LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, ci-après annexé :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Riom, 22 mai 2017), que M. Y... a mis en vente une propriété comprenant un château, des dépendances, un parc et des terres données à bail à M. X... ; que celui-ci a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux en contestation des conditions de la vente et fixation, après expertise, de ces conditions et de la valeur vénale des biens loués ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande ;
Mais attendu qu'ayant, par motifs propres et adoptés, retenu à bon droit que l'appréciation du caractère divisible ou indivisible d'une propriété ne peut être déléguée à l'expert chargé, en application de l'article L. 412-7 du code rural et de la pêche maritime, d'évaluer la valeur vénale des biens et souverainement que la propriété était indivisible en raison de l'imbrication des parcelles louées et des parcelles non louées, ainsi que du partage des voies d'accès et de l'unité économique des parcelles démontrées par les vaines tentatives du propriétaire pour les vendre séparément, la cour d'appel, qui a constaté que M. X... ne souhaitait pas préempter l'ensemble de la propriété, en a exactement déduit que sa demande d'expertise ne pouvait prospérer ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X... et le condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Le Griel, avocat aux Conseils, pour M. X....
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement rendu le 20 novembre 2015 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Moulins en ce qu'il a, d'une part, déclaré la propriété de M. B...Y..., située à [...], indivisible et en ce qu'il a, d'autre part, débouté M. Jean-Luc X... de l'ensemble de ses demandes,
Aux motifs propres que le droit de préemption du fermier n'est pas contesté, ni les conditions de sa mise en oeuvre ; que l'article L. 412-7 du code rural et de la pêche maritime, allégué par M. X... au soutien de sa demande d'expertise, s'applique certes à la fixation de la valeur vénale des biens affermés mais ne répond pas à la question de l'indivisibilité du fonds qui est ici posée à titre principal ; que s'il est de principe que le preneur exerce son droit de préemption sur les seuls biens qu'il a pris en location, il demeure néanmoins constant que le propriétaire bailleur ne peut être contraint à diviser son fonds pour le vendre s'il présente les caractéristiques d'un bien indivisible ; que tel est bien le cas en l'espèce, ainsi qu'il est suffisamment démontré par les pièces du dossier d'où il ressort que le château et son parc sont isolés au milieu de l'exploitation agricole et partagent avec celle-ci des voies d'accès communes ; que dans de telles conditions, qui sont propices à toutes sortes de troubles de voisinage, il est illusoire d'imaginer que la partie habitable de la propriété puisse être vendue séparément des bâtiments agricoles et terres alentour ;
Et aux motifs adoptés des premiers juges qu'il ressort clairement de l'article L 412-6 du code rural et de sa disposition dans le code rural, que les juridictions amenées à statuer sur l'exercice du droit de préemption d'un fermier et sur la vente proposée par le propriétaire, doivent d'abord déterminer dans quel cadre se trouve la propriété dont il est question ; qu'en l'occurrence, cet article prévoit qu'en cas de pluralités de fermiers sur un même domaine, le bailleur, s'il veut le vendre en un seule fois, doit mettre en vente séparément chaque parcelle correspondant à chaque bail rural, pour permettre à chaque fermier d'exercer son droit de préemption sur la partie qu'il exploite ; que par conséquent et a contrario, si un seul fermier est titulaire d'un bail sur une partie du domaine (dont le reste n'est pas loué), il ne peut préempter que sur la partie qu'il loue ; que cependant dans ce cas, il convient d'abord d'analyser si la vente proposée par le propriétaire constitue ou non un tout indivisible ; que si c'est le cas, le fermier ne peut contraindre le vendeur à diviser le fonds et doit, pour exercer son droit de préempter se porter acquéreur de l'ensemble ou renoncer pour le tout ; que ce n'est qu'une fois cette question de cadre résolue que les dispositions de l'article suivant (L 412-7 du code rural) peuvent trouver à s'appliquer ; qu'en l'espèce, M. X... estime que, parce qu'il a saisi le premier la juridiction de céans sur le fondement de ce dernier article, cela interdirait à la juridiction d'apprécier le caractère divisible ou non de la propriété querellée, et donc de poser le cadre juridique, car le tribunal ne pourrait que déléguer cette appréciation à un expert foncier et agricole dans le cadre d'une appréciation du prix de vente ; qu'il n'en est rien car il est de jurisprudence constante que le caractère divisible ou non d'une propriété en pareil cas résulte de l'appréciation souveraine des juridictions du fond qui doivent se fonder sur un certain nombre d'éléments pour s'assurer que le propriétaire n'utilise pas le recours à cette notion d'indivisibilité pour empêcher le fermier, notamment pour des raisons économiques, de pouvoir exercer valablement son droit de préemption ; que l'appréciation des juges du fond doit donc être stricte et rigoureuse, afin de conserver à cette notion d'indivisibilité son caractère exceptionnel ; que l'expert, quant à lui, retrouve toute son utilité pour faire une appréciation de l'adéquation du prix au bien, une fois que le cadre juridique est fixé par le juge, auquel il ne peut pas se substituer ; qu'en l'occurrence, le tribunal paritaire des baux ruraux est légitime, bien que saisi par le fermier exclusivement sur le fondement de l'article L 412-7, à examiner tout d'abord le caractère divisible ou non de la propriété, avant d'apprécier futilité ou non de l'expertise demandée ; qu'en l'espèce, il résulte suffisamment des pièces présentées par les parties que le château est encerclé par les terres louées au fermier, jusqu'en ses abords les plus proches, qu'il y a une imbrication réelle des parcelles louées et des parcelles non louées, renforcée par le fait qu'au moins un des bâtiments loués est situé à une très faible distance du château, que l'accès à deux bâtiments du domaine agricole loué emprunte une voie communale qui dessert le château et son parc (sans clôture), un autre n'est desservi qu'en passant par le portail et le chemin privé du château, le dernier, celui qui est à 12 mètres du château, n'est accessible que par le portail privé et le chemin privé du château et donne directement, par toutes ses ouvertures sur le parc du château, qu'enfin, il y a une unité économique entre les parcelles louées et non louées, dans le sens où la vente du château et des seules parcelles non louées ne s'est pas avérée possible, malgré de réelles tentatives du propriétaire ; que, par conséquent, le tribunal paritaire des baux ruraux de Moulins confirme le caractère indivisible de la propriété de M. Y... ; qu'en ce qui concerne le droit de préemption de M. X..., celui-ci a, tout au long de la procédure, rappelé qu'il ne souhaitait préempter que les terres concernées par son bail ; qu'il a, par conséquent, renoncé à la possibilité de préempter pour le tout, au prix proposé par le propriétaire ; que sa demande d'expertise ne portant pas sur l'intégralité du domaine mais sur les seules parcelles qu'il a louées, elle ne saurait par conséquent prospérer dans ces conditions ; que, de surcroît, la question de l'indivisibilité du domaine a constamment été présente au cours de la procédure et dans les débats : il aurait été loisible à M. X... de modifier à tout moment sa demande sur le fondement de l'article L 412-7 du code rural en demandant qu'elle s'applique à l'intégralité de la propriété ; qu'il n'en a rien fait ; que le tribunal ne pourra donc que constater qu'il ne souhaite pas exercer son droit de préemption sur la totalité du domaine et devra donc le débouter de son action ;
1° Alors que lorsqu'un propriétaire bailleur décide de vendre le fonds de terre ou le bien rural sur lequel s'exerce le bail, il doit tenir compte du droit de préemption de l'exploitant preneur en place, droit qui est une prérogative d'ordre public ; que lorsque ce fonds n'est partiellement exploité que par un seul preneur, le droit de préemption ne s'exerce, en principe, que sur le seul bien pris en location, de sorte que le propriétaire ne peut pas procéder à une vente unique du fonds affermé et des biens non compris dans le bail, ni obliger le preneur à préempter l'ensemble ; qu'il n'en est autrement, par une exception qui doit être appliquée strictement, que lorsque le fonds à vendre est indivisible ; que le preneur, sollicité d'exercer son droit de préemption non seulement pour la parcelle qu'il a louée mais aussi pour l'ensemble du bien que le propriétaire bailleur se propose de vendre, a alors la faculté de contester le prix et les conditions de la vente ainsi proposées, sur lesquels le juge ne peut se prononcer, en vertu de la loi, qu'après expertise, le droit de préemption du preneur exploitant risquant d'être violé ou mis en échec par les conditions imposées par le propriétaire bailleur ; qu'en refusant dès lors d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée par M. X..., quand celle-ci, ainsi demandée, était légalement obligatoire, la cour a violé l'article l. 412-7 du code rural et de la pêche maritime ;
2° Alors que lorsque le propriétaire bailleur, invoquant l'indivisibilité du fonds qu'il se propose de vendre, sollicite le preneur exploitant d'exercer son droit de préemption non seulement sur la parcelle qu'il a louée mais aussi sur l'ensemble du bien mis en vente, le preneur a la faculté de contester judiciairement le prix et les conditions de vente imposées, sur lesquels le juge ne peut se prononcer qu'« après enquête et expertise » ; que ces « conditions » s'entendent de tout ce qui détermine essentiellement la vente ; qu'elles englobent dès lors nécessairement le statut même du fonds, divisible ou indivisible, puisque ce statut détermine la consistance même du bien vendu et son prix ; qu'en jugeant dès lors, pour rejeter la demande d'expertise formulée par M. X... aux fins, notamment, de fixer ce statut, que les dispositions de l'article L. 412-7 du code rural et de la pêche maritime, sur lesquelles il se fondait exclusivement en tant que demandeur, ne « répond(ent) pas à la question de l'indivisibilité du fonds qui est ici posée à titre principal », la cour a violé ce texte.