La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/11/2018 | FRANCE | N°17-28613

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 novembre 2018, 17-28613


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu la loi des 16-24 août 1790 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la communauté d'agglomération Plaine commune (la communauté d'agglomération) a conclu une convention publique de renouvellement urbain avec la société d'économie mixte Plaine commune développement (la SEM), en vue, notamment, de la rénovation de la zone commerciale Epicentre située sur le territoire de la commune d'Epinay-sur-Seine ; qu'à l'occasion de cette opération

d'aménagement, la SEM a chargé la société SPIE Batignolles travaux publics et con...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Vu la loi des 16-24 août 1790 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la communauté d'agglomération Plaine commune (la communauté d'agglomération) a conclu une convention publique de renouvellement urbain avec la société d'économie mixte Plaine commune développement (la SEM), en vue, notamment, de la rénovation de la zone commerciale Epicentre située sur le territoire de la commune d'Epinay-sur-Seine ; qu'à l'occasion de cette opération d'aménagement, la SEM a chargé la société SPIE Batignolles travaux publics et constructions industrielles, aux droits de laquelle se trouve la société SPIE Batignolles génie civil (la société SPIE Batignolles), de procéder à la dépollution d'un terrain dont elle avait fait l'acquisition ; que la société SPIE Batignolles l'a assignée en paiement de la facture correspondant, selon elle, à ces travaux ; que, soutenant avoir agi pour le compte de la communauté d'agglomération et invoquant, par suite, le caractère administratif du contrat de dépollution, la SEM a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative ;

Attendu que, pour retenir la compétence de la juridiction judiciaire, après avoir relevé qu'aux termes de la convention publique de renouvellement urbain en cause, la SEM s'engage "à acquérir la propriété (...) des biens immobiliers bâtis ou non bâtis nécessaires à la réalisation des ouvrages inclus dans le périmètre d'opération d'aménagement Epicentre (...à) mettre en état les sols", l'arrêt retient que, pour les tâches qui lui sont confiées, elle agit pour son propre compte, comme propriétaire, le cas échéant, des terrains acquis ; qu'il en déduit que le contrat litigieux, conclu entre deux personnes privées, est un contrat de droit privé ;

Que, cependant, il résulte de la jurisprudence du Tribunal des conflits que le titulaire d'une convention conclue avec une collectivité publique pour la réalisation d'une opération d'aménagement ne saurait être regardé comme un mandataire de cette collectivité et qu'il ne peut en aller autrement que s'il résulte des stipulations qui définissent la mission du cocontractant de la collectivité publique ou d'un ensemble de conditions particulières prévues pour l'exécution de celle-ci, telles que le maintien de la compétence de la collectivité publique pour décider des actes à prendre pour la réalisation de l'opération ou la substitution de la collectivité publique à son cocontractant pour engager des actions contre les personnes avec lesquelles celui-ci a conclu des contrats, que la convention doit en réalité être regardée, en partie ou en totalité, comme un contrat de mandat, par lequel la collectivité publique demande seulement à son cocontractant d'agir en son nom et pour son compte, notamment pour conclure les contrats nécessaires (Tribunal des conflits, 15 octobre 2012, SARL Port Croisade, n° 3853 ; Tribunal des conflits, 11 décembre 2017, commune de Capbreton, n° 4103) ; que, dès lors, le titulaire d'une convention d'aménagement étant réputé agir pour son propre compte lorsqu'il conclut avec d'autres personnes privées les contrats nécessaires à l'accomplissement de sa mission, ces contrats sont des actes de droit privé ressortissant à la juridiction judiciaire ; que, toutefois, il incombe au juge, saisi d'une exception d'incompétence, d'analyser l'ensemble des stipulations de la convention d'aménagement en cause, afin de déterminer si l'exécution de cette dernière est soumise à des conditions particulières telles que son titulaire doit être regardé comme le mandataire de la personne publique, de sorte que les contrats conclus par celui-là pour le compte de celle-ci sont susceptibles de revêtir un caractère administratif et, par suite, de relever de la compétence de la juridiction administrative ;

D'où il suit qu'en se prononçant comme elle l'a fait, sans procéder, comme il le lui incombait, à l'analyse globale des stipulations de la convention publique d'aménagement liant la communauté d'agglomération à la SEM, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 septembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne la société SPIE Batignolles génie civil aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille dix-huit.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :

Moyen produit par la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat aux Conseils, pour la société Plaine commune développement

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Plaine Commune Développement ;

AUX MOTIFS QU' aux termes de la convention publique de renouvellement urbain d'Epinay sur Seine signée par la communauté d'agglomération Plaine Commune et la Société d'Economie Mixte Plaine Développement le 21 décembre 2004 (ci-après "la Convention") « les missions [de la SEM Plaine Commune] seront réalisées sous la direction et le contrôle de [la communauté d'agglomérations] Plaine Commune et à ses risques financiers » ; Que la SEM Plaine Développement, société anonyme inscrite au registre du commerce et des sociétés de Bobigny, assure les tâches de coordination opérationnelle des projets et s'engage, « en tant que de besoin, et selon la finalité et le contenu de chaque sous-opération, à acquérir la propriété, (...) des biens immobiliers bâtis ou non bâtis, nécessaires à la réalisation des ouvrages inclus dans le périmètre d'opération d'aménagement Epicentre (... à) mettre en état les sols » ; Qu'il en résulte que pour les tâches qui lui sont confiées, la SEM agit pour son propre compte, comme propriétaire, le cas échéant, des terrains acquis, ou comme délégataire pour la mise en état des sols inclus dans le périmètre d'aménagement ; Considérant qu'il est constant que les SEM sont des personnes morales de droit privé qui ne sont pas soumises au code des marchés publics et que les contrats qu'elles concluent pour leur propre compte avec une personne privée, sont des contrats de droit privé, ou présumés tels ; Qu'en l'espèce le contrat par lequel la SEM a sollicité la SPIE Batignolles pour la mise en état des sols dont elle a la charge, est une lettre de commande datée du 4 octobre 2001 faisant suite au devis établi par SPIE Batignolles, acceptée par la SEM, portant sur le transport et l'élimination de terres polluées à l'hydrocarbure, sans qu'il y ait eu appel d'offre ou soumission d'un marché public ; Qu'à aucun moment il n'est fait référence à la SEM comme représentant d'une personne publique ni à la Convention sus rappelée ; Que le marché fondé sur le devis produit ne contient aucune clause exorbitante du droit commun ; Qu'il s'agit d'un contrat de prestations de services conclu entre deux personnes privées, qui n'a pas pour objet, par lui-même, l'occupation du domaine public, ni de satisfaire à un intérêt général ; Qu'il ne saurait être regardé comme l'accessoire de la convention de renouvellement urbain, et donc être qualifié de contrat administratif de ce fait ; Qu'il résulte de tout ce qui précède que c'est à juste titre que les premiers juges se sont déclarés compétents et ont rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la SEM Plaine Commune ; Qu'il y a lieu par conséquent, par motifs propres et adoptés, de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

1) ALORS QUE la délégation de service public implique que le risque de l'exploitation soit supporté en tout ou partie par le délégataire ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'aux termes de la convention publique de renouvellement urbain d'Epinay sur Seine signée par la communauté d'agglomération Plaine Commune et la société d'économie mixte Plaine Commune Développement le 21 décembre 2004 « les missions [de la SEM Plaine Commune] seront réalisées sous la direction et le contrôle de [la communauté d'agglomérations] Plaine Commune et à ses risques financiers », ce dont il résulte que le risque financier de l'opération était supporté par la collectivité territoriale et non par la SEM Plaine Commune Développement qui agissait seulement sous la direction et le contrôle de la collectivité territoriale, c'est-à-dire comme son mandataire ; qu'en considérant pourtant, pour rejeter l'exception d'incompétence du juge judiciaire, que la SEM avait agi pour son propre compte, comme délégataire pour la mise en état des sols inclus dans le périmètre d'aménagement, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations au regard de l'article L. 1411-1 du code des général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige, violant ainsi ledit article, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;

2) ALORS QU'en tout état de cause, pour déterminer si une société d'économie mixte, chargée par une ville de l'aménagement d'une zone à urbaniser en priorité, a passé avec d'autres personnes privées des contrats, non pas pour son propre compte ou en sa qualité de concessionnaire, mais pour le compte de la personne publique concédante, les juges du fond doivent se référer aux stipulations de l'acte de concession ; qu'il s'ensuit qu'en l'espèce, en se bornant à analyser la convention conclue entre la SEM Plaine Commune et la SPIE Batignolles, pour rejeter l'exception d'incompétence du juge judiciaire, sans rechercher, comme il lui était demandé, si la qualité de mandataire de la SEM Plaine Commune Développement ne résultait pas de l'article 12 de la convention publique d'aménagement disposant que « la société est investie, pour l'exécution des ouvrages faisant l'objet du présent contrat, de tous les droits que les lois et règlements confèrent aux collectivités publiques en matière de travaux publics », la convention prévoyant, comme le constate la cour, que « les missions [de la SEM Plaine Commune] seront réalisées sous la direction et le contrôle de [la communauté d'agglomérations] Plaine Commune et à ses risques financiers », la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 17-28613
Date de la décision : 14/11/2018
Sens de l'arrêt : Cassation
Type d'affaire : Civile

Analyses

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Domaine d'application - Litige relatif à un contrat de droit privé - Contrat de droit privé - Caractérisation - Cas - Personne de droit privé contractant avec d'autres personnes privées pour l'accomplissement d'une convention d'aménagement conclue avec une collectivité publique - Exception - Personne de droit privé mandataire de la personne publique - Office du juge - Détermination

SEPARATION DES POUVOIRS - Compétence judiciaire - Exclusion - Cas - Contrat de mandat - Définition - Office du juge - Détermination

Le titulaire d'une convention passée avec une collectivité publique pour la réalisation d'une opération d'aménagement est réputé agir pour son propre compte lorsqu'il conclut avec d'autres personnes privées les contrats nécessaires à l'accomplissement de sa mission ; dès lors, ces contrats sont des actes de droit privé ressortissant à la juridiction judiciaire. Toutefois, il incombe au juge, saisi d'une exception d'incompétence, d'analyser l'ensemble des stipulations de la convention d'aménagement, afin de déterminer si l'exécution de cette dernière est soumise à des conditions particulières telles que son titulaire doit être regardé comme le mandataire de la personne publique, de sorte que les contrats conclus par celui-là pour le compte de celle-ci sont susceptibles de revêtir un caractère administratif et, par suite, de relever de la compétence de la juridiction administrative


Références :

loi des 16-24 août 1790

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 14 septembre 2017

A rapprocher :Tribunal des conflits, 11 décembre 2017, Bull. 2017, T. conflits

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 14 nov. 2018, pourvoi n°17-28613, Bull. civ.
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat(s) : SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, SARL Cabinet Briard

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2018:17.28613
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award