LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
COUR DE CASSATION LG/LM
ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
Audience publique du 5 octobre 2018
M. LOUVEL, premier président Rejet
Arrêt n° 637 P+B+R+I
Pourvoi n° H 12-30.138
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Rennes, domicilié en son parquet général, place du Parlement de Bretagne, CS 66423, [...],
contre l'arrêt rendu le 21 février 2012 par la cour d'appel de Rennes (6e chambre A), dans le litige l'opposant à M. Philippe X..., domicilié [...],
défendeur à la cassation ;
Cet arrêt a été cassé le 13 septembre 2013 par la première chambre civile de la Cour de cassation ;
La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Paris qui n'a pas été saisie par le défendeur au pourvoi ;
M. X... a saisi la Cour européenne des droits de l'homme qui, par arrêt du 21 juillet 2016, a dit qu'il y avait eu violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée ;
Par arrêt en date du 16 février 2018, la Cour de réexamen des décisions civiles, saisie par M. X..., a fait droit à la demande de réexamen du pourvoi et dit que la procédure se poursuivra devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation ;
Le demandeur invoque, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation annexé au présent arrêt ;
Ce moyen unique a été formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par le procureur général près la cour d'appel de Rennes ;
Un mémoire en défense a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de M. X... ;
Des observations complémentaires et un mémoire de production ont également été déposés par la SCP Thouin-Palat et Boucard ;
Le rapport écrit de Mme Martinel, conseiller, et l'avis écrit de M. Ingall-Montagnier, premier avocat général, ont été mis à la disposition des parties ;
Sur quoi, LA COUR, siégeant en assemblée plénière, en l'audience publique du 21 septembre 2018, où étaient présents : M. Louvel, premier président, M. Frouin, Mme Mouillard, M. Soulard, présidents, M. Prétot, Mme Masson-Daum, conseillers doyens faisant fonction de présidents, Mme Teiller, conseiller faisant fonction de président, Mme Martinel, conseiller rapporteur, Mme Riffault-Silk, MM. Pers, Huglo, Pronier, Mme Brouard-Gallet, MM. Betoulle, Parlos, Mme Vaissette, M. Avel, Mme Van Ruymbeke, M. Jacques, conseillers, M. Ingall-Montagnier, premier avocat général, Mme Caratini, directeur principal des services de greffe ;
Sur le rapport de Mme Martinel, conseiller, assistée de M. Le Coq, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Thouin-Palat et Boucard, l'avis de M. Ingall-Montagnier, premier avocat général, auquel la SCP Thouin-Palat et Boucard, invitée à le faire, n'a pas souhaité répliquer, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 21 juillet 2016 (Y... et X... c. France, req. n° 9063/14 et 10410/14) ayant dit qu'il y avait eu violation de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales s'agissant du droit de Z... X... et A... X... au respect de leur vie privée ;
Vu les articles L. 452-1 à L. 452-6 du code de l'organisation judiciaire ;
Vu l'article 1031-22 du code de procédure civile ;
Vu la demande de réexamen, présentée le 8 juin 2017 par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, pour le compte de M. Philippe X..., agissant tant à titre personnel qu'en sa qualité de représentant légal de ses fils Z...et A... X..., du pourvoi en cassation formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 21 février 2012, qui a ordonné la transcription sur les registres du service central de l'état civil de Nantes des actes de naissance des enfants A...et Z... X..., arrêt cassé par la Cour de cassation le 3 septembre 2013 (1re Civ., 13 septembre 2013, pourvoi n° 12-30.138, Bull. 2013, I, n° 176) ;
Vu l'arrêt de la Cour de réexamen des décisions civiles du 16 février 2018, faisant droit à la demande de réexamen du pourvoi et disant que la procédure se poursuivra devant l'assemblée plénière de la Cour de cassation ;
Vu les mémoires en demande et en défense ;
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 21 février 2012), que des jumeaux prénommés A... et Z... sont nés le [...] à Mumbai (Inde), de Mme C... et de M. X..., lequel, de nationalité française, les avait préalablement reconnus en France ; que, le 11 mai 2010, ce dernier a demandé la transcription sur un registre consulaire des actes de naissance des enfants ; que, sur instructions du procureur de la République, le consulat de France a sursis à cette demande ; que M. X... a saisi un tribunal de grande instance afin que soit ordonnée la transcription de l'acte de naissance sur les registres consulaires et au service central de l'état civil du ministère des affaires étrangères ; que, par un jugement du 17 mars 2011, le tribunal de grande instance a accueilli la demande ;
Attendu que le procureur général de Rennes fait grief à l'arrêt d'ordonner, en contradiction avec l'ordre public français, la transcription sur les registres d'état civil d'actes de naissance d'enfants nés à l'étranger d'un contrat de gestation pour autrui, alors, selon le moyen :
1°/ que l'article 16-7 du code civil prévoit que toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ; qu'en conséquence, le principe d'indisponibilité de l'état des personnes inscrit dans le droit positif interdit de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour autrui ; qu'en l'espèce, la filiation des enfants résulte d'une gestation pour autrui admise par M. X... et tenue pour certaine par la cour d'appel qui indique retenir que les éléments réunis par le ministère public établissent effectivement l'existence d'un contrat prohibé par les dispositions de l'article 16-7 du code civil ; qu'ainsi elle ne peut trouver traduction dans l'ordre juridique français, fût-elle licite à l'étranger ; qu'en ordonnant une transcription d'actes de naissance contraires à l'ordre public français, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 16-7 du code civil ;
2°/ que la nullité de la convention de gestation pour autrui est d'ordre public selon l'article 16-9 du code civil ; qu'elle s'impose même à l'égard d'un acte qui respecterait les dispositions de l'article 47 du code civil ; qu'en écartant cette nullité au motif d'une validité formelle des actes de naissance concernés, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 16-9 du code civil ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article 47 du code civil et de l'article 7 du décret du 3 août 1962 modifiant certaines règles relatives à l'état civil, interprétés à la lumière de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l'existence d'une convention de gestation pour autrui ne fait pas en soi obstacle à la transcription d'un acte de naissance établi à l'étranger et que l'acte de naissance concernant un Français, dressé en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays, est transcrit sur les registres de l'état civil sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;
Et attendu qu'ayant constaté qu'elle n'était pas saisie de la validité d'une convention de gestation pour autrui, mais de la transcription d'un acte de l'état civil, dont n'était contestée ni la régularité formelle ni la conformité à la réalité de ses énonciations, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il y avait lieu d'ordonner la transcription sur les registres consulaires et du service central de l'état civil du ministère des affaires étrangères des actes de naissance de A... et de Z... X..., nés le [...] à Mumbai (Inde), de Philippe X... et de Mme C... ;
D'où il suit que le moyen, inopérant en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant à nouveau sur le pourvoi :
LE REJETTE ;
ORDONNE la mention, en marge des actes de naissance de A... X... et Z... X..., du présent arrêt rejetant le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 21 février 2012 ayant confirmé le jugement du tribunal de grande instance de Nantes en date du 17 mars 2011 ordonnant la transcription sur les registres de l'état civil consulaire et du service central de l'état civil du ministère des affaires étrangères des actes de naissance des enfants X... ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne l'Agent judiciaire de l'Etat à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le cinq octobre deux mille dix-huit par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
MOYENS ANNEXES :
Moyen produit par le procureur général près la cour d'appel de Rennes
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné, en contradiction avec l'ordre public français, la transcription sur les registres d'état-civil d'actes de naissance d'enfants nés à l'étranger d'un contrat de gestation pour autrui,
Aux motifs que :
les actes de naissance des jumeaux nés le [...] en Inde ont été dressés conformément aux règles de l'état-civil local ; que les filiations paternelle et maternelle ne sont pas contestées ; que les actes ne sont ni irréguliers ni falsifiés et ne déclarent pas de faits contraires à la réalité; qu'ils respectent les dispositions de l'article 47 du code civil et font foi en France ;
que la circonstance que les naissances résultent d'un contrat de gestation pour autrui, est indifférente en ce que la cour d'appel n'est pas saisie d'une question de validité de contrat mais de celle d'actes d'état-civil ;
Alors, d'une part, que l'article 16-7 du code civil prévoit que toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ; qu'en conséquence le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes inscrit dans le droit positif interdit de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour autrui ; qu'en l'espèce la filiation des enfants résulte d'une gestation pour autrui admise par Philippe X... et tenue pour certaine par la cour d'appel qui indique retenir « que les éléments réunis par le ministère public établissent effectivement l'existence d'un contrat prohibé par les dispositions de l'article 16-7 du code civil » ; qu'ainsi elle ne peut trouver traduction dans l'ordre juridique français, fut-elle licite à l'étranger ;
Qu'en ordonnant une transcription d'actes de naissance contraires à l'ordre public français, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 16-7 du code civil ;
Alors, d'autre part, que la nullité de la convention de gestation pour autrui est d'ordre public selon l'article 16-9 du code civil ; qu'elle s'impose même à l'égard d'un acte qui respecterait les dispositions de l'article 47 du code civil ; qu'en écartant cette nullité au motif d'une validité formelle des actes de naissance concernés, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 16-9 du code civil.