LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, le 27 octobre 2015), que M. Y..., exerçait une activité de transport routier à titre individuel ; que, le 11 mars 2002, le camion nécessaire à cette activité, piloté par M. X..., a été saisi par les services douaniers britanniques, en raison de la découverte, à son bord, de tabac de contrebande ; que le 21 août 2002, M. Y... a été mis en liquidation judiciaire, la procédure étant clôturée pour insuffisance d'actif le 24 mai 2006 ; que reprochant à M. X... d'avoir commis une faute, M. Y... l'a assigné devant le tribunal de grande instance le 20 novembre 2012, afin d'obtenir réparation de ses préjudices, parmi lesquels une perte de revenus futurs ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer recevable la demande de M. Y... au titre d'une perte de revenus personnels et de le condamner à indemniser ce préjudice alors, selon le moyen :
1°/ qu'un débiteur contre lequel est ouvert une procédure de liquidation judiciaire est dessaisi de l'ensemble de ses biens et n'a plus, dès lors, qualité pour exercer toute action patrimoniale ; qu'en retenant, pour juger que l'action en paiement de dommages-intérêts exercée par M. Y... était recevable, que le préjudice né des pertes de revenus futurs constituait un préjudice personnel de M. Y..., distinct du préjudice collectif des créanciers, quand M. Y... était un entrepreneur individuel qui, dès lors qu'il avait été placé en liquidation judiciaire, n'était plus recevable à exercer une action en paiement de dommages et intérêts que seul le liquidateur pouvait mettre en oeuvre, la cour d'appel a violé l'article L. 622-9 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
2°/ que toute action tendant au recouvrement d'un élément d'actif d'un entrepreneur individuel dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actifs, qui n'aurait pu être exercée que par le seul liquidateur pendant le cours de la procédure, en raison du dessaisissement de l'entrepreneur, suppose, pour être exercée après sa clôture, une réouverture de la procédure ; qu'en retenant, pour juger que l'action en paiement de dommages et intérêts exercée par M. Y... était recevable, que le préjudice né des pertes de revenus futurs constituait un préjudice personnel de M. Y..., distinct du préjudice collectif des créanciers, quand ces revenus constituaient le gage commun des créanciers, de sorte que les dommages et intérêts venant compenser leur perte aussi et que l'exercice d'une telle action supposait la réouverture de la procédure, la cour d'appel a violé l'article L. 622-34 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
Mais attendu, d'une part, que, M. Y... ayant exercé son action en responsabilité le 20 novembre 2012, soit après la clôture de sa liquidation judiciaire, son dessaisissement avait pris fin à cette date, de sorte qu'il avait qualité pour exercer une action indemnitaire ;
Et attendu, d'autre part, que, contrairement à ce que postule le moyen, la perte, pour l'avenir, des rémunérations qu'un débiteur, entrepreneur individuel, aurait pu percevoir, étrangère à la protection et à la reconstitution du gage commun des créanciers, ne relève pas du monopole du liquidateur, de sorte que l'action en réparation de ce préjudice n'est pas subordonnée à la reprise préalable de la procédure dans les conditions prévues par l'article L. 622-34 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises applicable en la cause ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. X....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré recevables les demandes de M. Hervé Y... au titre de son préjudice moral et d'une perte de revenus personnels, et d'AVOIR condamné M. Dominique X... à payer à M. Hervé Y... la somme de 50 000 euros au titre d'une perte de revenus personnels, et celle de 8 000 euros au titre de son préjudice morale ;
AUX MOTIFS QUE, sur la qualité à agir, Monsieur X... conteste la qualité à agir de Monsieur Y... à raison de la procédure de liquidation judiciaire dont il a fait l'objet. Il invoque une jurisprudence selon laquelle seul le mandataire liquidateur avait qualité à agir. Monsieur Y... qui n'en fait pas la même lecture précise que : - la demande qu'il présente ne relève pas de l'article L. 643-13 du code de commerce puisqu'il s'agit d'une action purement personnelle en réparation du préjudice qu'il a lui-même subi ; - les sommes qui lui ont été allouées par le tribunal de grande instance correspondent à des dommages et intérêts et n'ont rien à voir avec les sommes déclarées par les quelques créanciers de Monsieur Y... : il suffit de se reporter au jugement de mise en liquidation judiciaire et au jugement de clôture pour insuffisance d'actifs pour s'apercevoir que le passif vérifié était très faible à savoir 34 000 € et composé essentiellement de la créance du crédit bailleur Sodelem ; que cependant, il n'est pas surprenant qu'il n'y ait pas de correspondance avec le passif de la société, puisqu'au cas d'espèce, l'action si elle avait été introduite par le mandataire liquidateur n'aurait pas pour objectif d'examiner le passif de l'entreprise, mais de faire inscrire une créance à son actif ; qu'en l'espèce, la qualité à agir de Monsieur Y... doit être discutée selon les différents postes de préjudice qu'il invoque, à savoir : - la perte du tracteur routier et de la semi-remorque ; - les pertes d'exploitation et les pertes de revenus futurs ; - le préjudice moral ; que cependant la question de la faute et de la responsabilité délictuelle de Monsieur X... doit être discutée avant celle des préjudices, de sorte que la question de la qualité à agir sera revue ensuite ; Sur la responsabilité délictuelle, qu'il est constant que si Monsieur Y... se présente comme l'employeur de Monsieur X... et que Monsieur X... se présente comme l'employé de Monsieur K., ils n'avaient encore régularisé aucun contrat de travail, Monsieur X... étant parti précipitamment en mission pour remplacer Monsieur Y..., en ometant de procéder au préalable à la signature du contrat de travail ; que dès lors, c'est bien sur le fondement délictuel que la responsabilité de Monsieur X... peut être recherchée ; qu'en l'état de la cassation - pour motif de prescription - de l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix ayant condamné Monsieur X..., il n'y a plus de décision pénale pouvant être le support d'une condamnation civile ; que toutefois, la faute délictuelle peut ressortir des pièces versées au débat ; qu'il est produit des pièces de la procédure pénale, soit notamment le réquisitoire définitif, l'arrêt de renvoi du magistrat instructeur, et des procès-verbaux d'auditions des parties ; que la cour rejoint l'analyse faite dans le réquisitoire et dans l'ordonnance de renvoi selon laquelle : - lors de sa première comparution devant le magistrat instructeur, le 28 juillet 2008, (D133) Monsieur X... a reconnu avoir participé à la contrebande de cigarette et avoir menti sur ce point lorsqu'il avait nié les faits au cours de l'enquête en 2002 (D14) ; - au cours de cette première comparution, il se contredisait lui-même encore en affirmant tout d'abord avoir participé à un trafic de cigarettes à la demande de Monsieur Y..., pour expliquer en définitive qu'il regrettait d'avoir mis Monsieur Y... dans l'embarras ; que la cour observe en outre qu'au regard des méandres de cette procédure pénale, introduite par un dépôt de plainte de Monsieur Y... en 2002 pour s'achever par une cassation pour prescription, la prétention de Monsieur X... d'avoir agi sur l'instigation de son employeur n'est pas crédible ; qu'en effet, on ne voit pas pourquoi Monsieur Y... aurait déployé tant d'énergie et de frais irrépétibles pour que sa plainte soit enfin instruite s'il avait été lui-même impliqué dans cette contrebande de cigarettes, alors même qu'une procédure d'instruction était de nature à mettre à jour l'ensemble des faits concernant ce trafic ; que l'immobilisation du camion (tracteur et remorque) par le service des douanes britanniques est incontestablement la conséquence directe de la participation de Monsieur X... à ce trafic, participation qu'il a été en définitive reconnue ; que les préjudices invoqués par Monsieur Y... sont la conséquence de l'immobilisation du véhicule intervenue dans le cadre de ce trafic ; qu'en conséquence, la responsabilité délictuelle pour faute de Monsieur X... est engagée ; Sur les préjudices, que la question de la qualité à agir sera ici réexaminée selon les postes de préjudice, avant leur examen au fond ; que s'agissant des demandes patrimoniales que sont la perte du tracteur routier et de la semi-remorque et les pertes d'exploitation, elles ne peuvent s'analyser comme relevant d'un préjudice personnel : elles apparaissent en effet comme des préjudices de l'entreprise, et seul un mandataire liquidateur aurait eu qualité à agir pour les porter ; que ces demandes, dès lors qu'elles sont ici formées par Monsieur Y..., sont donc irrecevables, faute de qualité à agir de ce dernier pour être indemnisé d'un préjudice matériel et d'un préjudice d'exploitation de l'entreprise liquidée ; que le jugement qui a statué au fond sans s'interroger sur la recevabilité sera infirmé sur ce point ; que s'agissant des pertes de revenus futurs, elles constituent un préjudice personnel pour Monsieur Y..., soit la conséquence pour ce dernier des difficultés puis de la disparition de son entreprise, de sorte qu'il a qualité à agir pour en demander réparation et que cette demande est donc recevable ; qu'au fond, ainsi que l'a relevé le premier juge, la déclaration de cessation des paiements faite le 21 août 2002 est en lien direct et certain avec l'abus de confiance commis par Monsieur Dominique X... ; que cependant, s'agissant de la liquidation judiciaire survenue le 24 mai 2006, celle-ci n'est pas exclusivement imputable à cet événement, mais également à un défaut de conseil en comptabilité et un défaut de conseil en procédure ; que dès lors, cette perte de revenus ne peut être analysée que comme une perte de chance d'avoir un meilleur revenu que le RSA pendant une période de 5 ans, sans pouvoir correspondre aux revenus dont il bénéficiait antérieurement ; qu'il convient de déduire le montant du RSA perçu au cours de ces années de la somme à allouer ; que la cour estime, en définitive, que la somme de 50 000 € réparera justement ce poste de préjudice ; que s'agissant du préjudice moral - qui est un préjudice personnel - Monsieur Y... a qualité à agir pour en demander réparation ; que le premier juge n'a manifestement pas pris la mesure du retentissement des faits imputables au comportement de Monsieur X... sur la vie et la personne de Monsieur Y... ; que les désagréments subis par ce dernier à la suite de ce trafic et de l'immobilisation de son camion se sont déroulés dans un contexte où, lui-même souffrant, comptait sur le camion et son chauffeur pour permettre à son entreprise de fonctionner ; qu'il s'est trouvé moralement abattu par cette mésaventure qui a concouru à la perte de son entreprise et a nécessité de nombreuses années de procédure pour faire valoir ses droits ; que la cour estime que la somme de 8 000 € réparera plus justement ce préjudice moral ;
1° ALORS QU'un débiteur contre lequel est ouvert une procédure de liquidation judiciaire est dessaisi de l'ensemble de ses biens et n'a plus, dès lors, qualité pour exercer toute action patrimoniale ; qu'en retenant, pour juger que l'action en paiement de dommages et intérêts exercée par M. Y... était recevable, que le préjudice né des pertes de revenus futurs constituait un préjudice personnel de M. Y..., distinct du préjudice collectif des créanciers, quand M. Y... était un entrepreneur individuel qui, dès lors qu'il avait été placé en liquidation judiciaire, n'était plus recevable à exercer une action en paiement de dommages et intérêts que seul le liquidateur pouvait mettre en oeuvre, la cour d'appel a violé l'article L. 622-9 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
2° ALORS QUE toute action tendant au recouvrement d'un élément d'actif d'un entrepreneur individuel dont la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actifs, qui n'aurait pu être exercée que par le seul liquidateur pendant le cours de la procédure, en raison du dessaisissement de l'entrepreneur, suppose, pour être exercée après sa clôture, une réouverture de la procédure ; qu'en retenant, pour juger que l'action en paiement de dommages et intérêts exercée par M. Y... était recevable, que le préjudice né des pertes de revenus futurs constituait un préjudice personnel de M. Y..., distinct du préjudice collectif des créanciers, quand ces revenus constituaient le gage commun des créanciers, de sorte que les dommages et intérêts venant compenser leur perte aussi et que l'exercice d'une telle action supposait la réouverture de la procédure, la cour d'appel a violé l'article L. 622-34 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à l'espèce.