LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° V 18-80.176 F-P+B
N° 2498
SM12
7 NOVEMBRE 2018
CASSATION SANS RENVOI
M. SOULARD président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
CASSATION SANS RENVOI sur le pourvoi formé par l'Agent judiciaire de l'Etat, contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 13 décembre 2017, qui, dans la procédure suivie contre MM. Philippe X... et Jean Y... des chefs d'infractions à la législation sur les jeux, a prononcé sur leur demande fondée sur l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 26 septembre 2018 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Soulard, président, Mme Planchon, conseiller rapporteur, Mme de la Lance conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de Mme le conseiller Planchon, les observations de la société civile professionnelle MEIER-BOURDEAU et LÉCUYER, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général GAILLARDOT ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 1, 2, 381 et 591 du code de procédure pénale, L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, et excès de pouvoir :
"en ce que l'arrêt attaqué constate le caractère excessif de la durée de la procédure ;
"aux motifs que MM. Philippe X... et Jean Y... exposent que l'information judiciaire a duré plus de treize ans et que ce délai "excessif a nécessairement causé un préjudice au requérant qui a été soumis à des mesures restrictives et privatives de libertés" pendant toute cette durée ; qu'ils n'explicitent pas davantage les lenteurs injustifiées de la procédure et le préjudice qu'ils auraient subi ; que l'instruction a concerné 26 mis en examen et a nécessité des investigations complexes, et notamment de nombreuses surveillances, filatures, écoutes téléphoniques ; que la durée des investigations ne se justifie cependant pas par des circonstances exceptionnelles ; que la cour constate qu'un délai de plus de treize ans est en lui-même excessif ; qu'il importe qu'il ait été définitivement statué sur la durée excessive de la procédure ;
"1°) alors que les juges correctionnels ne peuvent, sans excéder leurs pouvoirs, statuer sur une demande de réparation d'un dommage qui ne procède pas de la commission d'une infraction pénale ; qu'en constatant le caractère excessif de la procédure, bien que seul le juge civil soit compétent pour connaître des demandes en réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice en application de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs ;
"2°) alors que le juge correctionnel ne peut statuer sur une demande dont il constate le caractère irrecevable ; qu'en constatant le caractère excessif de la procédure invoqué par les prévenus au soutien de leur demande d'indemnisation dont elle constatait, dans le même temps, le caractère irrecevable, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs" ;
Vu l'article 381 du code de procédure pénale, ensemble l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que le juge correctionnel n'est pas compétent pour se prononcer sur l'action en réparation du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice fondée sur le second de ces articles ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que MM. Jean Y... et Philippe X..., mis en examen dans le cadre d'une information ouverte le 18 février 2002 du chef, notamment, d'infractions à la législation sur les jeux, ont été, à l'issue de celle-ci, renvoyés de ce chef devant le tribunal correctionnel ; que, préalablement à l'audience devant le tribunal correctionnel, les deux prévenus ont fait citer l'Agent judiciaire de l'Etat (AJE) aux fins de le faire condamner à réparer le préjudice subi par eux en raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice tenant à la durée de la procédure ; que, par jugement du 1er juin 2016, le tribunal correctionnel, après avoir refusé de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité et débouté les prévenus de leur exception de prescription de l'action publique, a déclaré nulles les citations délivrées à l'encontre de l'AJE par les prévenus, qu'il a, par ailleurs, déclarés coupables des faits reprochés et les a condamnés, M. Y..., à dix-huit mois d'emprisonnement, 15 000 euros d'amende et à la confiscation des scellés, M. X..., à un an d'emprisonnement, à 10 000 euros d'amende et à la confiscation des scellés ; que les prévenus et le ministère public ont interjeté appel de cette décision ;
Attendu que, pour constater le caractère excessif de la durée de la procédure et déclarer nulles les citations délivrées par les prévenus à l'encontre de l'AJE, l'arrêt, après avoir constaté qu'un délai de plus de treize ans est en lui-même excessif, énonce que l'action exercée par les prévenus contre l'AJE n'est pas recevable dès lors que, fondée sur une faute civile, elle ne relève pas d'une juridiction pénale ;
Mais attendu qu'en se prononçant, dans le dispositif de l'arrêt, sur le caractère excessif de la durée de la procédure, tout en constatant, à bon droit, qu'elle n'était pas compétente pour connaître d'une action fondée sur l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ;
Par ces motifs :
CASSE ET ANNULE, par voie de retranchement et sans renvoi, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, en date du 13 décembre 2017, en ce qu'il a constaté le caractère excessif de la durée de la procédure, toutes autres dispositions de la décision étant expressément maintenues ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept novembre deux mille dix-huit ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.