LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 avril 2017), que la société Marex SPA a saisi la chambre arbitrale de Milan d'une demande d'arbitrage contre la société Youstina moda après la résiliation du contrat conclu entre ces deux sociétés ; qu'en cours d'instance, les demandes reconventionnelles ont été retirées par le centre d'arbitrage en raison du non-règlement par la défenderesse des frais de l'arbitrage ;
Attendu que la société Youstina moda fait grief à l'arrêt d'accorder l'exequatur à la sentence rendue à Milan, alors, selon le moyen :
1°/ que le refus par le tribunal arbitral de statuer sur les demandes reconventionnelles est de nature à porter atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties, dès lors que celles-ci sont indissociables des demandes principales ; qu'en confirmant la décision d'exequatur de la sentence arbitrale bien que l'arbitre ait refusé d'examiner les demandes reconventionnelles formées par la société Youstina moda, tout en constatant que celles-ci étaient indissociables des demandes principales de la société Marex SPA en ce qu'elles tendaient toutes à obtenir réparation des conséquences dommageables de la rupture de la convention liant les parties, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, et ce en violation de l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que le refus par le tribunal arbitral de statuer sur les demandes reconventionnelles est de nature à porter atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties, dès lors que celles-ci sont indissociables des demandes principales ; qu'en retenant, pour confirmer la décision d'exequatur de la sentence arbitrale bien que l'arbitre ait refusé de statuer sur les demandes reconventionnelles formées par la société Youstina moda, que l'arbitre avait examiné incidemment les manquements reprochés par la société Youstina moda à la société Marex SPA lors de l'examen des demandes principales, quand cette circonstance était pourtant impropre à établir un examen effectif des demandes reconventionnelles seul à même de garantir l'égalité entre les parties et le droit d'accès au juge, la cour d'appel a violé les articles 64 et 1520, 5°, du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que le refus par le tribunal arbitral de statuer sur les demandes reconventionnelles est de nature à porter atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties, dès lors que celles-ci sont indissociables des demandes principales ; qu'en retenant, pour confirmer la décision d'exequatur de la sentence arbitrale bien que l'arbitre ait refusé d'examiner les demandes reconventionnelles formées par la société Youstina moda, que la société Youstina moda ne justifiait pas être dans l'impossibilité d'engager à l'avenir une nouvelle procédure arbitrale pour statuer sur d'éventuelles demandes de dommages-intérêts contre la société Marex SPA, quand cette circonstance n'autorisait cependant pas l'arbitre à ne pas examiner de manière effective les demandes reconventionnelles, la cour d'appel a violé l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'après avoir constaté que le centre d'arbitrage avait déclaré l'extinction de la procédure uniquement pour les demandes présentées par la société Youstina moda, l'arrêt relève que l'arbitre, qui n'a pas retenu expressément le caractère indissociable des demandes principale et reconventionnelle, a apprécié les comportements respectifs des parties et examiné les manquements reprochés à la société Marex SPA par la société Youstina moda, puis, estimant qu'ils n'étaient pas établis, a conclu que cette dernière n'avait pas respecté ses obligations, de sorte que la résiliation du contrat lui incombait ; que, par ces seuls motifs, dont il ressortait que l'arbitre avait pris en considération les moyens soutenus tant en demande qu'en défense, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Youstina moda aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Marex SPA la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept octobre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société Youstina moda
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris du 28 août 2014 qui a conféré l'exequatur à la sentence arbitrale rendue le 27 septembre 2013 à Milan (Italie) et d'avoir rejeté toutes les demandes de la société YOUSTINA MODA ;
Aux motifs que « la société YOUSTINA soutient qu'en refusant d'examiner ses demandes reconventionnelles dirigées contre la société MAREX, le tribunal arbitral a porté atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties.
Elle affirme, d'une part, que ses demandes reconventionnelles étant indissociables des demandes de la société MAREX dont était saisi l'arbitre, ce dernier ne pouvait pas les rejeter au motif qu'elles étaient éteintes du fait du non-paiement par la société YOUSTINA des obligations financières mises à sa charge en application de l'article 38-5 du règlement de la chambre arbitrale de Milan.
Elle affirme, d'autre part, qu'ayant été mise en demeure de payer, conformément à l'article 15 du règlement de la chambre arbitrale de Milan, des honoraires d'arbitrage pour un montant de 18 634 euros, elle a justifié de ses difficultés financières devant l'arbitre, lequel a rendu sa sentence sur la seule demande principale en se refusant d'examiner la demande reconventionnelle. Elle affirme avoir déposé avant le prononcé de la sentence un mémoire visant le caractère illicite du règlement comme violant le droit d'accès effectif à la justice garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et libertés fondamentales.
Considérant que le juge arbitral a été saisi le 8 août 2011 par la société MAREX d'une demande principale tendant à faire juger que la convention du 17 avril 2009 liant les parties a été rompue par elle conformément aux stipulations contractuelles en raison des manquements de la société YOUSTINA et à obtenir la condamnation de cette dernière à lui payer des dommages-intérêts (sentence §§ 1 et 3) ; que le 10 septembre 2012, la société YOUSTINA a déposé à la chambre arbitrale de Milan son acte de constitution par lequel elle a, à titre principal, contesté la compétence de l'arbitre, à titre subsidiaire, demandé le rejet des demandes principales de la société MAREX et, à titre reconventionnel, la condamnation de cette société à lui payer des dommages-intérêts au titre de « manque à gagner » et de « dommages à son image » pour une « somme de Euros 890.737,00 au titre de dommages et intérêts, augmentés des intérêts légaux à compter du jour de la rupture du contrat, soit le 20 septembre 2010 », outre les frais de procédure (sentence §12) ;
Considérant que, comme le soutient la société YOUSTINA, ses demandes reconventionnelles étaient indissociables des demandes principales de la société MAREX en ce qu'elles tendaient toutes à obtenir réparation des conséquences dommageables de la rupture de la convention liant les parties dont la société YOUSTINA imputait la faute à la société MAREX ;
Mais considérant que, si le 12 juillet 2013 le secrétariat général de la chambre arbitrale de Milan a déclaré l'extinction de la procédure uniquement pour les demandes présentées par la société YOUSTINA pour défaut de provision (sentence §55), l'arbitre n'en a tiré pour conséquence immédiate que le rejet de la demande de désignation d'expert formulée par cette société aux fins d'estimation du préjudice allégué par la société MAREX (sentence §56) ;
Que l'arbitre a ensuite rappelé à titre préliminaire que « la résolution de ce litige dépend de la reconstitution de la volonté des Parties concernant la conclusion et l'exécution du Contrat Après avoir reconstitué cette volonté, le Tribunal Arbitral étudiera l'existence ou l'absence de violation des engagements pris par les Parties ou de comportement de nature à entraîner une responsabilité contractuelle et/ou extracontractuelle » (sentence §60) ; que ce faisant, l'arbitre a répondu aux contestations de la société YOUSTINA concernant sa compétence (sentence §62 à 80), a ensuite procédé à une appréciation détaillée des comportements respectifs des parties, en examinant les manquements reprochés à la société MAREX par la société YOUSTINA (sentence §91 à 97), pour en conclure que cette dernière n'en rapportait pas la preuve (sentence § 100) et qu'elle était responsable de manquements contractuels, qui « A eux seuls... peuvent constituer une cause de résiliation du Contrat au sens de l'article 14 » (sentence §98) ; qu'enfin, l'arbitre a ajouté « [...] que l'accueil des demandes formulées par la Demanderesse auraient entraîné l'absorption de la demande reconventionnelle » (sentence § 140 dont la traduction est rectifiée par la lettre de l'expert traducteur - pièce n° 3 de la SCP AFG), ce dont il résulte que l'accueil des demandes principales de la société MAREX entraînait nécessairement le rejet des demandes reconventionnelles de la société YOUSTINA ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les demandes reconventionnelles de la société YOUSTINA, indissociables de celles, principales, de la société MAREX, ont été examinées et rejetées ipso facto par l'analyse que le tribunal arbitral a fait des responsabilités respectives des parties dans la rupture du contrat ;
Considérant, au surplus, que la société YOUSTINA ne démontre pas que les difficultés financières qu'elle allègue aient été irrémédiables et qu'elle se soit trouvée dans l'impossibilité d'engager à l'avenir une nouvelle procédure arbitrale pour statuer sur d'éventuelles demandes de dommages-intérêts contre la société MAREX ;
Que l'ordonnance d'exequatur doit donc être confirmée » ;
Alors, d'une part, que le refus par le tribunal arbitral de statuer sur les demandes reconventionnelles est de nature à porter atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties, dès lors que celles-ci sont indissociables des demandes principales ; qu'en confirmant la décision d'exéquatur de la sentence arbitrale bien que l'arbitre ait refusé d'examiner les demandes reconventionnelles formées par la société YOUSTINA, tout en constatant que celles-ci étaient indissociables des demandes principales de la société MAREX en ce qu'elles tendaient toutes à obtenir réparation des conséquences dommageables de la rupture de la convention liant les parties, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, et ce en violation de l'article 1520 5° du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Alors, d'autre part, que le refus par le tribunal arbitral de statuer sur les demandes reconventionnelles est de nature à porter atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties, dès lors que celles-ci sont indissociables des demandes principales ; qu'en retenant, pour confirmer la décision d'exéquatur de la sentence arbitrale bien que l'arbitre ait refusé de statuer sur les demandes reconventionnelles formées par la société YOUSTINA, que l'arbitre avait examiné incidemment les manquements reprochés par la société YOUSTINA à la société MAREX lors de l'examen des demandes principales, quand cette circonstance était pourtant impropre à établir un examen effectif des demandes reconventionnelles seul à même de garantir l'égalité entre les parties et le droit d'accès au juge, la Cour d'appel a violé les articles 64 et 1520 5° du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Alors, enfin, que le refus par le tribunal arbitral de statuer sur les demandes reconventionnelles est de nature à porter atteinte au droit d'accès à la justice et au principe d'égalité entre les parties, dès lors que celles-ci sont indissociables des demandes principales ; qu'en retenant, pour confirmer la décision d'exéquatur de la sentence arbitrale bien que l'arbitre ait refusé d'examiner les demandes reconventionnelles formées par la société YOUSTINA, que la société YOUSTINA ne justifiait pas être dans l'impossibilité d'engager à l'avenir une nouvelle procédure arbitrale pour statuer sur d'éventuelles demandes de dommages-intérêts contre la société MAREX, quand cette circonstance n'autorisait cependant pas l'arbitre à ne pas examiner de manière effective les demandes reconventionnelles, la Cour d'appel a violé l'article 1520 5° du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.