LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 mai 2017), que la société Siné a assigné la société Bowling Star Porte de Lyon, en réparation du préjudice consécutif à la rupture de négociations menées en vue de la conclusion d'un bail commercial ;
Attendu que, pour accueillir la demande, l'arrêt relève qu'en réponse à la demande de la société Bowling Star, la société Sine a indiqué que, consciente que la superficie des locaux était supérieure à celle initialement prévue, elle proposait de donner au preneur la possibilité de sous-location et, que la société Bowling Star, dans sa lettre de rupture des pourparlers ne fait pas mention d'un désaccord sur les conditions du bail mais se borne à invoquer des contingences internes liées aux investissements nécessaires et à l'absence de visibilité de l'évolution du quartier ;
Qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une absence de motif légitime ou un comportement de mauvaise foi démontrant une faute dans l'exercice de la liberté de mettre un terme à des pourparlers précontractuels, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne la SCI Siné aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute la SCI Siné, la condamne à payer la somme de 3 500 euros à la société Bowling Star Porte de Lyon ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour la société Bowlingstar porte de Lyon.
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré la société Bowlingstar responsable du préjudice subi par la société Sine du fait de la rupture abusive des pourparlers à propos de la location des locaux situés [...] et de l'avoir condamnée à payer à la société Sine la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE, dans son courriel du 29 mars 2012, la société Bowlingstar s'est engagée à prendre en location !es lieux présentés, sans précision de surface ; que la société Sine n'a pas confirmé son accord sur les bases indiquées dans ce message ; qu'elle a adressé un projet de bail qui a fait l'objet d'un mail en réponse de la société Bowlingstar en date du 24 avril 2012 ; qu'aux termes de ce message, cette société a demandé des amendements sur les articles 4, 7, 10, 11, 12, 18, 19, 20, 23, 25, 26, 28, 29, 30, et 32 ; que par message du même jour, la société Sine a répondu positivement à l'intégralité des remarques de la société Bowling Star ; qu' à propos de l'article 25 du contrat, qui indique « Les biens immobiliers donnés à bail sont situés : [...] ; ils comprennent : bureau et atelier pour une superficie totale de 6 367 m2 », la société Bowlingstar a demandé dans le courriel sus-énoncé « article 25 : la superficie énoncée prend elle en compte la surface souhaitée par la salle de fitness » ; que la société Sine a répondu: « la superficie énoncée ne prend pas en compte la surface souhaitée par la salle do fitness (700 m2) ; compte tenu de la non réponse à ce jour de la GigaGym, et conscient que la superficie est légèrement supérieure à celle initialement prévue et afin de vous faciliter dans votre gestion, nous vous proposons de modifier l'article 13 en vous donnant la possibilité de sous-location » ; qu'ainsi, il apparaît qu'a ce stade les parties n'étalent pas pleinement d'accord sur la surface à louer et donc sur le prix : que dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a jugé que le bail n'était pas valablement conclu, faute de rencontre des volontés des cocontractants sur un élément déterminant du contrat ;
ET QUE la société Bowlingstar a justifié la rupture des pourparlers de la manière suivante : « Après réunion de notre commission de développement et devant les investissements nécessaires et l'absence de visibilité de l'évolution du quartier à courte ou moyenne distance, nous ne donnons pas suite au projet d'installation d'un bowling et des activités connexes dans le bâtiment proposé [...] » ; qu'elle n'a fait aucunement référence à un quelconque désaccord sur les conditions du bail ; que cette rupture est intervenue dès le 25 avril, sans demande d'explications complémentaires et sans tentative d'obtenir que le bail soit conclu pour la superficie convenue initialement ou pour un prix fixé en fonction de cette seule superficie ; que force est de constater que la société Bowlingstar s'est bornée à évoquer des contingences internes ; que compte-tenu du message du 29 mars 2012 annonçant un engagement de prendre à bail, la rupture des pourparlers n'est pas intervenue de bonne foi, il appartenait à la société Bowlingstar de réunir sa « commission de développement » avant de s'engager ; que cette rupture a donc été abusive et a occasionné à la société Sine un préjudice constitué par une perte d'exploitation et l'immobilisation du bien pendant toute cette période et même au-delà puisque cette société a pu légitimement penser que la société Bowlingstar était valablement et définitivement engagée ; que compte tenu de la valeur du bail (226 680 euros par an la première année, sur la base de la surface réduite) et de la durée des pourparlers qui sera évaluée à 2 mois, le préjudice doit être évalué à la somme de 50 000 euros ;
1°/ ALORS QUE la rupture des pourparlers n'engage la responsabilité de son auteur que lorsqu'elle est fautive ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Sine avait adressé à la société Bowlingstar, le 24 avril 2012, un projet de bail mentionnant une surface de 6 367m2 qui, ainsi que l'avait reconnu la société Sine, était supérieure à celle initialement prévue et que, en conséquence, la société Sine proposait d'autoriser en contrepartie la sous-location ; qu'en relevant, pour condamner la société Bowlingstar à payer à la société Sine la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts, que la société Bowlingstar n'avait pas, avant de rompre les pourparlers, sollicité d'explication ni tenté d'obtenir que le bail soit conclu pour la superficie initialement convenue ou pour un prix fixé en fonction de cette superficie, cependant que, compte-tenu des circonstances, un tel motif était impropre à caractériser l'existence d'une faute commise dans la rupture des pourparlers, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
2°/ ALORS QUE la société Bowlingstar avait produit un courriel en date du 25 avril 2012, c'est-à-dire datant du lendemain de la réception du projet de bail modifié et du courriel de la société Sine reconnaissant avoir modifié de 700 m2 la superficie du local visé dans le projet de bail, dans lequel la société Bowlingstar indiquait qu'elle ne souhaitait plus s'installer dans ledit local « compte tenu des investissements nécessaires » ; qu'en retenant, pour déclarer fautive la rupture par la société Bowlingstar des pourparlers, que celle-ci s'était bornée à indiquer ne pas donner suite au projet d'installation sans référence à un quelconque désaccord sur les conditions du bail et en raison de seules contingences internes, sans rechercher s'il ne résultait pas de la lecture de ces deux courriels échangés à une journée d'intervalle que la société Bowlingstar avait refusé l'augmentation unilatérale à hauteur de plus de 12% de la surface du bien et, corrélativement, du prix du loyer, imposée par la société Sine et non dictée par des contingences internes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;
3°/ ALORS QU'une faute commise dans l'exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels ne peut donner lieu à indemnisation que du préjudice résultant de l'abus ; qu'une telle faute n'est pas la cause du préjudice consistant dans la perte des gains qui auraient été réalisés si le contrat avait été conclu ou dans la perte d'une chance de réaliser les gains que permettait d'espérer la conclusion du contrat ; qu'en retenant que la société Sine pouvait prétendre à l'indemnisation d'un préjudice constitué par une perte d'exploitation et par l'immobilisation du bien pendant la période des négociations et même au-delà, et en évaluant ce préjudice en tenant compte de la valeur du bail, cependant que ces chefs de préjudices, qui ne correspondaient pas aux seuls coûts engendrés par la négociation mais comprenaient également une partie des revenus que la société Sine espérait retirer du contrat, ne pouvaient être considérés comme ayant pour origine la faute reprochée à la société Bowlingstar, la cour d'appel a méconnu l'article 1382 devenu 1240 du code civil ;
4°/ ALORS QUE la cour d'appel a constaté que la société Bowlingstar s'était engagée à prendre les lieux en location par un courriel en date du 29 mars 2012 et que la rupture des pourparlers avait été caractérisée par un courriel en date du 25 avril 2012 ; que la société Bowlingstar avait fait valoir que la société Sine avait, dès le 25 avril 2012, « tout loisir de chercher un preneur pour son local » (concl., p. 16) ; qu'en retenant, pour fixer à 50 000 euros le montant des dommages et intérêts, que le préjudice devait être indemnisé au regard de la durée des pourparlers « qui sera évaluée à deux mois », sans fournir aucun élément sur la date qu'elle retenait comme début des négociations et le mode de calcul de cette durée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.