rapporter cette preuve ; que, par suite, et pour ce seul motif tiré de l'absence de preuve de l'existence d'une subrogation conventionnelle au bénéfice de l'assureur, la société Vauban Humanis, condition indispensable pour que les prestations versées à Mme A..., veuve Z..., soient déduites du préjudice économique, la demande de M. Y... et de la société Matmut de déduction du capital décès et de la rente éducation est rejetée ;
"1°) alors que le préjudice doit être réparé sans qu'il en résulte ni perte ni profit pour la victime ; que doivent être imputées sur l'indemnité réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime les prestations versées par des tiers payeurs qui ouvrent droit, au profit de ceux-ci, à un recours subrogatoire contre la personne tenue à réparation ; que dans les contrats garantissant l'indemnisation des préjudices résultant d'une atteinte à la personne, l'assureur peut être subrogé dans les droits du contractant ou des ayants droit contre le tiers responsable, pour le remboursement des prestations à caractère indemnitaire prévues au contrat ; que, même en l'absence d'intervention de l'assureur de la victime, lui ayant servi des prestations à caractère indemnitaire offrant la possibilité d'un recours subrogatoire, les sommes mises à la charge du responsable et de son assureur doivent être diminuées du montant de ces prestations, sans qu'il soit requis d'établir la stipulation effective d'une clause de subrogation dans le contrat d'assurance ; qu'en l'espèce, pour considérer que les prestations versées par la société Humanis Vauban à Mme A..., veuve Z..., tant en son nom personnel qu'ès qualités de représentante légale de ses deux fils mineurs, qui étaient de nature indemnitaire, ne pouvaient être imputées sur les sommes lui revenant au titre du préjudice économique, la cour d'appel a considéré que M. Y... et la société Matmut ne rapportaient pas la preuve de l'existence d'une subrogation conventionnelle au bénéfice de l'assureur tiers payeur, la société Humanis Vauban ; qu'en se prononçant ainsi, tandis qu'il suffisait à M. Y... et la société Matmut de rapporter la preuve du caractère indemnitaire de la prestation versée, ce dont il s'évinçait qu'elle offrait la possibilité d'une subrogation de l'assureur, la cour d'appel a violé les textes et principe susvisés ;
"2°) alors, en toute hypothèse, que, à supposer qu'il soit requis du responsable et de son assureur la preuve d'une subrogation du tiers payeur dans le contrat prévoyant, au bénéfice de la victime ou de ses ayants droit, une prestation à caractère indemnitaire, pour que cette prestation s'impute sur l'indemnité revenant à ces derniers, cette preuve, en ce qu'elle incombe à un tiers au contrat, ne peut s'entendre que de celle de l'existence du contrat d'assurance ; qu'en revanche, c'est à l'assuré victime, s'il entend prouver que l'assureur tiers payeur ne bénéficie d'aucun recours subrogatoire au titre de l'indemnité versée, d'établir le contenu du contrat ; qu'en décidant qu'il incombait à M. Y... et à la société Matmut d'établir que le contrat d'assurance dont Mme A..., veuve Z..., et ses fils bénéficiaient en tant qu'assurés auprès de la société Humanis Vauban stipulait une clause de subrogation, tandis que la preuve de l'existence d'un tel contrat n'était pas contestée et que M. Y... et la société Matmut ne pouvaient pas rapporter la preuve du contenu d'un contrat auquel ils n'étaient pas parties, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ;
Attendu que, pour rejeter la demande de M. Y... et de la société Matmut aux fins de déduction du capital décès et de la rente éducation servis par la société Vauban Humanis du préjudice économique des consorts Z..., après avoir rappelé qu'en application de l'article L. 131-1 du code des assurances en matière d'assurance de personne, les sommes assurées sont fixées par le contrat, et présentent donc un caractère forfaitaire, de sorte que l'article L.131-2 alinéa 1 dudit code prévoit logiquement que l'assureur, après paiement de l'indemnité d'assurance, n'a aucun recours contre les tiers à raison du sinistre, mais que, par exception à cette règle, l'alinéa 2 de l'article L. 132-2 dispose que, dans les contrats garantissant l'indemnisation des préjudices résultant d'une atteinte à la personne, l'assureur peut être subrogé dans les droits du contractant ou des ayants droit contre le tiers responsable, pour le remboursement des prestations à caractère indemnitaire, la cour d'appel énonce que l'action récursoire de l'assureur de personnes est donc soumise à deux critères cumulatifs, l'existence d'une clause stipulée au contrat, prévoyant spécifiquement la subrogation au cas où le dommage subi par l'assuré serait consécutif à un accident, et des modalités de calcul et d'attribution des prestations conformes à la réparation du préjudice selon le droit commun ; que les juges ajoutent que dès lors, dans la mesure où, par principe, le recours subrogatoire de l'assureur de personne est exclu, il appartient à M. Y... et à la société Matmut qui se prévalent de l'exception prévue à l'article L.131-2 alinéa 2 précité, d'établir que les conditions d'application imparties par ce texte sont remplies, aucun document contractuel n'étant en l'espèce versé aux débats, relatif à l'assurance prévoyance employeur souscrite au profit d'Olivier Z..., et M. Y... et la société Matmut ne produisant aucune pièce, susceptible de rapporter cette preuve ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a constaté l'absence de preuve, par le responsable ou son assureur, de l'existence d'une clause de subrogation dans le contrat souscrit par l'employeur de la victime, a fait une exacte application des textes précités du code des assurances et de l'article 1353, alinéa 2, du code civil relatif à la charge de la preuve de l'extinction des obligations ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. Y... et la société Matmut devront solidairement payer à Mme A... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme B..., conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.