LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 815-9 du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme A... s'est installée, avec son mari, depuis décédé, et ses enfants, dans un immeuble indivis dépendant de la succession de ses beaux-parents ; que sa belle-soeur, Mme Y..., l'a assignée en expulsion ;
Attendu que, pour ordonner l'expulsion de Mme A... et de tous occupants de son chef du bien immobilier indivis, après avoir relevé la qualité d'indivisaire de chacune des parties et constaté que Mme A... occupe le bien de manière privative depuis trente ans, sans verser aucune indemnité, l'arrêt retient que celle-ci ne justifie pas d'un titre lui accordant un droit d'usage et de jouissance privatif et qu'il ne résulte d'aucun élément de la procédure qu'elle aurait obtenu l'accord des autres indivisaires pour cette occupation ou qu'un partage aurait mis fin à l'indivision ; qu'il ajoute que, dès lors, l'occupation privative de la maison dépendant de l'indivision, depuis de nombreuses années et sans aucune contrepartie, porte une atteinte aux droits de Mme Y..., qu'il convient de faire cesser ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'en sa qualité de propriétaire indivis, Mme A... pouvait user librement de l'immeuble sans le consentement de ses coïndivisaires, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne l'expulsion de Mme A... et celle de tous occupants de son chef des locaux situés à Sainte-Marie, quartier Fond Cadran, cadastré [...] au besoin avec l'aide de la force publique, deux mois après lui avoir notifié un commandement de quitter les lieux, l'arrêt rendu le 22 mars 2016, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre ;
Condamne Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme A... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme A...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné l'expulsion de Mme A... et de tous occupants de son chef des locaux situés à Sainte Marie, quartier Fond Cadran, cadastré [...] au besoin avec l'aide de la force publique, deux mois après lui avoir notifié un commandement de quitter les lieux ;
AUX MOTIFS QU'il n'est pas contesté que Mme X... épouse Y... est propriétaire indivis du bien occupé de manière privative par Mme A... épouse X..., également propriétaire indivis ; (
) qu'il résulte des déclarations de Mme A... à Me B..., huissier de justice, à l'occasion de la sommation interpellative du 12 novembre 2007, et au cours de la présente procédure, qu'elle occupe les locaux litigieux de manière privative depuis trente ans, sans verser aucune indemnité de jouissance à l'indivision ; que Mme A... ne justifie d'aucun titre lui permettant d'occuper le bien de manière privative ; qu'en effet, aucun élément de la procédure ne permet d'indiquer qu'elle aurait un droit d'usage et de jouissance privatif sur le bien ou que le partage de l'indivision a été fait ; que, par ailleurs, il ne résulte pas des pièces communiquées que l'ensemble des indivisaires auraient trouvé un accord autorisant l'occupation privative du bien par Mme A... ; que dès lors, il apparaît que l'occupation privative de la maison dépendant de l'indivision, depuis de si nombreuses années et sans aucune contrepartie, porte atteinte aux droits de Mme Y..., qu'il convient de faire cesser en ordonnant l'expulsion de Mme A... et de tous occupants de son chef des locaux d'habitation et de l'immeuble sis à Sainte Marie, quartier Fond Cadran, cadastré [...] , avec le concours de la force publique si nécessaire ;
1°) ALORS QUE chaque indivisaire peut user et jouir librement des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres coïndivisaires ; qu'en déduisant l'atteinte aux droits de Mme Y... résultant de l'occupation privative du bien par l'exposante de l'absence d'accord des indivisaires sur cette occupation, la cour d'appel a violé l'article 815-9 du code civil ;
2°) ALORS QU'à supposer qu'elle se soit fondée sur l'absence de contrepartie de l'occupation litigieuse, la cour d'appel, en ordonnant l'expulsion de Mme A..., sans rechercher si le règlement d'une indemnité d'occupation aurait rendu l'occupation compatible avec le droit des autres coïndivisaires, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 815-9 du code civil ;
3°) ALORS, en toute hypothèse, QUE Mme A... avait vécu dans la maison litigieuse de façon paisible et ininterrompue avec sa famille pendant plus de trente ans et y vivait encore avec son fils, Philippe X... ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'expulsion ordonnée ne portait une atteinte manifestement disproportionnée au droit de Mme A... au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.